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Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, était l'invité du Grand entretien de France Inter ce jeudi, à l'occasion de la journée spéciale "Le nouveau désordre mondial, une journée pour comprendre sur France Inter". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-13-mars-2025-6444246

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00:00— C'est la suite de cette matinale spéciale avec un ancien Premier ministre,
00:06ancien ministre des Affaires étrangères, à notre micro en direct et en public du studio 104.
00:12Dominique de Villepin, bonjour et bienvenue. — Bonjour.
00:15— Vous avez entendu Jean-Luc Mélenchon, Thierry Breton dans la première heure.
00:20Alors même question pour commencer. Quel mot employez-vous pour décrire le monde
00:26depuis le retour de Donald Trump aux affaires ? « Désordre, chaos, reine de la loi du plus fort »,
00:32quels sont vos mots, Dominique de Villepin ? Et qu'est-ce qui vous a aussi le plus frappé
00:37ces dernières semaines ? — C'est un basculement historique qui bouleverse
00:43beaucoup des repères de la vie internationale. Pour tous ceux qui la suivent de près,
00:48cette vie internationale, retrouver les États-Unis dans une proximité avec Vladimir Poutine,
00:57c'est pour le moins une surprise. Voir à la fois des menaces pour la sécurité de l'Europe
01:05mais aussi pour la démocratie européenne et venant du pays qui était le défenseur du monde libre,
01:12c'est une révolution. Donc oui, il y a un basculement du monde. Et il faut se préparer en conséquence
01:19et en tirer bien évidemment toutes les leçons nécessaires si nous voulons, nous, Français,
01:23nous, Européens, pouvoir défendre notre indépendance. — Guerre commerciale avec le Canada et avec nous,
01:30volonté d'annexion du Panama, Groenland, transformation de Gaza en Riviera, humiliation de Zelensky.
01:35Au-delà des outrances, quel regard vous portez sur la politique de Donald Trump mais aussi sur l'homme,
01:40le style, l'entourage de ces milliardaires de la tech qui l'entourent ? Qu'incarnent-ils ?
01:44Que représentent-ils ? Y a-t-il une cohérence à leur déclaration, à leur politique ?
01:48Et sont-ils encore nos alliés ? Ça fait beaucoup de questions.
01:50— Alors il y a une tentation qui serait facile. C'est de minimiser ce que nous voyons sur la scène mondiale
01:57et de dire c'est un opportunisme, un transactionnalisme. Je crois qu'il faut aller plus loin.
02:03Nous assistons à la confirmation d'un impérialisme américain hybride qui a donc un double visage,
02:11à la fois un visage révolutionnaire qui nous concerne, nous, directement, puisque ce visage révolutionnaire,
02:16il pousse au changement de régime. Les régimes qui leur déplaisent, les régimes qui ne vont pas dans le sens
02:22de l'idée qu'ils ont d'une démocratie très proche de la démocratie libérale, eh bien combattons-les.
02:28C'est ce qu'a fait Elon Musk au Royaume-Uni. C'est ce qu'il a fait en Allemagne.
02:32Et pourquoi pas demain dans d'autres pays ? Donc saisir toutes les occasions pour promouvoir une idée de la démocratie
02:38qui n'est pas la nôtre. Le deuxième visage de cet impérialisme, c'est qu'il est réactionnaire.
02:44Il est réactionnaire en défendant un ultra-conservatisme qui le rapproche du poutinisme.
02:50Et c'est là où il y a une sorte d'alliance civilisationnelle qui se dessine avec des Steve Bannon,
02:55avec des Elon Musk, avec des G. Devans. C'est le discours de Munich qui nous donne une leçon
03:00sur la libre expression, sur la démocratie.
03:03Comment vous l'avez reçu ce discours de Munich, de G. Devans ?
03:05C'est un discours qui nie tout ce qu'y font pour nous la démocratie. La défense de l'état de droit,
03:12la défense des règles, la défense des limites. Nous sommes devant une Amérique qui est saisie par l'hubris de la puissance.
