Frédéric Beigbeder, écrivain, auteur de “Un homme seul” (éd. Grasset), était l'invité de Apolline de 9 à 10 ce lundi matin sur BFMTV.
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00:00C'est Frédéric Beigbeder qui va maintenant nous rejoindre.
00:03Frédéric Beigbeder, écrivain, chroniqueur, critique, éditeur,
00:08et qui a publié ce livre, Un homme seul, Un homme seul,
00:13et c'est votre père, Frédéric Beigbeder.
00:16Vous êtes en train de vous installer dans ce studio.
00:20Vous connaissez bien pourtant le monde de la télé,
00:22les rentrées et sorties dans des studios.
00:26Bonjour Frédéric Beigbeder.
00:27Soyez le bienvenu ce matin.
00:30Ça nous a interpellé parce que, quand vous avez publié ce livre,
00:33qui est votre dernier livre, qui parle de votre père,
00:37et notamment de son passage dans un pensionnat à Sorez,
00:42c'est au sud de Castres.
00:44Votre livre est paru début janvier.
00:46Et depuis, vous recevez des courriers, des appels, des messages
00:52d'anciens pensionnaires de cette institution du sud-ouest.
00:56Évidemment, ça résonne particulièrement avec les découvertes
01:00ou redécouvertes des drames de ce qui s'est passé à Bétarame.
01:03Cette parole que finalement vous avez recueillie,
01:08j'allais dire presque malgré vous,
01:10c'est une parole qui vient de partout en France,
01:14voire même de l'étranger, d'anciens camarades de votre père.
01:17Oui, en fait, j'ai l'impression que l'affaire Bétarame
01:22a libéré la parole des petits garçons du XXe siècle.
01:25Ça concerne plusieurs générations,
01:27parce que mon père, il y était dans les années 40,
01:30donc ça devait être particulièrement dur,
01:32mais visiblement, ça a continué jusqu'à la fermeture de Sorez en 1991.
01:38– Sorez, c'est le nom de l'institution ?
01:40– Oui, l'abbaye-école de Sorez, qui a été conçue par Pépin-le-Bref,
01:46donc au Moyen-Âge, mais qui a continué jusqu'à la fin du XXe siècle.
01:52– Vous avez ses lettres ?
01:53– Oui, j'ai, par exemple, un ancien élève qui raconte
01:59qu'il a été frappé, tabassé par le directeur, qui s'appelait Fabre,
02:03qui est mort, à genoux, frappé avec pied, poing, et des livres sur la tempe.
02:10Tabassé aussi pendant la nuit, parce que les élèves se frappaient entre eux,
02:16on encourageait des règlements de compte entre les camarades,
02:19et donc le danger venait beaucoup des camarades de classe pendant la nuit,
02:24ce qui fait que, par exemple, ce Stéphane qui m'a écrit,
02:27toutes les nuits, là il a 53 ans, il est sur le qui-vive,
02:32si sa femme le frôle, il est capable d'être violent,
02:35parce qu'en fait, il ne pouvait pas dormir sans menace.
02:39Les dortoirs, c'était des dortoirs avec 50 élèves,
02:44où on n'était séparés que par une cloison,
02:46et la cloison n'allait pas jusqu'au plafond,
02:47et donc les élèves passaient par-dessus les cloisons
02:49pour se sauter dessus pendant la nuit et se tabasser.
02:53Les surveillants les mettaient parfois au garde-à-vous la nuit,
02:57entre 2 et 4 heures du matin, debout, en caleçon, pieds nus,
03:02sous la pluie, pendant deux heures.
03:05Certains s'évanouissaient, vous imaginez, c'était des enfants.
03:11C'était donc tout le temps des punitions collectives ou individuelles.
03:15Il y avait un cachot à Sorez, ça c'est attesté par...
03:19ça se visite, hein, donc il y avait ce qu'on appelait le séquestre,
03:23où on mettait un enfant seul pendant 12, 24 heures, dans le froid,
03:28avec juste une bûche collée par terre pour s'asseoir.
03:32Donc bon, voilà, c'est une violence qui n'est pas réservée à Bétharame.
03:37C'est les témoignages que vous avez reçus,
03:39qu'on a pu d'ailleurs à BFMTV corroborer,
03:42puisque plusieurs de ceux qui ont témoigné auprès de vous,
03:45Frédéric Beigbeder, le service police-justice de BFMTV,
03:49a pu les joindre.
