L'économiste Thomas Porcher, professeur à la PSB Paris School of Business était l'invité de France Inter lundi 21 avril. Il publie “Le vacataire. Expérience vécue de la précarité à l’université” (Stock).
Retrouvez « L'invité de 7h50 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Retrouvez « L'invité de 7h50 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Hélène Philly, votre invitée, docteur en économie, professeur à la Paris School of Business.
00:05Bonjour Thomas Porcher, bien connu des auditeurs de France Inter, vous participez au débat éco chaque vendredi avec Dominique Seux.
00:12C'est pour un témoignage très personnel que l'on vous reçoit ce matin, votre dernier livre, Le Vacataire, publié chez Stock.
00:20C'est le récit de votre début de carrière, un long chemin avant de devenir enseignant-chercheur.
00:24Ça a duré 5 ans pour vous, payé à l'heure et pas tous les mois, on va le voir, le parcours du combattant pour décrocher un poste.
00:31L'appel d'Emmanuel Macron la semaine dernière aux chercheurs étrangers vous a forcément inspiré.
00:35Est-ce qu'il y a de la place pour les chercheurs étrangers en France ?
00:38Moi je pense que la France devrait plutôt s'occuper de ses enseignants dans le supérieur,
00:42parce qu'il y a quand même deux tiers des enseignants qui sont des enseignants vacataires.
00:46Alors vous l'avez dit, des vacataires c'est des enseignants en contrat précaire,
00:49qui n'ont pas de chômage, qui n'ont pas de congés payés, qui sont payés à l'heure
00:52et qui touchent un salaire tous les 6 mois dans le meilleur des cas.
00:55Et c'est aujourd'hui deux tiers des enseignants.
00:57Donc il faudrait d'abord plutôt s'occuper de ces enseignants-là,
01:00plutôt que d'aller accueillir des enseignants étrangers me semble-t-il.
01:03On n'a pas les moyens en France de proposer cet accueil à des chercheurs
01:07qui sont là aux Etats-Unis dans le collimateur de l'administration Trump ?
01:11Il y a eu, vous savez en France il y a eu des politiques publiques,
01:13qui ont voulu qu'il y ait 80% d'une génération qui ait le bac,
01:16et c'est une bonne chose, 60% qui a une licence, et c'est une bonne chose.
01:19Mais les moyens n'ont pas été mis en face.
01:20Et comme ils n'ont pas été mis en face, il y a eu des variables d'ajustement,
01:23dont j'ai fait partie pendant 5 ans.
01:25Et aujourd'hui se dire qu'on va pouvoir trouver des postes comme ça
01:28pour des professeurs qui viennent de l'étranger,
01:30alors qu'on a du mal à retenir les meilleurs chercheurs français
01:33qui eux partent à l'étranger,
01:35c'est un petit peu quand on connaît l'université française.
01:37Ça, ça a été le mouvement des dernières années en fait.
01:40Des chercheurs français qui se forment en France
01:43et qui finissent par aller travailler à l'étranger,
01:46au Canada, aux Etats-Unis notamment.
01:48Pour les meilleurs d'entre eux, par exemple, c'est arrivé à mon petit frère
01:50qui est un excellent chercheur,
01:51qui lui n'a pas eu de poste tout de suite
01:53et qui est parti à la London School of Economics.
01:55Mais après, pour des chercheurs qui sont plus moyens,
01:58comme c'était mon cas,
01:59le problème c'est vraiment de trouver un poste.
02:01Et vous êtes en vacation.
02:03C'est quoi un chercheur moyen ?
02:04Non, mais c'est un chercheur qui a un doctorat,
02:06qui n'a pas fait de grande école,
02:07qui a des publications convenables,
02:09et pas les meilleures publications au monde.
02:11Et cette personne-là, en fait, va passer par des vacations,
02:15par ce poste de vacataire.
02:16Mais le problème, c'est que ce n'est pas un passage obligé
02:19pour avoir un poste.
02:19C'est-à-dire que ça peut être souvent une espèce de trappe,
02:22de trappe à vacation.
02:23Moi, j'ai appelé ça une trappe à précarité.
02:25C'est-à-dire que plus vous donnez des vacations,
02:27moins vous avez tant de faire de la recherche,
02:29moins vous avez la chance de décrocher un poste.
02:32Et décrocher un poste qui passe par des publications scientifiques,
02:35notamment.
02:36Pour ça, il faut travailler.