03:19Quelque chose d'illimité, quelque chose qui rejoint en profondeur l'histoire américaine,
03:28l'idée de la frontière, poussée toujours plus loin, toujours plus à l'ouest.
03:32Eh bien nous, nous sommes convaincus au contraire qu'il faut un monde organisé, un monde multilatéral,
03:37un monde fondé sur une certaine idée de l'homme universel. Tout ça est balayé.
03:42Et on voit bien que, en quelque sorte, ce partenariat d'hommes forts qui se dessine,
03:47d'un Donald Trump très prompt à vouloir cultiver ses relations avec Vladimir Poutine et avec d'autres grands de la planète,
03:54mais faisant peu de cas de la démocratie et des Européens, dans le regard que Donald Trump porte sur le monde.
04:01De ce point de vue, on voit bien, l'Ukraine n'existe pas plus que l'Ukraine n'existe pour Vladimir Poutine.
04:07Et l'Europe n'existe pas plus parce que l'Europe n'a d'autres vérités que vassaliser pour Donald Trump.
04:15C'est particulièrement vrai pour les techno-entrepreneurs qui l'accompagnent.
04:18— Dominique de Villepin sur l'Ukraine. Il ne peut pas réussir un deal, un pari comme celui qu'il est en train de tenter,
04:27avec les discussions de Jeda, la perspective d'une trêve d'un mois. Est-ce que ça peut marcher ?
04:37— Ça peut marcher tactiquement et à court terme. Et c'est bien pour cela qu'il a créé les conditions d'un cessez-le-feu,
04:46d'une trêve qui, pour le moment, ne comporte aucune clause. Rien n'est connu de ce que pourraient être les conditions
04:57de ce cessez-le-feu et de ce qui pourrait le rendre durable. Donc on a renvoyé à plus tard la négociation.
05:02En d'autres termes, Volodymyr Zelensky signe un accord en blanc qui doit maintenant être rempli.
05:09Et la question qui est posée à Vladimir Poutine, sachant que le dialogue, la négociation avec Vladimir Poutine,
05:16elle a commencé déjà depuis longtemps, bien avant la discussion avec Volodymyr Zelensky, est déjà en Arabie saoudite.
05:23Et nous savons que dans cette négociation avec Vladimir Poutine, eh bien Donald Trump a lâché l'essentiel de ce qui constitue
05:34l'intérêt général ukrainien, c'est-à-dire le fait que l'Ukraine puisse un jour rentrer dans l'OTAN, le fait que l'Ukraine puisse
05:42retrouver sa pleine souveraineté territoriale, le fait que l'Ukraine puisse bénéficier de garanties de sécurité apportées par l'OTAN
05:50ou par les pays européens. Tout ça, pour le moment, est balayé par Donald Trump. Donc Donald Trump veut afficher...
05:57— Et nous, on doit accepter, nous, Européens, qu'est-ce qu'on doit faire ? C'est la question qu'on vous pose à vous.
06:01C'est-à-dire face à ça, vous dites qu'il a lâché... Et Zelensky a été obligé de signer, lâcher 25% du territoire aux Russes,
06:09ne pas rentrer dans l'OTAN, peut-être même le changement de régime, peut-être que même il a donné aux Russes la tête de Zelensky.
06:18Qu'est-ce qu'on doit faire, nous ? — Alors c'est pour cela que l'enjeu, ici, est important pour nous. L'enjeu, c'est bien sûr
06:23ce que nous allons faire en Ukraine. Aider les Ukrainiens, quoi qu'ils arrivent, à tenir et à pouvoir décider de la politique
06:30qui doit être la leur, de l'avenir qui doit être le leur. Mais au-delà de cela, il y a bien sûr le réveil européen,
06:36parce que nous constatons que dans le jeu des puissances, nous n'existons pas. Or, l'Europe, c'est la condition d'un équilibre du monde
06:44qui ne serait pas ce grand partenariat d'efforts. L'Europe est indispensable à l'équilibre du monde. Donc ça veut dire
06:51qu'il faut renforcer notre puissance. — On s'est réveillés, là ? — Je pense que nous sommes en train de nous réveiller.
