Se questionner sur sa vie professionnelle, remettre en cause un choix de vie, de carrière ou même de lieu de résidence… Il arrive qu’on ait envie de revenir sur sa terre natale ou au contraire qu’on ressente le besoin de la fuir… Les questionnements autour du travail, de la réussite et du bonheur sont communs à tous mais sont-ils identiques selon que l’on vienne d’une grande ville, d’une zone rurale ou de ce que l’on appelle « la France périphérique » ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :
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00:00Gagner sa vie de Léa Lecouple, série de portraits touchants et de réflexions sensibles sur la vie, le rapport au travail, au territoire dans lequel on a grandi.
00:09Que reste-t-il des rêves d'enfant quand on vient de ce qu'on appelle la France périphérique ?
00:15Qu'est-ce que veut dire, au fond, réussir sa vie ?
00:18De belles questions presque philosophiques qu'on va se poser avec nos invités.
00:21Frédérique Puissa, bienvenue.
00:23Vous êtes sénatrice LR de l'Élysée, vous êtes membre de la commission des affaires sociales,
00:27vous travaillez beaucoup sur les questions autour du monde du travail.
00:30Vous êtes membre du groupe d'études industrie, membre du groupe d'études développement économique de la montagne,
00:35vice-présidente de la mission d'information sur l'ubérisation de la société.
00:39Hervé Le Bras, bienvenue à vous.
00:40Vous êtes historien et démographe, directeur de recherche émérite à l'INED, Institut national d'études démographiques,
00:46auteur, entre autres, de Métamorphoses du monde rural avec Bertrand Schmitt et de l'abîme démographique aux éditions de l'Aube.
00:54Romain Ben David, bienvenue à vous également.
00:56Vous êtes auteur et expert associé à la Fondation Jean Jaurès sur les enjeux du rapport au travail et de liens à l'entreprise.
01:02Votre dernière note s'intitule « Rapport au travail vers une contre-révolution ? »
01:08Les tensions entre poursuite des transformations post-Covid et retour à l'ancien modèle.
01:13Alexandre Jost, bienvenue à vous également, fondateur et délégué général de la Fabrique Spinoza,
01:17qui est un think tank travaillant sur le bonheur citoyen.
01:20Vous publiez lundi prochain cette étude « Réenchanter le travail »
01:25qui est disponible sur le site de la Fabrique Spinoza.
01:27Vous avez été co-rapporteur pour l'indice de positivité de la commission Attali II
01:31et membre d'honneur de la Ligue internationale pour le droit au bonheur.
01:34Vous savez tout. Merci à tous les quatre d'être ici.
01:37Je voudrais d'abord qu'on définisse ensemble ce qu'on appelle la France périphérique, Hervé Lebrasse.
01:40Dans ce film, nous rencontrons des trentenaires de la Beauce, le grenier de la France, nous dit la réalisatrice.
01:45Un quart des habitants y vit avec le smic, le blé c'est pour les autres, ironise Léa Lecouple.
01:52C'est quoi cette France périphérique ?
01:53C'est ni vraiment le monde rural, ni vraiment le monde urbain.
01:57C'est une France délaissée qui passe à côté de la mondialisation ?
02:00– Elle a été, au fond, le terme a été popularisé par opposition plutôt que,
02:07comme définition, par opposition aux métropoles.
02:09C'est donc tout ce qui était hors métropole, pas simplement ce qui était rural.
02:15Donc là, on est plutôt, je dirais, dans ce qu'on a vu,
02:18on est dans la France rurale, plus que dans la France périphérique,
02:22parce que périphérique, c'est trop vague.
02:24Vous avez les montagnes, vous avez les bords de mer qui sont quand même plutôt assez accueillants.
02:32Donc c'est une façon, je crois, surtout de dire, on n'est pas dans les métropoles.
02:36D'ailleurs, dans le film, l'une des personnes dit,
02:39on ne peut pas, c'est 30 kilomètres pour aller au cinéma en ville.
02:43Donc c'est un peu une sorte de définition de la périphérie qu'elle donne.
02:47Il y a plein de France, comme celle qu'on découvre dans ce documentaire, Frédérique Puissas.
02:51Je crois même que les questionnements des protagonistes vous ont parlé, à vous aussi.
02:55Oui, alors on s'identifie assez facilement à ces trois personnes
02:58qu'on peut suivre un peu tout au long de leur vie sur la réflexion de leur pensée,
03:02même si on voit qu'elles sont issues un peu de milieux différents.
03:05En tout cas, il y a plein de France, mais il y a des Frances et des départements un peu riches
03:10et d'autres qui le sont moins, des régions riches et d'autres qui le sont moins.
03:12C'est-à-dire qu'en fonction de ce que vous venez de dénoncer,
03:15on a effectivement, selon les contextes dans lesquels on est,
03:18la possibilité d'avoir, j'allais dire, une perfusion des collectivités
03:23qui peut aller en profondeur jusque dans les villages, jusque dans les habitants,
03:26qu'on n'a pas dans certaines régions et dans certains départements.
03:30Donc ça différencie aussi ces territoires.
03:32Si on est dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, je le dis parce que j'en suis issue,
03:36ou si on est dans la région du Nord-Pas-de-Calais,
03:38on a quand même des approches qui sont très différentes
03:41en matière de solidarité territoriale et en matière de richesse de ces territoires.
03:44Ça différencie aussi nos territoires.
03:46Et en fonction du territoire, les choses sont-elles déterminées, Romain Ben David ?
03:49Est-ce qu'il y a une forme même de déterminisme social en fonction du territoire
03:52dans lequel on a grandi ?
03:53Alors, il y en a un petit peu moins depuis quelques années,
03:57depuis vraiment la révolution dans le monde du travail
03:59qu'on a connue après la crise sanitaire,
04:03une volonté vraiment de reprendre le contrôle sur sa vie,
04:06des paroles d'introspection qui ont fait qu'on s'est mis à réfléchir davantage
04:10sur le sens de sa vie et de son travail,
04:12et donc la volonté d'être beaucoup plus acteur que spectateur de sa vie
04:17et plus spécifiquement dans le film, de son rapport au travail.