03:51Ils corroborent effectivement les témoignages que vous avez eus
03:54sur ce pensionnat, les pensionnats qui étaient dits à la dure.
03:58Ça fait effectivement froid dans le dos,
04:01votre père lui-même a traversé cette institution,
04:04aujourd'hui elle est fermée, cette institution, elle n'existe plus.
04:08Est-ce que des plaintes ont été disposées ?
04:10Est-ce que des signalements ont été déposés ?
04:12Pour l'instant, rien. De toute façon, les faits seraient prescrits.
04:16Et donc, on peut se dire, mais pourquoi parler maintenant ?
04:18Mais je pense que c'est générationnel, c'est intéressant de comprendre
04:23d'où vient la masculinité toxique, d'où vient cette souffrance des hommes.
04:28Si plusieurs générations d'hommes ont été traumatisés au XXe siècle,
04:32on le paye aujourd'hui en fait.
04:34Ça veut dire quoi ? Vous, vous faites une forme de lien
04:38entre la souffrance dont ces petits garçons ont souffert
04:43et ensuite une forme de masculinité toxique ?
04:47J'ai écrit un livre sur mon père, j'ai essayé de comprendre
04:50pourquoi il était silencieux, frileux, obèse,
04:55incapable de dire son amour, son affection,
04:59complètement claque-murée, oui, assez égoïste et assez jouisseur,
05:06obsédé par le confort, le luxe et la séduction.
05:10C'est une génération comme ça et elle a été détruite, cette génération,
05:14par son enfance.
05:15Et c'est l'hypothèse que vous posez dans le papier que vous avez écrit
05:17ce week-end dans le Figaro magazine, cette idée qu'il y ait,
05:20pour bien juger les hommes du XXe siècle et les pères du XXe siècle,
05:24cette idée qu'il faut absolument tenir en compte, en considération pardon,
05:28ce qu'ils ont vécu pour beaucoup d'entre eux.
05:31Et qu'il y a comme un traumatisme collectif dont on a peu ou pas du tout parlé.
05:35Exactement, voilà. Il n'y a pas juste les 100 victimes de Bétharame.
05:39En fait, il y en a plusieurs centaines de milliers en France.
05:42C'est ça que je dis.
05:44Mais vous dites aussi que, paradoxalement si on peut dire,
05:47c'est grâce au Me Too des femmes que le Me Too des hommes devient
05:52aujourd'hui possible.
05:53L'idée de libération de la parole est quelque chose de formidable
05:56et ça permet à ces hommes aujourd'hui de parler et d'oser dire.
05:59Mais ça concerne beaucoup d'autres établissements,
06:01notamment dans le sud-ouest.
06:02Dans le sud-ouest, j'ai noté des noms.
06:04Il y a Notre-Dame du Sacré-Cœur à Dax qui était surnommée Cendrillon
06:08parce que les enfants étaient traités comme Cendrillon dans le dessin animé.
06:12Ça fait partie aussi de ce que vous avez reçu.
06:14Vous ne pourrez pas m'empêcher, Frédéric Beigbeder,
06:16de me dire qu'il y a une forme presque d'ironie de l'histoire
06:19à ce qu'aujourd'hui vous, qui avez à un moment dit
06:23été encore l'ami d'un Gabriel Matzneff,
06:27qui avait été, et certaines en particulier, considéré comme presque complice
06:33ou en tout cas par silence vis-à-vis de l'affaire de PPDA,
06:37vis-à-vis du début du MeToo.
06:39Aujourd'hui, est-ce que ça ne vous permet pas une forme de repentance ?
06:42Vous cherchez cette repentance ?
06:44Je n'aime pas le mot repentance,
06:47mais en revanche, je crois qu'il faut se remettre en question dans la vie.
06:50Moi, c'était le but de ce livre.
06:53C'était d'essayer de comprendre qui j'étais en comprenant mieux mon père.
06:57Qu'est-ce qui m'a légué comme modèle d'homme et de masculinité ?
07:01Un playboy qui pensait qu'à draguer toutes les filles ?
07:05Oui, j'ai peut-être voulu lui ressembler à un moment,
07:08mais quand il vous arrive des choses comme j'ai vécu,
07:12il y a deux solutions.
07:15Vous parlez de quoi, là ?
07:17J'ai été accusé d'un crime.
07:20Pendant un an, il y a eu une enquête et l'affaire a été classée sans suite.
07:24C'était en juillet 2023.
