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L’ONG créée en 2017 s’est donné pour mission de reprendre les enquêtes de reporters assassinés, emprisonnés ou enlevés. C’est le cas du « Projet Viktoria », publié hier dans une centaine de médias comme Le Monde, le Washington Post, The Guardian ou Der Spiegel. 45 journalistes internationaux du réseau Forbidden Stories ont poursuivi les investigations de l’Ukrainienne Viktoria Rochtchyna sur les milliers de civils ukrainiens détenus illégalement en Russie et torturés par leurs geôliers. La jeune femme de 27 ans est elle-même morte pendant sa détention.

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Transcription
00:00Et votre invité média Céline Baïd-Arcourt est journaliste.
00:03Il a fondé en 2017 Forbidden Stories, un réseau mondial de reporters
00:07qui reprend les enquêtes de collègues assassinés, enlevés ou emprisonnés.
00:12Des articles qui sont ensuite publiés dans une centaine de médias
00:15comme Le Monde, le Washington Post ou le Guardian.
00:17C'est le cas du projet Victoria qui a été publié hier après-midi.
00:20Bonjour Laurent Richard.
00:21Bonjour.
00:22C'est l'enquête de Victoria Roshina que vous avez poursuivie.
00:24Cette journaliste ukrainienne avait 27 ans.
00:27Elle est morte en détention en Russie l'année dernière.
00:29Dans quelles circonstances ?
00:31Les circonstances restent encore floues.
00:32Ce qu'on sait, c'est qu'elle a beaucoup souffert.
00:34Ce qu'on sait, c'est qu'on a retrouvé sur son corps des marques d'abrasion.
00:38Ce qu'on sait, c'est que l'autopsie a révélé que des organes étaient manquants.
00:42Les Russes ont prélevé son larynx, les globes oculaires,
00:45visiblement d'après les médecins légistes, pour masquer les raisons de son décès.
00:50Pour masquer les tortures ?
00:51Pour masquer les faits de torture.
00:52Et c'est des faits de torture que nous avons documentés avec l'aide de 45 journalistes
00:56dans ce qu'on appelle dans la prison Tagenrock,
00:59qui est une sorte de grand anamo russe.
01:01Et on a poursuivi en réalité l'enquête de cette jeune journaliste, Victoria,
01:05qui avait 27 ans et qui était la seule journaliste ukrainienne
01:08à oser aller enquêter dans les territoires occupés par les Russes.
01:13Elle enquêtait justement sur les conditions de détention inhumaines des Ukrainiens en Russie.
01:18Et elle en est morte.
01:18C'était son objectif, c'était ses derniers messages qu'elle a envoyés à sa rédactrice en chef
01:22pour dire « je vais aller là-bas et je vais enquêter sur ce qui arrive à notre peuple
01:26qui se retrouve à être torturé dans des garages de torture, dans des chambres de torture ».
01:31Elle a passé la frontière, en fait elle est passée par la Pologne, puis par la Lettonie,
01:35puis par la Russie où elle est re-rentrée dans les territoires occupés.
01:37Et là, elle a été arrêtée.
01:40Et puis ensuite, elle a été transportée dans trois centres de détention pour finir dans Tagenrog.
01:46Et c'est là où on a reconstitué en fait ce qui se passe à l'intérieur de cette prison
01:49sur la base de témoignages de plus de 50 anciens prisonniers et puis de différentes sources.
01:54Et on a pu reconstituer aussi en trois dimensions l'intérieur de cette prison,
02:00des chambres de torture.
02:02Et on a pu décrire aussi les sévices qui étaient pratiqués, la subvocation,
02:05l'exposition à des températures extrêmement basses,
02:09des sévices qui sont infligés en présence de chiens.
02:13On frappe les pommes de la main des détenus avec des battes de fer
02:18jusqu'à ce que la peau se décroche.
02:20Et on a pu entendre tous ces témoignages-là, les vérifier,
02:24évidemment pour raconter ce que Victoria voulait raconter.
02:28Mais qu'est-ce que vous saviez ?
02:29Vous avez donné ces notes, c'est sur cette base que vous avez pu poursuivre son enquête ?
02:33Non, elle avait donné ses indications à ses rédacteurs en chef.
02:37Alors en général, c'était Victoria qui avait un caractère très trempé
02:41et elle prenait beaucoup de risques.
02:44Et quand elle disait qu'elle allait enquêter dans les territoires occupés,
02:47ses rédacteurs en chef lui disaient « n'y va pas, on ne prendra pas ton papier ».
02:50Quatre jours après, il recevait le papier de Victoria.
02:52Et puis il se disait « finalement, on va le publier
02:53puisqu'en fait, il faut raconter ce qui arrive à notre peuple ».
02:57Et donc là, de la même façon, elle a envoyé un dernier message
03:00et puis le signal de son téléphone s'est éteint.
03:03Et puis quelques instants après, en août 2023,
03:07elle a été officiellement portée disparue.
