À travers le parcours de Maurice Assier de Pompignan, gouverneur colonial et acteur clé du ralliement de l’Afrique-Equatoriale française à la France Libre, de l’échec du débarquement à Dakar à la conférence de Brazzaville en passant par la mobilisation des troupes africaines, nous allons découvrir comment l’Afrique a été cruciale dans la lutte pour la libération de la France. En effet, c'est à Brazzaville, siège des institutions de l'Afrique-Equatoriale française (AEF), que le général De Gaulle implante la capitale de la France libre. Il y crée le Conseil de défense de la France libre, puis constitue son gouvernement. C'est de Brazzaville, avec l'appui des soldats du Tchad, de l'Oubangui-Chari, du Cameroun puis du Gabon, que s'amorce la reconquête.
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00:00Bonjour à tous, nous vaincrons car nous sommes les plus forts.
00:25Cette phrase de Paul Reynaud évoquant l'Empire colonial français
00:28à la veille de la Seconde Guerre mondiale
00:30est peut-être l'une des rares choses censées qu'il ait dites durant cette période de chaos.
00:35En effet, derrière cette affirmation se cache une réalité complexe et pleine de tensions.
00:39Aujourd'hui, nous allons plonger au cœur de l'histoire méconnue de la France libre en Afrique,
00:44à travers le parcours de Maurice Assier de Pompignan,
00:48gouverneur colonial et acteur clé du ralliement de l'Afrique équatoriale française à la France libre,
00:53de l'échec du débarquement à Dakar à la conférence de Brazzaville,
00:56en passant par la mobilisation des troupes africaines,
00:59nous allons découvrir comment l'Afrique a été cruciale dans la lutte pour la libération de la France.
01:05Emmanuel Rougier, bonjour.
01:07Bonjour.
01:08Merci d'être avec nous aujourd'hui.
01:10Alors, vous êtes l'auteur d'un Français libre qui vient de paraître aux éditions et licences.
01:16Oui.
01:17Cet ouvrage retrace la vie de votre grand-père, Maurice Assier de Pompignan,
01:22qui fut administrateur colonial engagé dans la lutte aux côtés de la France libre
01:28pendant la seconde guerre mondiale.
01:29Alors, ce qui est intéressant dans ce livre,
01:30c'est que vous nous plongez vraiment dans cette période tumultueuse
01:34où l'Afrique a joué un rôle essentiel dans la résistance à l'occupant,
01:38un rôle trop souvent oublié.
01:41Alors, votre grand-père a donc mené, je le disais, la totalité de sa carrière hors de métropole.
01:47Était-il prédestiné, lui qui n'est pas né en métropole,
01:50puisqu'il est originaire, il est né en Martinique en 1889 à Saint-Pierre, exactement.
01:57Une ville qui va connaître un destin tragique auquel votre grand-père va assister.
02:03A échapper in extremis.
02:04Donc, cette catastrophe, c'est l'éruption du Montpellier qui détruit...
02:10Le 8 mai 1902 qui détruit l'intégralité de la ville et environ 30 000 habitants.
02:14Et votre grand-père a quel âge à l'époque ?
02:16Il a 13 ans. Il a 13 ans et il quitte Saint-Pierre le 6 mai à la faveur d'un convoi familial
02:22qui part à Sainte-Lucie qui est l'île anglaise Sœur.
02:25La famille de sa mère était originaire de Sainte-Lucie.
02:27Et une tante très avisée a eu la bonne idée d'affrêter un bateau
02:31et de proposer à plusieurs membres de la famille de quitter Saint-Pierre.
02:33Parce qu'on sentait déjà...
02:34La vie était invivable, il y avait des chutes de cendres,
02:36il y avait des tremblements de terre, la respiration était difficile.
02:39Et grâce notamment à ses neveux, il avait des petits-neveux qui étaient bébés
02:44et qui ne supportaient plus du tout la fumée ni les cendres.
02:47Et donc la grand-mère a dit, partons à Sainte-Lucie, on sera mieux là-bas.
02:50Et ils sont partis à Sainte-Lucie et deux jours après, le volcan explosait.
02:54Ils ont tué tous les hommes de la famille parce qu'ils sont partis à Sainte-Lucie
02:57avec les oncles, les pères et les hommes sont tous rentrés pour leur profession à Saint-Pierre.
03:02Et il y avait les élections, c'était le premier tour des élections.
03:04Donc il fallait voter, à l'époque il n'y avait que les hommes qui votaient.
03:07Et ils ont été absolument tous tués par cette éruption.
03:12Sauf un oncle qui lui a été sur un bateau, je raconte l'histoire parce qu'elle est assez incroyable.
03:17Il est sur un bateau, le seul bateau qui a réussi à échapper à la fournaise
03:20et qui arrive à Sainte-Lucie le lendemain.
03:23Et l'oncle en question a malheureusement inhalé les vapeurs nocives du volcan et meurt quelques jours après.
03:29– Donc c'est vraiment un cas, la ville est rayée de…
03:31– Oui, la ville est complètement rayée de la carte.
03:33Dans le livre, il y a des photos qui montrent la ville avant et après, c'est assez spectaculaire.
03:36– Une jolie ville.
03:37– Magnifique ville, c'était une ville du 17e et du 18e siècle,
03:40extrêmement bien construite, avec de beaux monuments, des belles rues.
03:43On appelait ça le petit Paris des Antilles,
03:45bon probablement un peu idéalisé à la suite de sa destruction.
03:48Mais c'était une ville assez attachante et très belle, très très belle,
03:53qui n'a pas été reconstruite en tout cas relativement mal.
03:56– Donc le jeune Maurice, il avait déjà perdu son père.
03:59– Il avait perdu son père quand il avait 3 ans.
04:01Là il perd absolument tout son environnement personnel, familial, la maison, il n'y a plus rien.
04:06Ils n'ont plus comme fortune que leurs vêtements
04:09et quelques bijoux qu'on a la grand-mère avait emporté avec elle.
04:12Donc il se retrouve dans une situation de grande précarité, assez difficile.
04:16Et sa mère décide de le mettre pensionnaire à Paris, au Lyselé-Michelé à Venves,
04:21et il part à l'âge de 13 ans tout seul à Paris.
04:23Alors il a quelques familles là-bas tout de même, qui s'occupent de lui,
04:26qui vont être d'ailleurs assez providentielles.
04:28Sa mère le rejoint un an après parce qu'elle est malade et elle meurt à Paris.
04:34Et mon grand-père se retrouve orphelin à 14 ans, tout seul, petit créole,
04:39ayant quitté la Martinique quelques mois plus tôt, seul à Paris.
04:43Et là il va rester pensionnaire au Lyselé-Michelé.
04:45Une de ses tantes, Mme Loles, va s'occuper de lui.
04:48Et elle et ses filles vont être vraiment une famille d'accueil pour mon grand-père,
04:53qui ensuite va passer le concours de l'école coloniale et intégrer cette fameuse école.
04:59– Donc cette école, il l'intègre en 1908 ?
05:02– Oui, absolument.
05:03– On peut dire qu'on est à l'apogée de l'empire colonial français.
05:07Alors, quelle est cette école ?
05:09Quelle est la place de cette institution dans la formation des administrateurs ?
05:13– Cette école est intéressante parce que c'est l'ancêtre de l'ENA en fait.
05:17C'est la seule école d'administration qui existe à l'époque.
05:20Elle s'appelle école coloniale, elle va s'appeler à partir des années 30
05:23école nationale de la France Outre-mer, il va y avoir déjà un changement.
05:26Et c'est véritablement la seule école d'administration qui existe.
05:29Et ils vont être en quête formée, les élèves qui sont là sont formés
05:33à l'administration coloniale avec beaucoup de… comment vous dire ?
05:37L'administrateur colonial, on lui demande d'être à peu près tout.
