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  • 02/04/2025
Ils ont arpenté les salons littéraires, côtoyé les plus grands écrivains de leur temps et tenu un journal sans concession, livrant un regard acerbe sur leur époque. Observateurs passionnés du XIXème siècle, les frères Goncourt ont tout consigné : les mœurs, les intrigues, les ambitions… Mais leur plume acérée, teintée d’élitisme et de mépris, leur a aussi valu une réputation sulfureuse. Misogynes, réactionnaires, parfois visionnaires, ils seraient aujourd’hui promis à une mort sociale… Mais qui étaient vraiment ces écrivains infréquentables ? Réponse avec Pierre Ménard, auteur de "Les infréquentables frères Goncourt" (Tallandier).

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00Le samedi 5 avril prochain, comme chaque année, l'Institut Iliade organise le plus grand
00:05rendez-vous métapolitique des Européens debout.
00:07Le colloque de l'Iliade, c'est près de 1500 participants réunis à la Maison de
00:11la Chimie à Paris, où une journée d'intelligence et d'engagement.
00:14Des personnalités, des artistes, des intellectuels, des jeunes au service de leur communauté
00:19se retrouveront pour penser la France et l'Europe de demain.
00:22Autour de la buvette, lors des dédicaces ou sur les très nombreux stands, retrouvées
00:26des personnalités politiques, intellectuelles, militantes, Alice Cordier, Jean-Yves Le Galou,
00:30Michel Maffesoli, Victor Robert, ne manquez pas cette occasion de retrouver les vôtres.
00:35Rendez-vous le 5 avril à Paris.
00:38Les billets sont en vente sur institut-iliade.com
00:56Bonjour à tous.
01:08Ils ont arpenté les salons littéraires, côtoyé les plus grands écrivains de leur
01:13temps et tenu un journal sans concession, livrant un regard acerbe sur leur époque.
01:18Observateurs passionnés du XIXe siècle, les frères Goncourt ont tout consigné, les
01:23mœurs, les intrigues, les ambitions.
01:25Mais leur plume acérée, teintée d'élitisme et de mépris, leur a valu une réputation
01:29sulfureuse, misogyne, réactionnaire, parfois visionnaire, ils seraient aujourd'hui promis
01:34à une mort sociale.
01:35Mais qui étaient vraiment ces écrivains infréquentables ? Aujourd'hui, nous plongeons
01:40dans leur univers avec Pierre Ménard qui leur a consacré un ouvrage paru chez Talendier.
01:45Pierre Ménard, bonjour.
01:46Bonjour.
01:47Merci d'être parmi nous.
01:48Alors, vous êtes écrivain, jeune écrivain, vous avez 33 ans et vous avez commencé encore
01:53plus jeune donc par écrire 3 essais au titre provocateur, c'est-à-dire aux éditions
01:58du Cherche-Midi.
01:59Pour vivre heureux, vivons couchés, en 2013, 20 bonnes raisons d'arrêter de lire, il
02:04faudra nous les donner et comment paraître intelligent, celui-là je l'ai lu avant
02:07de faire l'émission.
02:08Et votre quatrième ouvrage, Le français qui possédait l'Amérique, la vie extraordinaire
02:14d'Antoine Crozat, milliardaire sous Louis XIV qui date de 2017, lui fera l'objet d'une
02:20prochaine émission.
02:21Puis vous avez écrit la biographie de Jean-Baptiste Tavernier, je ne sais plus chez quel éditeur,
02:28je ne l'ai pas nommé.
02:29Toujours chez Talendier.
02:30Toujours chez Talendier.
02:31Alors Jean-Baptiste Tavernier, c'est un explorateur du XVIIe siècle et c'est lui qui a trouvé
02:34le fameux diamant bleu.
02:36Je vous reçois aujourd'hui pour, je le disais en introduction, votre biographie des frères
02:43Goncourt qui s'appelle donc Les infréquentables frères Goncourt, lui paru en 2020 chez Talendier
02:50et ensuite réédité dans leur collection de textos, leur collection de poches.
02:55Alors avant de rentrer dans le vif du sujet, une première question, qu'est-ce qui vous
03:00a motivé à écrire sur les frères Goncourt ? C'est vrai que les biographies sont assez
03:03rares.
03:04– Ce qui m'a motivé pour écrire sur les frères Goncourt, c'est déjà que je les
03:08connaissais mal.
03:09On connaît tous le Prix Goncourt.
03:11Eux, je connaissais, je savais qu'ils avaient écrit un journal que j'avais lu en partie
03:15mais vraiment feuilleté comme ça et ce qui m'amusait, c'était vraiment la dichotomie
03:18entre ce nom qui est très célèbre, c'est vraiment le nom littéraire le plus célèbre
03:22avec le Prix Goncourt et puis à côté des écrivains complètement oubliés.
03:25Et je suis allé de surprise en surprise et de découverte en découverte avec eux.
03:30Alors ils sont assez horripilants souvent mais le journal est vraiment un monument littéraire
03:36à découvrir absolument et j'ai découvert surtout ce qui est très peu connu d'eux,
03:40c'est leur côté extrêmement précurseur, moderne dans la littérature avec notamment
03:47le fait qu'ils ont été les précurseurs du mouvement naturaliste, ils ont lancé le
03:50mouvement naturaliste et ils ont eu une immense influence littéraire sur tous les 50 ans
03:56qui ont suivi leur mort mais Huysmans, Zola, Dodé, enfin tout le monde les connaissait
04:01et tout le monde avait à la fois de l'admiration pour eux et puis ils restent quand même des
04:06personnes assez insupportables donc aussi beaucoup d'énervement à leur égard.
04:10Alors pourquoi vous les qualifiez, je ne sais pas si le titre est de vous l'éditeur,
04:12mais pourquoi les qualifiez-vous d'infréquentables ?