04:20Donc le déterminisme a eu tendance à s'estomper un peu.
04:24On voit bien d'ailleurs des personnes qui disent dans le film, j'ai noté,
04:26on a grandi avec la tête de nos parents au retour au boulot,
04:29donc la volonté de ne plus reproduire des schémas,
04:31des personnes qui ont vu des parents vivre des crises financières,
04:36des licenciements économiques sans forcément des justifications,
04:39et donc il y a une volonté de reprendre la main.
04:41Cependant, une fois qu'on a dit ça, le déterminisme n'a pas disparu.
04:44On voit bien qu'il y a une personne qui est très attachée à son milieu,
04:47il y a un attachement identitaire, dans le bon sens du terme,
04:51qui est encore très prégnant et qui façonne un peu de façon anthropologique
04:55les individus.
04:57Donc il y a un petit peu moins de déterminisme,
05:00mais il ne s'est pas enlevé du jour au lendemain.
05:02Effacé complètement.
05:03Et on va les réentendre, tous ces personnages qui sont très touchants,
05:05Alexandre Joss, l'épanouissement, le bonheur, tout ça,
05:07c'est aussi beaucoup lié au lieu dans lequel on a grandi,
05:09on sent que le territoire est important dans ce film.
05:11Oui, on a publié une étude qui s'intitule « Territoires heureux » en 2022,
05:16qui touche cette question, et dans laquelle on voit que le bonheur,
05:20il est en partie lié au sentiment d'appartenance à son territoire.
05:24Et là, dans le documentaire, à la fois on voit « je suis content,
05:28je ne peux pas m'imaginer ailleurs, je veux revenir,
05:31rester dans ce cocon, c'est chez moi, c'est là qu'il y a mes amis »,
05:34et en même temps, une représentation de son territoire qui est défavorable,
05:37alors même que l'appartenance territoriale, d'après la science,
05:40elle délivre 13 bienfaits, un article scientifique,
05:44où on parle même d'abaissement du stress, de transmission culturelle.
05:49Et finalement, ce qui est assez étonnant, c'est de voir que derrière ces représentations,
05:53il y a des choses qui ne sont pas liées à sa propre expérience.
05:56Et j'aime bien les travaux de Valérie Jousseau, qui dit dans son livre « Plouc Pride »,
06:02qui dit « on va redonner de la fierté à des régions sur lesquelles
06:05on a collé des étiquettes ». Et je trouve que dans ce documentaire,
06:08on sent à la fois la volonté de vivre soi-même, et en même temps,
06:12la conscience qu'il y a des représentations qui se posent sur la vie qu'on a.
06:16Ces territoires, certains décident d'y rester, d'autres en partent,
06:20puis ils reviennent, comme dans un refuge, dans un cocon.
06:22Vous avez employé ce mot, effectivement, Alexandre Jost.
06:25C'est le cas de l'une des intervenantes du film que je voudrais réécouter avec vous.
06:29Bosse, t'as un côté hyper rassurant, que ça soit plat, en fait.
06:36J'ai eu besoin de revenir de là où je suis née, sur le secteur,
06:39dans la campagne que je connais, de vraiment revenir là,
06:42on repart à la base, je refais les trajets que je faisais quand j'étais gamine,
06:48de recentrer sur ce qui va me stabiliser, quelque part.
06:55C'est intéressant, cette réflexion sur le retour aux sources,
06:58le retour au cocon, le besoin d'être rassuré,
07:00il y a aussi un côté fuite de la frénésie des villes, peut-être, Hervé Le Bras ?
07:04Oui, ce qui est un peu problématique dans le film,
07:08c'est qu'au fond, les trois personnages n'ont pas de rapport à la production véritable.
07:14Il n'y en a aucun qui soit ouvrier ou commerçant,
07:19ou même, ce qui est quand même un comble dans la bosse, agriculteur.
07:22On est sans arrêt à voir ces champs que je trouve magnifiques.
07:27La bosse, c'est un pays où l'horizon est tout proche,
07:31c'est ça la définition au fond de la bosse.
07:33Alors, qu'est-ce que ça change, le fait qu'il n'y ait pas de rapport à la production ?
07:36Ces personnages sont, je trouve, un peu, et ça correspond,
07:39elle revient, mais elle dit bien à plusieurs moments qu'elle a un certain malaise,
07:43ça correspond au fait que, socialement, ils sont un peu entre deux.
07:50C'est-à-dire que quelqu'un qui est dans la production,
07:54bon, il voit son résultat, un agriculteur voit le résultat de son travail.
07:58Et puis, il y a beaucoup d'ouvriers, maintenant, dans ces villages de bosse.
08:02On est entre 25 et 30 %, donc ça, c'est des producteurs.
08:06Et je pense que leur sentiment, d'abord, peut être un sentiment plus,
08:12assez en colère, parfois, vous voyez, mais plus proche des réalités,
08:17tandis que j'ai l'impression que les trois personnages flottent un peu.
08:21Ils sont dans une espèce d'errance, peut-être.
08:23À un moment donné, l'une d'entre elles dit,
08:26est-ce qu'on est de la basse classe moyenne,
08:29ou on est descendu d'un cran à un low, middle class ?
08:33Donc, vous voyez, c'est un petit peu là, pour les comprendre,
08:37je crois qu'il y a cette sorte de malaise.
08:39C'est lié aussi au métier qu'ils exercent, Romain Ben David.
08:41Oui, alors, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites.
08:43Après, ça représente quand même assez bien une société
08:46où les métiers sont très individuels, une société très atomisée,
08:50où, et c'est bien dit dans le film, il y a un sentiment de solitude
08:53qui est assez fort. C'est un peu le revers de la médaille.
08:56Donc, ça va jusqu'à une remise en question du monde moderne, quelque part ?
08:59C'est-à-dire que leurs parents, comme le soulignait très bien Hervé Lebras,
09:02leurs parents travaillaient beaucoup à l'usine,
09:04il y avait une solidarité de fait, c'est-à-dire qu'on pouvait,
09:06pour caricaturer, on se retrouvait le dimanche à la messe,
09:09on pouvait jouer dans le club de foot de la commune,
09:12donc il y avait une vraie solidarité.