05:42Il faut qu'il soit juge, il faut qu'il soit magistrat, il faut qu'il soit juriste,
05:45il faut qu'il soit économiste, il faut qu'il soit également médecin quelquefois.
05:50Donc il a vraiment une responsabilité multitâche assez impressionnante.
05:55Et ces jeunes élèves d'administrateurs se retrouvent très vite en charge
05:59d'un territoire souvent assez conséquent, très important,
06:02avec une préparation peut-être psychologiquement pas forcément adaptée.
06:07Un certain nombre de jeunes administrateurs ne vont pas forcément
06:11très bien vivre cette situation.
06:13André Gide en parle dans son livre Voyage au Congo,
06:16il cite le cas d'un administrateur un peu déficient qui n'a pas tenu le coup
06:19parce qu'il était trop jeune.
06:21Et mon grand-père, peut-être forgé par les épreuves de sa jeunesse,
06:25va être à la hauteur des tâches, mais il va souvent se retrouver
06:28dans ses premières infections, au fin fond de la jungle,
06:31dans des endroits extrêmement reculés.
06:33Oui parce qu'il était envoyé au Gabon en 1912.
06:35Oui, alors il a choisi l'AEF, l'Afrique équatoriale française,
06:40c'était vraiment les colonies les plus récentes et les moins civilisées,
06:44les moins organisées.
06:45Et curieusement ça va être son choix, c'est ce qui l'attire.
06:48En général, les bons élèves, quand ils sortaient plutôt dans les premiers,
06:51ils allaient en Indochine.
06:52C'était l'Indochine qui était le lieu où les élèves de cette école voulaient aller.
06:56L'Afrique équatoriale, c'est là où personne ne voulait aller
06:58parce que c'était très dur.
06:59Donc l'Afrique équatoriale, on va rappeler les pays, c'est...
07:01C'est le Tchad, le Moyen-Congo, l'Ugandichari,
07:04qui est devenu depuis la République centrafricaine, et le Gabon.
07:07À ces quatre colonies va s'ajouter le Cameroun,
07:11qui est allemand jusqu'à la guerre de 1914.
07:13On va en parler, oui.
07:14On va en parler un peu plus tard.
07:16Et à côté de ça, vous avez ce qu'on appelle l'Afrique occidentale française,
07:20qui est mieux organisée, qui est mieux, plus civilisée,
07:23qui est comme capitale Dakar, avec le Sénégal,
07:27Dahomey...
07:29– Dahomey, qui est l'actuel Bénin.
07:31– Exactement, l'actuel Bénin, la Haute-Volta.
07:34– C'est Burkina Faso.
07:36– Absolument.
07:37Je me sens fort, ce mec de moi,
07:38parce que je reconnais mieux les livres, les noms du passé que ceux de l'actualité.
07:43Mais l'AEF, clairement, ce n'est pas là où il va aller.
07:45Il va vraiment aller en AEF.
07:46Et mis à part Loubourgui-Chari,
07:48ces mutations vont avoir lieu dans les différents pays.
07:51Il va commencer par le Gabon, qui va être sa première affectation.
07:54Ce sera ensuite le Moyen-Congo, puis le Tchad, et retour au Gabon.
07:59Donc il va se promener, s'il ose dire, entre ces différents pays.
08:02– Donc au Gabon, en 1912, il est comme élève administrateur.
08:05– Oui.
08:06– Là, comme vous le disiez, ce sont des colonies assez récentes
08:11qui sont en pleine phase de consolidation, si je puis dire.
08:15– Absolument.
08:16– Quels sont les défis pour ces administrateurs coloniaux sur le terrain ?
08:20– Alors, ils sont de plusieurs ordres.
08:22Le premier, d'abord, c'est de faire régner, je crois, une forme de justice.
08:26Ce sont vraiment des magistrats.
08:27Et ils s'occupent de faire régner la justice.
08:30Ils jugent, ils rendent des arrêts.
08:33Ils sont vraiment chargés de faire régner la paix.
08:36Il n'y a pas beaucoup de militaires dans cette région-là.
08:38Il y en a même très peu.
08:39En tout cas, à l'exception du Tchad, qui a d'abord été une colonie militarisée.
08:43Mais le Gabon, il y a peu de militaires, donc c'est vraiment un magistrat.
08:47C'est ensuite quelqu'un qui doit organiser la santé des populations,
08:50donc à l'aide de médecins, et ça, c'est la deuxième chose.
08:55Il y a un rôle également de développement,
08:58construction d'axes de circulation, des routes,
09:02travaux pour en faveur de l'économie locale.
09:05Et puis, alors ça, c'est le rôle positif.
09:07Et le rôle plus contestable, en tout cas, avec le regard sur ce passé,
09:13ce qu'on appelle le travail forcé, c'est-à-dire que ce sont des réquisitions.
09:16On réquisitionne les populations pour construire,
09:18notamment, des travaux d'intérêt général.
09:20Routes, principalement.
09:22Et puis, les impôts.
09:24Les impôts, puisqu'en fait, le gouvernement français
09:26voulait que les colonies soient autosuffisantes.
09:28Donc qu'elles puissent, elles-mêmes, subvenir aux besoins de la colonie.
09:32– On lève l'impôt, mais c'est au bénéfice de la colonie.
09:35– Absolument, absolument.
09:36– Ça ne part pas vers la métropole.
09:37– Non, ça ne part pas vers la métropole.
09:39Mais ce sont souvent des colonies assez pauvres, donc…
09:41– Ce sont des impôts comment ? En nature ?
09:43– C'est extrêmement compliqué, parce qu'il y a peu d'argent, en nature.
09:47Mais je cite dans une annexe, il s'est bien entendu avec son premier supérieur,
09:52qui s'appelait Le Testu, qui était un homme assez incroyable,
09:54et qui raconte de manière anecdotique que lorsqu'il collecte les impôts,
09:57on lui propose des femmes.
09:59Bon, alors lui, il explique que ce n'est pas tout à fait comme ça que ça fonctionne,
10:02et qu'il ne peut pas utiliser ce genre de compensation.
10:06Non, c'est de l'argent, mais c'est extrêmement compliqué.
10:09Alors ça, c'est un rôle qui est le rôle difficile.
10:12Et puis il y a ensuite ce rôle d'interface avec les compagnies forestières.
10:17La Troisième République a favorisé l'installation de très grandes compagnies forestières,
10:21notamment au Gabon où il y a beaucoup de bois.
10:23Et les administrateurs vont avoir du mal à lutter, si j'ose dire,
10:27contre la puissance économique de ces concessions.
10:30On a parlé du temps maudit des concessions.
10:33Ces concessions, si vous voulez, sont parfois des dirigeants qui sont assez peu scrupuleux,
10:38et qui exploitent la population de manière éhontée.
10:40Et l'administrateur, justement, lui, doit faire régner une forme d'équité et de justice,
10:44et donc doit se battre contre certains comportements.
10:48– Alors, la Première Guerre mondiale le surprend alors qu'il est toujours en Afrique.
10:53Il n'est pas rappelé, même s'il est plus jeune ?
10:55– Les administrateurs n'ont pas été mobilisés, justement.
10:57– D'accord, il n'est pas rappelé et il reste sur le continent,
11:00mais il va avoir un rôle à jouer puisque le pays voisin, le Cameroun, est une colonie allemande.
11:05– On oublie que la guerre de 1914 a aussi eu lieu en Afrique,
11:08puisqu'il y a des combats entre les Anglais du Nord et les Français qui sont autour,
11:12contre les Allemands du Cameroun.
11:14Extrêmement peu de soldats, il y a quand même quelques échauffeurés,
11:17il y a quand même des tirs, il y a quand même quelques morts,
11:19il y a quelques blessés.
