• il y a 4 ans
[NOUVEAU] La naissance, c'est aussi une déflagration dans la vie des sages-femmes. Chaque jour, elles accompagnent les femmes et permettent à des petits êtres de venir au monde. C’est une sacrée responsabilité. Pourtant, elles exercent parfois leur métier dans de mauvaises conditions. Dans le septième épisode de Sage-Meuf, le podcast qui raconte la folle aventure de la naissance, Anna Roy, sage-femme depuis dix ans et chroniqueuse dans "La Maison des maternelles" sur France 4, vous parle de reconnaissance, de conditions de travail, de dimension symbolique et vous explique pourquoi elle a fait le choix en 2019 de quitter l’hôpital public pour exercer en tant que sage-femme libérale. Elle donne aussi la parole à Adrien Gantois, président du collège national des sages-femmes et à son amie Hélène, qui l’a accouchée.

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Transcription
00:00 Bonjour, avant de retrouver votre podcast, je voulais vous parler d'un autre podcast européen.
00:04 Il s'appelle "Sage Meuf".
00:06 Il parle de la maternité avec des témoignages de jeunes parents et tous les conseils pour gérer au mieux l'arrivée d'un bébé.
00:12 En plus, à chaque écoute de "Sage Meuf", Carrefour s'engage à verser un don pour soutenir le Collège National des Sages-Femmes de France.
00:19 Avec les marques Carrefour Baby et Tex Baby, Carrefour accompagne les bébés au quotidien.
00:24 Des produits alimentaires et d'hygiène, du textile, de l'équipement, avec Carrefour, on a tous droit au meilleur.
00:30 Et surtout les bébés ! Allez maintenant, place à votre podcast !
00:34 Mon amour, je t'aime tellement si tu savais, mais la vie ensemble n'est plus possible.
00:38 Je sens que si je continue avec toi, c'est ma peau que tu auras.
00:41 Il faut que je te dise, nous devons en rester là, au moins pour quelques temps.
00:48 Tu m'as tant donné au début de notre relation, de somptueuses nuits blanches, des joies intenses, des effrois à tordre les boyaux,
00:55 des discussions ininterrompues sur la vie et la mort, des fous rires et des repas fraternels.
01:00 Chaque heure passée auprès de toi était si savoureuse.
01:03 Tu m'as fait tellement grandir, tu as joué un rôle inouï dans la femme que je suis devenue.
01:10 Et puis la passion s'est émoussée, petit à petit, insidieusement, jusqu'à te percevoir comme un monstre, c'est dire.
01:16 Tu ne m'as pas reconnu ni pour ce que j'étais, ni pour ce que je faisais.
01:21 Tu m'as donné trois francs six sous pour vivre, ou plutôt survivre à Paris.
01:26 Tu as mis en danger les gens dont j'aimais m'occuper, mes patients adorés.
01:30 Moi, sage femme, tu as voulu me réduire au statut d'ingénieur du corps.
01:35 Tu as voulu métamorphoser mon art, ma belle profession, en une quête de fric.
01:40 Chaque acte médical égale un code, égale une rentrée d'argent pour l'hôpital.
01:44 Alors il en faut toujours plus, toujours plus vite.
01:47 Et mon carrosse s'est transformé en citrouille.
01:49 Et ça, je ne l'oublierai jamais. Rancune éternelle.
01:53 Tu m'as interdit de me nourrir correctement par manque de temps,
01:56 et tes plateaux de garde en plastique n'offraient que de la pâté pour chiens, merci pour les nausées.
02:01 Tu ne me donnais jamais de temps pour mes patients, mais par contre, pas de problème pour des réunions où l'on brasse du vent.
02:07 Tu me parlais de plus en plus d'économie, et de moins en moins de médecine.
02:11 Tu as bousillé des confrères et des consoeurs que je chérissais.
02:15 Tu m'as obligé à rester assise des heures entières derrière un ordinateur,
02:19 comme si c'était là que s'exerçait l'obstétrique.
02:22 Tu m'as rendu complice de maltraitances et d'exactions.
02:26 Et que de Noël en famille, que de Nouvel An, que d'anniversaire et de soirées d'été, tu m'as volé.
02:31 Tu m'as épuisé psychiquement, et tu as déglingué aussi mes cycles de sommeil.
02:35 Tu m'as fait remplir plus de formulaires inutiles que les poubelles jaunes de Paris ne pourront jamais en contenir.
02:41 Je ne dis pas que j'étais parfaite, loin de là, mais ce dont je suis sûre, c'est que tu as très mal agi.
02:46 Il y a eu un dernier sursaut d'amour. Récemment, on s'est un peu rabiboché.