09:14Là, on est sur des personnes qui travaillent beaucoup.
09:16C'est un peu le monde des services, donc c'est la plupart des travailleurs
09:19qui sont chacun un peu dans leur silo.
09:22Donc, effectivement, il peut y avoir un peu un sentiment de solitude
09:26et qui dit solitude dit aussi introspection,
09:28donc on se pose sans cesse des questions.
09:30On réactive sans cesse, est-ce que ce que je fais, c'est bien ?
09:32Est-ce que c'est ce que je voulais ?
09:34Voilà, qui ressort beaucoup.
09:36Peut-être un léger point de désaccord, c'est que le monsieur
09:41qui travaille en maison d'accueil spécialisée comme travailleur social,
09:44lui, il a une équipe autour de lui,
09:47un établissement médico-social comme ça,
09:49il y a entre 20 et 60 salariés,
09:52donc lui, il n'a pas un travail...
09:54Il n'est pas complètement seul.
09:55Il n'est pas complètement seul et c'est pourtant celui
09:57qui semble être le plus malheureux dans son travail,
10:01pour lequel on ne voit pas d'eux.
10:03On va l'entendre, vous avez raison.
10:04Mais ce qui est intéressant aussi, c'est l'attachement de cette femme
10:07à son lieu d'origine, elle y revient.
10:09Il y en a un autre qui dit à un moment donné,
10:11en gros, ce n'est pas une région très attractive,
10:13il n'y a pas tellement de boulot, mais c'est calme,
10:15il y a les copains, c'est mon chez-moi.
10:17Donc il y a aussi ceux qui privilégient le territoire,
10:19l'attachement à la terre, plutôt qu'à la carrière.
10:21Moi, je me suis parfaitement retrouvée dans cette ambiance.
10:24Je rejoins ce que vous dites, c'est vrai que ça flotte,
10:26mais on sent qu'il y a des racines.
10:28Les trois ont des racines.
10:30Et moi, qui ai été élue en milieu rural pendant de longues années
10:34et qui me suis occupée des familles, de la jeunesse,
10:36je disais toujours aux jeunes,
10:38forgeons-nous une histoire commune, créons nos racines ensemble,
10:40mais les racines n'en ferment pas.
10:42Donc, sachez que si vous avez un territoire
10:44dans lequel vous pouvez vous ressourcer,
10:46ça ne vous empêche pas de partir.
10:48Mais quand on reprend l'exemple de cette jeune fille qui parle,
10:50on s'aperçoit quand même qu'elle est partie,
10:52qu'elle a fait un burn-out, si j'ai bien compris,
10:54et qu'elle est revenue.
10:56Mais qu'elle, du coup...
10:58Son socle, c'est des racines, mais finalement,
11:00son échappé lui rend une certaine mélancolie,
11:02une certaine nostalgie.
11:04Mais il y a des gens qui ont des racines,
11:06qui sont issus de ces milieux-là et qui sont partis,
11:08mais qui se sentent toujours de ce territoire.
11:10On ne les voit pas dans ce schéma-là.
11:12Je trouve que c'est ça, la richesse de nos territoires
11:14et de la République.
11:16C'est que l'école, la capacité à se saisir
11:18d'un certain nombre de mains qui sont tendues
11:20font qu'à un moment donné, on peut avoir des racines,
11:22mais on peut s'expatrier partout dans le monde
11:24en se retrouvant de ces terres de bosse
11:26avec ces histoires et ces aventures communes.
11:28Je trouve que c'est ça qui ressort
11:30de ces trois personnages.
11:32Ils flottent, mais ils ont tous les trois des racines.
11:34Est-ce qu'il y a une tendance, ça,
11:36qui est peut-être chiffrée, d'ailleurs,
11:38au retour aux sources territoriales ?
11:40Pas tellement.
11:42Il y a un exemple qu'on connaît bien
11:44qui est celui des retraités.
11:46Est-ce que les retraités
11:48reviennent sur les lieux
11:50de leur enfance ?
11:52Très bonne question.
11:54Pas vraiment.
11:56Ils ont plutôt tendance à s'installer
11:58dans des lieux qu'ils ont appréciés
12:00lors de leurs vacances.
12:02Le littoral vendéen
12:04est un très bon exemple de cela.
12:06C'est pas des Vendéens qui s'installent.
12:08Quelques-uns, peut-être, sur le littoral.
12:10Puis ensuite,
12:12c'est autre chose,
12:14ils vont peut-être arriver à 80, 85 ans,
12:16ils vont aller vers des petites villes,
12:18mais ça sera pas leur ville
12:20d'origine.
12:22Il y a bien sûr des retours, comme ceux qu'on voit,
12:24surtout des retours de gens plus jeunes.
12:26Mais arriver à
12:28un certain âge,
12:30c'est plutôt des moments de la vie
12:32qui étaient agréables pour vous,
12:34qui guident votre choix
12:36de la retraite.
12:38On s'est beaucoup dit, après le Covid,
12:40qu'il y avait eu des déménagements
12:42de grandes métropoles.
12:44C'est l'enquête POPSU qui révèle que finalement,
12:46on est dans les 7-8 % de déménagements.
12:48C'est à la fois gros à l'échelle de la population,
12:50par rapport à d'habitude,
12:52en revanche, c'est pas si significatif que ça.
12:54Pour moi,
12:56ce que ça m'amène comme réflexion,
12:58c'est que l'attachement territorial,
13:00il peut aussi être construit.
13:02Et là-dessus, on voit des initiatives intéressantes,
13:04comme les marches exploratoires,
13:06comme les tauches du bitume.
13:08Tout ça, c'est des manières pour des jeunes
13:10ou des moins jeunes, dans leur quartier,
13:12aller l'explorer,
13:14conduire, produire de l'art,
13:16et à un moment finir par se dire,
13:18j'ai mon drapeau que je peux planter ici.
13:20C'est chez moi, ici, finalement.
13:22On n'est pas condamné à devoir avoir des racines,
13:24on peut aussi se les construire par un processus
13:26qui est guidé.
13:28Ce film n'interroge pas seulement le rapport à la terre d'origine,
13:30il interroge évidemment notre rapport au travail,
13:32remise en question de son rythme,
13:34burn-out, on l'a dit, parfois lassitude,
13:36simple lassitude,
13:38ou un travail qui devient juste alimentaire.
