"C'est quand même bizarre qu'ils aient tous eu la même histoire, le même rêve, le même drame…"
Et si votre vie actuelle était influencée par celle de vos arrières arrières grands-parents sans que vous en ayez conscience ? C'est l'idée que défend ici l'écrivain Thibault de Montaigu qui a découvert cette théorie de la psychogénéalogie à l'occasion de l'écriture de son nouveau roman "Coeur", mystérieuse histoire de sa propre famille...
Et si votre vie actuelle était influencée par celle de vos arrières arrières grands-parents sans que vous en ayez conscience ? C'est l'idée que défend ici l'écrivain Thibault de Montaigu qui a découvert cette théorie de la psychogénéalogie à l'occasion de l'écriture de son nouveau roman "Coeur", mystérieuse histoire de sa propre famille...
Catégorie
🦄
Art et designTranscription
00:00C'est étrange, il y a beaucoup de choses que mon père a vécues, que son arrière-grand-père Louis a vécues,
00:06et que d'autres membres de la famille ont vécues.
00:08C'est quand même bizarre qu'ils aient tous eu la même histoire, le même drame, qu'ils aient eu le même rêve,
00:13le même drame, et qu'ils aient terminé de la même manière.
00:15Et là, en écrivant Coeur, en faisant ses recherches sur la famille,
00:18je suis tombé grâce à une amie, je raconte dans le livre, sur Schultzenberger.
00:23C'est là où j'ai découvert la psychogénéalogie, qui est une discipline neuve en fait.
00:27Elle a fondé ça dans les années 70, donc c'est très très neuf,
00:32mais il y a de plus en plus de psys qui se spécialisent là-dedans,
00:36et qui font un travail avec leurs patients.
00:38On doit dessiner notre arbre généalogique.
00:41Ils appellent ça le géno-sociogramme, c'est un terme un peu compliqué,
00:44mais en gros, on dessine notre arbre, on commence à marquer les dates de naissance, de mort,
00:51les déménagements, les accidents, même les avortements ou les fausses couches.
00:55On met tous les liens affectifs positifs en vert, tous les négatifs en rouge.
01:00Et au bout de quatre heures de travail, comme ça, on se recule et on voit cet arbre immense
01:04qui, en fait, raconte notre famille, mais raconte notre famille comment nous, on la vit de l'intérieur.
01:09C'était comme si c'était le squelette de notre psyché.
01:14C'est quelque chose d'assez fort de le voir.
01:16Et là, souvent, elle se dit, quand on regarde ça, quand on a fait ce travail,
01:19souvent, il y a un déclic qui se produit.
01:20Et on se dit, mais en fait, ce que je fais dans ma vie, là, ce que je vis, ce problème que j'ai,
01:26cet empêchement, ce trouble, en fait, un tel l'a vécu,
01:30où je reproduis exactement ce que tel de mes ancêtres a fait.
01:35Ça arrive souvent, par exemple, pour les examens.
01:37Il y a des gens qui, finalement, ratent des examens
01:39parce que leurs parents eux-mêmes n'ont pas pu réussir certains examens
01:44ou sortir de leur classe sociale ou arriver à s'exerper de leur milieu, etc.
01:48Et donc, pour rester fidèles inconsciemment à leur famille, ils vont se s'aborder.
01:53Et donc, c'est assez étonnant de voir ces répétitions, comme ça,
01:57qui se reproduisent de génération en génération sans que les gens le sachent, vraiment.
02:01C'est ça qui est fou.
02:02Moi, je vais être franc avec vous, j'y crois pas du tout.
02:04Mais je trouve ça, d'un point de vue romanesque, extraordinaire.
02:08Vous vous y croyez ?
02:11Moi, j'y crois parce que, déjà, j'ai enquêté et j'ai découvert ces phénomènes de répétition.
02:16Ce n'est pas le hasard ?
02:18Le hasard devient étrange quand il y a des dates d'anniversaire qui deviennent les mêmes.
02:23Par exemple, je ne sais pas, à 35 ans, un tel fait une fausse couche
02:28et on apprend qu'à 35 ans, son arrière-grand-mère, son enfant est mort en couche
02:33et donc elle-même s'interdit d'avoir un enfant.
02:36Il y a plein de phénomènes comme ça, de coïncidences extrêmement étranges qui se reproduisent.
02:41Plus j'ai enquêté là-dessus, plus j'en ai découvert.