11:20Et les administrateurs vont un peu jouer le rôle de petits soldats,
11:23c'est-à-dire qu'ils ne vont pas forcément avoir uniquement qu'un rôle d'économique ou d'accompagnement,
11:28certains vont se battre.
11:30Alors je n'ai pas vraiment le détail de la manière dont mon grand-père a agi,
11:33mais je sais qu'en tout cas il a participé à la conquête du Cameroun contre les Allemands.
11:38Les Allemands ont été battus, les Anglais ont bien aidé, heureusement qu'ils étaient là.
11:42Et les Français contre les Anglais ont pu vaincre les Allemands
11:46et le Cameroun est devenu une colonie française à partir de ce moment-là.
11:50– En 1916 ? – Oui, absolument.
11:52– Et quel rôle a-t-il joué au Cameroun ? Il s'implique ?
11:54– Il s'applique, je sais qu'il s'est appliqué puisqu'il a été décoré,
11:57notamment il a eu la médaille coloniale qui avait été décernée pour tous les administrateurs
12:01qui s'étaient battus en faveur de la conquête du Cameroun.
12:04Donc il a joué un rôle, je n'ai malheureusement pas beaucoup de détails
12:07sur l'activité qui fut la sienne exactement, je sais simplement qu'il y a participé.
12:10– Alors est-ce que la conquête du Cameroun,
12:12s'il y a un tournant dans la politique coloniale française à ce moment-là,
12:15est-ce que ça change quelque chose vraiment ?
12:17– Je ne crois pas que ça change fondamentalement quelque chose,
12:19sinon ça consolide peut-être le bloc de l'AEF qui,
12:22même si le Cameroun n'a jamais été intégré à l'AEF,
12:24pour des raisons administratives qui m'échappent un peu,
12:26le Cameroun va renforcer, si je puis dire, la puissance,
12:29notamment économique, de ce bloc d'Afrique équatoriale française.
12:33– Alors après la guerre, il est envoyé au Gabon et au Moyen-Congo ?
12:38– Oui, il va retourner au Moyen-Congo et là il va faire partie d'administrateurs,
12:42il va être nommé maire de Libreville,
12:44qui lui donne donc une fonction qui le distingue peut-être un peu
12:48des autres administrateurs.
12:49Alors Libreville à l'époque est une assez petite ville,
12:52non pardon, j'ai dit une bêtise, c'est Brazzaville.
12:55– C'est plus tard qu'il est nommé maire de Brazzaville.
12:57– Oui, il va être nommé maire de Brazzaville.
12:59Brazzaville est donc du côté du Moyen-Congo, dit le Congo français,
13:03et de l'autre côté du lac, il y a Kinshasa,
13:05qui est la capitale du Congo belge de l'époque.
13:08Et autant Kinshasa est une ville développée où il se passe pas mal de choses,
13:11autant Brazzaville est une belle endormie.
13:14André Gide d'ailleurs, comme Albert Londres,
13:16compare les deux villes et considère que Kinshasa est moche,
13:19mais une vraie ville habitée, et que Brazzaville est plus jolie,
13:22mais très endormie.
13:23– Alors justement pendant cette période, il va être confronté,
13:25vous parliez de Gide et d'Albert Londres, vous l'avez évoqué tout à l'heure,
13:29les compagnies forestières, il y a également la construction du train.
13:33Donc lui, en tant qu'homme, il se retrouve confronté
13:36à cette réalité du travail, du travail forcé, on peut le dire.
13:40– Ce train qui s'appelait le train pointe noire Brazzaville,
13:46qui donc relie la côte à Brazzaville, va faire couler beaucoup d'encre,
13:51en France notamment, parce que c'est un chantier extrêmement difficile,
13:56qui passe dans des régions très ingrates, très dures d'un point de vue climat.
14:01Et le gouverneur général de l'Afrique équatoriale française,
14:03qui s'appelle M. Antonetti, va vraiment, si j'ose dire,
14:06à marche forcée, fouetter au sens propre du terme,
14:10les constructeurs de cette ligne, il va y avoir un nombre considérable de morts.
14:16Et Albert Londres, dans son reportage qui s'appelle Terre d'Ébène,
14:21qui se passe en Afrique équatoriale, décrit avec beaucoup de précision
14:26les dramatiques constructions de cette ligne de chemin de fer.
14:30Et il cite Antonetti en disant, le gouverneur Antonetti écrit
14:35qu'il y a eu 7 000 morts pour une ligne de train comme celle-ci,
14:40ça n'est pas grand chose.
14:42Albert Londres rétorque qu'il y a eu 18 000 morts pour 140 kilomètres.
14:45– Ça fait cher le kilomètre. – Exactement, exactement.
14:48Et pas seulement la population locale, bien évidemment,
14:50elle en première ligne, mais aussi beaucoup d'Européens.
14:52Le climat était désastreux et ça a été vraiment,
14:54bon, il a fini par se faire ce train.
14:56Mais ça a été quand même une forme de scandale
14:58qu'Albert Londres et André Gide ont dénoncé.
15:01– Et donc ?
15:02– Mon grand-père est forcément partie prenante à ce travail.
15:06– Est-ce qu'il en pense ?
15:08– Je sais qu'il n'en pensait pas que du bien,
15:11et d'ailleurs il y a eu…
15:13– Est-ce qu'il avait des moyens pour lutter contre ?
15:15– Oui, notamment certains administrateurs des colonies ont résisté
15:19et n'ont pas voulu accepter des formes de réquisition de travailleurs
15:24parce qu'ils considéraient qu'on allait trop loin
15:27dans cette construction du chemin de fer.
15:29Je suis tout à fait honnête avec vous,
15:30je ne sais pas si mon grand-père a dit oui ou a dit non,
15:32mais il me plaît de penser qu'il a dû faire partie
15:35de ceux qui n'étaient pas du tout en faveur du travail,
15:37de cette réquisition.
15:38Parce que je sais qu'il était extrêmement…
15:42je n'arrive pas à trouver le bon mot, peut-être bienveillant en tout cas,
15:45il avait vraiment le souci, si vous voulez,
15:47de la protection de la population dont il avait la charge.
15:49Et il a toujours dit, ça ma mère me l'a répété,
15:52et ma grand-mère aussi, qu'il avait plus de difficultés
15:56avec certains Européens qui venaient s'enrichir sans vergogne en Afrique
16:00et qui n'avaient aucune considération pour la population locale.
16:03Lui, c'était l'inverse, c'était vraiment la population locale
16:06qu'il était venu soutenir et développer, c'était ça sa priorité.
16:09Donc il avait plutôt… les Africains étaient vraiment sa priorité.
16:15– Alors il lutte aussi contre des pratiques locales,
16:18à savoir l'esclavage et la sorcellerie.
16:22– La sorcellerie, c'est là où je parlais de son rôle de magistrat,
16:25il se retrouve à prendre des positions et à rendre des jugements
16:30dans des affaires de sorcellerie.
16:32Et bien évidemment, il essaye, dans la mesure du possible,
16:35au-delà des décisions de justice qu'il prend,
16:38d'introduire une forme de pédagogie pour faire comprendre à cette population
16:43que certains jugements de sorcellerie ne peuvent pas fonctionner.
16:47C'est l'histoire du poison que vous consommez,
16:50et si vous êtes sauvé, si ça ne vous tue pas, c'est que vous avez gagné.
16:53Le problème, c'est que le poison étant ce qu'il est, vous mourrez forcément.
16:56Bon voilà, donc ça c'est une pratique un peu… comment dire…
17:02comment est-ce que je… je cherche le mot évidente.
17:06L'esclavage c'est plus compliqué parce que…
17:08– De quelle esclavage s'agit-il ?
17:09– Alors par exemple, quand il est au Tchad,
17:12le Tchad est quand même la colonie qui est le plus au nord,
17:15il y a encore des sultans.
