Notre invitée du grand entretien ce dimanche est Danièle Sallenave, autrice, membre de l’Académie française, pour “La splendide promesse. Mon itinéraire républicain” (Gallimard). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-16-mars-2025-5062678
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00:00Dans le Grand Entretien avec Marion Lourd, ce matin, nous recevons une immortelle, elle
00:05est écrivaine, grande figure de la République des Lettres, autrice d'une trentaine d'ouvrages,
00:12des romans, des essais, c'est une enfant des années d'après-guerre, comme elle dit, élevée
00:18dans l'amour de la République, de ses symboles, de ses mythes, et elle raconte justement cet
00:23itinéraire, son itinéraire républicain, à travers une histoire, une époque tourmentée
00:29dans un livre magnifique qui vient de paraître chez Gallimard.
00:34Bonjour Daniel Salnave, de l'Académie française, bonheur de vous lire Daniel Salnave, et bonheur
00:41de vous recevoir, même si vous êtes là sans votre épée d'académicienne, vous pourrez
00:46dialoguer dans un instant avec nos auditeurs au 01-45-24-7000, ils peuvent également vous
00:52écrire sur l'appli Radio France.
00:55On va évidemment plonger dans ce livre qui est l'histoire d'une vie, mais vous êtes
01:00une immense lectrice et femme de lettres Daniel Salnave, le printemps des poètes vient tout
01:06juste de commencer, et la poésie, elle a une place considérable dans votre itinéraire
01:11de vie, votre vie, elle est jalonnée par la poésie, on croise dans cette épopée
01:17apollinaire, Nérouda, Aragon, Dubélé, que devez-vous à la poésie Daniel Salnave ?
01:25Vous avez dit que j'étais une enfant de l'après-guerre, je suis au fond une enfant
01:30de Victor Hugo aussi, parce que Victor Hugo était le héros absolu de l'école républicaine,
01:37de ma famille, de mes parents, instituteurs, et ma grand-mère me lisait, me récitait les
01:43poèmes de Victor Hugo qui plaisaient beaucoup dans le peuple, comme les pauvres gens, et
01:47qui m'émouvaient beaucoup quand j'étais enfant, et par la suite je n'ai cessé de
01:51le lire et de le relire, et c'est une chose que je supporte très mal, c'est quand on
01:55me dit « ah Victor Hugo c'est grandiloquent », ou quand on cite Gide, le plus grand poète
01:59français, et là c'est Victor Hugo, je dis quel bonheur c'est Victor Hugo.
02:03La poésie c'est peut-être aujourd'hui, à notre époque, la parole la plus fragile,
02:09on a chassé les poètes de la cité aujourd'hui, on les ignore et on les lit de moins en moins
02:13Daniel Salnave, et pour vous, la poésie au contraire, c'est ce qui résiste au sens
02:18strict, littéral, j'allais dire quasiment politique et poétique.
02:23Absolument, et je m'efforce, parce que ce n'est pas toujours facile, dans la mesure
02:27où la poésie est publiée dans des petites collections qui ne sont pas toujours faciles
02:31à trouver, et je fais partie à l'académie de ceux qui défendent la poésie, nous donnons
02:37appris de poésie, nous sommes quelques-uns très attachés à lire tout ce qui se publie
02:42en matière de poésie pour montrer que le fil n'est pas rompu, qu'il est toujours là.
02:46Le fil n'est pas rompu, vous citez en exergue de votre livre un vers d'un poète russe,
02:54Ossip Mendelstam, c'est un poète de 1924, je le lis, « Vais-je à la médisance infâme,
03:02le gel comme avant sans la pomme, livrer le serment profond jusqu'aux larmes, la
03:08splendide promesse faite aux tiers-états », ça c'est donc ce qui donne le titre
03:12de votre livre.
03:13C'est ce qui m'a donné le titre.
03:15Je voudrais, avant de parler de votre livre, Mendelstam, que vous citez en exergue, c'est
03:19un poète qui a été condamné à l'exil par Staline, il a fini par mourir persécuté,
03:26après avoir écrit un épigramme contre Staline, j'aimerais que vous nous disiez, Daniel
03:32Salnave, qu'est-ce qui peut faire peur chez un poète au tyran le plus terrible, au tyran
03:37des tyrans ?
03:39Peut-être parce qu'il a osé, tout simplement, parler.