13:40Illustration avec cet extrait.
13:42Ça fait 15 ans,
13:4415 ans que je fais ce travail,
13:48et oui, 15 ans,
13:50avec des personnes plus ou moins
13:52difficiles à accompagner,
13:54ça me semble déjà beaucoup.
13:56Peut-être que c'est juste
13:58un ras-le-bol général,
14:00et qu'il suffit juste que je change d'endroit pour me redonner
14:02l'envie de continuer,
14:04j'espère que c'est ça,
14:06et que c'est pas un ras-le-bol
14:08de la profession,
14:14que j'ai finalement plus envie
14:16de m'occuper de ça, des personnes handicapées,
14:18des personnes en difficulté, des personnes malades,
14:20je sais pas.
14:22Qui peuvent paumer, je sais pas vraiment.
14:26C'est un passage que je trouve assez fort,
14:28au moins Ben David, j'ai l'impression qu'il est assez représentatif
14:30de ce que peuvent penser beaucoup de Français,
14:32et là j'ai envie de dire, peu importe le territoire.
14:34Exactement, alors ça c'est aussi une des grandes évolutions,
14:36c'est-à-dire qu'on se pose beaucoup plus de questions
14:38sur le sens de sa vie, sur le sens de son travail,
14:40et on s'autorise finalement à être paumé,
14:42c'est-à-dire qu'il sait pas où il en est,
14:44et en même temps, c'est des questions qu'on se posait
14:46beaucoup moins avant. On peut faire un exemple
14:48qui n'a rien à voir, mais qui a de bien à comprendre,
14:50vous demandez pas si ce que vous faites est bien ou pas,
14:52on vous dit de le faire, vous le faites.
14:54Et quand vous commencez à penser, à réfléchir sur le sens
14:56de ce que vous faites, on a des petits signes qui disent
14:58que les choses peuvent commencer à bouger,
15:00et remettre en question l'ordre établi.
15:02Et ça c'est un des grands points du Covid,
15:04encore une fois, de ces paroles d'introspection,
15:06c'était des réflexions qui étaient en germe avant,
15:08tout n'a pas changé,
15:10mais ça a accéléré, ça a été un catalyseur assez important
15:12sur le sens, sur ce qu'on veut faire.
15:14Et quand on parlait tout à l'heure du faible
15:16niveau des déménagements, évidemment,
15:18on apparaît dans le changement au travail,
15:20il n'y a jamais eu de grande démission en France.
15:22En revanche, on se pose davantage les questions.
15:24Et est-ce que tout ça est un peu générationnel ?
15:26Moi j'ai le souvenir, par exemple, de la génération
15:28de mes parents, qui se posaient assez peu de questions,
15:30qui ont travaillé pendant 40 ans au même endroit,
15:32sans se demander chaque matin si oui ou non
15:34c'était le bon endroit, la bonne place pour eux.
15:36Oui, mais il y a quand même,
15:38dans ce qu'il dit, ce qui est intéressant sur les 15 ans,
15:40c'est parce qu'effectivement,
15:42il entre dans une catégorie particulière de français.
15:44Maintenant, il y a une très grande mobilité
15:46dans le travail.
15:48En moyenne,
15:5015% des français
15:52ont changé de travail
15:54au cours de l'année.
15:56Donc, rester 15 ans, ça suppose...
15:58Et donc, je pense qu'il est aussi
16:00pris dans cette société où
16:02il y a un mouvement, et un mouvement
16:04en plus de ça inquiétant, parce qu'on le quitte
16:06souvent pour de mauvaises raisons.
16:08Donc, une injonction au mouvement aussi, un peu ?
16:10Il n'y a pas une injonction, mais il y a le fait
16:12que c'est généralisé, qu'autour de lui,
16:14il voit que les personnes changent
16:16assez rapidement le métier.
16:18Et il se sent, dans ce genre de métier,
16:20il y en a plusieurs, le métier d'enseignant aussi,
16:22il se sent un peu,
16:24par rapport à l'ensemble de la société,
16:26il se sent un peu pris au piège.
16:28Il se dit, je vais passer toute ma vie
16:30dans ce métier,
16:32et je deviens anormal,
16:34je deviens préhistorique quelque part.
16:36Et pourtant, il a un métier qui a du sens, vous en parliez, Alexandre Jean.
16:38C'est lui dont vous parliez tout à l'heure, effectivement.
16:40Cet homme qui, quand même, vit aussi
16:42un métier où il aide les autres,
16:44il accompagne les autres, les personnes handicapées.
16:46Donc ça a du sens, c'est d'autant plus étonnant,
16:48ce questionnement-là.
16:50Pour moi, ça révèle deux paradoxes.
16:52Le premier, c'est qu'il y a des métiers dont on pourrait imaginer
16:54qu'ils aient du sens, l'intérêt général,
16:56la fonction publique, le soin,
16:58et pourtant, les gens ne le ressentent pas.
17:00Et le deuxième paradoxe, pour moi,
17:02c'est qu'à la fois, on veut trouver du sens,
17:04donc on a regardé
17:06les recherches faites sur Internet
17:08pour le mot « sens au travail »,
17:10ces 15 ans ont été multipliés par 6,
17:12donc c'est très important,
17:14on veut plus de sens dans son travail,
17:16et en même temps, on essaie de distancier le travail.
17:18En 1990,
17:20les gens qui disaient
17:22« le travail est important dans ma vie, très important »,
17:24ils étaient 60 %.
17:26Aujourd'hui, ils sont à 25 %.
17:28Donc on veut écarter le travail,
17:30retrouver l'équilibre de vie professionnelle,
17:32et en même temps, on veut que le travail délivre
17:34du sens. Est-ce que c'est possible ?
17:36C'est la question que pose ce documentaire.
17:38J'ai l'impression qu'on attend beaucoup du travail aujourd'hui.
17:40Notre rapport au travail change profondément.
17:42Oui, il change profondément,
17:44mais comme vous le disiez tout à l'heure,
17:46d'abord, on a la possibilité de se poser des questions.