17:17Ces sultans n'ont plus de rôle politique, mais ils ont encore un rôle symbolique fort,
17:21et il va notamment devoir avoir affaire au sultan de Baguirmi
17:26qui est lui qui vit encore dans ce qu'on appelle un tata,
17:29c'est-à-dire une forme de cour,
17:31il y a 400-500 personnes qui vivent autour du sultan,
17:34et la majorité sont des esclaves.
17:36Donc l'administration française doit justement arriver à faire en sorte
17:41que ces esclaves soient bien traités et ne soient de moins en moins esclaves,
17:45mais là aussi ils doivent composer avec les justes et coutumes locaux,
17:47ils ne peuvent pas s'opposer d'emblée à cet esclavage
17:50qui fait partie totalement intégrante de la culture.
17:52La grande difficulté que mon grand-père souligne d'ailleurs dans ses écrits,
17:56c'est comment faire pour ne pas plaquer dans ces sociétés africaines
18:02des modèles occidentaux ?
18:04Lui ce qu'il veut c'est essayer de respecter le modèle local,
18:07tout en le civilisant, si j'ose dire,
18:09en le rendant plus conforme aux justes et coutumes de la République.
18:12Parfois c'est compliqué.
18:14Mais je sais que par exemple dans ce sultan,
18:16il va procéder à des enquêtes,
18:18j'ai mis en annexe du livre une enquête assez amusante
18:20d'un de ses collaborateurs qui va voir le sultan,
18:23qui interroge, et notamment les esclaves,
18:25pour savoir s'ils sont bien traités, si ça se passe bien.
18:27En général la réponse est assez mécanique,
18:29je suis très bien traité, je vais très bien,
18:31et la femme du sultan est également consultée.
18:34Les femmes du sultan, parce qu'il y en a plusieurs,
18:36il y en a à peu près une dizaine,
18:38donc les interrogatoires sont faits de manière très diplomatique,
18:42mais tout de même assez effectives pour vérifier que tout se passe bien.
18:46Jusqu'où pouvait aller cette intervention ?
18:49Je pense qu'il y avait aussi une forme de pédagogie.
18:51C'était compliqué de faire respecter à la fois des règles du jeu occidental
18:56dans des pays qui n'étaient pas du tout préparés à ça.
18:58– Une question qui me vient en discutant,
19:01avant d'aborder la seconde guerre mondiale,
19:03est-ce que votre grand-père aimait profondément l'Afrique ?
19:05Est-ce qu'on peut dire qu'il était fasciné ?
19:07– Oui, il aimait beaucoup l'Afrique, son cœur était là-bas,
19:09toute sa vie était là-bas, à la fin de sa vie,
19:11les dernières années, il les passera à Paris
19:13avec toujours la nostalgie de l'Afrique.
19:15Dans la famille, on l'appelait Pompignan l'Africain.
19:17Il avait une passion pour ce continent, pour ce pays et pour ses habitants.
19:23Ça, je peux vous l'assurer.
19:25– Alors la seconde guerre mondiale arrive, se déclenche, il est en métropole.
19:31– Ce n'est pas tout à fait ça.
19:33En 1939, il est au Gabon, il est maire de Libreville,
19:36il est l'adjoint du gouverneur,
19:38et il est convoqué fin avril 1940, pendant ce qu'on appelle la drôle de guerre,
19:43par Georges Mandel, qui à l'époque est ministre des colonies.
19:46– Effectivement, c'est l'offensive…
19:48– Voilà, l'offensive commence en 1939, on est dans la drôle de guerre,
19:50donc il suit de loin les événements,
19:52je ne sais pas quelle perception il en a, probablement assez lointaine tout de même.
19:56Il part à Paris, puisqu'il est convoqué par Georges Mandel,
20:00et là il se passe quelque chose d'assez curieux,
20:02mais il parait que Georges Mandel était coutumier du fait.
20:04Il le convoque, mais il ne le reçoit pas.
20:06Les jours passent, et puis les Allemands arrivent.
20:09On est en mai 1940, l'invasion allemande arrive,
20:13et là on connaît la suite de l'histoire.
20:15Le gouvernement change, Georges Mandel est nommé ministre de l'Intérieur,
20:19fini le sort de Maurice de Pompignan,
20:22son remplaçant ne sait absolument pas quelles étaient l'intention de Georges Mandel
20:25par rapport à mon grand-père, lui n'en sait rien non plus.
20:28A priori, il aurait dû être… c'est un poste de gouverneur,
20:30mais lequel et où, il n'en sait rien.
20:32– Qu'est-ce qu'il fait, il traîne à Paris ?
20:34– Il fuit Paris parce que les Allemands arrivent, donc il part à Bordeaux.
20:37Il suit en fait le gouvernement, le gouvernement part à Bordeaux,
20:39donc il y va, attendant toujours des instructions.
20:42Et puis là, il est vraiment l'arme au pied,
20:44et il se demande ce qu'il va devenir.
20:46Il y a certaines correspondances entre ma grand-mère et lui,
20:48donc c'est intéressant parce qu'il lui raconte ce qu'il fait.
20:51Puis il se rend compte qu'au départ, au tout début,
20:53il pensait que ma grand-mère allait le rejoindre avec ses enfants,
20:55et qu'ils allaient partir ensemble dans une nouvelle affectation.
20:57Dans le contexte, il se rend compte que ce n'est surtout pas ce qu'il faut faire.
21:00Il dit à sa femme, reste au Gabon et attends-moi.
21:02Alors elle, au début, ne comprend pas parce qu'elle avait organisé son déménagement.
21:04Elle était prête à partir, elle ne réalise pas très bien ce qui se passe.
21:07Elle ne s'en rend pas compte.
21:08Et puis l'armistice intervient là-dessus.
21:10Alors là, elle est épouvantée, elle se rend compte de ce qui se passe.
21:12Le bateau qu'elle devait prendre pour entrer en France a été coulé par les Allemands.
21:16Bon, là, la prise de conscience est certaine.
21:18Et mon grand-père finit par passer un certain nombre de semaines à Marseille,
21:24où il s'est retrouvé, puisqu'en fait à Bordeaux,
21:26il n'y a pas eu de bateau ni d'avion.
21:28On lui dit d'aller à Marseille, et à Marseille, il attend.
21:30Et il arrive à attraper...
21:32Mon oncle disait que c'était le dernier avion.
21:34Il y a eu un dernier avion qui est parti de Marseille vers l'Afrique équatoriale française.
21:38Il le prend et il arrive en pleine guerre civile au Gabon.
21:41– Effectivement, on va en parler.
21:43– Fin octobre 1940.
21:45– Justement, comment dans l'Empire se vit la chute de la France en 1940 ?
21:50Est-ce qu'on en a une bonne perception ?
21:52Et est-ce que tout de suite, il y a un clivage immédiat
21:55entre les partisans de la légalité, de Vichy, et des ralliements à De Gaulle ?
22:00– Il y a en effet un clivage immédiat,
22:02et le ralliement général de Gaulle n'est pas du tout immédiat.
22:05L'AEF reste vichyste complètement, et ce quasiment jusqu'en 1943.
22:11L'AEF, il va se passer quelque chose d'assez différent.
22:13Il va y avoir le ralliement premièrement du Tchad,
22:17dont le gouverneur s'appelle Félix Héboué.
22:19Félix Héboué est un Guyanais, homme qui est très connu maintenant,
22:22et qui à l'époque était le seul gouverneur des colonies
22:26qui était d'origine guyanaise et d'origine créole.
22:31Et le Tchad se rallie, se rallie ensuite le Congo,
22:36grâce notamment au médecin général Sissé,
22:38qui est un homme d'influence et qui pousse au ralliement.
22:41Et puis le troisième ralliement, c'est le Cameroun,
22:44grâce à l'intervention de Leclerc, qui part intervenir là-bas,
22:47et qui rallie le Cameroun.