03:42Il a parlé, il a publié, il a fait un portrait de Staline qui est absolument incroyable quand
03:49on le lit maintenant, lorsqu'il parle de ses doigts qui sont gras comme des vers et
03:53qui se referment sur les sentences.
03:56Et Mendelstam a été conduit vers les goulags, et on ne sait pas où il est mort, il a traversé
04:02toute la Sibérie à bord de ses trains, il est mort quelque part tout à fait au bout,
04:06au bout du temps sibérien.
04:08Lorsque nous étions, en effet, ce petit groupe d'écrivains qui était, il y a une dizaine
04:11d'années, sur le transsibérien, au bout, on s'est divisé en plusieurs groupes, quelques-uns
04:16ont trouvé l'endroit possible où il serait mort, moi je ne l'ai pas trouvé, mais j'étais
04:20à sa recherche.
04:21Et le peu de Russes que je sais, dans les longues séjours à bord du train avec mon
04:26dictionnaire, j'essayais de reprendre quelques-uns de ses plus beaux poèmes et de les comprendre
04:31dans leur langue.
04:33Ce vers est magnifique, et le « Splendide Promesse » éclate en français de façon
04:38incroyablement parlante.
04:40Alors, la « Splendide Promesse », justement, on le disait, c'est le titre de votre livre,
04:44sous-titré « Mon itinéraire républicain ». Quelle est cette promesse, Daniel Salnave,
04:50progrès, justice, instruction, c'est ça ?
04:52En fait, cette formule « Splendide Promesse » que j'utilise comme titre, je l'avais
04:57utilisée dans un livre précédent, où j'essayais de faire le portrait d'une femme du peuple,
05:01c'est-à-dire grand-mère, que je n'ai pas connue, qui est morte avant ma naissance.
05:05Et cette fois, c'est vous ?
05:06Et en quelque sorte, dont je porte l'héritage, et dont je suis très fière.
05:09Je ne la connais que parce qu'on m'en a dit dans ma famille.
05:11Elle avait gardé toute sa vie, sur sa cheminée, la gravure encadrée, des obsèques nationales
05:17de Victor Hugo.
05:18Pour une simple femme qui travaille dans un lavoir, ça en dit beaucoup, surtout dans
05:22cette région blanjou, qui n'était pas particulièrement hugolienne, qui était tout de même plutôt
05:26conservatrice et cléricale.
05:28Elle a gardé ça toute sa vie.
05:30Et je me suis dit, parce qu'elle était animée par cette splendide promesse.
05:33Ce n'est pas liberté, égalité, fraternité, c'est justice, progrès, instruction.
05:39Mais c'est les miens.
05:40C'est les trois mots.
05:41La promesse faite aux tiers-états, et d'ailleurs, vous parlez de Flaubert, et en hommage à
05:46votre grand-mère, impossible de ne pas y citer, vous citez Madame Bovary, quand une
05:49médaille est remise à une vieille servante.
05:51Et devant ces bourgeois s'épanouis, se tenait un demi-siècle de servitude.
05:57Une phrase comme ça me donne des frissons.
05:59On peut penser de Flaubert des choses contradictoires.
06:03Il a dit des bêtises sur les misérables.
06:04Ce n'est pas grave.
06:05Il a dit que c'était de la canaille philosophico-religieuse.
06:08Ce n'est pas grave.
06:09Tout le monde dit des bêtises, mais qu'il ait écrit ça, c'est magnifique.
06:12Il y a un poète qui a une place toute particulière dans votre cœur et dans votre vie, c'est
06:17Louis Aragon.
06:18Vous dites même, vous écrivez même, Daniel Salnave, qu'il vous a adoubé.
06:23Le mot est puissant, le mot est fort, et on voulait justement que vous nous fassiez la
06:29joie, le bonheur d'entendre un peu de poésie d'Aragon.
06:32Vous avez un texte extrait de L'Amour qui n'est pas un mot et qu'on trouve dans Romand
06:38inachevé.
06:39Et comme il a été mis en musique, j'aurais du mal à ne pas le chanter.
06:43Je dois le dire et non pas le chanter.