17:48On est un pays de liberté,
17:50et cette liberté, elle est effectivement à préserver.
17:52Et puis, c'est aussi le rôle des politiques,
17:54mais pas que, on a ouvert le champ des possibles
17:56dans le code du travail. Vous parliez tout à l'heure
17:58des travaux qu'on avait conduits sur l'ubérisation.
18:00Les termes ne sont peut-être pas forcément les bons,
18:02mais en tout cas, ce qui est certain,
18:04parce que ce sont des termes qui ont été utilisés
18:06et qui ont une tendance un peu à restreindre
18:08ce phénomène de société que nous avons souhaité développer,
18:10qui a été développé par Hervé Novelli au départ d'ailleurs,
18:12c'est ce phénomène d'auto-entrepreneur.
18:14Capacité à faire sa propre entreprise
18:16rapidement, simplement,
18:18pour essayer.
18:20Pour compléter éventuellement un temps de travail.
18:22Pour éventuellement se dire,
18:24aujourd'hui, je suis éducateur,
18:26peut-être que demain, je peux me lancer
18:28dans des cours de pianiste.
18:30Je crois qu'il est piano, ce monsieur.
18:32Reconversion professionnelle, en tout cas.
18:34Je peux me reconvertir, mais je veux essayer.
18:36Parce qu'effectivement, je n'ai pas les moyens de tout plaquer
18:38du jour au lendemain, de changer d'activité.
18:40Et je crois que notre rôle, à nous,
18:42c'est effectivement d'ouvrir le champ des possibles
18:44du code du travail, la simplification,
18:46pour que les gens puissent essayer,
18:48puissent continuer à se poser des questions,
18:50pays de liberté, mais aussi pays de possibilités,
18:52avec cette ouverture du champ des possibles
18:54que nous avons, nous, le devoir
18:56de mettre en oeuvre.
18:58Mais est-ce que c'est aussi ce qui explique le débat épidermique
19:00autour du recul de l'âge de départ à la retraite ?
19:02Quand on voit des gens qui ne sont pas très heureux
19:04dans leur travail, qui ont une lassitude,
19:06qui font des burn-out, des dépressions,
19:08c'est peut-être aussi pour ça que les Français se disent
19:10qu'ils ne veulent pas qu'on rallonge le temps de travail.
19:12Oui, et paradoxalement,
19:14vous avez beaucoup de retraités
19:16qui créent leur auto-entreprise
19:18pour continuer à avoir une activité,
19:20pour continuer à donner du sens à ce qu'ils font dans la société.
19:22On est plein de paradoxes.
19:24Je vois que vous êtes modéré sur mes propos,
19:26alors je n'ai pas de chiffre exact.
19:28Oui, quand on voit les taux d'activité, c'est faible.
19:30Vous avez raison.
19:32Au fond, la question de la retraite,
19:34c'est surtout la question de la différence
19:36de classe sociale face à la retraite.
19:38C'est ça le vrai problème.
19:40Là-dedans, effectivement, ce dont vous parlez,
19:42disons que quand on arrive
19:44à des personnes qui ont
19:46Bac plus 2, Bac plus 3,
19:48très souvent, ils souhaitent continuer à travailler
19:50après leur retraite.
19:52Mais quand vous prenez un maçon
19:54ou bien une personne
19:56sans diplôme qui a commencé à travailler
19:58à 16 ans,
20:00il n'a pas envie de continuer après 64 ans.
20:02En fait,
20:04il y a deux clichés
20:06qu'il faut éviter. Le premier, c'est de se dire
20:08que l'envie de partir à la retraite
20:10viendrait de la question du sens,
20:12alors qu'à mon avis, il est d'abord lié à la pénibilité.
20:14Ça, c'est important pour reparler
20:16de l'objectivité de la souffrance
20:18au travail. Et l'autre cliché
20:20qui est un peu l'inverse, c'est de dire que le sens serait
20:22réservé à des catégories socioprofessionnelles
20:24bien supérieures.
20:26J'ai été battu en brèche par Pérez,
20:28la chercheuse, qui dit que non,
20:30il y a même une décorrélation entre le niveau
20:32de diplôme et le niveau de sens.
20:34Et moi, le chiffre qui m'a frappé,
20:36c'est qu'en fait, en 10 ans
20:38environ, la souffrance
20:40au travail résultant
20:42de l'absence de sens
20:44a augmenté de 44 points de pourcentage.
20:46Et donc, finalement,
20:48à travers les classes sociales,
20:50on a, pas uniformément,
20:52mais on a une généralisation
20:54de la souffrance induite si on ne trouve pas
20:56de sens au travail. Donc, on a un équilibre
20:58à trouver entre les deux caricatures
21:00qui sont oui, c'est vraiment
21:02une question de sens, alors qu'il y a des questions
21:04de revenus, de pénibilité,
21:06et l'autre, c'est attention, le sens, ça serait
21:08pour les élites.
21:10Ce qu'on voit aussi beaucoup dans les études,
21:12c'est que le sentiment de pénibilité
21:14au travail ne cesse d'augmenter depuis 2020.
21:16Alors, objectivement,
21:18le travail n'est pas devenu plus pénible.
21:20On en revient un peu au même
21:22questionnement, qui est qu'on fait aussi plus attention,
21:24notamment à sa santé. On voit que la santé,
21:26depuis, dans les enquêtes d'opinion,
21:28fait partie, sans discontinuer,
21:30du trio tête
21:32des priorités
21:34des Français, donc on fait plus attention.
21:36Vous avez dans le film, une personne qui dit, j'ai fait un burn-out,
21:38j'ai arrêté, j'ai fait autre chose.
21:40Le travail n'est vraiment pas devenu
21:42plus pénible, mais on est plus
21:44attentif. Alors, est-ce que l'erreur, c'était peut-être
21:46avant, on continuait, parce qu'on parle beaucoup de l'absentéisme
21:48en ce moment, il faut quand même savoir
21:50qu'il y a plus de personnes qui travaillent
21:52et qui pourraient s'arrêter que de personnes
21:54absentes qui auraient pu travailler.