02:43Est-ce que, quelque part, il y a une sorte de discours politique
02:45pour dire qu'en fait, non, on n'est pas une série d'individus ?
02:48En fait, nos vies s'inscrivent dans un prolongement d'une lignée
02:52et que ça permet d'être un peu plus humble sur soi.
02:55Ah oui, moi je pense qu'on peut même haïr sa famille, on peut ne plus l'avoir,
03:01notre famille continue à agir en nous.
03:03C'est impossible d'être vierge de tout passé.
03:05Le passé vit en nous et ce qui permet de s'en libérer, c'est de le connaître,
03:09c'est de mettre des mots dessus pour ensuite décider de se dire,
03:12enfin décider, voilà, qu'est-ce qu'on va faire avec ?
03:16Je m'appelle Thibaut de Montaigu et j'ai écrit un livre qui s'appelle
03:20Cœur, aux éditions Albain Michel.
03:22Un jour, mon père, il m'a donné sa chevalière, en fait,
03:25qui était le dernier bien qu'il possédait au monde parce qu'il n'avait plus de sous,
03:28il était complètement ruiné, il avait perdu la vue,
03:31enfin il vivait avec deux francs six sous.
03:34Et il me donne sa chevalière et il me dit, écoute, tu sais,
03:36c'est incroyable si on la gardait dans la famille, cette chevalière,
03:38parce qu'elle appartenait à ton arrière-grand-père, Louis,
03:42qui est mort pendant la guerre de 1914 dans une charge de cavalerie
03:45et il est parti sur son cheval, sabre au clair,
03:48contre des mitraillettes et des canons, ça ne se faisait absolument pas,
03:51c'est une mort héroïque, j'adorerais que tu écrives sur lui, s'il te plaît.
03:55Et en fait, moi, au début, je n'avais pas du tout envie de le faire
03:58parce que la guerre de 1914, ça me paraissait très loin de moi.
04:02Mon père, il n'arrêtait pas de me parler de régiment, de bataillon,
04:05c'était du chinois pour moi.
04:08Et en fait, lui, il a insisté, il a insisté, il m'a envoyé plein de documents
04:12sur cette charge jusqu'à ce que je comprenne, en fait,
04:14que c'était très bizarre que mon arrière-grand-père ait chargé,
04:18ça n'avait aucun sens et qu'ils n'avaient aucune chance de s'en sortir,
04:21tous ces cavaliers.
04:22Et donc, sans doute, ça cachait une forme de suicide.
04:26Et lui-même, en fait, avait, dans sa vie personnelle,
04:30connu un drame qui faisait qu'il était allé à la guerre pour mourir.
04:35Et en fait, j'ai essayé de retrouver le fin mot de cette histoire pour mon père
04:39qui lui-même était en train de mourir.
04:41Et je voulais qu'avant qu'il meure, il puisse connaître ce secret de famille.
04:46À quoi bon remuer le passé si le passé n'est qu'un tas d'ossements ?
04:52Je ne saurais jamais la vérité ni le pourquoi de cette charge,
04:56car il n'y en a peut-être pas.
04:58Un obus, une jambe arrachée,
05:01la guerre dans toute sa brutale stupidité, qui sait ?
05:05Nul ne peut pénétrer les tombes.
05:08Nul ne peut réveiller les morts.
05:11Nul ne peut écrire un livre qui n'existe pas.
05:13À ce moment du livre, c'est à peu près au milieu.
05:15Dans mon enquête, justement, familiale,
05:17où j'essaye de découvrir ce secret de famille,
05:19je n'y arrive pas.
05:20La piste que je suis va s'avérer une impasse.
05:25Et donc, du coup, découragement total.
05:28Et je me dis, en fait, mon arrière-grand-père,
05:30il est peut-être mort dans cette charge.
05:32Et c'est juste le hasard, en fait.
05:34C'est juste la guerre.
05:36Il n'y a rien à chercher de plus.
05:37Il n'y a pas une histoire de famille,
05:38quelque chose qui s'est joué,
05:40qui a été tue ou qui est un non-dit.
05:43Et donc, en fait, le passé, c'est juste des os.
05:48Donc, j'arrive à un moment de découragement dans le livre,
05:50comme souvent dans toute forme d'enquête,
05:52même policière,
05:53parce que c'est un peu une enquête policière,
05:55d'une certaine manière.