06:45« Mon Dieu, jusqu'au dernier moment, avec ce cœur débit, l'éblème, quand on est
06:52l'ombre de soi-même, comment se pourrait-il, comment ? Comment se pourrait-il qu'on aime
06:58ou comment nommer ce tourment ? Suffit-il donc que tu paraisses de l'air que te fait
07:04rattachant tes cheveux, ce geste touchant, que je renaisse et reconnaisse un monde habité
07:11par le chant, Elsa, mon amour, ma jeunesse, ô, forte et douce comme un vin, pareil au
07:19soleil des fenêtres, tu me rends la caresse d'être, tu me rends la soif et la faim
07:25de vivre encore et de connaître notre histoire jusqu'à la fin. »
07:29Ça n'est pas la fin du poème, je laissais volontairement le silence Daniel Salnav, pourquoi
07:37lui ?
07:38Et c'est l'entrée dans l'une des énigmes les plus importantes de l'histoire littéraire,
07:42c'est-à-dire Aragon-Elsa, mais ça ouvre.
07:45Pourquoi lui ?
07:46Parce qu'il était fou d'Elsa, il faut signaler d'ailleurs que le volcan c'est l'un des
07:50thèmes du printemps des poètes cette année et qu'il a écrit justement la plus belle
07:57des poésies à propos d'un volcan.
07:59Tout à fait, mais ce qui me frappe beaucoup c'est que chaque fois que, soit qu'on a déjà
08:04lu le livre, soit que j'en ai parlé, beaucoup de mes amis sont un peu irrités, me disent
08:09« qu'est-ce que tu viens de faire avec Aragon ? »
08:12Ce vieux stalinien !
08:14Et on récline évidemment des choses que je sais, que je n'ignore pas, que je ne cherche
08:18nullement à cacher.
08:19Le vieux stalinien, feu sur les ours savants de la social-démocratie, etc.
08:23Et puis cet amour pour Elsa, quel trucage, etc.
08:27Il se trouve que j'ai eu le hasard de le rencontrer.
08:31Vous l'avez connu, vous l'avez côtoyé.
08:33Jean Rista, qui fut son légataire universel, Jean Rista me dit « c'est ton premier livre,
08:40nous allons aller le montrer à Louis ». Parce qu'il ne disait pas Aragon, mais Louis.
08:42« Ah bon ? » Donc je suis arrivé chez lui et il m'a dit « maintenant ma petite, vous
08:47êtes un écrivain ». Je ne l'ai pas cru du tout, parce qu'un premier livre ne suffit
08:50pas.
08:51Mais il y avait quelque chose de très généreux et il m'a associé en quelque sorte à cette
08:55bande de gens, garçons beaucoup, quelques filles dont moi, peu de filles, mais qui l'escortaient
09:02et l'accompagnaient et je l'ai connu dans les dernières années de sa vie de façon
09:05très régulière.
09:06Mais peut-être que si vous entendez, il dirait, comme vous le citez dans le livre, il a dit
09:09à propos d'Elsa Triolet « ce n'est pas une femme, c'est un écrivain ».
09:12C'est ce qu'il avait dit, qui est magnifique.
09:14C'est magnifique, peut-être qu'il dirait la même chose de vous.
09:16Triolet n'est pas le nom d'une femme, c'est un écrivain français, c'est formidable.
09:19Vous lui consacrez plusieurs pages dans votre livre « La Splendide Promesse » et puis
09:25vous parlez beaucoup de l'école, puisque vous avez été professeur et que l'instruction
09:29fait partie de cette Splendide Promesse.
09:31Vous avez des mots très durs envers l'école d'aujourd'hui qui fait pourtant partie
09:35de cette promesse.
09:36Vous dites qu'on a « renoncé, au nom de l'égalité, à soumettre les élèves
09:40à des exigences sérieuses dans l'acquisition des connaissances.
09:43Conséquence, c'est le tri social, l'héritage social qui l'emporte.
09:47L'école ne se donne plus les moyens d'accomplir sa mission ». C'est un constat très sévère,
09:51Daniel Sarnov.
09:52Je voudrais bien me faire comprendre.
09:53Si je suis dur, c'est un amour blessé, c'est un amour déçu.
09:58Je ne vais être dur envers personne, surtout pas envers ceux que je considère pour l'éternité
10:02comme mes collègues, ceux qui sont professeurs, professeurs des écoles, moi je dis plutôt
10:06instituteur parce que je suis habitué, mes parents étaient instituteurs.
10:09Et pour qui vous avez des très belles paroles ?