04:14Alors on n'a pas très envie de les rencontrer, ça doit être amusant de dîner une fois
04:19avec eux mais ce sont des personnes qui sont absolument extrêmement méchantes et un écrivain
04:24qui les connaissait disait qu'Edmond Goncourt avait l'air de mastiquer des bonbons empoisonnés
04:29pour les cracher à la première occasion et effectivement ce sont des gens qui vraiment
04:32s'intéressent à la vie et surtout aux vices de tout le monde et donc dans leur journal
04:37ils racontent toutes les pires horreurs possibles et puis eux-mêmes ne se font pas de cadeaux
04:42donc ils sont réactionnaires mais où ça confine à l'absurde, ils sont contre les
04:46pyjamas, le téléphone, enfin toutes ces choses-là, le téléphone qui est l'instrument du diable,
04:50les pyjamas qui sont des chemises de prostitution, ils sont extrêmement misogynes mais alors
04:55avec des saillies extrêmement drôles, extrêmement cruelles, ils parlent des femmes comme de
05:02la plus belle et la plus admirable, des poules pondeuses et des machines à la fécondation
05:06et qu'on parle des femmes aussi à des animaux domestiques en disant que parler à une femme
05:10c'est comme parler à un chat ou à un chien, on leur explique des choses mais on sait bien
05:13qu'elles ne comprennent rien, ils sont extrêmement antisémites mais bien avant les années 1880-1890
05:21donc dès le début de leur journal on a droit à des saillies antisémites extrêmement
05:25virulentes sans qu'on comprenne très bien pourquoi d'ailleurs, donc à leur époque
05:32déjà ils étaient relativement sulfureux mais alors aujourd'hui effectivement ils seraient
05:36cancellisés directement.
05:37– Et donc en public, dans les dîners en ville, ils n'étaient même pas drôles, c'était…
05:42– Alors ils avaient la réputation d'être très ennuyeux, alors plutôt Edmond d'ailleurs
05:49qui a vécu beaucoup plus longtemps que Jules, mais Jules, on a des citations de Troubas
05:53du secrétaire de Sainte-Beuve qui dit qu'il était en permanence en train d'affûter
05:57un petit couteau qu'il allait vous planter dans le dos, ce qui est assez vrai parce que
06:01tout le monde ignorait le journal à l'époque mais c'était exactement ça.
06:04Donc Edmond avait la réputation d'être plutôt ennuyeux à vrai dire, ils sont très
06:09drôles, très incisifs par écrit, par oral ils étaient sans doute beaucoup moins.
06:12– Mais ce ne sont pas des gens de leur siècle finalement, ils auraient dû vivre…
06:16– Non, ce sont des grands nostalgiques, exactement, ce sont des grands nostalgiques
06:19d'une époque qu'ils n'ont pas connue, du 18ème siècle et leur personnalité fait
06:24qu'ils se sentent toujours chez eux ailleurs, c'est-à-dire que…
06:27– Donc ils auraient vécu au 18ème siècle et ils n'auraient pas été bien non plus,
06:30ils auraient vécu au 16ème, c'est ça.
06:32Et donc leur place dans l'histoire littéraire du 19ème siècle est vraiment importante ?
06:38– Alors ils ont une place vraiment importante en tant que…
06:41Alors diarisme et ça, à la rigueur on ne l'a découvert qu'à la fin,
06:44ça a été publié du vivant d'Edmond dans la deuxième partie de sa vie,
06:48dans la seconde partie de sa vie, en revanche effectivement en tant que précurseur
06:51du naturalisme ils ont une place très importante.
06:54Ils ont été amis avec tout le monde, ils ont été reconnus comme grands par Flaubert
06:58et surtout par Zola, on peut peut-être parler de Germini-Lacerteux,
07:01mais les Goncourt cherchent en fait, d'un côté ils ont ce style extrêmement recherché,
07:07très précieux, qui les rend d'ailleurs assez illisibles parfois,
07:11et de l'autre côté ils ont vraiment une recherche de la modernité.
07:14Et cette recherche de la modernité elle se traduit par leur roman
07:17où ils décident de disséquer la société mais sans aucun parti pris,
07:20en montrant le réel tel qu'il est,
07:23en allant vers les choses les plus sordides parfois.
07:26Et donc par exemple ils vont décrire, ce sont les premiers qui décrivent vraiment l'hôpital,
07:30avec tout ce que ça implique, donc de manière extrêmement crue,
07:33ils vont décrire les plaies, la nièce de Lamartine,
07:37alors ce qui leur vaut beaucoup des tombeaux d'insultes,
07:39la nièce de Lamartine dit qu'en général quand on est dans un hôpital
07:42et qu'on voit une plaie on colle un pansement dessus,
07:44mais qu'eux vont au contraire arracher le pansement,
07:46passer le scalpel, étaler le pus et puis après le contempler pendant des heures,
07:50ce qui n'est pas faux objectivement.
07:53– Et donc vous écrivez, des baffons de Paris au dîner Mani
07:56en compagnie de Renan et Ten, du coup d'État de 1851 à la Commune,
08:00Edmond et Jules se posent en observateurs avertis du spectacle du Monde,
08:03alors quel est le spectacle qui est sous leurs yeux
08:05à cette deuxième partie du XIXe ?
08:08– Ce qui est très intéressant avec les Goncourt,
08:09c'est vraiment ce côté éclectique, c'est d'un côté ils sont historiens,
08:12donc vraiment ils se posent en contemporain du XVIIIe siècle
08:15et en même temps en tant qu'historien de leur époque,
08:18en fait ils sont tombés sur un livre qui était apocryphe
08:21mais celle-ci ne le savait pas, les mémoires de Bachelon,
08:23et en lisant, en faisant leur recherche sur le XVIIIe siècle,
08:26ils tombent sur ces mémoires de Bachelon qui racontent,
08:30encore une fois c'est apocryphe, mais qui racontent sa vie au jour le jour
08:33et qui donne vraiment une saveur,
08:35vraiment la quintessence de ce qu'est le XVIIIe siècle.
08:38Et eux se disent qu'il faudra absolument documenter aussi leur époque,
08:40une époque qui est en pleine transformation,
08:42une époque à laquelle ils se sentent étrangers aussi
08:45parce qu'ils se vivent comme des artistes
08:46et donc ce monde qui évolue perpétuellement politiquement,
08:49on passe de l'Empire à la République, on repasse par la monarchie etc.
08:53Donc ce monde en perpétuelle mutation, ils cherchent à le retranscrire.
08:56Et donc ils ont cette fameuse phrase
08:58où ils disent qu'ils veulent montrer l'humanité comme elle se livre,
09:01en robe de chambre, et donc ça, ça va être d'un côté leur journal,
09:04où ils ont une vie mondaine,
09:06et plutôt littéraire d'ailleurs que mondaine,
09:08mais où encore une fois ils connaissent absolument tout le monde,
09:10on découvre avec eux tous les secrets de la création de Flaubert,
09:14on voit un Flaubert qui est complètement torturé,
09:16qui passe des journées entières à chercher juste un mot,
09:18à l'effet que va traduire ce mot,
09:21à essayer de traduire une couleur par exemple, etc.
09:23Donc vraiment, on entre absolument dans le secret des grands écrivains,
09:27la vie politique aussi, puisqu'ils fréquentent aussi pas mal de monde,
09:31ils sont très proches de la princesse Mathilde,
09:33qui est la cousine de Napoléon III,
09:35donc on a tout ce monde-là, plutôt brillant d'ailleurs,
09:38et on a de l'autre côté les baffons de Paris.