22:49Donc ce ralliement s'est fait.
22:50Mais auparavant, il y a eu un très grave incident, c'est Dakar.
22:54– Alors parlons de Dakar.
22:55– Dakar, en fait, c'est le premier combat entre Français
22:59qui va avoir lieu dans cette époque, un combat de sinistre mémoire.
23:03Au départ, De Gaulle envoie des émissaires dont le responsable…
23:07– C'était en septembre, septembre 1940.
23:08– Oui, dont le responsable est l'amiral Thierry d'Argentlieu.
23:12L'amiral d'Argentlieu est un homme incroyablement intéressant,
23:15parce qu'en fait, c'était un religieux, il était carme,
23:17il avait été officier de marine, il était entré dans les ordres,
23:19et puis il était dans son couvent, et en 1940, au moment de l'armistice,
23:25il se rend compte qu'il ne peut pas rester là,
23:27et il part rejoindre De Gaulle à Londres.
23:29Et De Gaulle le nomme, en quelque sorte, son ministre de la marine,
23:32c'est un peu un abus de langage, mais responsable en tout cas
23:35des opérations maritimes, et il va demander à d'Argentlieu
23:38de convaincre le gouverneur de Dakar de se rallier.
23:44Mais d'Argentlieu va être très mal accueilli,
23:46et en dépit d'un drapeau blanc et d'une tentative pacifique
23:49de remise de courrier, il est chassé, et il est baissé,
23:53parce qu'on lui tire dessus, et il y a des morts,
23:55donc il y a vraiment des combats, si vous voulez,
23:57c'est quand même la première guerre fratricide.
23:59Et De Gaulle en a été très traumatisé.
24:01– On est après Marseille-Tibhien.
24:02– On est, absolument.
24:03De Gaulle en est très traumatisé de ces combats entre Français,
24:06on a même dit qu'il avait voulu se suicider, aucune preuve là-dessus,
24:09son fils a démenti ensuite, ça a été dit.
24:11Mais il est extrêmement traumatisé par ça,
24:13et il demande à ses hommes, sur l'AEF,
24:17d'éviter à tout prix les conflits armés.
24:19Et c'est vrai que Tchad, Congo ou Banguichary et Cameroun
24:22ne se sont ralliés sans aucun combat.
24:24En revanche, au Gabon, c'est une autre paire de manches,
24:27parce que le Gabon est vichyste.
24:28– Le Gabon est vichyste.
24:29– C'est la seule colonie de l'AEF qui reste vichyste.
24:31– Et justement, votre grand-père, il retourne en octobre ?
24:35– Il arrive fin octobre, en pleine guerre civile.
24:37– C'est une guerre civile qui oppose qui et qui au niveau militairement ?
24:41– Qui oppose les forces de vichy, qui sont arrivées de l'AEF,
24:45en partie, mais également par la mer.
24:47Il y a plusieurs sous-marins, le poncelet notamment,
24:51qui est dirigé par un ami de mon grand-père, le commandant de Sossine.
24:55Et ensuite, du côté des forces libres de Gaule,
25:01il y a plusieurs colonnes, la colonne duo, la colonne parent,
25:04qui vont venir des colonies d'AEF tout autour,
25:06et qui vont s'introduire en Gabon.
25:08Et donc là, il y a vraiment des combats.
25:10Il y a des combats, notamment à Libreville, ma mère m'a raconté,
25:14elle me dit, je sais qu'il y a eu des espèces de tranchées
25:16qui avaient été construites, qu'il y avait des abris
25:18dans lesquels il était prévu qu'on aille.
25:20Il y a quelques échauffourées, il y a des échauffourées
25:24sur les terrains d'aviation, mais finalement,
25:27les trois quarts du territoire se rallient à De Gaulle,
25:30grâce à la persuasion et à la pédagogie des militaires qui arrivent
25:34et qui essayent de convaincre leurs camarades français,
25:37de leur dire, écoutez, toute l'AEF s'est ralliée,
25:40il n'y a plus que vous, ralliez-vous.
25:42Alors, il y a un personnage qui va jouer un rôle assez important
25:45dans ce avichis, c'est l'évêque.
25:47L'évêque de Libreville, Mgr Tardy, est profondément vichiste.
25:52Et le gouverneur maçon, le gouverneur du Gabon,
25:55avait d'abord accepté de se rallier à De Gaulle.
25:57Tardy intervient et il revient sur sa décision,
26:01et finalement, il reste vichiste.
26:03Ce qui rend compliquée la situation de certains gaullistes
26:08qui vont finir en prison.
26:10Et quand Leclerc arrive à faire en sorte que le Gabon
26:14se rallie à De Gaulle, dans des conditions difficiles,
26:17Leclerc écrira lui-même qu'il a été extrêmement surpris
26:19de la virulence et de la violence de tout ce qui avait pu être écrit
26:22contre De Gaulle et contre les Français libres.
26:25Tardy est arrêté, le Mgr Tardy est arrêté,
26:28et il ne participe pas à la magnifique messe
26:31que Leclerc organise dans la cathédrale de Libreville
26:34pour célébrer la victoire des Français.
26:36Leclerc, d'Argentlieu, etc. sont présents.
26:39Petite anecdote aussi, Mgr Tardy va lancer
26:43une procédure d'excommunication contre Thierry d'Argentlieu,
26:47estimant que ça va aller jusqu'au Vatican.
26:51C'est assez incroyable.
26:52En pleine guerre, vous avez quand même un procès canonique qui se fait.
26:55L'évêque du Congo belge va intervenir, faire le médiateur,
26:57et finalement, la demande d'excommunication sera rejetée
27:00au motif que d'Argentlieu n'a fait qu'exécuter
27:02les ordres qui lui ont été donnés,
27:03et qu'il ne les a pas pris de sa propre initiative.
27:05– Alors lui, votre grand-père, lui, s'était rallié dès août ?
27:08– Il s'est rallié tout de suite.
27:09Déjà, la veille du 18 juin, dans une lettre qu'il écrit à ma grand-mère,
27:14il considère que le combat va continuer.
27:16Et il pense qu'il écrit, les Anglais ne lâcheront pas le morceau,
27:19la guerre va continuer, le combat va continuer.
27:21Et lui est pour que ça continue, et il se rallie immédiatement.
27:24Il se rallie immédiatement, dès qu'il revient.
27:27Et à ce moment-là, le général de Gaulle nomme un gouverneur,
27:31qui est un militaire, qui a fait partie de ceux
27:34qui ont conquis le Gabon, le lieutenant-colonel Parran,
27:38qui remplace le gouverneur maçon qui, lui, s'est suicidé.
27:40Celui qui s'était rallié à de Gaulle, puis qui s'était démis,
27:43qui finit par se suicider.
27:45Parran est nommé, et mon grand-père devient son adjoint.
27:49Le colonel Parran ne connaît absolument rien,
27:51ni à l'administration des colonies, ni même au Gabon.
27:53Il vient d'arriver de Londres.
27:54Et mon grand-père connaît extrêmement bien le pays.
27:56Et donc, il devient son adjoint, et un adjoint extrêmement précieux,
27:59puisqu'il l'aide.
28:01Et d'ailleurs, les notations de Parran seront très élogieuses
28:03à l'égard de mon grand-père.
28:05– Alors, en fin 1941, il est nommé inspecteur général de l'AEF.
28:09– Oui.
28:10– Et là, il doit organiser les territoires qui se sont ralliés à la France.
28:14Quels sont les défis majeurs de cette fonction ?
28:17– C'est… comment vous dire ?
28:19L'idée, c'est véritablement que toutes ces colonies d'AEF
28:22vont complètement organiser leurs ressources terrestres, humaines
28:27et leur économie vis-à-vis de la France libre.
28:30De Gaulle, avant l'AEF, il n'est pas grand-chose.
