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Les pratiques de la QPC par les avocats avec Mathieu Disant, Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne, Université Paris Panthéon-Sorbonne.

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Transcription
00:00Musique
00:00On va s'intéresser aux pratiques de la QPC par les avocats avec mon invité Mathieu Dizan,
00:16professeur à l'école de droit de la Sorbonne au sein de l'université Paris-Panthéon-Sorbonne.
00:21Mathieu Dizan, bonjour.
00:23Bonjour Arnaud.
00:23La QPC permet de contester la conformité des lois aux droits fondamentaux.
00:31Depuis son entrée en vigueur en 2010, quel a été l'impact de la QPC sur le travail des avocats ?
00:37Un impact majeur, puisque avec l'arrivée de la QPC, les avocats ont été connectés avec la Constitution.
00:44Parce qu'avant 2010, le contentieux constitutionnel était seulement un contentieux a priori, préalable à la promulgation,
00:50et donc un contentieux sans avocat.
00:52A partir de 2010, les avocats vont avoir une pratique du contrôle de constitutionnalité de la loi.
00:58Les portes du Conseil constitutionnel leur sont désormais ouvertes, ils y plaident,
01:03chaque semaine devant une audience, dans une audience publique,
01:07et donc ils sont désormais des acteurs essentiels du contentieux constitutionnel.
01:12Et effectivement, ça fait maintenant 15 ans que la QPC est appliquée, avec succès,
01:17et je pense d'ailleurs que les avocats sont les premiers artisans de ce succès.
01:21Le constat général que l'on peut tirer, c'est qu'il y a quand même, malgré ce succès,
01:27un potentiel que je qualifierais de sous-exploité.
01:30Sous-exploité parce que le réflexe constitutionnel, qui était à l'origine de cette réforme,
01:36donner un réflexe constitutionnel, ne s'est pas finalement répandu dans tous les cabinets,
01:40et auprès des 77 000 avocats, au moins pas tout à fait de la même façon.
01:44Vous avez une explication par rapport à ça ?
01:46Oui, l'explication, c'est que la grande majorité des avocats restent quand même éloignés de la pratique de la QPC.
01:52Dans une étude que j'avais dirigée il y a maintenant 5 ans,
01:5680% des avocats se disaient encore éloignés de la pratique de la QPC.
02:01Donc il y a probablement une raison principale à cela, c'est le défaut d'expertise,
02:06parce qu'effectivement le contentieux QPC nécessite une expertise en contentieux constitutionnel,
02:11et ça nécessite aussi de maîtriser un certain nombre d'éléments,
02:14de savoir choisir le bon dossier, choisir le moment dans lequel il faut déposer une QPC.
02:20Donc c'est toute une série de questions qui se posent proprement au contentieux QPC.
02:25Et puis j'ajouterais peut-être un élément qu'il faut souligner, c'est la nature du client,
02:30parce qu'effectivement il y a une pratique différente,
02:33selon que le client est un client institutionnel ou associatif,
02:35qui peut aussi avoir pour objectif un intérêt général,
02:40et puis un client particulier pour lequel l'intérêt général n'est pas le premier objectif à prendre en considération.
02:48Alors vous l'avez dit, tous les avocats ne sont pas saisis de cet outil juridique qu'est la QPC.
02:54Quel est l'intérêt stratégique pour un avocat de soulever une QPC dans un dossier ?
03:00Le principal, c'est évidemment la puissance abrogative de la QPC.
03:04Ça c'est un avantage absolument considérable.
03:07La QPC n'est évidemment pas un recours juridique comme les autres,
03:11il peut produire l'abrogation d'une disposition législative,
03:14donc avec un effet erga omnes.
03:17Donc ça, ça en fait une arme unique, une arme absolument exceptionnelle,
03:20et les avocats les mieux informés d'ailleurs en ont parfaitement conscience,
03:22comme ils ont conscience d'ailleurs que couplé à la publicité de l'audience,
03:27la QPC présente une résonance médiatique, une résonance aussi sociétale tout à fait considérable
03:32et inégalée au regard des autres contentieux.