09:40Les baffons de Paris donc, avec une histoire qui est amusante
09:44et qui les pose vraiment au précurseur du naturalisme,
09:46qui est l'histoire de l'urbane.
09:48Les Goncourts vivent en vieux garçon, ils vivent tous les deux ensemble,
09:52ils partagent les mêmes maîtresses d'ailleurs,
09:54et depuis qu'ils sont enfants, ils ont une bonne qui s'occupe d'eux,
09:59qui les borde toujours quand, aide-moi à 40 ans,
10:02qui vient leur faire un petit baiser le soir sur le front,
10:05et puis un jour cette bonne meurt,
10:08alors cataclysme absolu,
10:10et ils se rendent compte qu'en fait cette bonne,
10:12qui encore une fois vivait sous leur toit,
10:15elle a fait des dettes absolument partout,
10:17elle était alcoolique, elle a eu plusieurs enfants,
10:19qu'elle a abandonnés,
10:21mais ils la voyaient tous les jours,
10:23et ils se disent mais c'est absolument incroyable cette histoire,
10:25où cette personne qui vivait sous notre toit,
10:27on est complètement passé à côté de sa vie.
10:29Et donc ils décident de lui consacrer un livre,
10:31encore une fois sans parti pris,
10:33ils vont décrire dans les détails les plus sordides,
10:35la vie de cette bonne,
10:37mais sans chercher à la juger.
10:39Ce qui donne un livre qui est vraiment,
10:41qui est très bien documenté,
10:43où ils montrent justement cette autre façade de la société,
10:45et ça leur vaut encore une fois des tombereaux d'insultes,
10:49la princesse Mathilde dit que le livre la fait vomir,
10:53il ne va pas avec le dos de la cuillère,
10:55les journalistes traitent l'héroïne de Messaline plébéienne,
10:59enfin ils se prennent vraiment des tombereaux d'injures,
11:01mais il y a un petit étudiant qui leur écrit,
11:03et qui leur dit,
11:05mais au fond vous avez absolument compris
11:07ce qu'est la littérature,
11:09c'est ça que doit être la littérature,
11:11et cet étudiant il s'appelle Émile Zola,
11:13et donc ils vont rencontrer Émile Zola,
11:15ils vont rencontrer les Goncourts,
11:17et il s'inscrit vraiment comme leur disciple,
11:19dans un premier temps,
11:21et puis après il réfléchit lui-même au Rougonmacar,
11:23il se pose d'ailleurs dans ses notes secrètes,
11:25préparatoire au Rougonmacar,
11:27comme le disciple des Goncourts,
11:29en disant qu'il va faire comme eux,
11:31mais mieux qu'eux,
11:33et il dit notamment qu'il va les écraser par la masse,
11:35et qu'à la fin,
11:37et c'est amusant d'ailleurs de mettre ça par écrit,
11:39dans ses notes secrètes,
11:41qu'on ne pourra pas l'accuser d'avoir copié les Goncourts.
11:43– Alors, de quel milieu viennent-ils ?
11:47Est-ce que ce milieu a influencé leur vision du monde ?
11:51Je crois qu'ils viennent d'une famille bourgeoise,
11:53vous écrivez, ils sont fascinés par l'aristocratie,
11:55mais ils ont un regard méprisant sur la montée de la démocratie.
12:01Ils viennent de quel milieu ?
12:03– Les Goncourts en fait,
12:05alors c'est drôle de parler de leur enfance,
12:07puisqu'ils avaient des citations pas très tendres sur les enfants,
12:09ils disaient, les enfants sont comme la crème,
12:11les plus fouettés sont les meilleurs.
12:13Des choses encore plus trash en disant,
12:15l'homme pisse, l'enfant et la femme le chie.
12:17– C'est sympa.
12:19– Mais sur leur milieu d'origine,
12:21les Goncourts se posent en tant que grand seigneur,
12:25grand seigneur lorrain,
12:27ou illustration de la famine du XVIIIe siècle,
12:31qui a été complètement déclassée.
12:33En réalité, si on fouille,
12:35au XVIIe siècle, les Goncourts,
12:37qui étaient les plus hauts à l'époque,
12:39sont défermés, qui s'enrichissent.
12:41Le grand-père d'Edmond fait fortune
12:43un peu avant la Révolution,
12:45s'achète la terre de Goncourt,
12:47vraiment juste avant la Révolution,
12:49je crois que c'est en 1786,
12:51d'où leur viendra le nom de Goncourt,
12:53fait des affaires pendant la Révolution,
12:55il est acheteur de biens nationaux,
12:57ce qu'ils ne me diront évidemment jamais.
12:59Et le père d'Edmond de Goncourt,
13:01qui m'a rassé jeune,
13:03lui est un héros des guerres de Napoléon
13:05et qui gardera des grandes cicatrices notamment.
13:07C'est un milieu qui n'est pas tout à fait
13:09dans la petite noblesse,
13:11qui est plutôt de la bourgeoisie
13:13qui commençait à s'agréger à la noblesse,
13:15avec quand même des relations
13:17d'un côté des parvenus
13:19du début du XIXe siècle,
13:21et donc ils racontent
13:23toute l'histoire de l'Ascension,
13:25de leurs cousins Labille,
13:27qui sont du Navariste ordide,
13:29qui récupèrent le papier des fleurs
13:31quand on leur en offre pour le réutiliser
13:33et qui font attention au moindre centimètre, etc.
13:35Et de l'autre côté quand même,
13:37des grands financiers d'ancien régime aussi,
13:39avec la famille de Courmont,
13:41qui avait un bel hôtel, Place Vendôme, etc.
13:43Et donc ils sont tiraillés entre ces environnements-là.
13:45Eux se positionnent encore une fois ailleurs.
13:47La fortune est quand même suffisante
13:49pour leur permettre de ne jamais avoir à travailler.
13:51– Ah oui.
13:53– Donc ils arrivent d'une fortune
13:55qui leur permet de ne pas travailler
13:57et donc ils se vivent vraiment comme des gens
13:59du XVIIIe siècle qui ont par erreur
14:01atterri au XIXe siècle.
14:03– On parle toujours des frères Goncourt.
14:05Quelle est la nature de leur relation fraternelle ?
14:07Vous dites qu'ils partageaient la même maîtresse.
14:09Au niveau de leur travail,
14:11ils écrivaient à quatre mains ?
14:13C'était signé les frères Goncourt ?
14:15– Tout à fait.
14:17– Ils se corrigeaient mutuellement au niveau écriture
14:19ou chacun écrivait un chapitre ?
