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"Interdire le cannabis, c'est susciter la curiosité et offrir nos enfants aux trafics", estime le professeur Amine Benyamina chef du service Psychiatrie et addictologie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, président de la Fédération française d’addictologie, qui approuve les conclusions du Cese.

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Transcription
00:00 Il est 6h20, c'est la première grande institution à prôner la légalisation du cannabis.
00:13 Le CESE, Conseil économique et social, qui représente la société civile, fait un constat,
00:17 la prohibition n'a pas réussi à réduire la consommation et les trafics.
00:21 Il parle même d'échecs cuisants.
00:22 Bonjour Amine Beniamina.
00:23 Bonjour.
00:24 Vous êtes médecin, psychiatre, addictologue, président de la Fédération française d'addictologie,
00:29 chef du service d'addictologie de l'hôpital Paul Brousse à Villejuif.
00:32 Vous aussi, vous êtes pour une légalisation ?
00:34 Alors, évidemment je suis pour la légalisation, mais ce qui est intéressant dans le rendu
00:38 du CESE, ce sont les éléments dans lesquels ils détaillent leur pensée.
00:42 Évidemment, lorsqu'on dit qu'on est pour la légalisation, pour ceux qui ne connaissent
00:46 pas le dossier, ils sont de moins en moins nombreux, il faut le reconnaître, on a le
00:49 sentiment d'être des prosédis de la consommation.
00:51 C'est tout le contraire.
00:52 La légalisation est une démarche de réduction des risques qui a pour mission de venir couper
00:58 la course folle de la consommation des drogues et du cannabis, en particulier en France,
01:03 notamment chez les jeunes, par une politique pragmatique.
01:06 Au lieu d'attaquer en gros, finalement, l'émetteur, on protège le récepteur.
01:12 Et protéger le récepteur, ce sont les jeunes, ce sont les personnes vulnérables, par une
01:16 politique pragmatique qui limite, qui amortit les effets de la consommation du cannabis
01:22 dans la population.
01:23 Vous partagez le constat du CESE, on a tout tenté pour le moment en matière de répression
01:26 et ça n'a pas fonctionné.
01:27 Je dois vous faire une petite confidence, j'ai adoré lire ce constat, j'avais le
01:32 sentiment de rêver, très honnêtement, parce qu'il a été non seulement pragmatique,
01:37 mais il a fait le constat d'un échec cuisant des politiques répressives, seuls, je ne
01:42 dis pas qu'il ne faut pas en faire, seuls, comme l'ont fait l'ensemble des pays autour
01:47 de la France, comme une grande majorité de pays qui ont opté pour cette politique de
01:51 réduction des risques, in fine passant par la légalisation, mais pas n'importe comment,
01:57 et tout ce qui est proposé me va, parce que ça fait partie des choses sur lesquelles
02:00 on travaille, sur lesquelles on a écrit, sur lesquelles on a fait des propositions
02:04 depuis de longues années.
02:05 Mais comment vous verriez la chose, ce cannabis, on l'achèterait où ? Dans des magasins
02:09 légaux, publics, privés, comme des magasins de tabac aujourd'hui, des bureaux de tabac ?
02:14 Pourquoi pas ? Moi ce que je dis quand on pose cette question, et ce qui est tout à
02:17 fait légitime, il faut que la France invente son modèle.
02:20 La France est un grand pays, la France n'est pas l'Espagne, n'est pas des petits pays
02:25 dans lesquels on a pu avancer, la France est un grand pays, multiculturel, traversé par
02:30 des frontières dans lesquelles on a déjà modifié le cadre légal, des pays qui ont
02:34 des liens avec des pays producteurs de cannabis, à la fois dans le nord et dans le sud, donc
02:38 il faut qu'on invente notre modèle, et pourquoi pas un modèle mixte, pourquoi pas remettre
02:43 en place des choses de cette nature.
02:44 Donc il faut très vite se poser et mettre en place des éléments de cette nature.
02:49 Légaliser le cannabis sous toutes ses formes, quelle que soit la façon de le consommer ?
02:52 Alors évidemment là, on rentre dans le détail.
02:55 Je prends un exemple tout simple, il y a actuellement une commission qui travaille sur le cannabis
03:00 dit thérapeutique, on a banni les fumées, ça peut se comprendre parce que c'est irritant
03:06 pour les poumons, donc il y a quelquefois, quelques manières de proposer certaines choses.
03:11 Aujourd'hui le cannabis on le fume essentiellement.
03:13 On le fume essentiellement, évidemment, on le mélange au tabac, c'est une question.
03:17 Pourquoi ne pas faire une campagne pour alerter sur la consommation du tabac associé au
03:22 cannabis ? Au Canada on propose par exemple du cannabis avec des dosages précis, on
03:28 a finalement l'ADN du cannabis consommé.
03:31 On peut penser à beaucoup de modèles.
03:34 Et puis on a la typologie du consommateur en France.
03:36 On peut adapter l'offre, étatique ou non, faire peut-être un modèle mixte, privé-État.
03:42 Qui consomme du cannabis en France ?
03:44 Tout le monde consomme du cannabis en France.
03:47 Mais ce qui pose problème, c'est la consommation précoce et jeune.
03:51 Pourquoi ?
03:52 Parce qu'on a une littérature scientifique abondante qui montre que la consommation précoce
03:56 du cannabis est facteur de mauvais pronostics sur le plan scolaire, sur le plan psychologique,
04:01 sur le plan aussi environnemental.
04:04 L'environnement dans sa famille.
04:07 Et vous, vous envoyez beaucoup d'ailleurs des personnes qui consomment du cannabis ?