02:50 J'ai même cru qu'on était sortis de l'ornière.
02:53 Mes deux enfants sont nés chez toi, c'est en ton sein qu'ils ont poussé leur premier cri.
02:57 Et puis non. Stop.
03:00 La colère s'est imposée. Je t'en voulais tellement.
03:02 Un tel amour gâché, comment était-ce possible ? Moi qui t'aimais tant.
03:05 J'espérais pouvoir te changer, mais rien n'y a fait.
03:08 J'avais des projets plein la tête, et tu n'as cessé de les faire échouer.
03:11 Plus fort que moi, tu étais.
03:13 Je suis passée tout à l'heure en salle de naissance, peut-être pour la dernière fois de ma vie.
03:17 J'ai entendu ce râle féminin profond, venu d'une autre planète.
03:21 Cette douce sonorité de la vie qui vient.
03:24 Puis un petit cri. Celui de la vie arrivée.
03:28 Cela me revenait. C'était pour ça que je t'avais aimée.
03:31 Pour m'avoir permis d'être là, à ce moment-là.
03:34 Une grosse boule de pleurs, les miens cette fois, se déversèrent en un flot ininterrompu.
03:41 Mon hôpital, mon amour, nous étions tant aimés.
03:46 Cette lettre, je l'ai écrite le 17 septembre 2019,
03:52 jour où j'ai décidé de quitter l'hôpital pour ne plus exercer qu'en libérale.
03:56 Ce fut la décision la plus douloureuse de ma vie.
04:00 C'est choquant parce que d'abord, une femme enceinte, ça n'a jamais un physique très joli.
04:05 Et ce n'est pas la peine de la révéler au public, je trouve.
04:09 On est bien content de les avoir.
04:11 Et puis, s'il fallait en avoir un autre, je l'accepterais pareil.
04:15 La France est championne d'Europe en matière de natalité, avec pratiquement deux enfants en moyenne.
04:20 Dans la salle d'attente, les jeunes papas s'interrogent.
04:23 La présence d'une personne qui vient porter de l'amour, en quelque sorte.
04:27 Comme on peut le faire la sage-femme.
04:30 C'est nous qui tenons les maternités. Il ne faut pas perdre sa vie.
04:33 C'est vraiment la sage-femme qui tient la maternité.
04:35 La maternité est toujours une source de stress pour les femmes.
04:38 On va toutes être dépressives.
04:39 Je vais vous ouvrir les portes de mon hosteau, pas que le mien, celui de mes consœurs et de mes confrères,
04:44 aussi pour vous raconter mon histoire, leurs histoires, sans phare et sans tabou.
04:48 Je veux témoigner de l'expérience humaine la plus folle de l'existence,
04:51 la naissance, la plus grande des déflagrations.
04:54 Et dans cet épisode, on va changer d'angle de vue.
04:57 Je vais parler des sage-femmes, avec des sage-femmes,
05:00 de ce qu'elles sont et de ce qu'elles font,
05:03 et de leurs conditions de travail à l'hôpital,
05:05 où se déroule la quasi-totalité des naissances françaises.
05:08 Si j'ai choisi de vous raconter ça, c'est d'abord parce que ça me tient à cœur, vous vous en doutez,
05:12 mais aussi et surtout parce que je pense que cela peut vous être utile.
05:15 Partager avec vous nos passions et nos difficultés vous aidera à comprendre votre prise en charge.
05:20 Vous allez voir, ce n'est pas triste. Enfin si, justement.
05:24 C'est quand même important d'assurer les présentations.
05:27 Je m'appelle Anna Roy et je suis sage-meuf, comme j'aime tant le dire.
05:30 Bienvenue dans Sage Meuf.
05:32 Épisode 7, la déflagration, côté sage-meuf.
05:36 Nous refusons complètement de pointer parce qu'on nous demande actuellement
05:45 de rentrer dans un système informatique qui doit rendre l'hôpital rentable.
05:49 Et nous ne pouvons pas accepter que notre travail soit quantifié en horaire,
05:53 alors que le travail d'une sage-femme qui a des responsabilités médicales ne se mesure pas en heure.
05:59 Quand nous suivons une femme toute la nuit, nous restons après notre heure de travail pour accoucher cette femme.
06:04 Parce que c'est passé sentimentalement des choses avec elle et nous allons jusqu'au bout.
06:09 Aucune naissance française ne se passe sans l'assistance d'une sage-femme.
06:14 Sauf exception bien sûr des accouchements inopinés.
06:17 Les sage-femmes sont véritablement les gardiennes du bon déroulé des naissances françaises.