14:21– Ce qui est amusant, c'est qu'on parle
14:23effectivement toujours des frères Goncourt.
14:25On a deux personnes extrêmement différentes.
14:27Physiquement déjà, on en a un qui est très chétif,
14:29Jules, très fin,
14:31celui qu'on voit en bas.
14:33Et Edmond qui est grand,
14:35un peu plus grand.
14:37– Edmond c'est l'aîné.
14:39– Edmond qui est l'aîné.
14:41En 1822, Jules en 1830.
14:43Physiquement, assez différents.
14:45Et pourtant, tout le monde les décrit
14:47comme des jumeaux, voire des siamois.
14:49– Vous employez le terme de jumeaux.
14:51– Oui, je ne l'ai pas inventé.
14:53C'est ce qui était dit à l'époque.
14:55Mais donc, malgré deux natures très différentes
14:57un qui est très espérite,
14:59l'autre qui est très sérieux,
15:01malgré deux physionomies très différentes,
15:03ils se vivent vraiment comme un seul être.
15:05Alors, on parlera de Jules Edmond même.
15:07J'en raconte des anecdotes assez amusantes.
15:09Ils partagent effectivement les mêmes maîtresses.
15:11Ils habitent ensemble toute leur vie.
15:13Ils se font écrire vraiment quasiment
15:15comme un couple, le courrier.
15:17On n'invite jamais l'un sans l'autre.
15:19Et en revanche, effectivement,
15:21ça se traduit aussi
15:23dans leur activité littéraire.
15:25On raconte que même quand ils ont besoin
15:27d'aller uriner, ils vont sur le même chou.
15:29Ils font la même chose ensemble.
15:31Mais dans leur démarche littéraire,
15:33souvent ils réfléchissent ensemble
15:35à un chapitre.
15:37Ils vont chacun l'écrire dans leur coin
15:39et ils le racontent.
15:41Alors après, à quel point est-ce que c'est vrai,
15:43ça on ne sait pas.
15:45Mais ils racontent que quand ils reviennent
15:47ensemble sur le bureau, ils ont quasiment
15:49le même texte.
15:51Ce qui se passe, c'est qu'on a quand même
15:53Edmond qui a travaillé derrière
15:55et qui fait des vraies recherches de style littéraire.
15:57Donc il va se mettre par exemple dans des parcs
15:59pour écouter les enfants.
16:01Et en écoutant ce langage un peu enfantin,
16:03essayer de le retraduire,
16:05cette naïveté ou cette spontanéité
16:07dans la littérature derrière.
16:09Et après la mort de Jules,
16:11Jules meurt jeune en 1870,
16:13donc à 40 ans.
16:15Edmond continue à signer ses ouvrages
16:17sous leurs deux noms.
16:19Et l'Académie Goncourt,
16:21ce sera l'Académie des Goncourts,
16:23pas l'Académie d'Edmond Goncourt.
16:25– Alors justement, on parle du journal
16:27qu'ils ont écrit tout au long de leur vie,
16:29qui a été publié après, vous allez nous le dire.
16:31Donc c'est considéré comme une chronique
16:33vraiment de leur époque.
16:35Alors quelle est sa valeur historique ?
16:37Vous dites que c'est un document irremplaçable
16:39sur la république des lettres
16:41de la seconde moitié du 19ème siècle.
16:43C'est vraiment ça ?
16:45– C'est le cas, c'est-à-dire que c'est presque.
16:47– On suit vraiment au jour le jour
16:49– Exactement. – Les auteurs connus.
16:51– On suit au jour le jour.
16:53Alors, est-ce qu'il faut accorder 100% de crédit ?
16:55Non, je vous le dirai juste après,
16:57mais effectivement, les Goncourts se posent
16:59en tant que, comment dire,
17:01quasiment journalistes de leur époque,
17:03cette volonté de tout retraduire.
17:05Et donc on suit avec eux, effectivement,
17:07les salons littéraires,
17:09avec des propos souvent extrêmement cruels
17:11de leur part.
17:13Par exemple, ils rencontrent Victor Hugo
17:15à plusieurs reprises, ils le lisent aussi
17:17en disant qu'il méritait de vivre 100 ans de plus
17:19et Victor Hugo 10 ans de moins.
17:21Ou par exemple,
17:23quand ils rencontrent Lecomte de Lille,
17:25ils comparent sa voix
17:27au déchirement aigre d'un couteau
17:29dans une tranche de melon pas mûre.
17:31On a tous ces propos d'arrière-cuisine,
17:33on a les dîners Mani où il a rencontré tout le monde
17:35et ils se vivent comme des sténographes,
17:37en disant qu'ils essaient de tout retenir
17:39et de tout retraduire après, vraiment très fidèlement,
17:41sans filtre, dans leur journal.
17:43À tel point que Flaubert,
17:45quand il était à ces dîners,
17:47s'étonnait toujours de leur regard très pénétrant,
17:49en disant qu'on a l'impression qu'ils sont en train de noter
17:51sur leur manchette tout ce qui est en train de se dire à ces dîners.
17:53Et ce qui était vrai d'ailleurs.
17:55Ce qui est étonnant, c'est qu'ils tiennent leur journal
17:57mais ce qu'ils écrivent dans les gazettes littéraires,
17:59est-ce qu'ils sont critiques littéraires ?
18:01Ils sont critiques littéraires aussi,
18:03avec beaucoup moins de succès dans des revues
18:05beaucoup plus confidentielles.
18:07Ce qui mérite d'être sauvé de leur côté,
18:09c'est ce journal.
18:11Ce journal, qui n'est pas fiable
18:13complètement.
18:15Par exemple, à la fin,
18:17après la mort de Jules,
18:19Edmond a commencé à publier son journal.
18:21Et puis,
18:23beaucoup de gens s'amusaient à vouloir se venger de quelqu'un
18:25en allant raconter des horreurs
18:27à Edmond de Goncourt.
18:29Notamment Jean Lorrain, qui s'amusait beaucoup à faire ça,
18:31à dire des histoires les plus invraisemblables à chaque fois,
18:33sur tel écrivain,
18:35tel vice de tel écrivain, etc.
18:37Que Goncourt, évidemment, notait scrupuleusement juste après.
18:39Et Alphonse Daudet,
18:41son grand ami à ce moment-là,
18:43quand Edmond de Goncourt lui racontait
18:45telle histoire absolument sordide sur un écrivain,
18:47il disait, mais j'imagine que c'est Jean Lorrain
18:49qui vous l'a raconté. Il disait, oui, oui.
18:51Et il s'effarait de savoir que ça allait finir dans le journal.