03:34Mais l'intérêt stratégique de la QPC, ce n'est pas simplement l'abrogation.
03:38Des stratégies plus fines peuvent aussi permettre d'utiliser la QPC,
03:44par exemple pour orienter l'interprétation de la loi.
03:46En particulier, la technique des réserves d'interprétation qui est utilisée par le Conseil constitutionnel
03:51permet de déclarer une disposition conforme à la Constitution,
03:54à la condition de respecter, d'appliquer la loi telle qu'elle est précisée,
04:00dans le sens qui est précisé par le Conseil constitutionnel.
04:03Ça, c'est une stratégie qui permet finalement de solliciter une certaine signification de la loi,
04:09indépendamment de son abrogation.
04:11C'est une stratégie qui peut s'avérer extrêmement efficace et qui est bien comprise par ceux qui maîtrisent la procédure.
04:17Une autre stratégie peut être aussi d'ailleurs d'utiliser le filtrage de la QPC.
04:22C'est quoi le filtrage de la QPC ?
04:24Avant de remonter au Conseil constitutionnel, la QPC doit être filtrée par le juge administratif et le juge judiciaire
04:29et évidemment le Conseil d'État et la Cour de cassation,
04:32qui sont les portiers en quelque sorte du Conseil constitutionnel.
04:35Et au stade du filtrage, on peut très bien avoir déjà gain de cause, d'une certaine façon,
04:39en obtenant une certaine interprétation de la loi, parfois en essayant de fixer une jurisprudence
04:45ou parfois en résolvant une sorte de divergence propre aux contentieux ordinaires
04:50à l'occasion duquel on soulève une QPC.
04:53Donc vous voyez, les stratégies finalement peuvent s'avérer extrêmement variées,
04:56parfois très subtiles en fonction des attentes, en fonction bien sûr du dossier.
05:00Et comme dans toute stratégie, vous le savez, tout dépend aussi et peut-être d'abord du stratège.
05:06Bien sûr. Alors on a vu l'intérêt stratégique pour les avocats de soulever les QPC.
05:10Concrètement, quels sont les types de dossiers qui se prêtent le plus à l'introduction d'une QPC ?
05:15Tous. Tous les dossiers où l'avocat repère que le problème peut se loger dans une disposition législative.
05:25Donc autrement dit, quand la gêne vient de la loi ou de son interprétation, comme vous l'avez compris,
05:32il faut s'interroger sur une possible QPC.
05:35Donc peu importe le domaine, tous les domaines du droit sont concernés, absolument tous.
05:40Statistiquement, il y a quatre blocs aujourd'hui, affaires publiques, fiscalité, droit pénal, procédure pénale et droit social,
05:47mais c'est absolument pas exclusif d'autres domaines qui sont statistiquement plus faibles,
05:51mais qui sont très importants, je pense, au contentieux environnemental, par exemple.
05:55Donc en réalité, la décision d'engager une QPC, c'est lié à l'environnement du dossier,
06:00c'est lié à l'appréciation des résultats envisageables, c'est lié, bien sûr, aux attendus du client avant tout,
06:06mais c'est aussi lié à la visibilité de ce type de recours.
06:11Et donc finalement, le bilan d'opportunité présente souvent beaucoup plus d'avantages
06:16que d'inconvénients dans la mise en route d'une QPC.
06:19Pour le reste, techniquement, c'est une procédure qui est très ouverte,
06:23on peut la poser devant n'importe quelle juridiction, on peut la poser à tout moment,
06:27en premier ressort, en appel, éventuellement en cassation.
06:31Et la procédure de filtrage, qu'on évoque à l'instant, est parfois d'ailleurs vécue comme un frein par les avocats,
06:37c'est à tort, je me donne l'occasion de le souligner,
06:41parce que cette procédure de filtrage est insérée dans des laits extrêmement brefs.
06:44Ce qui me permet d'ailleurs d'insister sur un point que je crois extrêmement précieux de souligner,
06:51c'est la rapidité de cette procédure.
06:53La QPC est une procédure très rapide.
06:54Rappelez le temps, globalement.