02:38Exactement.
02:38Et moi, j'ai eu un poste dans le privé.
02:40Rappelons-le.
02:40C'est-à-dire qu'à un moment,
02:41les écoles de commerce privé
02:42devaient avoir un certain nombre de docteurs.
02:44Et c'est là que, pour des gens comme moi,
02:46il y a eu des opportunités de trouver des postes.
02:48Et ensuite, j'ai eu du temps
02:49et j'ai pu faire de la recherche de meilleure qualité.
02:52Ça veut dire que vous le prenez comment,
02:53cet appel de l'exécutif à accueillir,
02:55à faire de la France une terre d'asile ?
02:57Avec un peu d'ironie ?
02:58Je pense qu'il y a une forme de mépris
03:02à l'égard de ceux qui font tourner aujourd'hui les universités
03:04et qui aiment leur métier.
03:06Parce que c'est ce que je rappelle dans le livre, en fait.
03:08Le paradoxe, c'est qu'ils sont très maltraités.
03:11À la fin, je finis le livre
03:12en donnant une dizaine de témoignages
03:14d'autres chercheurs dans d'autres domaines.
03:15Par exemple, il y a une chercheuse en biologie moléculaire
03:18qui fait de la recherche sur le cancer,
03:21qui est dans des contrats précaires.
03:22Et le paradoxe, c'est qu'ils aiment leur travail.
03:25C'est qu'ils veulent avoir un poste.
03:27Ils adorent l'université.
03:28Et même moi, j'ai un chapitre
03:29où je dis ô combien j'ai adoré l'université
03:31et le plaisir que j'y avais d'y enseigner.
03:34Et le problème, c'est qu'ils sont utiles
03:36puisqu'ils donnent des cours.
03:38Ils aiment ça.
03:38Mais que pour des raisons de coupe budgétaire,
03:42de mauvaise politique économique,
03:44on n'arrive pas à leur donner un statut.
03:45C'est ça, juste un statut pour qu'ils soient payés
03:47tous les mois et qu'ils puissent faire leur travail
03:48dans de bonnes conditions.
03:49Le début de votre carrière, Thomas Porcher,
03:52il remonte un peu.
03:53Vous nous racontez dans ce livre
03:54Le Vacataire,
03:55vos années post-thèse.
03:58Vous êtes jeune docteur,
03:59vous êtes vacataire.
04:00On est entre 2006 et 2011.
04:02Ça remonte un peu.
04:03Pourquoi est-ce que vous y revenez aujourd'hui ?
04:04Parce qu'il y a eu une grosse grève,
04:06une des premières, moi,
04:08sur les 20 dernières années,
04:10où les vacataires ont refusé
04:11de rendre leurs notes.
04:13C'était en 2023 ?
04:14C'était en 2023,
04:14dans une dizaine d'universités.
04:16Ils se sont dit,
04:16bon, c'est pas possible,
04:17on peut établir un rapport de force.
04:19Et il y avait un certain nombre
04:20de mes anciens collègues
04:22qui n'ont pas réussi à s'en sortir,
04:24qui sont encore vacataires,
04:25qui faisaient partie des manifestants.
04:27En 2023,
04:28des gens avec qui vous avez débuté
04:29étaient encore vacataires.
04:31Donc payés à l'heure de cours ?
04:33Payés à l'heure de cours.
04:33Alors certains sont profs de lycée
04:35et c'est des heures supplémentaires.
04:37Mais ce que demandaient les vacataires
04:38dans cette grève,
04:39c'était d'être payés tous les mois
04:40et de revaloriser l'heure de TD
04:42qui n'a pas été revalorisée
04:43depuis 25 ans.
04:44C'est ce qu'ils demandaient.
04:46Et moi, à l'époque où j'étais vacataire,
04:48j'avais noté quelques impressions
04:50parfois sur un cahier,
04:52les réflexions que j'avais.
04:53Et quand je les ai relus,
04:55je trouvais que c'était assez intéressant
04:57parce qu'on voyait vraiment sur l'humain,
04:59l'impact sur l'humain
05:01de mauvais choix de politique économique.
05:02C'est-à-dire, au fond,
05:04c'est toujours quelqu'un
05:04qui paye l'ajustement.
05:06Et là, c'était en l'occurrence,
05:07c'était moi.
05:08Alors ce que je dis au début du livre,
05:09c'est que c'est mon témoignage
05:10et que je ne parle pas pour tout le monde,
05:12mais que ça s'ajoute
05:12à la somme des témoignages
05:13qu'il y a eu de vacataires.