18:53– Ce qui est étonnant, c'est que
18:55ils sont insupportables, mais on continue à les inviter.
18:57Il y a une forme de masochisme, finalement,
18:59dans ce milieu littéraire.
19:01– On a d'un côté les gens qui ont peur.
19:03Proust, qui a connu Edmond de Goncourt
19:05quand lui commençait sa carrière littéraire,
19:07et Edmond de Goncourt était juste à la fin
19:09de sa carrière littéraire, de sa vie,
19:11concrètement, raconte effectivement
19:13des invitations de Goncourt dans des salons.
19:15Et toutes les femmes sont en train de fuir
19:17Edmond de Goncourt à chaque fois qu'il arrive
19:19en disant, ça va finir dans le journal.
19:21Et donc elles le fuient, et lui essaie de leur parler.
19:23Elles n'ont qu'une crainte, c'est qu'il leur demande
19:25le jour où elles tiennent leur salon
19:27et qu'il arrive à son tour dans leur salon
19:29et qu'il commence à raconter tout ça.
19:31Et on a l'extrême inverse, c'est-à-dire
19:33des gens qui veulent absolument lui raconter n'importe quoi
19:35pourvu qu'il soit cité dans le journal.
19:37Et qu'il le supplie, alors lui qui est très malveillant,
19:39dit rencontrer un tel aujourd'hui,
19:41il voulait absolument être dans mon journal,
19:43voilà ce qu'il m'a dit.
19:45Ça veut dire qu'il est aussi très cruel,
19:47mais on a les deux réactions.
19:49– D'ailleurs, vous dites qu'ils inspirent rarement
19:51la sympathie de prime abord.
19:53Alors, ils détestent tout le monde.
19:55Ils détestent Napoléon Tronc, ils détestent les Juifs,
19:57ils détestent les femmes, ils détestent les parvenus.
19:59Autant dire qu'à part eux-mêmes,
20:01rares sont ceux qui trouvent grâce à leurs yeux.
20:03Donc ils sont connus dans le misogynie,
20:05dans le sémitisme, leur conservatisme.
20:07Ils sont plutôt réactionnaires.
20:09Dans quelle mesure est-ce que ça reflète l'époque ?
20:13C'est pas les seuls, j'imagine.
20:15– Non, c'est pas les seuls.
20:17Après, je pense qu'il y a aussi une posture littéraire.
20:19Il y a l'envie de choquer, tout simplement.
20:21Et puis, ils sont très marqués par Saint-Simon quand même.
20:25Surtout Edmond. Dans son testament,
20:27Edmond parle de Saint-Simon comme étant son maître.
20:29Et il y a une volonté chez eux
20:31d'être aussi les Saint-Simon du XIXe siècle.
20:33Quand on dit Saint-Simon,
20:35Saint-Simon quand même passe à la postérité
20:37plutôt pour son côté malveillant
20:39qui est extrêmement drôle, extrêmement incisif.
20:41Et eux ont cette volonté-là.
20:43Donc je pense qu'il y a beaucoup de posture aussi
20:45dans leur attitude à travers le siècle.
20:47Il y a quand même également un côté
20:49où ils ont été absolument rejetés.
20:51Ils ont dit beaucoup de choses,
20:53ont les critiques sans cesse.
20:55Les critiques journalistiques sont très très dures à leur égard.
20:57Donc je pense qu'il y a ce côté aussi décalé
20:59où ils vivent nuit et jour pour leur art.
21:01Ils passent vraiment littéralement
21:03leur journée à travailler
21:05au point qu'au soir de sa vie,
21:07Edmond de Goncourt se demande ce qu'il a fait de sa vie
21:09en disant tous ses sacrifices.
21:11Pourquoi finalement ?
21:13Et donc ce côté extrêmement rejeté, marginal.
21:15Et puis il y a un fait difficile aussi pour eux.
21:17C'est que tous les gens qu'ils rencontrent,
21:19ils rencontrent vraiment les plus grands écrivains
21:21de leur temps.
21:23Ils ont tous plus de succès qu'eux.
21:25– Ils semblent aussi de jalousie.
21:27– Il y a une grande sensibilité chez eux.
21:29Ils sont deux écorchés, très sensibles,
21:31très orgueilleux aussi.
21:33Et donc voir que tout le monde autour d'eux,
21:35finalement, réussit beaucoup mieux,
21:37c'est assez insupportable.
21:39– Avec quel auteur sont-ils le plus proche ?
21:41– Flaubert, dans un premier temps.
21:43Jusqu'à la mort de Flaubert.
21:45Ils viennent le voir, alors ils parlent de sa tête.
21:47– On peut parler d'amitié ?
21:49– Oui, Flaubert, pour le coup, beaucoup d'amitié.
21:51Alors ils sont juste l'homme que l'écrivain d'ailleurs.
21:53Flaubert les invite à déguster des cervelles de bourgeois
21:57et des clitoris de tigre ou des choses comme ça.
21:59Donc ils ont une correspondance qui est très nourrie,
22:01qui est très drôle, enfin qu'il faut absolument lire.
22:05Donc vraiment une vraie amitié.
22:07En revanche, l'écrivain, quand il lit Salombo ou des livres comme ça,
22:11il est souvent effaré.
22:13Il dit tout ça pour ça.
22:15Et il trouve les livres relativement passables finalement.
22:17Même s'ils admirent encore une fois la démarche
22:19de création de Flaubert, son obsession pour le mot,
22:21pour trouver le mot juste.
22:23Flaubert et son ami, donc avec l'homme,
22:25ils admirent un peu moins l'écrivain.
22:27Il se sera Alphonse Dodé après, une fois Jules mort.
22:30Donc on sera très proche d'Alphonse Dodé.
22:32Où là aussi, c'est une certaine ambivalence.
22:34Dodé réussit très bien, vend très bien.
22:36Dodé en plus le trahira puisqu'il apprendra
22:39qu'il intrigue pour entrer à l'Académie française
22:41et donc au dépend de l'Académie Goncourt.
22:44Mais il a une vraie amitié pour le coup pour Dodé,
22:49tout en le massacrant aussi dans son journal.
22:51– Mais c'est ça, ça n'empêche pas.
22:53– Et Zola ?
22:55– Zola, c'est vraiment, on passe de, au départ,
22:58Zola vient leur prêter hommage en disant,
23:00Zola, je crois, 25 ans quand il a écrit.
23:02Et donc ils le reçoivent de haut, bien sûr.
23:05Alors il lui trouve une tête de normalien chétif écrevé,
23:08quelque chose comme ça.
23:10Et puis Zola prend de plus en plus d'assurance.
23:13Zola fait les rougons macquères.