03:09Disparue comme des milliers de civils ukrainiens.
03:11Ce qui est important et ce qu'on révèle aussi dans cette enquête,
03:14le Victoria Project, c'est l'échelle.
03:16Il faut bien comprendre l'échelle de ce dont on parle.
03:18On parle d'entre 16 000 et 20 000 civils
03:21qui sont actuellement détenus dans 186 centres de détention.
03:26Et pour 29 d'entre eux, on a pu documenter
03:28une pratique systémique de la torture.
03:31Des gens soit qu'on ne reverra jamais,
03:33soit qui vont devenir des monnaies d'échange.
03:35Ce sont des civils, en fait, comme vous et moi,
03:37ne sont pas des combattants, ne sont pas des prisonniers de guerre
03:39au sens légal du terme.
03:42Ce sont des civils qui ont disparu des radars,
03:45qui n'ont aucun contact avec l'extérieur,
03:47aucun avocat pour les défendre,
03:48aucune charge officielle contre eux
03:50et qui vont ne servir qu'à une chose,
03:52à devenir une monnaie d'échange future
03:55pour libérer d'autres prisonniers russes
03:57faits prisonniers par les Ukrainiens.
03:59Combien de journalistes, Laurent Richard,
04:01ont rejoint le réseau Forbidden Story ?
04:04C'est-à-dire, vous ont confié leur travail
04:05au cas où il leur arriverait quelque chose ?
04:07Alors, aujourd'hui, dans le monde,
04:08il y a plus de 200 journalistes extrêmement menacés
04:11qui ont déjà fait l'objet de menaces de mort,
04:13qui ont déjà été kidnappés,
04:14qui utilisent au quotidien ce qu'on appelle
04:16le Safe Box Network, c'est-à-dire un coffre-fort virtuel
04:18dans lequel ils déposent les investigations en cours,
04:21leurs investigations en cours,
04:23et ils font savoir publiquement, haut et fort,
04:25si jamais il m'arrive quelque chose,
04:26je ne suis pas tout seul,
04:27il y a un réseau derrière moi,
04:28et mon enquête sera non seulement poursuivie,
04:30mais elle sera amplifiée et publiée.
04:31Et ça, ça devrait les protéger ?
04:33Et ça, elle les protège.
04:34Beaucoup de journalistes,
04:35et de plus en plus, nous demandent à l'utiliser.
04:37Un grand nombre l'utilisent.
04:39On a encore beaucoup de travail à faire
04:41parce que malheureusement,
04:42on est dans un monde où les journalistes sont désignés
04:44comme les ennemis du peuple,
04:46et pas par n'importe qui,
04:47par Donald Trump.
04:48Et aujourd'hui, on est face à un nouvel axe
04:50assez surprenant que personne n'avait vu venir,
04:52un axe Trump-Poutine de l'ouest à l'est
04:55où ils partagent tous deux une vision commune
04:58à l'endroit de la presse,
04:59nous serions les ennemis du peuple.
05:00Et du coup, on vous demande,
05:01on a envie de se demander aussi,
05:03mais ça ne vous dissuade pas, vous,
05:04quand on voit ce qui est arrivé à Victoria,
05:07de continuer l'enquête,
05:08on peut se dire que le danger est le même aujourd'hui ?
05:10Le danger, il est le même,
05:12il est même en fait en vrai toujours plus fort chaque jour
05:16parce qu'au-delà des assassinats menés contre les journalistes,
05:19il y a aussi des faits de cybersurveillance,
05:21de harcèlement en ligne,
05:22il y a de plus en plus de journalistes,
05:23notamment des journalistes femmes
05:24qui sont vraiment ciblés de manière très violente
05:26sur les réseaux.
05:28Donc les algorithmes jouent contre nous,
05:29les plateformes jouent contre nous,
05:31jouent contre la liberté de la presse
05:32et le droit à l'information.
05:33C'est pour ça que je pense que la seule solution face à ça,
05:36ou en tout cas l'une des plus efficaces,
05:39c'est le travail collaboratif.
05:40C'est de montrer qu'ensemble,
05:41en fait on est capable de s'unir.
05:43C'est de montrer que l'enquête que certains voudraient censurer,
05:47elle est inarrêtable.
05:48Et c'est le message qu'on veut faire passer tous les jours
05:50avec l'émission de Forbidden.
05:51Parce que c'est plus compliqué aussi de tuer,
05:54d'enlever, d'emprisonner 45 journalistes
05:57comme ceux qui ont repris l'enquête de Victoria,
05:59plutôt qu'un seul ?
06:00On est inarrêtable.
06:01En réalité, on est inarrêtable.
06:02Si vous voulez poursuivre un journaliste qui est en Angleterre,
06:04un autre en France va publier l'enquête.