07:26Une jeune femme a porté plainte pour viol contre vous.
07:29Vous aviez été placé en garde à vue.
07:31Un an après, cette affaire a été totalement classée sans suite.
07:34La justice estime qu'il n'apparaît pas possible de prouver la commission des faits de viol allégés.
07:38Elle dit d'ailleurs qu'il y a eu une première relation sexuelle consentie
07:41avant une deuxième qui ne l'aurait pas été.
07:43La procédure a été classée sans suite aujourd'hui.
07:46Sans suite, on n'en parle plus, mais moi j'en parle
07:49pour dire que face à ça, il y a deux réactions possibles.
07:52Il y en a une qui est de dire je suis innocent, c'est dégueulasse, on m'a sali.
07:55Oui, c'est vrai.
07:57Et puis il y a une autre qui est de se remettre en question,
07:59de se dire qu'est-ce que j'ai fait pour provoquer ça ?
08:01Est-ce qu'on ne peut pas aussi se transformer, évoluer, changer ?
08:04Et je pense que tous les hommes doivent aujourd'hui,
08:07grâce à la libération de la parole de ces petits garçons du XXe siècle,
08:11on doit aussi essayer d'entendre qui ils sont,
08:14d'où viennent nos défauts et de les corriger.
08:18Est-ce que la priorité toxique de la parole masculine même, je dirais,
08:26fait qu'on les entendra moins selon vous ?
08:29Parce qu'on a souvent dit que la masculinité était toxique,
08:33est-ce qu'aujourd'hui on dira ces circonstances atténuantes ?
08:37Vous n'avez pas, vous, à vous plaindre de ce que vous avez vécu ?
08:41Est-ce que c'est possible qu'on se retrouve dans cette espèce de libération de parole,
08:44mais qui serait dévalorisée ?
08:46Effectivement, il y a beaucoup de réactions agressives, je pense, à tort,
08:51de certaines féministes radicales qui ne supportent pas, je ne sais pas pourquoi,
08:56l'idée d'un Me Too masculin.
08:58Alors que pourtant, pour moi, c'est ça la solution,
09:01c'est que tout le monde parle et dise sa souffrance
09:04et quand tout sera bien mis sur la table,
09:07on arrêtera de disqualifier les hommes en disant « Ok, boomer »,
09:10parce que d'où viennent les boomers ?
09:12Les boomers, c'est quoi ? C'est ces hommes-là.
09:14Donc, essayons de les comprendre au lieu de les disqualifier.
09:17Dans le Figaro Magazine, vous dites cette phrase, je voudrais juste lire la phrase,
09:20il n'y a aucune raison d'avoir honte d'être un hétéro blanc et chrétien de plus de 50 ans,
09:25pas plus que d'être une transsexuelle métisse et athée de 20 ans,
09:28on s'en fout, la majorité silencieuse doit cesser d'être muette,
09:32chacun a sa place aujourd'hui,
09:34mais vous avez beaucoup joué en même temps, Frédéric Beigbeder,
09:37et du fait d'être justement ce mâle blanc chrétien,
09:42vous-même, vous avez aussi créé cette forme de catégorie-là ?
09:45Non, non, je ne crois pas.
09:48Il y a deux « une », ça m'a quand même passionné ce week-end.
09:50Oui, c'est très marrant.
09:51C'est effectivement les deux « une », on a le point qui dit le pouvoir des femmes
09:55et le Figaro Magazine avec vous, Frédéric Beigbeder, vive les hommes,
09:58moi j'ai envie de dire vive les deux, effectivement.
10:00C'est vrai que c'était amusant, le jour, le 8 mars,
10:06de la journée internationale des droits des femmes,
10:08de dire que c'est très important que les hommes s'expriment aussi ce jour-là.
10:13C'est un peu provocateur.
10:15Si il y a bien un jour où on pouvait s'exprimer, vous auriez pu nous la laisser.
10:20Juste parce qu'on n'a pas l'impression de découvrir les choses.
10:22Sur l'éducation à la dure, je vous rappelle que la chanson de Michel Sardou,
10:25le surveillant général, dans laquelle il y a tout, c'est 1973.
10:29Ce qui me sidère, c'est que sur l'aspect sexuel,
10:35dès 2021, l'Église catholique reconnaît le caractère systémique
10:40de ces violences sexuelles dans l'Église catholique.