10:10Professeurs des écoles, professeurs de collèges dont j'en rencontre souvent, professeurs
10:16à tous les niveaux.
10:17Ce n'est pas eux.
10:18Ce que je crois, c'est que peut-être nous sommes dans une situation très difficile
10:25et où l'école a beaucoup de mal à tenir le cap et parfois je crains, parfois en lisant
10:30certaines choses ou en constatant certains résultats, qu'elles se soient tellement
10:36accablées par l'idée qu'on n'y peut rien, que les inégalités font
10:40tout, que tout est dicté d'avance, que si on pense que l'école ne peut plus rien,
10:45alors il faut tirer l'échelle et fermer le rideau.
10:49C'est assez génial, Daniel Sarkozy.
10:51Elle peut quelque chose.
10:52Elle peut quelque chose, parce que vous êtes progressiste, vous croyez en l'école même
10:56s'il y a une crise de l'école et vous n'êtes pas, comme d'autres de vos collègues
11:01de l'académie qu'on ne citera pas mais que vous connaissez très bien, réac et regrettant
11:06le monde d'avant.
11:07Je ne suis ni décliniste, ni catastrophiste, je suis quelqu'un pour qui la notion de gauche
11:15est liée à l'idée de progrès, même si c'est très compliqué le progrès aujourd'hui,
11:19je sais bien.
11:20Daniel Salnave, la jeune Daniel Salnave, vous êtes encore une jeune fille, mais vous avez
11:25abordé votre rentrée à Beauvais, c'était en 1967, vous aviez donc des classes avec
11:32de robustes garçons au lycée Félix Faure, comme vous le décrivez très bien, jusqu'au
11:38jour où l'un de ces grands gaillards vous apporte des violettes cueillies sur le chemin
11:43comme faisaient les petits élèves de ma mère sans craindre les ricanements des autres.
11:47C'est génial la manière dont vous racontez votre rapport aux élèves et justement, il
11:52y a en ligne avec nous une auditrice d'Inter, bonjour Françoise.
11:56Bonjour.
11:57Et bienvenue, merci infiniment d'être avec nous ce matin avec Daniel Salnave, vous étiez
12:03une élève au lycée de Beauvais.
12:05Justement, dans les années 67, j'étais élève de Daniel Salnave au lycée de Beauvais,
12:11j'ai eu la chance de la voir en français, latin et grec.
12:15Je suis contente.
12:16Je ne me souviens pas de l'anecdote des violettes et je n'étais pas un robuste
12:20gaillard.
12:21J'ai beaucoup apprécié son enthousiasme et la façon qu'elle avait de nous communiquer
12:29son amour pour les auteurs et la littérature.
12:32Ah, ça me fait plaisir.
12:35Je suis contente.
12:36Malheureusement, elle a déjà en partie répondu à la question que je voulais poser, à savoir
12:43ce qu'elle retenait de ces années d'enseignement et surtout ce qu'elle dirait à des jeunes
12:49qui hésitent à justement s'engager dans cette carrière si belle et si importante
12:55pour la République.
12:56Merci infiniment Françoise d'avoir été avec nous, Daniel Salnave.
13:00Qu'est-ce que vous répondez, qu'est-ce que vous dites à des jeunes qui aimeraient
13:04avoir la vocation ou qui ont la vocation ?
13:07Je leur dirais que quelque chose s'ouvre à ce moment-là qu'ils n'imaginent pas.
13:12C'est quelque chose qui peut paraître difficile, ingrat, impossible, en fait, c'est le contraire.
13:19Oui, il y aura des moments ingrats, mais il y a des moments qui sont véritablement
13:23miraculeux.
13:24Des moments où, en effet, quelqu'un vient vous dire ce qu'il a senti, ce qu'il a compris,
13:29ce qu'il a lu, vient vous citer quelque chose qu'il a lu.
13:32Moi, dans un collège où j'étais il y a une dizaine d'années, un gamin, comme on dit,
13:36vraiment pas très fort, qui me dit « Madame, je veux réciter quelque chose », je lui
13:40dis « Vas-y », et qui me récite « Le dormeur du lac », du Val, pardon, du Val de Berimbaud.
13:45Je lui dis « Oui, Madame, ça m'a plu », il me le récite, voilà, c'est magnifique
13:49ça.