28:34Je ne sais plus quel est l'écrivain qui avait écrit
28:36qu'il était squatteur à bord de la Tamise.
28:38Mais à partir du moment où ces pays, ces colonies se sont ralliés,
28:41il a désormais avec lui des ressources, des hommes.
28:44Il faut savoir que lorsque Leclerc va se battre à Koufra, en Tunisie,
28:49avec la première victoire armée de la France libre,
28:5280% des hommes qui sont avec lui, ce sont des Africains
28:56qui viennent de toutes ces colonies-là.
28:58Donc c'est véritablement la première victoire française de la France libre,
29:02c'est une victoire d'Africains.
29:03C'est quand même important de le rappeler,
29:05parce qu'on a parfois tendance un peu à oublier
29:07combien ces militaires issus du sol africain ont eu de l'importance.
29:11Ça, c'est la première chose.
29:12Et ensuite, toute l'économie va être organisée vis-à-vis de la France libre.
29:15Je vous donne un exemple, le bois du Gabon.
29:17Le Gabon est un grand producteur de bois.
29:19Avant la guerre, les exportations allaient principalement à l'Allemagne et à la France.
29:23Autant vous dire que maintenant, ce n'est plus le cas.
29:26Donc les Anglais vont, si j'ose dire, être le nouvel axe de développement
29:30de la production du bois.
29:32Le caoutchouc, c'est la même chose.
29:34Le caoutchouc venait d'Indochine, il n'est plus question maintenant
29:36d'avoir du caoutchouc qui vient d'Indochine,
29:37parce qu'avec la guerre, il n'y a plus de circulation.
29:39Le caoutchouc va être produit par ces colonies,
29:41vis-à-vis également de l'Angleterre, mais aussi des États-Unis.
29:45Donc toute l'économie va véritablement s'organiser.
29:48– Donc il crée une économie de guerre.
29:50– Il crée une économie de guerre.
29:51Alors c'est Félix Séboué qui est véritablement celui qui lance la manœuvre.
29:55Mon grand-père fait le relais au titre de sa fonction d'inspecteur,
29:58mais c'est aussi celle qu'il va exercer quand il va être gouverneur du Gabon.
30:01– Oui, parce qu'il va occuper en 1942.
30:04– En 1942, il est nommé gouverneur du Gabon,
30:06ce qui est une belle revanche pour lui, parce que ça avait été un peu compliqué
30:09avant qu'il soit inspecteur des affaires administratives.
30:15Et il va être gouverneur du Gabon, et lui va participer à cette économie de guerre.
30:20Notamment, au Gabon, il y a un phénomène particulier,
30:22c'est qu'il y a des mines d'or.
30:24Et De Gaulle, qui a besoin de ressources,
30:26va beaucoup insister auprès d'Éboué et de mon grand-père
30:29pour que la production d'or soit optimisée
30:33et développée de façon à ce qu'il puisse avoir de l'argent.
30:37Donc là, la production d'or va être développée.
30:39Je sais que mon grand-père avait plutôt tendance à donner préférence au caoutchouc,
30:42parce qu'il considérait que c'était une honneur.
30:44Et Éboué lui a dit, 100 tonnes de caoutchouc, ça vaut une demi-tonne d'or,
30:49on va aller vers l'or.
30:50– On va aller vers l'or.
30:51Il y a aussi un rôle important, enfin il y a une priorité,
30:55qui est la mobilisation des troupes.
30:56– La mobilisation des troupes.
30:57– La levée.
30:58– La levée des troupes, absolument.
30:59– Il doit constituer des bataillons de marche.
31:02– Exactement, des bataillons de marche qui vont monter.
31:05Donc comment s'organise cette levée des troupes ?
31:08Quelle est l'acceptation dans la population ?
31:09Comment ça se passe ?
31:10– Alors c'est une mobilisation qui est, si j'ose dire,
31:14plutôt de l'ordre de la suggestion que de la réquisition proprement dite.
31:18Mais ce qui se passe, c'est que dans les villes et dans les endroits un peu urbanisés,
31:22la population locale va avec plutôt de l'enthousiasme
31:25et de la bonne volonté vis-à-vis d'entrer dans l'armée.
31:28En revanche dans les campagnes…
31:29– Parce qu'on promet des bonnes primes ?
31:31– Je crois qu'il y a un peu une espèce de…
31:33Je ne sais pas, à vrai dire, je n'ai pas regardé de près quelle était vraiment la motivation.
31:37Je pense qu'il y avait une motivation, certainement d'intérêt financier.
31:41Mais il y avait aussi pour beaucoup l'idée de participer.
31:44J'idéalise peut-être un petit peu la volonté de ces gens.
31:46Mais je crois vraiment que pour certains d'entre eux,
31:48l'idée d'être militaires et de participer au combat les motivait.
31:52En revanche dans les campagnes, dans la brousse et dans les endroits plus reculés,
31:55c'est infiniment moins simple.
31:57Et là on est plus dans la réquisition que dans la bonne volonté.
32:00C'est ce que j'ai pu vérifier en tout cas.
32:01– Donc le rôle de votre grand-père c'est d'organiser…
32:03– C'est notamment d'organiser en effet la levée des troupes
32:05et de faire en sorte que ça puisse fonctionner.
32:08De faire le relais avec les gouverneurs.
32:10Et puis lorsqu'il sera gouverneur lui-même au Gabon, il va y procéder absolument.
32:14– Alors vous écrivez que l'économie de guerre qui est imposée à l'Afrique
32:19ne va pas forcément sans revendications locales
32:23et ça va avoir des conséquences pour le futur.
32:26– Oui parce qu'il y a plusieurs aspects.
32:31Outre l'orientation véritablement développement
32:36et ressources à fournir à la France libre et au combat,
32:40il va y avoir également la contribution des grandes sociétés.
32:45Les fameuses sociétés, les concessionnaires qui sont toujours là.
32:49Ils ont désormais devoir s'aligner sur une économie
32:52qui n'est peut-être pas forcément celle qu'ils auraient choisie.
32:54Donc il y a parfois quelques réticences.
32:56Et puis la population elle-même, je crois quand même comprendre,
33:01et notamment ça a été très manifeste au Dahomey
33:03dont il devient le gouverneur en 1943,
33:06il y avait au Dahomey une population de ce qu'on appelait les évolués.
33:11Cette expression est aujourd'hui peut-être un peu critiquable
33:14mais c'était une façon de désigner l'élite locale,
33:17des gens qui avaient été éduqués, qui avaient un certain niveau social.
33:22C'était une première bourgeoisie locale.
33:26Et au Dahomey, il y avait une forte minorité d'évolués
33:30qui étaient assez autonomistes et qui supportaient moins bien
33:33la colonisation française et qui considéraient
33:35qu'ils étaient déjà un peu dans une perspective autonomiste.
33:38C'était vraiment une colonie qui était assez différente des autres à cet égard.
33:41En revanche, pendant la guerre, il y a véritablement un alignement
33:45très volontaire de ces évolués qui acceptent complètement
33:48de suivre les instructions des bouées et du gouverneur
33:52et qui s'alignent véritablement sur l'économie de guerre.
33:55Donc la contribution était quand même...
33:57Il y a eu franchement, je crois,
33:59peut-être pas dans les campagnes reculées
34:01ou peut-être pas dans les gens les plus humbles,
34:03mais en tout cas chez les gens évolués
34:05et qui étaient une association à l'économie de guerre
34:07qui était plutôt volontaire.
34:08– Ça n'a pas forcément nourri les germes
34:10de revendications indépendantistes, nationalistes par la suite ?
34:13– Pas tout de suite.
34:14– Pas tout de suite ?
34:15– Je ne pense pas. Pas tout de suite, pas tout de suite.
34:18– Alors, tout n'est pas non plus rose au pays de la France libre en Afrique.