06:21 Nous exerçons à l'hôpital, en libéral, en maison de naissance, en PMI,
06:26 centre de protection maternelle et infantile, et ailleurs aussi.
06:29 Mais aujourd'hui, je vais vous parler spécifiquement de notre travail à l'hôpital.
06:33 Et pour ça, j'ai invité un ami et confrère.
06:36 Bonjour, moi c'est Adrien Grantoy, je suis sage-femme libéral dans une maison de santé en Seine-Saint-Denis.
06:41 Et je suis aussi président du Collège National des Sage-Femmes.
06:45 Le Collège National des Sage-Femmes, c'est quand même un sacré truc.
06:48 C'est LA société savante qui mutualise TOUTES les connaissances scientifiques,
06:52 et qui grâce à cela, édite des recommandations pour la pratique clinique.
06:56 Et c'est pas la même chose que lors des sage-femmes.
06:58 Alors Adrien, dis-nous, c'est quoi une sage-femme ?
07:01 Une sage-femme, c'est donc une profession médicale qui a pour objectif de suivre les grossesses,
07:08 que ce soit suivie de grossesse en consultation, mais aussi lors des échographies.
07:14 Elles sont habilitées à faire des échographies du premier, deuxième, troisième trimestre.
07:18 Elles effectuent à 80% des accouchements en France.
07:23 Elles sont aussi habilitées à faire le suivi post-natal.
07:27 Alors le suivi post-natal, c'est pas seulement faire gazouille-gazouille au nouveau-né,
07:31 c'est faire l'examen clinique, l'examen cardiopulmonaire du nouveau-né,
07:35 s'assurer qu'il n'y ait pas de complications, d'infections,
07:38 et puis assurer le lien aussi, c'est extrêmement important,
07:42 le lien entre les parents et leurs enfants,
07:46 faire en sorte qu'il y ait aussi un soutien à l'allaitement maternel,
07:50 et puis évidemment tout un champ encore assez méconnu,
07:54 qui sont les compétences en matière gynécologique.
07:58 Ça consiste à, par exemple, parler de contraception, à poser des stérilets,
08:03 à retirer des implants,
08:07 accompagner aussi tout le dépistage, que ce soit pour le cancer du col ou le cancer du sein,
08:14 parler aussi de violences sexuelles,
08:19 ou des choses qui, au fur et à mesure du temps,
08:24 ont pu nourrir aussi nos compétences,
08:27 et faire en sorte aussi aujourd'hui, par exemple,
08:31 de pratiquer l'interruption volontaire à grossesse médicamenteuse.
08:34 Vous l'avez compris, une femme en bonne santé peut se faire suivre par une sage-femme
08:38 de sa puberté jusqu'à la fin de sa vie.
08:40 Là, je suis certaine de vous avoir appris un truc.
08:43 Si vous ne le saviez pas, cela tient peut-être à l'humilité qui accompagne notre profession,
08:47 et que souligne très bien Adrien.
08:49 Je vais vous donner un exemple.
08:50 Vous allez rencontrer une sage-femme, très souvent, elle va se présenter par son prénom.
08:54 Vous allez rencontrer un médecin,
08:57 dans la plupart du temps, il va se dénommer comme docteur,
09:02 ou professeur,
09:05 et donc tout de suite, il y a une sorte de dialogue qui est différent.
09:10 On perd indéniablement en reconnaissance,
09:12 et en même temps, on gagne en proximité avec nos patients,
09:15 ce qui est rudement chouette, tant pour nous, que pour vous.
09:18 Et c'est hyper efficient du point de vue médical,
09:20 car en fait, vous osez vous confier.
09:23 Cette histoire de la reconnaissance me titille beaucoup.
09:27 Vous savez, lorsque l'on évoque des femmes illustres,
09:29 on se réfère à celles qui se sont distinguées dans des disciplines que l'on identifie comme masculines.
09:34 Astronome, informaticienne, mathématicienne, aviatrice,
09:38 première femme polytechnicienne, chercheuse en physique ou en chimie,
09:41 ministre, etc.
09:43 Pour préparer cet épisode, j'ai encore regardé la liste de la bibliothèque des femmes célèbres,
09:47 sur le site internet du secrétariat d'État, chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes.
09:52 Et pas une femme sage-femme.
09:54 Alors qu'il y en a des illustres.
09:56 Madame Ducoudret, par exemple.
09:58 Elle a sillonné la France au XVIIIe siècle avec son mannequin d'accouchement.
10:02 Elle est à l'origine de la simulation en médecine dont on parle tant aujourd'hui.
10:05 C'est pas rien quand même !
10:07 C'était vraiment une sacrée nana !