23:15Edmond l'accuse de l'avoir plagié.
23:17A raison quand même.
23:19Effectivement, il dit que son personnage de Bibi Lagueté
23:22trouve exactement le même qui s'appelle Gogo Lagueté.
23:25C'est quand même étonnant comme rapprochement.
23:27Leur tirade se termine exactement par le même mot.
23:30Que, là, ce mois, elle s'inspire beaucoup de Germini Lacerte,
23:35donc son roman sur sa bonne.
23:36Effectivement, on retrouve quand même pas mal de,
23:38pas de plagiat mais d'inspiration de Zola.
23:41Zola s'est beaucoup inspiré des Goncourt.
23:45J'espère ça aussi.
23:46C'est ce que Edmond de Goncourt oublie de dire,
23:48c'est qu'il s'inspire lui aussi de Zola, de l'autre côté.
23:51Mais ils seront à la fin complètement brouillés,
23:54à tel point qu'Edmond de Goncourt,
23:56qui a son grenier où il reçoit les écrivains, dont Zola,
24:00hésite à un moment à bannir Zola de chez lui
24:02et en mettant un grand panneau en lettres capitales
24:04en disant qu'il est inserdi ici
24:06de parler de la personne et des œuvres de M. Zola.
24:09Zola fera quand même l'éloge funèbre,
24:11en pleurant d'ailleurs, d'Edmond de Goncourt.
24:14– Et Victor Hugo, on vous a dit qu'il avait le désir
24:17de vivre 10 ans de moins.
24:18– Oui exactement, il le rencontre plusieurs fois
24:21et trouve le personnage absolument insupportable.
24:23– C'est celui qu'il déteste le plus ?
24:25– Non, ce serait dire qu'il le déteste le plus à vrai dire.
24:29Mais Victor Hugo, il le trouve extrêmement égocentrique,
24:34qu'il est toujours en train de noter la moindre pensée qu'il a,
24:37qu'il parle comme ses livres,
24:38et donc il le trouve relativement odieux.
24:41– Et au niveau politique,
24:42ils sont très critiques du progrès et de la démocratie,
24:46est-ce qu'ils ont une influence politique ?
24:48Est-ce qu'ils critiquent également les hommes politiques ?
24:51– Oui, oui, il y a des citations toujours invraisemblables.
24:54Quand c'est Carnot par exemple qui est élu,
24:56il raconte que Carnot la veille de l'élection a dit
24:59vous verrez demain c'est un homme absolument nul
25:01qui sortira des urnes.
25:02Il s'amuse de tout le personnel politique, de sa médiocrité,
25:05en répétant évidemment ce qui leur arrive à droite et à gauche.
25:08Mais est-ce qu'ils ont une influence politique absolument nulle ?
25:12– Il ne font pas scandale ?
25:14– Ils font scandale dans un petit cercle,
25:16mais c'est plus des bons mots assez malveillants qu'autre chose.
25:19– D'accord.
25:20– Je ne pense pas qu'on puisse leur prêter la moindre influence politique.
25:23– La moindre influence politique.
25:24Et leur influence littéraire,
25:26quel est leur roman le plus marquant ?
25:30– Pour moi, c'est Germini-Lacerte.
25:33– S'il y en a un ou deux, il n'y en a pas dans le journal.
25:36– Ils commencent leur démarche avec les hommes de lettres
25:38qui a fait un peu de bruit à leur époque,
25:40qui montrent vraiment les arrières-cuisines de la littérature,
25:42qui peuvent se rapprocher des illusions perdues.
25:46Celui-là s'est mal vieilli.
25:48Ils en ont un autre également sur la peinture,
25:50puisqu'ils ont cherché à disséquer la société,
25:52donc à montrer tout type de milieu, etc.
25:54Mais celui vraiment qui, pour moi, doit être sauvé,
25:58c'est Germini-Lacerte qui est absolument le plus intéressant.
26:03– Et c'est disable encore ou c'est très daté ?
26:05– C'est relativement daté.
26:06Le style des Goncourt est très particulier.
26:08Il y a effectivement une recherche littéraire de leur part,
26:11mais c'est plein de furitures.
26:13C'est d'ailleurs… André Gide disait qu'il lisait les Goncourt
26:17pour apprendre comment il ne faut pas écrire.
26:19Et j'ai oublié qu'il était écrivain et qu'il disait
26:25qu'ils ont torturé la phrase et fatigué les mots.
26:27C'était peut-être Anatole France qui disait ça.
26:29Et effectivement, quand ils décrivent une scène par exemple, un tableau,
26:33leurs livres sont des successions de tableaux,
26:35donc l'intrigue est compliquée à suivre,
26:37parce que ce sont plutôt des descriptions.
26:39Voir 10 tableaux, j'ai que ça posé.
26:41Et ils vont absolument tout décrire.
26:43Un paysage nocturne, ils vont décrire la lune, le reflet de la lune
26:46sur chacune des feuilles de l'arbre, le nombre d'arbres qu'il y a,
26:49l'ombre des feuilles des arbres sur le sol.
26:52Et on va rentrer et la moindre phrase, pour dire la même chose,
26:56alors ça c'est normalement vraiment ce qu'on doit éviter en littérature,
26:59ils vont dire 5 fois exactement la même chose avec des mots différents,
27:02les unes à la suite des autres.
27:04– C'est le pire que Théophile Gauthier dans les écriptions.
27:06– C'est le pire et c'est pire parce que ça a très mal vieilli.
27:10Avec quand même cette recherche littéraire aussi,
27:14on a d'un côté cette précieusité et de l'autre cette recherche de mots.
27:17– Donc ils ont inventé plusieurs mots également.
27:20– Oui, ils ont inventé au total à peu près 800 mots,
27:23certains très drôles, par exemple l'exculatif pour quelqu'un
27:27qui faillote un peu trop, figarotin pour les abonnés aux Figaro,
27:32et puis quelques-uns qui sont passés dans le vocabulaire courant aujourd'hui,
27:35la mécanisation par exemple, ça vient d'eux, l'américanisation aussi.
27:39– Sur l'américanisation, j'ai lu ça, ils ont vraiment une vision,
27:45c'est très visionnaire, ils m'ont écrit,
27:48je dînais hier à l'ambassade à côté d'une américaine
27:51et voyant à l'œuvre cette grâce libre et conquérante,
27:54ce diable au corps d'une jeune race, et me rappelant d'autre part
27:57l'activité et l'entrance de certains américains de Paris,
28:01je me disais que ces hommes et ces femmes
28:03étaient destinés à devenir les futurs conquérants du monde,
28:05et là on est en 1867.
28:07– Voilà ce qui résonne beaucoup aujourd'hui.