21:56Donc, est-ce que le problème n'est pas plutôt qu'on ne se posait pas
21:58les questions avant et que maintenant, on se les
22:00autorise ? C'est aussi
22:02un débat. Et juste pour revenir
22:04aux retraites,
22:06ce qui se passe, et ce qui fait que beaucoup de pays étrangers
22:08ont du mal à comprendre pourquoi les Français râlent tout le temps,
22:10il faut revenir aussi à la culture de la négociation.
22:12C'est-à-dire qu'en France,
22:14on ne se fait entendre souvent que par le conflit.
22:16On est quand même dans une organisation
22:18du pouvoir, mais aussi de l'entreprise
22:20qui est très verticale.
22:22On a peu de culture de la négociation, donc
22:24on se fait entendre avec le conflit.
22:26Ça, c'est une petite digression.
22:28Hervé Lebras, vous êtes d'accord ?
22:30Je suis assez d'accord avec ce qui a été dit.
22:32Je voudrais faire une remarque sur le travail à propos du film.
22:34On ne voit pas beaucoup
22:36le travail. Les trois moments
22:38que l'on voit,
22:40je dirais en termes d'activité,
22:42c'est le vide-grenier,
22:44la compétition
22:46de majorette
22:48ou de danse.
22:50Le gymnase.
22:52Et puis, le cinéma.
22:54Il y a comme une invisibilisation
22:56du travail.
22:58On sait
23:00qu'il existe, on le voit.
23:02Quand il est dans sa voiture, il va vers son travail.
23:04On filme des moments
23:06d'introspection sur le travail,
23:08mais entre ces moments de travail.
23:10Il est en arrière-fond, je dirais.
23:12On va pousser la réflexion encore plus loin
23:14puisque ce film nous invite.
23:16Qu'est-ce que réussir sa vie aujourd'hui
23:18pour les Français ?
23:20Est-ce que c'est bien la gagner ?
23:22Ou est-ce que c'est trouver sa place sociale
23:24mais aussi sa place géographique ?
23:26Je voudrais qu'on écoute ce que dit cette femme dans le film.
23:28Je suis devenue entraîneur
23:30de gymnastique rythmique.
23:32Hop, tac, tac, et par.
23:34Voilà.
23:36Tic, pam, pam, tac.
23:38Je ne gagne peut-être pas super bien ma vie,
23:40mais je vis de ma passion.
23:42Et le côté
23:44bosser juste pour l'argent,
23:46ça, ce serait un échec,
23:48en fait, vraiment.
23:50C'est incroyable ce qu'elle dit.
23:52Je ne suis pas sûre que ce soit si fréquent que ça
23:54d'entendre ce genre de propos, Alexandre Jost.
23:56Oui,
23:58ça demande
24:00sans doute un certain éveil.
24:02Finalement, pour moi, on parle de bonheur
24:04là-dedans. Je ne sais pas si je prends la paroisse
24:06de la Fabrique Spinoza, mais moi, j'aime bien
24:08me référer aux travaux que je trouve les plus scientifiques
24:10sur le bonheur. Ça paraît bizarre, mais c'est l'OCDE
24:12qui définit le bonheur avec trois facettes.
24:14Le bonheur émotionnel, est-ce que j'ai plutôt
24:16de la joie, des émotions positives que du stress,
24:18de la colère, etc. Le bonheur évaluatif,
24:20est-ce que j'ai de la réussite,
24:22justement ? Est-ce que j'ai réussi
24:24à atteindre mes objectifs ? Et ensuite, le bonheur
24:26qu'on appelle aspirationnel, du sens,
24:28de l'appartenance, du collectif.
24:30Et ce qu'elle est en train de dire,
24:32c'est que, de son point de vue à elle, dans sa construction
24:34mentale, eh bien, le bonheur
24:36sous forme de réussite est peut-être
24:38moins important. Mais je pense
24:40qu'il faut respecter la capacité de
24:42chacun à construire son
24:44cocktail à soi, entre
24:46joie, réussite et sens.
24:48J'entends bien, mais ça, c'est en faisant abstraction
24:50des messages sociétaux et sociaux
24:52qui nous entourent, et il y a quand même
24:54une espèce d'injonction au bonheur, notamment
24:56par l'argent et la réussite sociale. Elle, elle en fait
24:58abstraction, elle décide de s'en extraire, mais
25:00c'est réel, c'est une réalité. Il y a plein de gens qui se disent
25:02je n'ai pas réussi ma vie parce que je ne gagne pas assez,
25:04ou... Voyez, Frédérique Puissa.
25:06Elle dit je ne gagne pas ma vie.
25:08Est-ce qu'elle est pauvre ou est-ce qu'elle n'est pas pauvre ?
25:10Ça, ça se conjugue à la première
25:12personne, c'est-à-dire que comment est-ce que je vis ma vie ?
25:14Je ne sais pas comment elle gagne cette
25:16personne, mais en tout cas, c'est quelque chose qui est vécu
25:18de façon très personnelle, si on se
25:20sent pauvre ou pas pauvre. Mais par contre, ce que je vois, moi,
25:22dans cette réussite-là,
25:24c'est qu'elle change la vie.
25:26Elle change la vie de ses enfants. Je veux dire,
25:28quand ces jeunes filles montent sur la première marche du podium,
25:30moi, j'ai adoré ce moment-là. C'est une espèce
25:32de fierté, quoi. Elle défile
25:34avec
25:36ordre et avec fierté
25:38d'appartenir à un collectif. Et je trouve
25:40que quand on arrive à changer la vie des êtres
25:42qui sont au fond de soi, je crois qu'on réussit sa vie.
25:44Et que finalement, ça nous porte.
25:46Mais du coup, ça se décorrèle
25:48d'un sentiment de se sentir
25:50ou pas pauvre dans une société.
25:52À ce moment-là,
25:54elle change la vie, donc elle est riche de ça.
25:56C'est la chanson de Goldman, d'ailleurs.
25:58C'est la chanson de Goldman.
26:00Je pense qu'il ne faut pas se voiler la face.
26:02Le revenu reste la priorité numéro un.
26:04Surtout actuellement, avec
26:06tous les enjeux du pouvoir d'achat,
26:08le chômage qui peut continuer à augmenter.