10:09 Or elle est quasiment inconnue.
10:11 C'est quoi le problème ?
10:12 Comme si une femme qui prend soin des femmes ne pouvait pas être illustre.
10:16 Elles étaient plus d'un millier à défiler dans les rues de Paris
10:19 et dans le cortège beaucoup de sages-femmes venues de province.
10:22 "La vie de votre bébé pour 54 francs de l'heure", c'est ce qu'on a pu lire sur les banderoles.
10:28 "Manifestation aussi vraie"...
10:30 Pour poursuivre cette réflexion, je vous emmène chez une amie très très très très chère,
10:38 Hélène Malmanche.
10:39 Rappelez-vous, c'est la super sage-meuf du premier épisode,
10:42 celle qui a été là pour la naissance de mes deux enfants.
10:45 Il y a cinq étages sans ascenseur.
10:51 Je vais rapidement être essoufflée, vous savez.
10:53 Mais je vais voir Hélène, qui est donc, il se trouve, ma meilleure amie,
10:57 qui m'a accouchée, et qui a la double casquette.
11:00 Elle est à la fois anthropologue, sociologue, puisqu'elle est en train de finir sa thèse,
11:03 elle a le HESS et elle est aussi sage-femme.
11:06 Donc elle est particulièrement intéressante pour cet épisode.
11:19 Comme à notre habitude, on discute à bâton rompu sur ce que c'est
11:22 et ce que ça représente d'être sage-femme.
11:24 Et cette fois, pour le comprendre, Hélène me propose un détour.
11:28 Je pense qu'avant de savoir ce que c'est qu'une sage-femme,
11:30 il faut savoir ce que c'est que la naissance.
11:32 Et je crois bien que...
11:35 Vraiment, ça me semble un détour nécessaire.
11:38 Parce que si on ne comprend pas que la naissance,
11:43 c'est ce par quoi les sociétés humaines se renouvellent,
11:47 et donc ça veut dire que qui dit renouvellement dit aussi mort.
11:50 Donc la naissance contient la mort, la vie contient la mort,
11:53 et la mort contient la vie.
11:55 Si on n'a pas compris cette portée-là de la naissance,
12:00 alors on passe complètement à côté de ce qu'on est en train de vivre.
12:04 Et la sage-femme, c'est le témoin de ça.
12:07 Là, si vous n'aviez pas compris que le métier de sage-femme était hyper important,
12:10 je ne peux plus rien pour vous.
12:12 Ensuite, Hélène nous fait faire un pas de plus.
12:14 La sage-femme est aujourd'hui une profession médicale
12:17 avec un diplôme d'État.
12:19 C'est une des premières, peut-être même la première profession
12:22 régie par un diplôme d'État.
12:25 Et là, on remonte avant le XIXe siècle.
12:29 Ça a été l'une des premières professions
12:32 auxquelles l'État s'est intéressé.
12:35 On comprend très bien pourquoi,
12:37 parce qu'il y avait... La France a une grande tradition nataliste.
12:40 Donc le rôle de la sage-femme, très vite,
12:43 était assez central.
12:45 Le lien entre l'État et la sage-femme est aussi très fort.
12:48 Et donc, on reste pour le meilleur comme pour le pire.
12:52 Et en ce moment, c'est peut-être plutôt pour le pire.
12:55 Très lié à ces contingences d'État.
12:58 - Bon, résumons.
13:00 1. La sage-femme est une profession médicale à fort degré de responsabilité.
13:04 2. La sage-femme est le témoin et le passeur symbolique
13:07 d'un moment métaphysique inouï dans la vie des gens.
13:10 Le plus souvent, la naissance, mais aussi parfois la mort.
13:13 3. La sage-femme est une actrice clé de la vie publique
13:16 par son action au cœur de la natalité,
13:19 dont on connaît l'importance dans toutes les sociétés humaines.
13:22 Mais revenons au quotidien de notre profession.
13:24 Je voudrais, avec Hélène, vous raconter un peu l'envers du décor.
13:27 Je lui demande ce que ça fait de mettre un enfant au monde.
13:30 - Les toutes premières naissances qu'on voit,
13:33 je pense qu'on est quand même très émus.
13:35 En tout cas, moi, j'ai un souvenir très ému de ces premières naissances.
13:38 Je ne l'ai pas du tout tourné de l'œil, mais par contre,
13:40 j'avais vraiment la larme à l'œil pour le coup.
13:42 Et puis, les premières fois qu'on fait un accouchement,
13:45 et quand on touche la vie dans nos mains, c'est quand même assez bouleversant.
13:49 Après, il y a aussi beaucoup de naissances très banales, il faut le dire.