06:55Nous ne l'avons pas encore tranché. C'était intéressant. Dans le discours du président de la République, il y a un angle mort.
07:01Il parle de la menace russe. Mais il ne parle pas du tout du fait qu'aujourd'hui, nous avons un partenaire qui n'a plus la fiabilité d'antan.
07:08C'est les États-Unis. Pourquoi ? Parce que la majorité des pays de l'UE et de l'OTAN n'imaginent pas leur avenir sans les États-Unis.
07:16Et beaucoup parce qu'ils sont tenus par les États-Unis. Les États-Unis nous tiennent par le dollar. Ils nous tiennent par
07:24l'extraterritorialité du droit. Et ils nous tiennent par l'extraterritorialité de la technologie. C'est-à-dire que tous les Européens
07:31ont acheté des armements américains. Et ces armements, ils ne peuvent pas les employer si l'Amérique décide qu'ils ne pourront pas
07:37les employer. — Ils peuvent les désactiver depuis Washington. — Exactement. Un F-35 sur une base en Allemagne ne peut plus décoller.
07:43Donc ce qu'il faut faire, c'est une défense européenne à partir des pays les plus déterminés en Europe. Et on voit bien l'Allemagne.
07:53C'est un changement formidable pour les Européens, l'arrivée de Frederick Merckx. Le Royaume-Uni dans le cadre de l'OTAN,
08:02mais aussi la Pologne. On a un triangle de Weimar, plus le Royaume-Uni et quelques pays. Je pense à des pays comme l'Italie.
08:09Je pense à des pays comme la Suède qui peuvent constituer une sorte d'avant-garde et ouvrir le chemin pour des grands projets européens
08:17d'équipement pour un format qui pourrait constituer la base d'un commandement européen, parce que nous devons avoir un leadership
08:26dans le domaine de la défense. Mais ceci ne suffit pas. Au-delà du réveil en matière militaire, il faut aussi un réveil dans le domaine
08:35de l'économie, de la technologie. L'indépendance, c'est pas seulement sur le front militaire. C'est aussi dans le domaine de la souveraineté.
08:43Et il faut, sur le plan démocratique, se convaincre qu'aujourd'hui, il y a un risque d'entente civilisationnelle entre les États-Unis et la Russie.
08:53Et nous devons donc défendre notre idée de la démocratie. Et bien évidemment, comme toujours, il y a un certain nombre d'idiots utiles en Europe
09:00qui sont prêts à faire le jeu, soit des États-Unis, soit de la Russie. Et nous devons veiller, nous, à tenir sur cette ligne d'exigence et d'indépendance.
09:09— Question dans le public. Sonia Deviller. — Oui, je suis avec Nicolas. Bonjour, Nicolas. Vous avez une question pour Dominique Devillepin.
09:17— Bonjour. Bonjour, Léa. Bonjour, Nicolas. Bonjour, M. Devillepin. Alors effectivement, le réveil européen dont vous parliez, c'est peut-être la seule nouvelle
09:24positive de ces dernières semaines. Mais vous alliez en parler, je pense, au cœur de l'UE. Il y a malheureusement au moins un allié objectif
09:32de Vladimir Poutine, Viktor Orban. Alors comment on fait avec ça pour continuer à avancer ? — Merci pour cette question, Dominique Devillepin.
09:40— Il y a à la fois la Hongrie. Il y a aussi la Slovaquie. Et puis il y a des pays qui hésitent sur la ligne à conduire. On le voit par exemple
09:47pour un pays comme l'Italie. Donc le but, c'est bien évidemment d'essayer d'embarquer tout le monde. Une des conditions du succès pour l'Europe,
09:54c'est l'unité. Il faut prendre en compte tout le monde. Mais il faut donner l'exemple. Et donner l'exemple aujourd'hui, ça veut dire qu'un groupe
10:02de pays, un noyau dur, se constitue et part pour justement montrer la voie de ce que pourrait être une organisation de défense européenne.