28:09– Déjà Tocqueville, on avait le pressentiment, mais là on confirme.
28:13– Oui.
28:14– Et donc est-ce que tous ces mots-là sont apparus dans leur journal
28:19et sont passés dans le… ?
28:20– Pas seulement dans le journal, dans leur roman aussi,
28:22alors il y a des effets de mots un peu ratés, par exemple
28:28quand un mot existe, c'est bête d'en inventer un autre à côté,
28:31plutôt que de parler de quelqu'un qui est désespéré,
28:33ils parlent de la désespérance de la personne,
28:35ou ils ont des adjectifs un peu absurdes en disant que c'est crocodilesque,
28:38par exemple, des choses comme ça qui ont très mal vieilli,
28:40et à côté effectivement certains qui sont complètement passés à la postérité.
28:43– Donc ils auraient pu inventer le balaisant d'aujourd'hui, par exemple.
28:45– Par exemple.
28:46– C'est ça.
28:47Et leur journal, lorsqu'il est paru, est-ce qu'il a connu tout de suite un grand succès ?
28:51– Il a beaucoup fait parler de lui.
28:53Donc Edmond, après la mort de Jules, donc en 1870,
28:58se décrit comme Veuf, les Veufs de son frère.
29:01Il a plusieurs années de traversée du désert, il écrit très peu,
29:05et puis il pense quand même à la marque qu'il va laisser dans l'histoire littéraire,
29:09et il pense à son journal.
29:11Et quelques amis le lisent et lui disent que c'est effectivement un vrai monument,
29:17et donc Goncourt décide de le publier dans des journaux, et puis après en librairie.
29:23Alors les extraits qu'il publie sont quand même expurgés,
29:27il garde les pires morceaux pour la postérité.
29:30Mais effectivement le journal fait beaucoup de bruit,
29:34avec encore une fois beaucoup de gens qui le fuient, qui prennent peur,
29:39qui sont absolument furieux de ce que Goncourt peut écrire sur eux.
29:42La princesse Mathilde par exemple refuse de leur parler pendant longtemps,
29:46pareil pour la femme d'Alphonse Daudet, Julia,
29:50qui découvre qu'il compare sa fille, qui est la fille d'Edmond d'ailleurs,
29:54à un gigot de 7 livres dans son journal.
29:57Tout le monde sait quand même que le journal est complètement expurgé.
30:01Et puis avec quand même une autre inquiétude,
30:04c'est qu'au départ quand il publie les premiers volumes de leur journal,
30:08on parle des années 1848, on est quand même bien après,
30:10l'eau a coulé sous les ponts, au fur et à mesure que les tomes paraissent,
30:13on se rapproche de la période contemporaine,
30:15et là tout le monde a peur de voir ce qu'il a dit il y a 3 ou 4 ans,
30:18imprimé sur le papier, et parfois en plus complètement tordu, transformé.
30:22Mais c'est aussi ça qui leur confère une vraie importance,
30:26c'est qu'on sait que leur journal est un monument, passera à la postérité,
30:30et que donc c'est aussi important de rester proche d'eux.
30:33– Alors ce qui est plus passé à la postérité, c'est le fameux prix Goncourt,
30:37d'où vient-il ce prix ? Ils ont créé une académie,
30:39alors qu'est-ce que c'est que cette académie ?
30:41– Oui, ça c'est une des choses qui mérite d'être évidemment sauvée chez eux,
30:45c'est une fois que Jules est mort, Edmond se pose vraiment la question
30:50de ce qu'il va léguer à la postérité, avec le fait qu'ils ne se sont jamais mariés,
30:55ils n'ont jamais eu d'enfant, donc ils n'ont pas d'héritier direct.
30:59Et Edmond voit bien, et ça on le voit notamment dans la correspondance,
31:03il en parle peu dans son journal, mais en réalité toute sa correspondance
31:06a été conservée, elle est aujourd'hui à la BNF, et quand on regarde ça,
31:09on voit tous les écrivains, Léon Blois, les autres beaucoup moins connus,
31:14qui lui écrivent en disant qu'ils vivent une vie absolument misérable,
31:17qu'ils n'arrivent pas à vivre de la littérature,
31:19et Edmond sait que lui a eu beaucoup de chance de ne jamais avoir à travailler,
31:22ce qui lui a donné une totale liberté d'écrire absolument ce qu'il voulait,
31:26et de ne pas avoir à se compromettre, comme il le dit lui-même,
31:28dans le journalisme, dans des romans de guerre.
31:32Et Edmond se dit, avec cette fortune, la plus belle chose à faire
31:37c'est de créer une académie, pas du tout l'académie française
31:40qui va récompenser les gens qui sont déjà au sommet de leur gloire,
31:44ou des grands seigneurs, ou des gens comme ça,
31:46il va créer une académie qui permette à 10 écrivains, jeunes,
31:50c'est sa particularité, de recevoir une rente,
31:53donc c'est une académie qui permet juste de vivre,
31:56et de pouvoir grâce à ça se consacrer à la littérature.
31:59Et ça correspond au revenu d'un professeur d'université à peu près,
32:03ce qu'il offrira à chacun.
32:06Et donc voilà, c'est cette académie des Goncourts,
32:09elle s'appelle Académie des Goncourts,
32:12qu'il réfléchit à lancer, et puis en contrepartie
32:15de cette position, de ses places à l'académie,
32:18alors ce sera une académie très peu formelle,
32:21il leur demande une chose, c'est d'aller remettre un prix chaque année,
32:26un prix qui sera décerné à un roman,
32:28et il faut voir à quel point c'est novateur,
32:30parce qu'à l'époque, quand on entre à l'académie,
32:32c'est vraiment pas par ses romans, c'est parce qu'on est historien,
32:34c'est par la poésie qu'on a pu écrire, parce qu'on est dramaturge,
32:37mais le roman qui est un genre très populaire,
32:39c'est quand même vu comme un genre qui est mineur,
32:41qui est relativement féminin, grand public, un peu galvaudé,
32:44c'est vraiment l'équivalent de la bande dessinée aujourd'hui.
32:47Et donc remettre un prix institutionnel,
32:50écrit par quelqu'un de jeune en plus,
32:53et dans les conditions du prix,
32:55c'est quelque chose d'extrêmement novateur.
32:57C'est vrai qu'aujourd'hui c'est très institutionnel,
32:59le prix Goncourt, mais à l'époque c'était vraiment
33:01quelque chose d'extrêmement novateur.
33:03Et donc Edmond réfléchit effectivement à cette académie,
33:06et nomme ses amis dans cette académie,
33:09qui aura donc la charge aussi de faire survivre leur mémoire
33:13après la mort d'Edmond,
33:15puisqu'Edmond est vraiment obsédé par la postérité,
33:18c'est sa grande obsession.