13:52 Ça peut paraître un peu cruel comme ça pour les femmes qui accouchent,
13:58 mais c'est notre quotidien,
14:00 et notre quotidien est fait de moments exceptionnels pour les gens.
14:03 Donc ça, c'est aussi une des particularités de cette profession.
14:07 C'est-à-dire que probablement, les gens vous garderont en mémoire toute votre vie,
14:10 et puis vous, il y aura quelques accouchements qui vont vous marquer.
14:13 Mais pour combien d'oubliés ?
14:15 Là, je suis à plus de 1000 naissances, c'est certain que j'en ai oublié 90 %.
14:19 - Et est-ce que ça fait peur ?
14:21 - Ça fait peur parfois.
14:24 Ça fait peur, et ça fait de moins en moins peur, en fait,
14:26 parce que plus on grandit en tant que sage-femme, et plus on en a vu, en fait.
14:30 Et donc, je ne peux même pas dire qu'il y a toujours une petite appréhension,
14:34 parce que ce n'est pas vrai.
14:36 Il y a plein de fois où on sait très bien que ça va très bien se passer,
14:38 on est très confiant, alors parfois on se fait surprendre.
14:41 Mais après, on est toujours petit devant ça.
14:45 C'est pas que ça fait peur, mais il faut toujours rester modeste
14:48 devant ces grands événements de la vie,
14:51 parce que c'est quand même, et même si c'est, je ne sais pas, un cinquième enfant,
14:56 ça reste quand même, tout à coup, l'irruption, l'accueil d'un nouveau venu par la naissance,
15:03 comme disait Anne Narend.
15:05 Et ça, c'est un nouveau membre dans notre société qui est vraiment là,
15:08 qui était déjà là parce qu'on lui parlait, etc.
15:11 Mais quand même, on est trois dans la pièce, on passe à quatre.
15:13 C'est toi qui me disais ça quand j'étais encore une jeune étudiante sage-femme.
15:17 Et je crois que c'était une des meilleures phrases qui pouvait résumer
15:20 ce qui se passe vraiment au moment de la naissance.
15:23 Et ça, c'est quand même une sacrée responsabilité.
15:26 Quand je creuse la question avec Hélène, on s'accorde à dire que c'est une profession
15:29 qui demande une énorme disponibilité psychique.
15:32 Là, cette profession de sage-femme demande une telle disponibilité psychique,
15:36 d'énergie, d'attention à l'autre, en fait.
15:40 Il faut tellement donner, et puis en fait, il faut tellement porter.
15:44 C'est tellement lourd de porter des femmes qui, alors porter, pas physiquement,
15:47 mais il faut encaisser quand même ce qui se passe.
15:50 On est des éponges, enfin, même des autotamponneuses, j'en sais rien.
15:54 Une sorte de matelas, des dredons, contre lesquels les femmes complètement...
16:00 Surtout pour les femmes qui choisissent d'accoucher sans péridurale,
16:04 c'est quand même quelque chose de...
16:06 Et même avec péridurale, d'ailleurs, ou même une césarienne.
16:08 Il y a mille raisons d'avoir beaucoup de choses à déposer au moment d'une naissance,
16:13 autres que la douleur physique.
16:16 Et c'est nous qui sommes le réceptacle.
16:18 Ça pèse lourd sur les épaules, on en a gros sur la patate.
16:22 - C'est sûr.
16:23 Là, on rit, mais c'est pour pas pleurer, croyez-moi.
16:26 Parce qu'en fait, on est épuisé.
16:28 - C'est épuisant, tout simplement.
16:30 Et c'est pas que les conditions hospitalières.
16:33 L'hôpital français, avec toutes ses vertus,
16:37 est pour autant de plus en plus dur avec ses soignants.
16:44 Et donc, je crois que là, il n'y a aucun scoop dans ce que je dis.
16:47 Mais quoi qu'il arrive, quand bien même on serait en one-to-one,
16:52 c'est-à-dire juste une femme, une sage-femme,
16:54 quand bien même sur une garde de 12 heures,
16:56 on ne s'occuperait que d'une seule patiente,
16:58 ce qui arrive ou ce qui arrivait,
17:00 c'est quand même épuisant à terme, toujours.
17:05 Et ne serait-ce que, ça j'en parle avec les étudiants et les étudiantes
17:10 que j'accompagne, que je vois à l'école de sages-femmes,
17:14 on grandit cinq fois plus vite.
17:17 Les étudiants et étudiantes de sages-femmes de 23 ans
17:20 ne sont pas des jeunes étudiants de 23 ans lambda.
17:25 Ils en ont vu 15 fois plus que tous les autres.