10:13Alors il faut être pragmatique. Si on cherche à le faire aujourd'hui tout seul, on n'y arrivera pas compte tenu de l'héritage. Il y a une transition.
10:21Cette transition fait que cet effort doit être fait aujourd'hui dans le cadre du pilier européen de l'OTAN, mais avec vocation à s'émanciper
10:30le plus possible. C'est pour ça qu'on a raison d'insister sur le fait qu'à l'avenir, alors que 65% des armements européens qui ont été
10:39apportés à l'Ukraine ont été achetés aux États-Unis, il faut faire en sorte que ces armements soient achetés en Europe. Pourquoi ?
10:46Parce qu'en même temps qu'on fait un effort militaire, bien évidemment, cela doit servir l'emploi européen, la croissance européenne,
10:54la puissance européenne. Donc vous voyez bien, quand on parle de risque de guerre et d'efforts à faire, c'est aussi quelque chose qui va bénéficier
11:03à tous les Européens, à l'économie européenne. Nous sommes dans un monde dangereux. Dans un monde dangereux, il faut avoir les moyens de s'affirmer,
11:10il faut dépendre de personne. La France a eu la lucidité, il y a bien des décennies avec le général de Gaulle, de voir juste. Elle savait,
11:19la France, du général de Gaulle, qu'on ne pouvait pas compter sur quiconque à l'heure de vérité. Et donc, nous avons choisi la voie de l'indépendance
11:26et il faut accompagner les Européens dans cette même voie.
11:29Dominique de Villepin, on vous entend ce matin parler de défense européenne. Vous avez entendu Jean-Luc Mélenchon, et il nous reste deux minutes,
11:35vous avez entendu Jean-Luc Mélenchon et ce discours qu'on entend aussi qui est de dire arrêtons d'être va-t'en-guerre, il ne faut pas mettre de l'argent
11:43dans la défense, il vaut mieux le mettre dans la transition écologique, misons sur la paix, peut-être même désarmons. Qu'est-ce que vous lui dites ?
11:52Il n'est plus là, mais comment vous réagissez quand vous entendez ce son de cloche qu'il incarne, mais que d'autres disent aussi ?
11:58Il y a un choix à faire. Tout ça bénéficie, y compris à la transition climatique. Dès lors que vous développez une industrie, par définition,
12:07il faut essayer qu'elle soit le plus décarbonée possible. Donc l'innovation qui se développe à l'appui d'un effort et militaire et économique et technologique
12:17doit servir un chemin qui doit être décidé collectivement. Et là, il y a des arbitrages à faire. Mais dans le monde qui est avancé par un certain nombre
12:25de ceux que vous évoquez, il y a cette idée que la France et l'Europe pourraient se tenir en quelque sorte entre les deux blocs. Le problème, c'est que les deux blocs,
12:34ils ont profondément changé de nature. Nous ne sommes plus dans le monde des années 50 et des années 70 où on pouvait parler de non-alignement.
12:41Nous sommes dans un monde où il y a un risque de collusion entre les États-Unis et la Russie. Et donc, nous ne pouvons plus aujourd'hui omettre d'exister comme puissance,
12:54puissance indépendante et puissance démocratique, puisque c'est sur ces deux aspects que nous sommes menacés.
13:01— Merci, Dominique de Villepin. Vous avez vu la couv' de Marianne ? — Non.
13:06— Vous êtes en couv' de Marianne avec cette question, avec cette affirmation, d'ailleurs. C'est même pas en forme de question.
13:11— On route pour l'Elysée. — Diable. Diable. C'est tout un programme. — Oui. Ça... Vous l'avez, le programme, ou pas ?
13:18— Vous l'avez, le programme ou pas encore ? — Vous m'invitez ce matin pour parler d'un sujet majeur. Il y a une angoisse chez les Français.
13:26Il y a donc un combat à mener. L'élection présidentielle, c'est dans 2 ans. Ne précipitons pas les échéances.
13:31Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le président de la République doit partir avant l'heure.
13:36— Merci beaucoup, Dominique de Villepin. Merci infiniment d'avoir été là ce matin.

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