06:06Si vous voulez emprisonner ce journaliste au Bangladesh,
06:09en fait son enquête sera publiée non seulement au Bangladesh,
06:11mais aussi sur la une du Washington Post.
06:14Et je pense aussi une chose,
06:15c'est que les criminels,
06:17ceux qui tuent les journalistes,
06:17ou les administrations qui les protègent
06:19et qui génèrent l'impunité autour de ces cas,
06:22se moquent un peu des statements,
06:24même si le travail de plaidoyer est important.
06:27Mais ce qu'ils redoutent le plus,
06:28c'est de voir leurs propres crimes exposés,
06:30leurs crimes financiers,
06:31leurs crimes environnementaux.
06:32On a de plus en plus de journalistes qui sont assassinés
06:34parce qu'ils essayent de raconter la pollution d'un lac
06:37causé par une industrie minière, par exemple.
06:40Et ça, on est dans le cadre d'une conversation très importante
06:43sur le changement climatique.
06:45Qu'est-ce qu'on peut faire ?
06:46Si on n'a pas les informations sur qui pollue,
06:48on n'arrivera pas à sauver la planète.
06:50Vous avez cité les Etats-Unis où la Russie,
06:52où la liberté de la presse est mise à mal.
06:54Mais en France, c'est ce que va révéler dans deux jours
06:58Reporters sans frontières,
07:00notre pays recule aussi dans le classement
07:03de la liberté de la presse.
07:05Samedi, ce sera la journée mondiale de la liberté de la presse.
07:07Quel est le problème pour les journalistes français ?
07:09En France, on est dans une situation différente
07:11de celle du Mexique ou de la Russie, évidemment.
07:13Mais il y a aussi des sujets.
07:16Le premier sujet, c'est la concentration des milliardaires
07:20dans le capital des médias.
07:23La concentration de la propriété des médias.
07:24La concentration de la propriété, c'est un vrai sujet.
07:27Un sujet qui génère ensuite de la pression,
07:30voire de la censure aussi dans les rédactions françaises.
07:33Le deuxième sujet, ça peut être aussi
07:34la surveillance des journalistes françaises.
07:36On a une journaliste française de Disclose
07:38qui a été surveillée par les services secrets français,
07:42par la DGSI.
07:44Et on a tout fait, ils ont tout fait
07:45pour essayer d'identifier sa source.
07:48Donc on a aussi une France qui a poussé
07:50pour que la cybersurveillance soit
07:52quasiment autorisée à l'encontre des journalistes.
07:56Donc il y a tout un tas de sujets.
07:58En fait, la liberté de la presse,
07:59c'est un peu comme la démocratie.
08:01La démocratie ne tient que parce qu'il y a...
08:03Entre autres, parce qu'il y a la liberté de la presse.
08:05C'est un des piliers fondamentaux.
08:07Mais la liberté de la presse,
08:08si on ne la défend pas activement,
08:09elle va s'effriter et puis elle va s'écrouler.
08:11Il faut bien avoir conscience.
08:12Et ce n'est pas juste une question
08:14de nous défendre, nous, journalistes.
08:16On fait ça pour qui ?
08:17Pas pour nous.
08:17On fait ça au nom de l'intérêt général,
08:20pour que l'on sache,
08:21pour qu'on soit au courant de ces centres de détention
08:23en Russie où se pratique la torture,
08:26pour qu'on sache sur quoi enquêter.
08:27Daphné, Karana Galizia,
08:29à Malte, par exemple,
08:30qui a enquêté sur la corruption.
08:31On fait ça pour ça,
08:32dans l'intérêt général,
08:33et pour que les gens soient informés.
08:35Alors c'est très compliqué
08:35parce qu'il nous reste peu de temps
08:36pour un sujet ô combien important.
08:39C'est les fake news qui se multiplient.
08:41Est-ce qu'il est possible
08:42de lutter contre ce phénomène mondial ?
08:45Je pense qu'il est.
08:47Je pense que c'est un sujet très compliqué.
08:49Je pense que la meilleure façon de lutter,
08:52le meilleur outil,
08:53ça s'appelle un journaliste.
08:54Et un journaliste,
08:56et c'est pour ça qu'il faut soutenir le travail
08:57et comprendre l'importance du journaliste
08:59dans notre fonctionnement démocratique.
09:01Et je pense que les gens sont souvent perdus,
09:04peuvent avoir une forme de défiance.
09:07Et c'est pas le moment,
09:08puisqu'on est face à des algorithmes
09:09qui balancent de la fake news
09:11à longueur de journée.
09:12Donc il nous faut des journalistes
09:13et des journalistes en vie
09:14pour pouvoir le faire.
09:15Merci beaucoup Laurent Richard.
09:16Merci d'être venu.
09:17Merci Laurent Richard,
09:18fondateur de Forbidden Stories,
09:19dont la nouvelle enquête
09:20sur la détention d'Ukrainien en Russie
09:22vient de paraître dans le journal Le Monde.
09:24Merci.

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