17:28 Et ça, c'est indéniable que, oui, ça fait vieillir plus vite.
17:34 L'épuisement des sages-femmes n'est pas un sentiment.
17:37 Une enquête publiée le 3 juin 2020,
17:39 et menée par le Collège National des Sages-Femmes,
17:41 conjointement avec l'Université Paris VIII,
17:43 révèle que 40% des sages-femmes hospitalières souffrent de burn-out.
17:47 Une autre étude, menée par le Conseil de l'Ordre des Sages-Femmes cette fois,
17:50 le 1er juin 2020, révèle que seulement 25% des sages-femmes se sentent bien
17:54 et que plus d'une sage-femme sur deux envisage de quitter la profession.
17:58 Tout cela est extrêmement préoccupant pour les sages-femmes et la santé des femmes.
18:02 On est très peu nombreuses, en fait.
18:04 On n'apparaît pas au niveau de l'État,
18:06 parce que comme on fait des accouchements à l'hôpital,
18:09 et que bien sûr les médecins sont présents,
18:11 parce qu'on travaille avec eux et on a besoin d'eux.
18:13 Quand vous discutez avec le gouvernement,
18:15 ils disent "vous ne faites pas d'accouchement".
18:16 On n'apparaît pas !
18:17 Adrien est un sage-femme passionné
18:19 qui fait partie des 2,6% d'hommes qui exercent cette profession.
18:23 À ses débuts, il avait choisi un hôpital qu'il affectionnait,
18:26 et l'histoire commençait bien.
18:27 Et puis ce fut la chienlit.
18:29 Puis est arrivée une grève,
18:31 parce que, évidemment, les conditions de travail étaient...
18:36 pas bonnes du tout.
18:38 On n'a jamais eu le temps de pouvoir montrer aux instances,
18:46 que ce soit à l'hôpital, etc.,
18:48 de leur dire qu'en fait on était maltraité.
18:52 Évidemment, du coup, les femmes étaient maltraitées,
18:56 puisque quand t'as pas le temps de manger,
18:58 quand t'as quatre patientes,
19:00 quand t'as trois accouchements à gérer en même temps,
19:04 plus une césarienne en urgence,
19:06 plus une patiente que t'as installée pour une interruption médicale de grossesse,
19:10 où la plupart du temps, et c'est là...
19:13 C'est là, dans...
19:15 Enfin, pour toute...
19:17 Ce qui s'est passé, moi, c'est qu'il y a eu une situation,
19:20 je me suis mis réellement en danger.
19:21 Et je me suis dit "stop".
19:23 - Et c'était laquelle ?
19:24 - J'ai eu deux accouchements en même temps,
19:28 et j'avais à charge aussi une interruption médicale de grossesse.
19:33 Et donc une interruption médicale de grossesse,
19:35 il faut savoir que dans ces situations-là,
19:40 on donne des médicaments,
19:44 mais on ne sait pas concrètement
19:46 à quel moment spécifique aura lieu l'accouchement.
19:50 - L'interruption médicale de grossesse,
19:52 IMG, ou avortement thérapeutique,
19:55 à ne pas confondre avec l'IVG,
19:57 est l'interruption d'une grossesse pratiquée
19:59 lorsque la santé de la mère ou de l'enfant à naître est en danger.
20:02 Elle peut être réalisée, quelle que soit la date d'accouchement prévue.
20:06 Si la grossesse met gravement en danger la santé de la femme enceinte,
20:09 s'il y a une forte probabilité que l'enfant à naître
20:11 soit atteint d'une affection d'une particulière gravité,
20:14 reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
20:18 - Il s'avère que j'étais en train d'accoucher une patiente,
20:22 et que cette patiente a expulsé toute seule.
20:26 - D'un enfant mort.
20:29 - Oui.
20:30 Et donc, je suis arrivé dans la chambre,
20:35 je me suis dit "en fait là c'est plus possible,
20:40 je ne me respecte plus dans ce que je suis,
20:44 et c'est pourquoi je suis là".
20:46 - Oui, parce que tu t'es retrouvé à maltraiter la femme
20:49 qui avait couché seule d'un enfant mort.
20:51 - Voilà, pour moi ça a été un gros déclic.
20:55 Vraiment, où je me suis dit "non, c'est pas possible en fait,
20:58 je ne peux pas cautionner ça".
21:00 - Vous voyez, il est là le nœud du problème.
21:04 L'institution hospitalière nous rend complices de situations
21:07 que l'on ne souhaiterait pas au pire de nos ennemis.
21:10 Et les conséquences pour vous sont graves.