05:56Et je me dis, je ne vais pas y arriver.
05:58Et c'est un moment qui est très dur pour moi, évidemment,
06:00parce que j'ai passé beaucoup, beaucoup de temps,
06:03déjà deux ans ou plus,
06:05à fouiller dans les mâles,
06:07à aller dans les archives, à interroger les gens.
06:09Et je me dis, en fait, il n'y a peut-être pas d'histoire.
06:11Il n'y a peut-être pas d'histoire romanesque.
06:13Et alors, heureusement pour moi, il y en aura une.
06:15J'ouvre une parenthèse, parce que vous l'avez abordée.
06:18J'ai l'impression qu'aujourd'hui,
06:18tous les romans, en fait, sont des romans policiers.
06:21C'est-à-dire que la technique du roman policier,
06:23si tu veux, instiller un suspense dans un livre,
06:25fait qu'on accroche le lecteur
06:26et qu'il a envie de tourner les pages.
06:29Et maintenant, c'est vrai qu'on utilise tous un peu
06:30des techniques de cliffhanger,
06:32comme dans les séries.
06:33Moi, c'est ce que je fais dans tous mes chapitres.
06:35J'essaye qu'à la fin du chapitre,
06:36on se dise, merde, merde, merde,
06:37il faut que je continue,
06:38il faut que je tourne la page,
06:42et je pense que c'est très lié aux séries télé.
06:45Maintenant, c'est un mode de narration fantastique
06:48qui est l'héritier des grands feuilletons
06:50du 19e siècle dans les journaux
06:52qu'écrivaient Balzac ou les autres.
06:54Chaque semaine, on attendait la suite de l'histoire.
06:56Là, c'est la même chose.
06:58Les séries télé sont d'une efficacité
07:01narrative absolument impressionnante.
07:04Et en tant que romancier, en tant qu'écrivain,
07:06aujourd'hui, je pense qu'on doit reprendre
07:08les mêmes schémas, les mêmes techniques
07:10pour accrocher le lecteur, pour qu'il ait envie
07:12d'aller au bout de l'histoire.
07:14C'est intéressant ce que vous dites,
07:15c'est que finalement, aujourd'hui, pour vous,
07:16à l'heure de Netflix, on n'écrit pas pareil
07:18qu'avant.
07:21Très honnêtement, et beaucoup d'écrivains
07:23vous le diront,
07:25les livres sont aussi en compétition
07:26avec les séries et plein d'autres,
07:28ou les podcasts, ou plein d'autres,
07:30voilà,
07:32biens culturels qu'on possède aujourd'hui.
07:35Et donc, forcément, je me dis,
07:36qu'est-ce qui fait que j'ai envie de prendre un livre,
07:38qu'est-ce qui fait que j'ai envie d'ouvrir un livre,
07:41et d'avoir, voilà,
07:42cette même sensation d'addiction.
07:45Je pense que les livres apportent aussi
07:47d'autres choses que les séries,
07:48parce que les séries, on est très passifs,
07:50on reçoit les images, c'est incroyable,
07:52ça a une esthétique folle,
07:53les personnages sont très bien développés, etc.
07:56Mais on ne fait pas cet effort
07:57de s'approprier l'histoire.
07:59C'est-à-dire que dans un livre,
08:00ce qui est très fort,
08:00c'est que c'est nous qui devons fabriquer les images,
08:02c'est nous qui devons imaginer les personnages,
08:05imaginer les scènes,
08:06et du coup, ça devient les nôtres.
08:08Et du coup, les livres nous habitent
08:09plus longtemps que les séries.
08:11Vous verrez que souvent,
08:11les séries, on termine une série,
08:13on a passé un super moment,
08:14mais il ne nous en reste pas grand-chose.
08:16C'est comme avoir bouffé un énorme Big Mac
08:17et se sentir repu et se dire,
08:19bon, merde, j'ai un peu abusé, là.
08:22Un livre, on prend son temps,
08:24il est à nous,
08:24c'est cet objet à côté de nous,
08:26avec lequel on va passer plus de temps.
08:28Et à la fin du livre, en fait,
08:29l'histoire continue à faire écho en nous
08:31beaucoup plus longtemps.
08:33Et les questionnements
08:33et les choses qui se sont passées dans le livre,
08:36vont influencer notre vie
08:38d'une manière beaucoup plus profonde, je crois.
08:40Et c'est pour ça que la littérature est très importante.