05:16Et quand vous êtes précaire,
05:17il y a un impact sur la santé mentale,
05:20parce que vous vous sentez dévalorisé,
05:22méprisé, sur la santé physique,
05:24parce que vous vous alimentez très mal.
05:26Vous racontez cette scène
05:27dans votre livre
05:28qui retrace le parcours
05:30sans doute un peu réaménagé
05:32d'une de vos journées de travail type
05:34qui commence très tôt le matin,
05:35qui finit très tard le soir.
05:36Vous passez dans plusieurs universités différentes.
05:40Vous terminez par...
05:41Enfin, vous commencez
05:42dans une école privée le matin.
05:43Oui, dans une prépa privée.
05:45Vous passez le milieu de votre journée
05:47à l'université de Tolbiac
05:48et vous finissez dans un ITS
05:50à la fin de la journée.
05:51Et entre tout ça, il faut manger
05:52ou corriger des copies.
05:54C'est le choix que vous devez faire
05:55dans le métro, par exemple.
05:56Vous avez un quart d'heure le midi.
05:57En fait, comme l'emploi du temps
05:58se fait en fonction
05:59de plusieurs institutions,
06:00en fonction des besoins.
06:01Parce que vous êtes en...
06:01Moi, je disais,
06:02je me définissais comme un bouche-court.
06:04Je n'étais pas un sergé d'enseignement,
06:05j'étais un bouche-court.
06:06Je prenais les cours
06:06que les statutaires ne voulaient pas.
06:08Et donc, votre emploi du temps,
06:09c'est un véritable tétris.
06:11Au début, vous prenez les samedis,
06:12le soir, le matin,
06:13parce que vous savez
06:13que peu d'enseignants
06:14veulent se positionner
06:15sur ces heures-là.
06:15Puis après, vous remplissez l'intérieur.
06:17Et j'avais souvent
06:18une demi-heure pour manger
06:18entre deux institutions
06:20qui étaient à l'autre bout de Paris.
06:21Et donc là, vous mangez,
06:22soit vous mangez dans le métro,
06:23soit vous mangez des choses
06:24bourratives,
06:25un coca, un mars, etc.
06:27Parce que vous avez
06:27une demi-heure pour faire
06:28un trajet du 16e à Tolbiac.
06:31Alors, vous ne pouvez pas
06:32le faire en une demi-heure.
06:33Vous allez avoir
06:33un quart d'heure de retard.
06:34Tout le monde le sait.
06:36Ce qu'on me disait,
06:36c'est que tu verras ça
06:37avec les étudiants.
06:38Tu gèreras ça.
06:39Et ça vous met dans des positions
06:40où vous n'êtes pas à l'aise
06:41parce que vous n'êtes pas à l'aise
06:42d'être en retard.
06:42Vous devez manger rapidement.
06:43Vous corrigez des copies
06:44en cinq minutes.
06:46C'est important de rappeler
06:47que la précarité amène
06:49à une mauvaise qualité du travail.
06:50Vous savez, aujourd'hui,
06:50dans les statistiques,
06:51on dit que la France
06:52n'est plus productive.
06:53Pourquoi elle est plus productive ?
06:54Parce que les emplois
06:54qui ont été créés
06:55ces dernières années
06:55sont des emplois précaires.
06:57Vous ne pouvez pas fournir
06:58un travail de qualité
06:59quand vous donnez 40 heures de cours
07:00et que vous avez 100 copies
07:01à corriger par semaine.
07:02C'est autorisé de donner
07:0240 heures de cours
07:04à l'université
07:05en tant que vacataire ?
07:06En fait, vous avez
07:06plusieurs types de vacataire.
07:08Vous avez le vacataire VIP,
07:09c'est-à-dire un trader
07:10en marché des matières premières
07:11qui va donner un cours
07:13en master de finance
07:14dans un master très célèbre
07:15qui, lui, n'est pas précaire.
07:17Et puis, vous avez le reste.
07:18Le reste, vous avez des doctorants
07:20qui n'ont pas d'allocation
07:21de recherche,
07:22donc qui vont donner des cours
07:23pour un peu avoir de l'argent
07:25et qui sont limités.
07:26Vous avez des profs de lycée
07:27qui donnent des heures supplémentaires
07:29et après, vous avez une partie
07:30qui sont docteurs,
07:32qui ont besoin de vivre,
07:34qui ne vont pas avoir de contrat
07:35dans des labos, etc.