26:10Pour autant, les codes de la réussite
26:12sont quand même très largement
26:14rebattus depuis le Covid.
26:16C'est-à-dire que les codes statutaires
26:18d'évolution dans la hiérarchie
26:20de réussite sociale sont quand même
26:22battus en brèche par des critères
26:24beaucoup plus qualitatifs autour de l'équilibre
26:26vie privée-vie professionnelle.
26:28Il faut bien voir que le sentiment d'être perdant
26:30dans son travail a augmenté
26:32de 50 % en 30 ans
26:34dans le rapport au travail.
26:36Donc beaucoup se disent quitte à être perdant,
26:38à ne pas être rémunéré comme on
26:40estime le mériter,
26:42à aussi manquer de reconnaissance.
26:44C'est un autre problème, mais il y a un vrai problème de reconnaissance
26:46au travail des Français. Autant privilégier
26:48quand on le peut, évidemment quand on le peut,
26:50des critères plus qualitatifs.
26:52Effectivement, le travail ne soit plus forcément
26:54au premier plan, ce qui ne veut pas dire
26:56comme on le lit partout qu'on est une génération de paresseux.
26:58C'est simplement qu'il y a aussi d'autres critères qualitatifs
27:00d'équilibre vie privée-vie professionnelle,
27:02d'organiser un peu plus son travail
27:04comme on le souhaite
27:06et finalement les critères statutaires
27:08sont aujourd'hui un peu moins importants.
27:10On le voit beaucoup dans des entretiens d'embauche
27:12où ça concerne
27:14surtout les cadres.
27:16Mais la première question c'est, est-ce que je peux faire du télétravail
27:18davantage que comment je vais évoluer
27:20dans la hiérarchie dans les années qui viennent ?
27:22Hervé Le Bras ?
27:24Oui, tout à fait. Le Covid a marqué
27:26dans ce que vous dites
27:28un tournant, mais peut-être
27:30le tournant principal, c'est que les personnes
27:32du fait qu'elles ne quittaient plus
27:34chez elles, se sont rendues compte que
27:36c'était formidable d'avoir du temps
27:38non pas libre, mais de disposer
27:40de son temps. Et on a vu
27:42les métiers qui étaient les plus contraignants
27:44du point de vue des horaires
27:46ont été assez largement
27:48abandonnés et sont maintenant
27:50en tension. Et je pense que
27:52par derrière c'était aussi...
27:54Vous pensez à la restauration par exemple ?
27:56La restauration, par exemple, qui est très contraignante
27:58mais même
28:00beaucoup d'autres métiers, les boueurs,
28:02je pourrais vous en citer...
28:04Beaucoup des métiers en tension actuellement
28:06sont dans ce registre-là
28:08et par derrière, je pense aussi
28:10que c'est l'idée
28:12de ne pas être soumis
28:14à une autorité, le temps
28:16et l'expression d'une autorité.
28:18J'y pense parce qu'au fond
28:20à très lointaine distance
28:22c'était ce qui s'était produit
28:24en 68. En 68,
28:26c'était le refus
28:28de l'autorité. Il y avait un
28:30sociologue qui avait dit, en 68,
28:32les ouvriers en avaient assez
28:34de l'autorité du patron, les élèves
28:36en avaient assez de l'autorité des professeurs,
28:38les enfants en avaient assez
28:40de l'autorité du père de famille,
28:42et il ajoutait, et les ministres en avaient assez
28:44de l'autorité de De Gaulle.
28:46Et donc, je pense
28:48que c'est bien sûr beaucoup moins fort
28:50que le Covid, mais il y a une sorte de redécouverte
28:52de pouvoir disposer de son temps.
28:54Ce n'est pas ne pas travailler, vous avez tout à fait
28:56raison de le dire, mais c'est
28:58ne pas être... Il n'y a pas d'injonction
29:00qui soit donnée.
29:02C'est propre à la France ou pas, Alexandre Joss ?
29:04C'est une tendance
29:06post-Covid qui a touché peut-être,
29:08j'allais dire les pays riches, parce que c'est quand même un luxe
29:10de se poser la question. C'est aussi parce qu'on ne meurt pas de faim
29:12qu'on peut se dire tout ça.
29:14Sur la question de l'usage de son temps,
29:16je pense que oui, sans en être certain.
29:18Sur la question de la comparaison,
29:20je suis certain que c'est très français.
29:22Justement parce qu'on est un pays de statut,
29:24on est le pays qui a le plus haut
29:26indice de distance hiérarchique,
29:28donc on essaie de se
29:30libérer des grades, des normes,
29:32des hiérarchies. On se compare
29:34beaucoup. Dans les pays anglo-saxons, se comparer
29:36c'est plutôt source d'espoir, en se disant
29:38si l'autre réussit mieux, je peux
29:40moi aussi y arriver. C'est plutôt un moteur.
29:42En France, c'est plutôt une source de frustration.
29:44Et si on s'autorise un petit peu à philosopher,
29:46ce qui est dommage, c'est que,
29:48comme le dit le prix Nobel d'économie Kahneman,
29:50il dit que les hommes
29:52et les femmes sont des très mauvais prédicteurs
29:54de leur utilité future, c'est-à-dire de leur bonheur.
29:56En d'autres termes, on pense que se comparer
29:58et se comparer à la hausse, c'est bon pour l'épanouissement.
30:00En fait, la recherche montre que non.
30:02Même si je suis dans
30:04une meilleure situation que les autres,
30:06le fait de me comparer me rend
30:08moins heureux. Parce que,
30:10comme dit Oscar Wilde,
30:12soyez vous-même, tous les autres rôles sont pris.
30:14Donc, la capacité à dessiner son propre
30:16chemin et à se détacher
30:18d'une injonction à la comparaison,
30:20ça génère de l'épanouissement.
30:22Frédéric, puis ça, c'est quoi, alors, réussir sa vie ?
30:24Parce que le titre du documentaire, c'est
30:26gagner sa vie, mais on sent évidemment qu'il y a
30:28une deuxième lecture, c'est pas juste la gagner
30:30financièrement, c'est la gagner tout court,
30:32la réussir, et comme on arrive à la conclusion de cette émission,
30:34votre conclusion à vous, c'est quoi, réussir sa vie ?