10:43Vous avez une historienne, Blandine Chélini-Pont,
10:45qui montre que, pour des raisons particulièrement passionnantes à analyser,
10:50c'est spécifique à l'éducation dans l'Église catholique.
10:53Ça ne concerne pas ce genre de violences sexuelles.
10:57Mais pas de manière aussi systémique dans les autres religions.
11:00Pour compléter ce que dit Emmanuel d'un mot,
11:02la SIAZ, puisque c'est à ça que fait référence Emmanuel,
11:05le comité qui s'est penché sur les violences sexuelles faites aux enfants
11:08dans le cadre de l'Église ou dans le cadre des établissements liés à l'Église,
11:13parle de 330 000 victimes.
11:17330 000 victimes des années 50 à aujourd'hui.
11:21Et encore, ce sont les faits qui ont pu être répertoriés,
11:25documentés, et on parle des violences sexuelles.
11:28Il y a les autres violences non sexuelles.
11:31Donc c'est quelque chose d'absolument massif sur 40 ans.
11:35Pour être tout à fait juste,
11:37pour ce qui est des violences corporelles et pas sexuelles,
11:41il y a aussi les établissements protestants ou anglais.
11:46On se souvient que le Parle, c'est beaucoup plein.
11:50A la dure.
11:51Absolument, d'avoir été élevé.
11:53Il y avait des châtiments corporels.
11:55Ce n'étaient pas seulement les écoles catholiques.
11:57C'était sur la question, je pense, plutôt des actes sexuels, effectivement.
12:01Frédéric Beigbeder, dans votre tribune, dans le Figaro, ce week-end,
12:04vous dites, nous, les intellos non violents, les écrivains modérés,
12:06les romanciers ironiques, les penseurs centristes et les fêtards hétérosexuels
12:11devons accepter cette réalité.
12:12Notre insouciance d'enfant gâté et notre mauvaise conscience occidentale
12:17ont construit un boulevard pour la victoire du populisme.
12:20C'est très paradoxal parce que le début de votre phrase,
12:22je ne vais pas faire une analyse de texte,
12:23mais le début de votre phrase, il y a une forme de fierté,
12:25voire même d'arrogance à se dire, nous, les fêtards hétérosexuels.
12:29Et en même temps, vous plaidez une forme de culpabilité
12:33à faire l'entrée du populisme comme une sorte de backlash.
12:37Est-ce que vous estimez qu'au fond, aujourd'hui, presque le trumpisme,
12:41c'est une réponse à votre insouciance ironique et presque agressive ?
12:47J'essaye d'analyser la masculinité.
12:49Or, en ce moment, on nous parle partout d'un retour de la masculinité par Trump,
12:53un Elon Musk qui brandit sa tronçonneuse ou qui fait des saluts nazis.
12:57Et tout ça, moi, je ne me reconnais pas du tout là-dedans.
13:00Moi, je suis un gentil, je suis un mou, je suis un fêtard.
13:05Oui, je regarde les jolies femmes.
13:08Vous avez touché les dividendes de la paix, c'est exactement ça.
13:12Ce n'est pas un peu facile.
13:13Non, c'est intéressant de dire, à la fois, je suis choqué par la censure
13:17de la cancel culture, quand elle veut corriger, déconstruire absolument les hommes.
13:22Et en même temps, je suis aussi choqué par cet espèce de retour du machisme,
13:26de la misogynie, du sexisme, complètement assumé,
13:30par des hommes très vulgaires, dans lesquels je ne me reconnais absolument pas.
13:33Donc, on a deux ennemis aujourd'hui.
13:35C'est quand même une forme de mea culpa.
13:37Je me souviens, on se connaît depuis longtemps avec Frédéric Beigbeder,
13:39mais vous étiez, à un moment donné, directeur du magazine.
13:43Pour les féministes, c'était quand même considéré comme le temple de la masculinité.
13:48Ce n'était pas vulgaire du tout, c'était très élégant.
13:51Très bien, mais n'empêche que.
13:53Et donc, il y a une sorte de basculement, presque, d'une forme de mea culpa.
13:56C'est la société qui évolue, et moi, j'évolue avec mon temps.
14:00Merci Frédéric Beigbeder d'être venu ce matin,
14:03et témoigner aussi cette lettre que vous nous avez lue, notamment de Stéphane,
14:08qu'on a pu joindre aussi à BFM TV,
14:10qui assorait cet établissement dont vous parliez à la fin des années 80.
14:14Votre livre s'appelle « Un homme seul et séché grâce à elle ».