13:50Et finalement, un professeur lui avait fait lire, donc je me tourne vers le professeur
13:54en même temps, je lui dis merci, et je lui dis merci aussi au gamin, comme on dit, entre
13:58guillemets.
13:59Il y a beaucoup de choses dans ce livre, Daniel Salnave, il y a cette promesse républicaine
14:04et puis il y a aussi les brûlures de l'histoire.
14:07Vous avez été, et c'est le moins qu'on puisse dire, engagé à gauche, mais contre
14:13le communisme.
14:14Vous avez connu les guerres d'indépendance, l'impérialisme colonial dont vous écrivez
14:19qu'il est constitutif de la République et de votre engagement.
14:23Et vous dites qu'il y a un projet, la force d'un projet unificateur, c'est ça qui fait
14:29un pays.
14:30Comment percevez-vous aujourd'hui les débats qui ont lieu en France autour de la période,
14:37pas simplement de la colonisation et de la guerre d'Algérie, mais de la conquête de
14:40l'Algérie et des massacres commis à l'époque ?
14:43Ça m'a beaucoup frappé.
14:44Des avenues débaptisées, celle de Bugeaud par exemple, le barbare qui a enfumé des
14:49milliers d'habitants de villages ou algériens et d'autres questions qui en découlent.
14:55Ma façon d'être républicaine, c'est pas du tout.
14:58Ma façon d'être républicaine, ça n'est pas, j'ai un credo et je vais l'appeler
15:01un credo, ça me conviendrait mal, qu'on va appliquer, pas du tout.
15:06Être républicaine, c'est retrouver, chercher les principes, les sens et aussi ne pas fuir
15:12lorsqu'on se trouve devant des contradictions, des ambivalences, des ambiguïtés et voire
15:17des choses qu'on rejette radicalement.
15:19Mais un vrai républicain doit pouvoir rejeter ce qui entache aussi une certaine idée de
15:24la République.
15:25Moi j'ai été sidéré qu'il puisse y avoir un débat aussi violent autour d'un journaliste
15:31qui avait osé dire qu'on s'était comporté…
15:33Ou Alain de Saint-Saëns, ou Jean-Michel Apathie, j'allais plus vite que la musique.
15:37On s'était permis de dire qu'on s'était comporté de façon atroce pendant la conquête
15:44de l'Algérie.
15:45Conquête et pacification, ça dure de 1830 à…
15:49Cette histoire, moi je l'ai découverte assez tard, en effet, j'ai lu beaucoup,
15:53pas l'année dernière mais tout de même, sur la guerre d'Algérie.
15:56Et on découvre que Bugeaud, Pellissier, Saint-Arnaud, tout ces généraux dont Saint-Arnaud,
16:05dont Victor Hugo disait, cet homme, ce général, a les états de service d'un chacal, j'aime
16:11beaucoup l'expression.
16:12On enfermait les villageois dans une grotte, on bouche avec des fagots, on met le feu aux
16:16fagots.
16:17Ils sont enfumés et meurent asphyxiés.
16:18Si c'est pas un oradour, ça comment l'appeler ?
16:21Donc ce que j'ai craint à ce moment-là, et c'est pas pour prendre un air supérieur,
16:25pas du tout.
16:26Peut-être que la comparaison est lourde, mais en même temps peut-être qu'il y avait
16:32une ignorance chez ceux, après tout ça existe l'ignorance, il ne faut jamais minimiser.
16:37Et je pense que malgré les travaux d'entre autres de Benjamin Stora et d'autres, ce
16:42sont des faits qui sont connus, mais certains les ignorent.
16:45Donc à ce moment-là, ils ne comprennent plus et malheureusement c'est ça.
16:47Il y a la question justement aussi à propos de l'Algérie de Boalem Sansal, cet écrivain
16:51franco-algérien qui est emprisonné depuis novembre dernier en Algérie pour atteinte,
16:57je cite le grief à ce qui lui est reproché, à la sûreté de l'état.
17:00Votre collègue académicien, Jean-Christophe Ruffin, avait prononcé un discours en faveur
17:04de l'accueil de cet écrivain sous la coupole.
17:06Est-ce que vous regrettez qu'il n'ait pas été élu ?
17:09Non, c'est vraiment une question très compliquée, je ne vais pas rentrer dans le détail.