04:10 Essentiellement des jeunes adultes.
04:12 Nous avons été les premiers en 2005 à ouvrir une consultation aux jeunes consommateurs.
04:16 J'ai un hôpital de jour à Paul Brousse qui traite de ça.
04:19 Et ça pose problème parce qu'il y a très souvent des comorbidités de type psychologique
04:23 et psychiatrique qu'il faut évidemment gérer.
04:25 Donc légaliser le cannabis, mais pas pour les mineurs ?
04:27 Évidemment que non.
04:28 Les mineurs, ce qu'il faut pour eux, c'est concentrer les moyens à la fois, évidemment
04:34 répressifs, scientifiques, somatiques et matériels, pour leur faire une campagne réelle
04:41 sur la réalité.
04:42 Il y a très peu de campagnes qui parlent du cannabis pour une raison toute simple,
04:45 c'est un produit interdit, tant qu'il n'existe pas.
04:47 Quand il n'y a pas de problème, il n'y a pas de solution et vice-versa.
04:50 Il y a un de vos confrères qui est interrogé dans le Parisien Aujourd'hui en France, Jean-Claude
04:53 Alvarez, qui fait le même métier que vous à Agarche.
04:55 Lui, il dit que c'est hypocrite de dire que les gens ne fumeront du cannabis qu'à partir
04:59 de 18 ans, car la vente sera interdite aux mineurs.
05:02 Il n'a pas complètement tort, mais je ne suis pas d'accord avec lui sur l'option
05:06 de maintenir la prohibition.
05:07 La prohibition, c'est le résultat actuel en France, premier pays consommateur, un
05:12 arsenal judiciaire très puissant, qui, malgré tout, a une plateforme tournante du trafic.
05:20 Le problème, ce n'est pas penser que la légalisation va arrêter le problème.
05:25 C'est un point, c'est un delta qui va changer le paradigme dans lequel on vit.
05:30 La prohibition est l'élément de curiosité et qui permet aux trafiquants de proposer
05:36 ce produit aux jeunes.
05:37 Je l'invite à regarder ce qui se passe ailleurs.
05:40 On a les rapports de la légalisation au Canada.
05:44 - A Malte aussi peut-être ?
05:46 - Malte aussi.
05:47 Et on n'a pas vu une inflation de la consommation.
05:50 Au contraire, on a baissé la consommation chez les jeunes.
05:52 - Mais est-ce que le point de départ était le même ? Parce que nous, en France, on est
05:55 de gros consommateurs.
05:56 - Bien sûr, le point de départ était le même.
05:58 - Le numéro un en Europe, je crois, la France.
06:00 - Il ne faut pas comparer les nombres de personnes consommateurs.
06:02 Il faut comparer le nombre de personnes consommateurs dans un milieu précis.
06:06 Vous allez en Australie, c'est catastrophique la consommation du cannabis.
06:09 Et on met en place des politiques similaires.
06:11 Vous allez en Espagne, un pays gros consommateur avec en plus un effet qu'on a moins ici, c'est
06:16 la présence des touristes.
06:18 On a mis en place une politique pragmatique avec des social cannabis club qui travaillent
06:23 avec à la fois les partenaires publics, la justice et la police.
06:26 Donc la prohibition, je vais dire à Jean-Claude, c'est un ami, on travaille dans le même groupe
06:31 hospitalier.
06:32 Chiche, puisqu'on a expérimenté depuis 70 la prohibition.
06:35 Pourquoi ne pas expérimenter ?
06:36 Un bout de légalisation et se faire son constat.
06:39 - Alors pour le moment, on sait que dans la classe politique, la piste de la légalisation
06:45 n'est pas la plus partagée.
06:46 On sait qu'Emmanuel Macron, la dernière fois qu'il n'a pas évoqué ce sujet, c'était
06:48 pour dire qu'il n'était pas favorable et il n'est pas le seul, le ministre de la santé
06:51 non plus.
06:52 Comment l'expliquer ?
06:53 Vous, c'est un tabou pour les politiques ?
06:54 - Alors c'est un tabou.
06:56 C'est aussi, vous voyez, les politiques sont comme les Français, peut-être un peu moins.
07:04 Les Français sont majoritairement pour l'ouverture d'un débat.
07:07 Et évidemment, lorsque vous dites que le cannabis, c'est pas bon pour l'école, c'est
07:11 pas bon, ça déprime, c'est de la drogue.
07:14 Quels sont les parents qui vont vous dire non, non, légalisons.
07:16 C'est présenté comme ça, comme on le fait.
07:19 Forcément, moi, je suis également un père, je vais dire c'est pas bon le cannabis.
07:23 En revanche, dire écoutez, l'interdire, c'est susciter la curiosité, continuer à
07:28 offrir nos enfants au trafic.
07:30 Voyez ce qu'on vous propose, probablement on peut y arriver.
07:33 C'est ce que je vais dire et ce que je continue à dire aux politiques quand on leur fait
07:36 des rapports.
07:37 C'est ce que je voudrais dire au président de la République, c'est quand même, in fine,
07:39 lui qui a le dernier mot.
07:41 Donnez-nous la possibilité d'ouvrir ce débat, faisons une expérimentation du cannabis
07:45 chez les personnes évidemment majeures, testons autre chose.
07:50 Pour l'instant, la prohibition ne marche pas.
07:52 On l'a dit, le CESE le montre très très bien.
07:54 - Merci beaucoup Amine Beniamina, président de la Fédération Française d'Addictologie
07:58 et chef du service d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif.
08:01 - Merci à vous.
08:01 [Musique]

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