34:22– Non, je n'ai pas dit ça.
34:24– Enfin, je veux dire, il y a aussi beaucoup de...
34:26On va en parler des luttes internes dans la France libre.
34:29Notamment, il y a des tensions avec le général Larmina.
34:31Bon, qui n'est pas quelqu'un de facile, vous l'expliquez.
34:34Mais ce sont des rivalités de pouvoir ?
34:36Est-ce que c'est des visions différentes ?
34:38Et votre employeur, au milieu de tout ça, il a dit...
34:40– Il y a un peu un mélange de rivalités de personnes
34:42et de rivalités d'organisations.
34:44Le gouverneur général de l'AEF,
34:46il va se retrouver avec des responsabilités
34:51qui vont parfois se superposer avec celles du commissaire général,
34:54notamment qui a été Larmina,
34:56mais qui ensuite va être Cissé, le médecin Cissé.
34:59Et ça va être compliqué.
35:01Alors, avec Larmina, qui a un caractère très fort
35:03et qui n'est vraiment pas quelqu'un de commode,
35:05Eboué va mettre sa démission dans la balance,
35:08à tel point que De Gaulle va dire
35:10mais il n'en est pas question, vous restez à votre place.
35:12Et il s'arrange pour faire évoluer Larmina vers d'autres cieux.
35:15Donc là, les choses s'arrangent.
35:17Mais l'organisation fait que Cissé qui cède à Larmina,
35:20qui pourtant est un homme vraiment de très grande qualité,
35:23médecin général, c'est lui qui a lutté contre la maladie du sommeil
35:27et qui a fait progresser la médecine à cet égard
35:29de façon extrêmement spectaculaire.
35:32Cissé et Eboué ne s'entendent pas non plus.
35:35Et finalement, De Gaulle va comprendre
35:37que cette fonction qu'il avait donnée à Larmina
35:40et qu'il avait donnée à Cissé,
35:42qui était quand même un peu une forme de contrôle
35:44de l'administrateur général, doit disparaître.
35:47Et à partir de 1942 à peu près,
35:5042-43, oui, Félix Eboué a les coups des franches.
35:55Il peut véritablement organiser et manager,
35:58si j'ose dire, l'Afrique notoriale française comme il l'entend.
36:01Et ça se passe très bien.
36:02– Et votre grand-père, au milieu de tout ça,
36:04quel caractère a-t-il ?
36:05– Alors mon grand-père, c'est un homme extrêmement pondéré,
36:07c'est un conciliateur.
36:08Et d'ailleurs, quand il arrive au Dahomey,
36:10il est frappé de voir que le Dahomey est encore une colonie
36:13où il y a beaucoup de tensions vichistes.
36:14Un vichy quand même resté en AOF très longtemps.
36:17Donc lui, tout son travail, tout ça va être de faire en sorte
36:21de réconcilier les antagonismes vichistes et gaullistes
36:26dans la perspective de la victoire contre l'Allemagne.
36:29Et il y parvient, il y arrive.
36:30– Donc il a des talents de diplomate ?
36:32– Il a des talents de diplomate.
36:34C'est vraiment un caractère très secondaire, très pondéré.
36:38Ce n'est pas du tout un homme, comment dire,
36:41ce n'est pas un primaire, ce n'est pas une grosse brute.
36:44C'est plutôt un homme très diplomate, extrêmement fin.
36:47Et d'ailleurs, quand il est nommé au Dahomey,
36:52je l'ai mis dans le livre, il y a un télégramme d'Eboué
36:54qui lui dit, tes belles qualités de diplomate vont s'incarner au mieux
36:58dans le rôle qui t'attend et dans la fonction qui t'attend au Dahomey.
37:01– Effectivement, c'est le 43 qui change d'Afrique ?
37:04– Il change d'Afrique, absolument, oui, parce qu'il quitte l'AOF,
37:06il a fait toute sa carrière pour l'AOF, donc ça c'est quand même une grosse différence.
37:10Et le Dahomey est une colonie très différente du Gabon,
37:14puisque le Gabon c'est quand même les mines, le bois.
37:17Le Dahomey est une colonie principalement agricole.
37:19En revanche, l'île de Palme, c'est la première colonie qui produit l'île de Palme.
37:22Et mon grand-père va de lui-même beaucoup encourager certaines cultures.
37:27C'est quand même, cette fonction d'administrateur, elle est quand même incroyable.
37:31– Il ne faut pas dire ça à nos écolos d'aujourd'hui.
37:33– Je ne sais pas si c'est écologique, mais en tout cas, il s'est investi à titre personnel
37:37dans des sujets d'agriculture qui n'étaient peut-être pas forcément
37:40la formation d'origine qui avait été la sienne.
37:43– Et vous dites, le Dahomey, vous venez de le dire,
37:46était resté longtemps fidèle à Vichy.
37:48Il y a des difficultés particulières, il y arrive quand même bien ?
37:51– Je crois qu'il y arrive bien, en tout cas, je crois que ça se passe très bien.
37:54Mais au départ, il constate quand même de très grosses tensions.
37:59Mais qui s'arrangent, qui s'arrangent assez vite.
38:03– Alors, moment important qui va être, on arrive à la fin de sa carrière,
38:08qui est la conférence de Bras-à-Ville, à laquelle il participe activement.
38:13Alors, cette conférence de Bras-à-Ville, vous allez nous expliquer,
38:16est-ce que c'est vraiment un tournant dans la politique coloniale française ?
38:19– Alors, c'est quelque chose d'un peu ambigu et d'un peu compliqué.
38:24Pour répondre à votre question, parce qu'à l'origine,
38:26la conférence de Bras-à-Ville, Éboué, le premier,
38:29et un certain nombre de ses gouverneurs, notamment mon grand-père,
38:33j'oublie de préciser que tous les gouverneurs d'Éboué,
38:36avec les gouverneurs, étaient membres du conseil d'administration de l'AEF.
38:39C'est-à-dire que mon grand-père, assez régulièrement, voyait ses pairs autour d'Éboué.
38:43Le projet d'Éboué et des gouverneurs dont mon grand-père,
38:46c'est véritablement de préparer l'après-guerre
38:49et d'aller vers une forme d'autonomie des pays colonisés.
38:54Or, le général de Gaulle n'est pas du tout dans cette optique-là.
38:57C'est assez curieux.
38:58De Gaulle, lui, le préalable de l'action de la conférence de Bras-à-Ville,
39:02c'est les colonies vont rester françaises
39:04et c'est la République française qui sera prioritaire.
39:06– Il n'y a pas question de réforme.
39:07– Pas du tout.
39:08Enfin, il y a des réformes, si vous voulez,
39:09mais on sent un général de Gaulle et Rémy Pléven,
39:13qui sont les responsables de la conférence avec lui,
39:17une petite résistance, si je dois dire,
39:19par rapport aux propositions plutôt progressistes d'Éboué et de mon grand-père.
39:24Qui fait que la conférence va être quelque chose d'un peu ambigu, son résultat.
39:28Il va y avoir des propositions qui vont dans le sens du progrès et de l'autonomie,
39:32mais probablement pas suffisamment aux yeux d'Éboué et de mon grand-père.
39:35– Alors, quelles étaient justement les propositions d'Éboué et de mon grand-père ?
39:38– Par exemple, mon grand-père, très rapidement,
39:40considère qu'il faut associer d'emblée les populations évoluées à la gouvernance.
39:44Le mot n'existe pas encore, mais c'est bien cette idée des colonies.
39:47C'est-à-dire commencer à donner une première position de responsabilité.
39:53Et puis, il est contre la venue d'Européens.
39:59Il considère qu'il faut stopper l'arrivée des Européens,
40:01notamment des commerçants.
40:03En fait, il a eu assez vite une certaine lucidité par rapport,
40:07si je dois dire, à certains commerçants qui venaient en Afrique pour s'enrichir.