06:56Rapide, parce que les juridictions de filtrage et le Conseil constitutionnel lui-même
07:00sont insérées dans des délais préfixes.
07:03Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont trois mois pour envoyer la QPC,
07:06le Conseil constitutionnel a lui-même trois mois pour rendre sa décision.
07:10Donc si on raisonne dans une procédure d'ensemble,
07:12à supposer qu'on dépose une QPC au stade d'un juge de premier ressort,
07:17le système français de contrôle de constitutionnalité
07:19permet d'avoir une décision définitive et générale
07:23dans un délai qui est en réalité inférieur à neuf mois.
07:27Oui, c'est très rapide.
07:27Et c'est un avantage, je dirais presque un élément d'attractivité
07:31que bien sûr les avocats ont en tête.
07:34La rapidité, comme vous le savez, c'est un élément extrêmement précieux.
07:37Quelles sont les tendances en ce qui concerne les pratiques de la QPC par les avocats ?
07:41La première tendance que j'évoquerais, c'est peut-être une disparité qui serait à corriger, pour le coup.
07:47Je pense ici à un sentiment qui peut être parfois répandu auprès des avocats à la Cour,
07:51qui serait celui d'être profane en matière constitutionnelle,
07:55en laissant soin d'une éventuelle QPC aux avocats au Conseil,
07:59comme si la QPC était assimilable à une sorte de recours en cassation.
08:03C'est une erreur de perception.
08:06Et je pense même que c'est une mauvaise stratégie, pour être honnête.
08:10Il faut remédier à cela.
08:11Et d'ailleurs, le CNB, le Conseil constitutionnel lui-même,
08:14ont pris diverses mesures en ce sens pour essayer de corriger un peu cette perception.
08:21Ça porte ses fruits, ses premiers fruits,
08:23puisque sur les cinq dernières années, donc depuis 2020,
08:25les avocats à la Cour constituent en moyenne les deux tiers des avocats plaidants
08:31devant le Conseil constitutionnel,
08:33alors qu'ils étaient seulement la moitié sur la première décennie d'application de la procédure.
08:38Parmi eux, je souligne aussi une constante,
08:42qui est la surreprésentation des avocats du barreau de Paris,
08:45qui compte 45% précisément de l'effectif des avocats en France,
08:50mais vous le savez, enfin 45%, mais en moyenne 60% des avocats plaidants pour les QPC,
08:56donc il y a ici une divergence,
09:00à mettre en parallèle avec environ un tiers des QPC
09:03qui sont renvoyés par des juridictions parisiennes.
09:06Donc il y a clairement quelques déserts sur certains ressorts territoriaux.
09:10Ce n'est pas une fatalité, je le dis,
09:13et mon expérience pratique, si vous m'autorisez...
09:16Ce sera le mot de la fin.
09:17L'expérience pratique serait peut-être de formuler deux conseils,
09:20deux conseils très simples à l'intention des avocats.
09:23Le premier, c'est de penser à la QPC.
09:25Il faut penser à la QPC, je le répète,
09:27quand la gêne vient de la loi ou de son interprétation,
09:30l'avocat doit s'interroger sur la possibilité de la QPC.
09:32Et le deuxième, pour terminer ?
09:33Et le deuxième, c'est de se faire assister.
09:35Il faut se faire assister parce que la QPC est un contentieux spécifique.
09:40Le succès d'une QPC tient toujours à une bonne transposition
09:42d'un problème de droit ordinaire dans le contentieux constitutionnel.
09:46C'est donc la rencontre entre deux langages juridiques.
09:48Il est donc tout à fait naturel que les avocats puissent ici se faire eux-mêmes assister
09:53pour en maîtriser les codes, pour arbitrer une stratégie
09:57et bien sûr pour maximiser son efficacité.
10:00On va concurre là-dessus.
10:01Merci Mathieu Dizan.
10:02Merci Arnaud.
10:03Merci à toutes et à tous.
10:05C'est la fin de cette émission.
10:06Merci de votre fidélité.
10:08Restez curieux et informés.
10:10A très bientôt sur Be Smart for Change.
10:11Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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