07:36Et qui, eux, vont monter un statut
07:38d'auto-entrepreneur
07:39ou de micro-entreprise
07:40et qui, avec ce statut-là,
07:42ont une profession
07:43et donc peuvent donner
07:44autant d'heures de cours
07:44qu'ils veulent.
07:45Pour contourner donc
07:46le plafond horaire
07:47qui, normalement,
07:48est soumis à toute la station
07:50par année.
07:52Tout à fait.
07:53Vous le contournez comme ça ?
07:54Alors, il y a des facs
07:55qui demandent des obligations
07:57de justification de revenus,
07:59mais moi, comme je donnais des cours
08:00dans une prépa privée,
08:01j'avais un petit peu de revenus,
08:03700 euros, 800 euros,
08:04qui me permettaient
08:05de donner autant d'heures
08:06de cours que je voulais
08:06dans trois universités différentes.
08:08Et vous parlez même
08:09d'un système de prête-nom.
08:10Oui, il y a un système
08:11de prête-nom qui existe,
08:12parce que vous avez...
08:13Complètement illégal.
08:15Oui, mais qui a été pareil.
08:17Vous avez pas mal
08:18d'articles de presse,
08:19donc il y a eu des enquêtes
08:20là-dessus.
08:21Vous avez parfois
08:21des enseignants
08:22qui n'arrivent pas
08:23à faire toutes leurs heures
08:23et qui vont prêter
08:24ces heures-là
08:25par prête-nom à d'autres
08:27parce qu'il faut à un moment
08:28les faire, les heures.
08:29Si vous mettez personne
08:30devant les étudiants,
08:31vous avez mis 1000 étudiants
08:31en première année,
08:32il y a 25 TD par matière,
08:34il faut trouver des gens
08:35à mettre en face des élèves.
08:36Ça veut dire qu'on n'aurait pas
08:37dû démocratiser autant
08:38l'enseignement supérieur ?
08:40Quand on fait des choix
08:40de politique publique,
08:41il faut mettre les moyens
08:42qui vont avec.
08:43C'est très simple de dire
08:44on va avoir toute une génération
08:45qui va avoir le bac
08:46et après de réduire les budgets.
08:48Et vous regardez,
08:49c'est partout pareil.
08:50Là, par exemple,
08:51on a demandé aux gens
08:52qui ont le RSA
08:53de chercher un emploi,
08:55de s'inscrire à Pôle emploi.
08:56Et bien, Pôle emploi,
08:57comme il n'y a pas eu
08:57de recrutement,
09:00est débordé par l'arrivée
09:01de ces personnes
09:02qui touchent le RSA.
09:03Donc, une politique,
09:03c'est très simple
09:04d'annoncer des objectifs
09:05mais derrière,
09:06il faut mettre les moyens.
09:07Sinon, vous créez
09:07de la précarité.
09:09La loi de programmation
09:10de la recherche 2020,
09:11elle affiche des ambitions
09:12de revalorisation
09:14des métiers de la recherche.
09:15Il y a un objectif,
09:16il y a des engagements.
09:18On l'espère.
09:18Après, c'est vrai
09:19que quand on regarde
09:19la tendance
09:20ces 15 dernières années,
09:22que ce soit sous Sarkozy,
09:23Hollande ou Macron,
09:24les dotations
09:25ont plutôt diminué.
09:27C'est les moyens
09:28qu'il faut augmenter.
09:29Comment est-ce qu'on améliore
09:30les conditions de travail ?
09:32Je pense que moi,
09:33on peut prendre le problème
09:33dans tous les sens.
09:35On peut vraiment
09:35le prendre dans tous les sens.
09:36Quand on donne
09:37une trentaine d'heures
09:38de cours par semaine,
09:39il faut donner un statut
09:40à ces gens-là.
09:41Et je finis le livre
09:42en disant qu'une société
09:44qui traite aussi mal
09:45ses chercheurs
09:46et ses enseignants,
09:47quel qu'en soit le niveau,
09:48est une société
09:48qui est malade.
09:49Merci beaucoup Thomas Parcher.
09:51Le vacataire,
09:52c'est la collection Immersion
09:53des éditions Stock
09:55Philosophie Magazine Éditeur.
09:57Merci Hélène Philly.
09:58Merci.
10:03Merci.