21:12 J'ai tenu à l'hôpital plus de 6 ans après la grève
21:14 parce que j'aimais cet endroit plus que n'importe quel autre.
21:17 Mais sachez que pour mettre vos enfants au monde,
21:19 notre salaire est de 1600 euros net,
21:21 après un bac +5, 1800 euros avec 10 ans d'expérience
21:25 et 3000 euros en fin de carrière.
21:27 Qu'il faut faire des gardes de 12 heures
21:29 avec une alternance jour et nuit
21:31 qui casse continuellement notre rythme
21:33 et l'impossibilité de monter des projets.
21:35 Tout ça m'a écœurée au point de faire une pause,
21:37 parce que je ne vous ai pas dit tout à fait la vérité
21:40 au début de cet épisode.
21:41 Je n'en suis pas partie complètement
21:43 parce que je suis incapable de couper le cordon.
21:46 J'ai pris un congé sans solde d'un an.
21:48 À titre de comparaison, en Grande-Bretagne,
21:52 les sages-femmes sont une fois et demie plus nombreuses.
21:54 Elles ont une seule patiente à gérer en salle d'accouchement
21:56 contre 3 ou 4 plus les urgences en France.
21:59 Sans parler de la Suède ou de la Finlande,
22:02 où là, les sages-femmes sont carrément
22:04 deux fois plus nombreuses qu'en France.
22:06 Je laisse Adrien continuer.
22:08 Ce qui s'est passé, c'est que je me...
22:11 je ne me reconnaissais plus.
22:14 Et je me suis dit "attends, là,
22:16 j'avais même pas 30 ans.
22:18 J'avais la boule au ventre en allant,
22:22 après cette garde,
22:24 j'avais la boule au ventre en me disant
22:25 "qu'est-ce qui va m'arriver ?
22:27 Qu'est-ce qui va m'arriver ?
22:29 Est-ce que là,
22:31 je vais faire une erreur ?
22:35 Et si vous voulez, dans l'accumulation donnée,
22:39 cet enchaînement,
22:41 que ce soit jour et nuit,
22:43 il faut savoir que des gardes de 12 heures,
22:45 on est jour et nuit dans ce genre de service,
22:48 dans une suractivité
22:52 qui est extrêmement dure et pénible.
22:56 Les sages-femmes, donc, dans la rue,
23:01 elles appellent à manifester ce jeudi à Paris.
23:03 Voilà trois semaines qu'elles sont en grève
23:05 pour une revalorisation de leur statut
23:07 afin d'être mieux considérées et mieux payées.
23:09 Le mouvement a donc débuté le 16 octobre
23:11 dans toute la France,
23:13 mais les sages-femmes ne descendent pas pour autant dans la rue.
23:16 La plupart des grévistes assurent le service
23:18 comme à l'hôpital Lariboisière à Paris
23:20 où s'est rendu l'ordre de triche pour Europe 1.
23:22 C'est ça aussi la situation que nous dénonçons en 2013
23:26 et que nous dénonçons toujours.
23:28 Le sentiment d'être les complices d'exaction.
23:31 Récemment, vous le savez peut-être,
23:34 le monde de la gynécologie et de l'obstétrique
23:36 s'est secoué comme un prunier par la question des violences obstétriques.
23:39 J'ai moi, personnellement, assisté à une dizaine de scènes de violences volontaires
23:42 au cours de toute ma carrière.
23:44 Je me rappelle d'un arrêté de gueuler
23:46 à une femme en travail qui souffrait terriblement.
23:49 Et puis, le pire de tout, c'était cette gifle.
23:52 Cette gifle à une femme qui allait donner naissance
23:54 dans quelques minutes.
23:56 Rien qu'd'y penser, j'en ai encore des relents de rage.
23:59 C'est strictement intolérable
24:01 et les auteurs de ces violences doivent être punis absolument.
24:04 Pour le reste, ce qui se passe tous les jours
24:07 et même plusieurs fois par jour, ce sont des violences
24:09 qui sont imputables aux conditions de travail.
24:11 Nous avons toutes vécu des expériences comme Adrien.
24:14 Et croyez-moi, ces histoires changent une vie.
24:16 Quand j'ai vu que ça n'allait pas changer,
24:19 je me suis dit "Basta, je me casse, c'est fini,
24:22 je ne veux pas cautionner ce système".
24:25 Si vous voulez, à ce moment-là, j'étais aussi porte-parole de cette grève.
24:28 Et donc, ça a été douloureux aussi.
24:30 Parce que j'avais un peu l'impression d'avoir abandonné.
24:33 Donc aujourd'hui, si vous voulez,
24:35 dans tous les débats qu'on a aujourd'hui au ministère,
24:38 une de mes principales motivations,
24:41 c'est que je ne vais pas les hacher.