40:11Et pour exploiter les gens du pays.
40:13Et lui est contre ça.
40:14Donc, il considère qu'il faut développer une élite locale,
40:17stopper la venue d'Européens qui viennent pour s'enrichir,
40:20mais qui n'ont pas grand-chose à faire de l'intérêt local.
40:23Évidemment, de développer.
40:25Et ensuite, de faire en sorte qu'une fois que cette élite sera aux commandes
40:28et qu'elle sera bien préparée, partir.
40:30Mais ce n'est pas ce qui sera retenu dans les propositions,
40:34dans les conclusions de la conférence de Brazzaville.
40:36– Elle a servi à quelque chose, finalement, cette conférence ?
40:38– Alors, elle a quand même servi à poser…
40:43Comment vous dire ? J'ai du mal à répondre à votre question.
40:46Elle a servi à quelque chose à l'époque.
40:49Mais aujourd'hui, quand on voit les propositions qui ont été faites,
40:52qui semblent pourtant d'une assez grande audace à ce moment-là,
40:55on a l'impression que ce sont des évidences qui l'enfoncent des portes ouvertes.
40:59Parce que tout ce qui s'est passé après
41:01a largement dépassé les propositions de la conférence de Brazzaville.
41:04Donc, ma réponse, oui et non.
41:07– Est-ce qu'on peut dire qu'il faisait partie de ces administrateurs
41:11qui avaient quand même une certaine forme de lucidité
41:13sur ce qu'allaient devenir les colonies ?
41:15Est-ce qu'il sentait que c'était inéluctable de la perte des colonies ?
41:20– Lui était en tout cas absolument persuadé
41:22que ces pays devaient prendre de leur autonomie.
41:25Mais il était quand même assez lucide sur le fait
41:28que si on ne faisait pas en sorte qu'il y ait une véritable élite,
41:31un peu dans tous les sens du terme,
41:33aussi morale, aussi l'honnêteté, les scrupules,
41:37des gens comme lui, qui étaient d'une honnêteté absolument phénoménale,
41:42et d'une très grande rectitude,
41:43si on n'a pas une formation de ce niveau-là,
41:48il ne faut pas le faire tout de suite.
41:49En revanche, le jour où cette société existe, on s'en va.
41:55Ce n'est peut-être pas tout à fait ce qui s'est passé.
41:57– Vous ne savez pas, est-ce qu'il a laissé un témoignage ?
42:00Quel regard vous pensez qu'il aurait porté sur la façon dont ça s'est déroulé ?
42:07– Je ne peux pas parler pour lui, mais j'ai quand même l'impression
42:10qu'il aurait constaté un certain gâchis.
42:14L'enrégissement de certains notables en Afrique
42:17au détriment de la population ne sont certainement pas des choses
42:20qui lui auraient plu.
42:22Je pense à ce qui s'est passé au Gabon notamment.
42:24Je raconte l'histoire de ce Léon Mba,
42:28qui est un employé subalterne de l'administration coloniale
42:32qui est pris la main dans le sac pour des malversations,
42:35qui est sorti de son job, qu'on envoie à Nubanguichari,
42:38et qui au moment de l'indépendance va revenir
42:40et va se retrouver président de la République du Gabon.
42:43Pas très longtemps.
42:44Mais c'est quand même étonnant.
42:46Je ne dis pas que tous les présidents de la République de ces pays
42:49sont anciens voleurs.
42:51Ne faites pas dire que je n'ai pas dit, surtout pas.
42:53Mais si vous voulez, là, clairement, c'était quelque chose
42:56qui ne lui aurait pas plu.
42:58Je pense qu'il aurait quand même probablement été un peu effondré
43:01de voir une forme de gâchis qui s'est passé dans ces pays-là,
43:05auxquels on a donné une autonomie peut-être un peu trop rapide.
43:08Mais là, je sors de mon sujet.
43:09Je ne suis pas vraiment compétent pour en parler.
43:11– Alors, il va prendre sa retraite en 47 ?
43:14– En 45, il rentre en métropole,
43:17parce que ses enfants ne sont pas rentrés depuis 1938.
43:20Et il est très…
43:22Mon grand-père a toujours été…
43:23Il a fait partie de ces administrateurs coloniaux
43:25qui rentraient prendre des longs congés en France
43:27et qui étaient nécessaires pour se refaire une santé.
43:30Et il avait très peur que ses enfants souffrent du climat équatorial.
43:34Le Dahomey était un peu meilleur que le Gabon à cet égard.
43:37Mais il rentre en France avec l'idée qu'il va repartir.
43:41Il n'est pas du tout rentré définitivement.
43:43Mais là, il va se passer les difficultés suivantes.
43:48Éboué est mort en fin 44 au Caire, après la conférence de Brazzaville.
43:52De Gaulle a quitté le pouvoir, Leclerc est mort.
43:54Il a perdu un peu tous ses soutiens.
43:56Et le ministre des colonies qui s'appelle Marius Moutet
44:01est totalement remonté contre tout ce qui concerne la conférence Brazzaville.
44:05Il considère que c'est la propagande gaulliste, c'est ce qu'il disait.
44:07Que tous les administrateurs et gouverneurs de cette époque-là,
44:11il faut les sortir, il faut les sortir.
44:13– La France libre africaine est mise sur la touche.
44:15– Complètement sur la touche.
44:16Et mon grand-père résiste, essaye de faire valoir le fait
44:19qu'il est encore jeune, qu'il a des enfants jeunes
44:21et qu'il a encore des capacités à pouvoir…
44:23Il n'a pas encore 60 ans à ce moment-là, ou à peine.
44:25Il peut encore servir, mais clairement c'est un niette.
44:28Madame Eboué essaye de l'aider, parce qu'ils étaient restés
44:31entre relations très amicales avec Madame Eboué.
44:33Madame Eboué est devenue sénateur ou sénatrice après.
44:35Mais à cette époque-là, elle vient de se faire abattre
44:37dans une campagne électorale.
44:39Elle n'est pas en position d'arriver à obtenir un résultat.
44:41Et ça ne marche pas.
44:43Et de guerre lasse, mon grand-père finit par demander sa retraite.
44:45Alors il va travailler, il va retrouver une activité.
44:47Il va être administrateur de la banque de Madagascar.
44:49Il va travailler avec son beau-frère Antoine Derenal
44:51dans une entreprise de Martinique
44:53dans laquelle la famille a des intérêts.
44:55Mais il restera… Ma mère m'a toujours dit,
44:57il est resté nostalgique de l'Afrique
44:59toutes ces dernières années.
45:01C'était vraiment…
45:03Ça a été quand même un crève-cœur pour lui
45:05de ne pas repartir.
45:07– Et il s'éteint en… ?
45:09– En 1952, très jeune, d'une attaque cérébrale.
45:11Il est en vacances à Saint-Jean-de-Luz.
45:13Il rentre en voiture.
45:15Il a une première attaque.
45:17Ma grand-mère s'arrête et il meurt à Paris le lendemain.
45:20– Emmanuel Rougier, merci beaucoup.
45:22C'était très intéressant de suivre l'histoire
45:24de la France libre en Afrique
45:27à travers les yeux et l'action de votre grand-père.
45:31Et comme vous le disiez, effectivement,
45:33il aurait certainement eu un sentiment de gâchis.
45:36Il y avait certainement… – Je le crois.
45:38– De belles choses à faire.
45:40C'était Passer présent, l'émission historique de TVL
45:44réalisée en partenariat
45:47avec la Revue d'Histoire Européenne.
45:49Revue d'Histoire Européenne, dont le numéro actuellement en kiosque
45:52est consacré, un gros dossier consacré
45:55au crime du FLN durant la guerre d'Algérie.
45:58Et vous n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
46:02et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
46:04Merci et à bientôt.