17:12Du point de vue des statuts, des règlements, en 350 ans, aucune occasion, et pourtant il
17:20y en a eu de très violentes, beaucoup, et qui ont occasionné des ruptures intérieures.
17:24Aucune occasion n'a poussé jusque-là, c'est probablement pour ça qu'elle n'a pas été
17:28acceptée.
17:29Ça ne nous a pas empêché que nous avons dédié notre séance de rentrée, un mois
17:33plus tard, à Boilems.
17:34C'est ça que vous pouvez faire pour lui, vous, l'Académie française ?
17:38Entre autres ce genre de choses, et peut-être que finalement, une action aussi spectaculaire,
17:43on ne sait jamais.
17:44Je sais bien qu'on vous dit tout le temps, on n'ose pas bouger parce qu'on a peur de
17:47nuire.
17:48Mais c'est vrai qu'il faut être extrêmement habile aussi, il faut l'être.
17:50Et il faut agir, vous êtes de celle qui secoue l'Académie française et qui lui donne une
17:56nouvelle vie.
17:57Il y a de nombreux auditeurs qui vous remercient, Gisèle, merci, merci de nous parler de poésie
18:02au réveil.
18:03Belle journée.
18:04D'autres, comme Patrice, demandent pourquoi vous n'êtes pas ministre de l'Éducation
18:08nationale.
18:09Mais il aurait fallu que le gouvernement soit de gauche.
18:12Et puis, il y a l'académicienne des villages, aux villes, des villes, aux académies, c'est
18:18une phrase que vous empruntez à Rousseau et qui raconte aussi votre vie, vous défendez
18:23cette institution qui est souvent considérée comme archaïque et conservatrice.
18:27Mais vous êtes en mission, en mission, pour défendre la langue française dans le débat
18:34sur l'identité nationale.
18:35Votre pays à vous, Daniel Salnave, c'est la langue.
18:39C'est la langue et c'est un grand fleuve, c'est la Loire, mais c'est presque la même
18:42chose.
18:43Mais je pense en effet, je comprends très bien, j'ai pensé ça aussi et je ne jette
18:47nullement la pierre à ceux qui considèrent que l'Académie, c'est une vieille dame qui
18:52dort au bord du quai Conti.
18:54Elle dort tant qu'on ne la réveille pas, il faut la réveiller.
18:57Et sur l'identité ?
18:58Et pour l'instant, nous sommes nombreux à vouloir qu'elle veille et qu'elle s'éveille.
19:02Quant à la question de l'identité, elle a toujours été, à mon avis, pervertie parce
19:09qu'on voulait y retrouver quelque chose qui serait une espèce de spiritualité, de religiosité.
19:15Je ne parle pas de ça, je parle de sa langue et la langue telle qu'elle est, dans son
19:19histoire, mais dans ses variantes, dans ses variations, dans ses apports quotidiens.
19:24Après tout, revenons à Victor Hugo, un chapitre des Misérables est consacré à l'argot.
19:29Mais ça, c'est merveilleux, et lui-même dit que j'ai mis un bonnet rouge au vieux
19:33dictionnaire, dit-il.
19:34J'ai voulu que la langue fasse entrer pas de mots sénateurs, pas de mots roturiers.
19:40Il a trempé sa plume dans l'encrier pour en sortir des mots d'aujourd'hui.
19:44Donc, nous sommes inspirés par des grands maîtres comme lui et moi, je ne crains nullement
19:48qu'on nous dise « tu appartiens à une institution vieillie ». Le fait qu'elle
19:53soit ancienne n'en fait pas quelque chose de vieilli, c'est tout à fait différent,
19:58c'est une mémoire aussi.
19:59J'ai une patrie, c'est la langue française, phrase d'Albert Camus, et je vous cite pour
20:04conclure « la littérature est le don que nous font les morts pour nous aider à vivre ».
20:08La littérature, c'est un don ? C'est ça la morale de l'histoire d'Agnès
20:12de Mernard ?
20:13Je le pense vraiment, je le pense vraiment.
20:14C'est le don pour nous aider à vivre, c'est vrai, je le pense vraiment.
20:17Merci infiniment d'avoir été l'invité du Grand Entretien de France Inter, la splendide
20:22promesse, c'est splendide ! Je recommande chaleureusement, mon itinéraire républicain
20:27s'est publié dans la blanche, comme on dit chez Gallimard.
20:31Très belle journée !
20:32Merci !