30:36Ça se conjugue à la première
30:38personne, à ce que j'ai ou pas réussi ma vie,
30:40mais vous l'avez dit tout à l'heure, on a
30:42quand même la nécessité d'avoir
30:44un environnement
30:46quand même de protection, un toit sur la tête,
30:48gagner un minimum pour
30:50pouvoir consommer, mais on a quand même la chance
30:52d'avoir un système de redistribution en France
30:54qui est quand même colossal, il faut le souligner,
30:56qui est quand même peut-être à bout de souffle aujourd'hui,
30:58il faut quand même qu'on se pose les bonnes questions,
31:00mais c'est ce qui fait qu'on a, même si on a
31:02une espèce d'archipélisation
31:04des territoires, on a
31:06quand même cette possibilité de mailler
31:08les uns les autres et de cimenter
31:10notre territoire et de
31:12faire nation parce qu'on redistribue.
31:14Donc c'est aussi l'enjeu
31:16des travaux futurs
31:18des parlementaires
31:20et des gouvernements à venir,
31:22d'actuels gouvernements, de se dire comment est-ce qu'on préserve
31:24cet état-nation avec ce ciment
31:26et ce système de redistribution que nous avons
31:28sans le casser avec les enjeux
31:30budgétaires qui sont devant nous.
31:32Romain Ben David ?
31:34J'abonde dans ce que vous dites,
31:36il y a l'idée aussi, aujourd'hui, de réussir
31:38sa vie, d'être acteur de sa carrière professionnelle.
31:40Effectivement,
31:42la génération de nos parents, de nos grands-parents,
31:44les choses étaient assez tracées, assez déterminées.
31:46On restait effectivement,
31:48on disait, je pose les valises dans l'entreprise
31:50et je la quitte au moment de la retraite.
31:52Nous, on a été élevés, et nos enfants encore plus,
31:54dans l'idée que les carrières seraient disruptives.
31:56Donc effectivement, à un moment, on sera dans le salariat,
31:58puis on va le quitter pour être dans le...
32:00On va ouvrir son entreprise, on va revenir
32:02dans le salariat. En tout cas, on s'autorise
32:04plusieurs vies professionnelles. On s'autorise, mais quelque part,
32:06vous voyez le retour contre les recruteurs.
32:08Les recruteurs passent le temps à vous dire
32:10je veux de l'agilité, je veux de la souplesse.
32:12Aussi, maintenant, on réclame de la souplesse et de l'agilité
32:14aux recruteurs. Donc réussir sa vie, c'est aussi
32:16finalement pouvoir être acteur,
32:18être acteur de son évolution.
32:20Et quelque part, c'est plus tellement
32:22les personnes qui doivent s'adapter à leur travail,
32:24c'est plutôt comment est-ce que le travail que je fais
32:26va s'adapter à mes propres ambitions.
32:28D'accord. Alexandre Joss ?
32:30Moi, j'ai envie d'aller faire un petit tour
32:32au Japon et de regarder
32:34un outil médiéval
32:36qui s'appelle Likigai
32:38et qui invite les personnes à se poser la question
32:40dans leur travail, dans la vie
32:42ou sur leur territoire.
32:44Tracer quatre
32:46ronds qui se croisent au centre
32:48et trouver sa raison d'être.
32:50C'est à quoi est-ce que je suis bon ?
32:52J'ai des compétences. Qu'est-ce que j'aime faire ?
32:54Ce n'est pas forcément la même chose.
32:56Où est-ce que je peux gagner ma vie ? Pour ne pas être éterré
32:58dans ces réflexions. Et enfin, soyons fous,
33:00où est-ce que je peux être utile
33:02à la société ?
33:04Et le centre de ces quatre ronds, je le trouve
33:06magnifiquement poétique
33:08pour se demander
33:10est-ce que ma vie sera belle ?
33:12Mais des réponses pas si évidentes à apporter quand même.
33:14Hervé Lebras ?
33:16Je reprendrai ce que vous avez dit tout à fait juste
33:18sur, au fond, la comparaison
33:20qui rend malheureux.
33:22Et de ce point de vue-là, la France aussi est assez
33:24particulière.
33:26Il y a un philosophe,
33:28Michael Sandel, un philosophe américain,
33:30qui a écrit un très bon livre,
33:32dont le titre est « La tyrannie de la méritocratie ».
33:34Et la France,
33:36la méritocratie, c'est formidable a priori,
33:38mais c'est devenue assez
33:40souvent en France une tyrannie.
33:42On le voit par exemple dans les enquêtes PISA
33:44où l'injonction
33:46d'être le premier ou d'être le meilleur
33:48fait que les écarts dans les classes dès le
33:50primaire, entre les bons élèves
33:52et les mauvais élèves, sont les plus
33:54grandes de tous les pays de l'OCDE.
33:56Donc il y a là-dedans à réfléchir,
33:58je crois, en France sur cette question
34:00de méritocratie.
34:02Et donc d'idée de pression qui peut aussi être difficile
34:04à supporter. Merci. Merci à tous les quatre
34:06pour cet échange presque philosophique.
34:08Merci à vous d'avoir été avec nous et merci de nous avoir
34:10suivis comme chaque semaine. Je prends quand même deux secondes
34:12pour vous rappeler l'opération « Une jonquille contre
34:14le cancer », lancée comme chaque année par
34:16l'Institut Curie, dont je suis l'une des marraines
34:18nationales, mais dont aussi public
34:20Sénat est partenaire. C'est la raison,
34:22vous l'avez remarqué, pour laquelle je porte cette petite
34:24jonquille. La campagne dure jusqu'au
34:2623 mars. Elle va permettre de récolter des dons
34:28pour aider la recherche médicale. Sachez
34:30que vos dons, même de quelques euros,
34:32sont absolument essentiels pour la
34:34recherche. Cela peut se faire par un simple
34:36SMS en envoyant espoir au
34:3892002 ou évidemment
34:40directement en ligne sur le site
34:42unejonquillecontrelecancer.fr
34:44Vous savez tout. Je vous retrouve la semaine prochaine sur Public Sénat.
34:46Merci.
34:56Sous-titrage Société Radio-Canada