33:20Et ce serait amusant, ça c'est l'ironie de l'histoire,
33:22cette académie est chargée notamment de publier le journal,
33:25avec tout ce que ça inclut, les académiciens étant eux-mêmes
33:28cités pas forcément très gentiment dans le journal,
33:31feront tout pour reculer la publication du journal,
33:34ce qui fera que d'ailleurs des journaux,
33:37enverront des huissiers en 1916,
33:39donc 20 ans après la mort d'Edmond,
33:41pour récupérer les journaux sous-scellés
33:43et essayer de les publier.
33:45Et l'État censurera le journal à plusieurs reprises,
33:47et donc il ne sera publié qu'en 1954.
33:49Donc cette académie Goncourt a toujours aujourd'hui
33:53une influence sur la littérature contemporaine ?
33:57Très grande influence, c'est vraiment le prix emblématique,
34:00et c'est le prix qui fait aujourd'hui la pluie et le beau temps.
34:03Et donc oui, ce serait un beau paradoxe pour eux finalement,
34:06de se dire que le prix qui était vraiment juste l'accessoire
34:08d'une académie qui était elle-même chargée de publier le journal
34:12et puis de faire parler un peu d'eux.
34:14Donc la dernière chose à laquelle ils auraient pensé
34:16pour passer à la postérité, puisque eux voyaient quand même
34:19toutes les oeuvres théâtrales qu'ils ont produites,
34:21leurs journaux, leurs romans,
34:23et pensaient passer à la postérité grâce à cela.
34:25Et c'est par la chose la plus accessoire que finalement
34:27aujourd'hui tout le monde connaît le nom de Goncourt.
34:29Ce qui est étonnant c'est que tout le monde connaît le nom Goncourt,
34:31mais tout le monde ne connaît pas la vie des Goncourts
34:33et surtout tout ce qu'ils ont écrit aujourd'hui.
34:35C'est étonnant que le nom ne soit toujours pas déboulonné,
34:37parce que… voire condescélisé.
34:39– Oui, c'est peut-être ce qui les sauve d'ailleurs,
34:41c'est peut-être qu'ils ne sont pas trop connus pour ce qu'ils ont fait
34:43qui permet que finalement ils ne soient pas complètement condescélisés.
34:45– Et au niveau de…
34:47Est-ce qu'ils ont eu des héritiers dans le style littéraire,
34:51des gens très méchants ?
34:53Je ne sais pas, je pense à un Daudet, à Léon Daudet,
34:55à Léon Bois aussi qui est pas mal dans le genre.
34:57– Léon Daudet a très bien connu Edmond Goncourt,
35:01et Edmond Goncourt a eu une vraie influence sur Léon Daudet.
35:05Huysmans aussi, sur le style.
35:07Huysmans était vraiment proche d'Edmond Goncourt.
35:09Il y avait ce qu'on appelle le grenier,
35:11alors que… ça c'est ce que j'ai découvert en écrivant le livre,
35:15on parle toujours du grenier des Goncourts.
35:17Déjà c'est faux puisqu'il y avait qu'Edmond qui recevait Auteuil,
35:19et surtout on imagine que c'est un grand cénacle
35:21avec une immense importance littéraire,
35:23où on avait Paul Marguerite, on avait Zola, on avait Daudet,
35:27on avait tout le monde qui y allait.
35:29– Les gens l'appellent Edmond, c'est le chef des armées littéraires.
35:31– Voilà, le maréchal des lettres, le chef des armées littéraires.
35:33En réalité, tout le monde s'ennuie, tout le monde se force à aller au grenier
35:37pour éviter la malveillance d'Edmond,
35:39et puis parce que c'est bien de connaître untel et untel,
35:41mais d'ailleurs Edmond Goncourt le dit lui-même,
35:45il baille à chaque fois qu'il arrive aux réunions de son propre grenier,
35:49et dès que Daudet n'est pas là, il dit
35:51qu'est-ce qu'on s'ennuie quand Daudet n'est pas là.
35:53Mais malgré tout, oui, une influence littéraire,
35:56une influence littéraire sur Zola avec le mouvement naturaliste,
35:59une influence littéraire sur Huysmans avec la recherche de style,
36:02vraiment Huysmans raconte qu'il s'inspire du style des Goncourt
36:05pour écrire lui-même, une influence après sur des écrivains
36:09comme Léon Blois, comme Paul Marguerite aussi,
36:12et puis comme Léon Daudet effectivement, qu'il a beaucoup connu.
36:14– Dans la méchanceté.
36:16– On retrouve un peu ce style dans le côté aigre.
36:19– Et aujourd'hui, on pourrait le retrouver encore chez des écrivains ?
36:22– A ma connaissance, personne ne se réclame des frères Goncourt aujourd'hui.
36:25– Oui, il n'y a plus grand monde qui soit méchant.
36:27– Non, mais à la rigueur, si on retrouvait ça quelque part,
36:30ce serait peut-être dans quelques émissions à la télévision
36:33où il faut s'amuser à avoir une sorte de tribunal,
36:35à être extrêmement agressif, je pense que finalement,
36:37si on retrouvait les Goncourt quelque part aujourd'hui,
36:39ce serait plutôt là.
36:41– Bien, écoutez, merci de nous avoir fait découvrir
36:44ces infréquentables frères Goncourt.
36:48Ce livre est paru aux éditions texto,
36:51enfin chez Talendier, c'est la collection poche de Talendier.
36:54Donc, vous recommandez la lecture du journal.
36:56– Je suis obligé de vous la recommander.
36:58– Non, non, mais la lecture de votre livre.
37:00– Je suis obligé de vous recommander la lecture du journal.
37:02– On rit beaucoup aujourd'hui ?
37:03– On s'amuse beaucoup.
37:04Alors, je recommande la lecture, mais plutôt quand même
37:06avec des morceaux choisis, c'est-à-dire qu'il faut se promener,
37:08il ne faut surtout pas chercher à le lire de A à Z.
37:10– D'accord.
37:11– On risque de faire une indigestion.
37:12– Très bien.
37:13Merci infiniment, Pierre Ménard.
37:14On vous retrouve très bientôt pour, j'en ai parlé au début de l'émission,
37:18pour Antoine Crozat, milliardaire sous Louis XIV.
37:22– Merci beaucoup.
37:23– A la semaine prochaine.
37:24C'était Passer Présent, l'émission historique de TVL
37:28présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
37:32Avant de nous quitter, n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
37:35et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
37:37Merci et à bientôt.

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