24:43 Je vais mordre le mollet jusqu'au bout.
24:45 Si Adrien montre une telle détermination,
24:47 c'est que le sujet est trop grave.
24:49 Il nous concerne nous, les sages-femmes, évidemment,
24:51 mais aussi la société toute entière
24:53 et vous qui allez accoucher au premier chef.
24:55 Car c'est pour vous et vos bébés
24:57 qu'on demande de meilleures conditions de travail.
25:00 Pour clôturer l'histoire de la grève de 2013,
25:02 je peux vous dire qu'après une année de lutte acharnée,
25:04 on a obtenu des miettes.
25:06 Les salaires n'ont pas bougé, ou si peu,
25:08 et la charge de travail, elle, a carrément continué d'augmenter.
25:12 Bonjour le sentiment de rancune et d'écœurement.
25:15 Augmentation de salaire, amélioration des conditions de travail,
25:18 reconnaissance de la profession,
25:19 arrêt des fermetures des petites maternités,
25:22 augmentation des effectifs en urgence dans toutes les maternités,
25:25 reconnaissance définitive des maisons de naissance
25:28 et possibilité aux femmes d'accoucher à domicile.
25:31 Tout cela est urgent, essentiel et indispensable
25:34 pour vous comme pour nous.
25:36 Encore combien d'erreurs, de traumas, de désespoirs faudra-t-il
25:39 pour que tout cela change ?
25:41 Dans notre cri silencieux, chères toutes, chères tous,
25:43 sachez que nous avons vraiment besoin de vous.
25:46 Comment ?
25:50 Venez toquer à la porte du Collège des Sages-Femmes,
25:52 rejoignez les associations de patientes,
25:54 écrivez des lettres à la hiérarchie de l'hôpital,
25:56 inventez votre mode d'action,
25:58 et dites-nous qu'on sait bien aussi,
25:59 parce que ça nous donnera de la force.
26:01 Elles étaient 200 tout à l'heure,
26:02 sages-femmes en activité et étudiantes,
26:04 à battre le pavé en blouse blanche et en chanson,
26:07 objectif se faire connaître de la population,
26:10 pour être enfin reconnues par la profession.
26:13 Avant de terminer cet épisode,
26:15 je voudrais donner une dernière fois la parole à Hélène.
26:17 Je lui ai demandé si selon elle,
26:19 on faisait vraiment le plus beau métier du monde.
26:21 C'est le plus humain, ça c'est sûr.
26:23 C'est le plus humain des métiers, le plus beau,
26:25 je ne sais pas, moi je suis musicienne,
26:27 je trouve la vie des musiciens absolument extraordinaire.
26:30 On côtoie le beau en permanence,
26:32 des oeuvres, le plus humain des métiers, ça c'est certain.
26:36 Être sage-meuf, c'est exercer la plus belle profession du monde.
26:41 Et vous trouvez que je manque d'objectivité ?
26:43 Eh bien vous avez raison.
26:44 En tout cas, j'espère que vous aurez la chance
26:46 de rencontrer une de ces super nanas un jour.
26:48 Une super nana ou un super mec,
26:50 qui aura le temps de prendre soin du jeu.
26:52 Quand on nous lâche dans une salle d'accouchement,
26:54 quand on nous lâche dans un service de suite de couches,
26:56 de pathologie, de la grossesse,
26:58 on est capable de tenir un service.
27:00 C'est nous qui tenons les maternités.
27:02 Ce podcast a été écrit par moi, Anna Roy,
27:04 et si mon nom vous dit quelque chose,
27:06 c'est peut-être que vous m'avez déjà vue,
27:08 ou que vous me voyez en ce moment même
27:09 dans la Maison des Maternelles sur France 4,
27:11 où je suis chroniqueuse.
27:12 Une émission que je vous recommande évidemment.
27:15 Sage-meuf est un podcast Europe 1 Studio,
27:17 produit par Adèle Ponticelli,
27:19 il est réalisé par Charlène Nouyoux.
27:21 Merci à Hélène et Adrien pour leur partage d'expérience,
27:24 ainsi qu'à Fanny Rascal et Julien Or
27:26 pour la prise de son chez Hélène.
27:28 N'hésitez pas à commenter, à partager,
27:30 à questionner ou que sais-je encore
27:31 sur mon Instagram @annarois75.
27:33 Et si ce podcast vous a plu,
27:35 n'oubliez surtout pas de vous abonner
27:37 sur votre plateforme d'écoute préférée
27:38 et nous mettre plein d'étoiles.
27:40 [Musique]

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