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Emmanuel Macron se rend mardi 13 juin dans une usine de médicaments en Ardèche pour parler de la relocalisation de la production. À cette occasion, Bruno Bonnemain, président de l’Académie nationale de pharmacie était l'invité du 6h20 de France Inter.

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Transcription
00:00 Il est 6h20, peut-on lutter contre les pénuries de médicaments ? On se pose la question ce
00:04 matin alors qu'Emmanuel Macron effectue un déplacement en Ardèche sur le thème de
00:08 la souveraineté sanitaire.
00:09 Le président vient parler de la relocalisation en France de la production de certains médicaments.
00:14 Bonjour Bruno Bonnemain.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes le président de l'Académie Nationale de Pharmacie.
00:18 Le chef de l'État va se rendre notamment dans un laboratoire de l'entreprise Aguetan
00:23 qui est spécialisé entre autres dans les produits injectables en anesthésie et en
00:26 réanimation.
00:27 Il doit aussi dévoiler une liste de 300 médicaments dits « essentiels ». C'est quoi un médicament
00:33 essentiel ?
00:34 C'est des médicaments dont on ne peut pas se passer.
00:35 Effectivement, ça fait de très longtemps, depuis plus de 3 ou 4 ans, que l'Académie
00:41 de Pharmacie demande à ce qu'on fasse une liste des médicaments essentiels de telle
00:45 façon qu'on se concentre sur les plus importants.
00:47 Aujourd'hui, il y a 15 000 spécialités en France.
00:50 On ne peut pas travailler sur 15 000 produits en même temps.
00:52 Ce n'est pas possible.
00:53 Et ces médicaments essentiels, ils sont pour la plupart produits en France ou à l'étranger ?
00:56 La plupart d'entre eux sont produits à l'étranger, en particulier en Asie.
00:59 En Asie 1 des Chines, parce que c'est là-bas qu'on fabrique les principes actifs, les
01:03 éléments essentiels de ces médicaments.
01:05 Exactement.
01:06 Les principes actifs sont pour la plupart produits dans ces pays-là pour des raisons
01:10 de coût, mais aussi pour des raisons d'environnement.
01:12 Et donc la plupart des industriels ont décidé de délocaliser cette production il y a déjà
01:18 plusieurs années.
01:19 Et nous, on a alerté depuis plus de 10 ans sur le risque justement de cette délocalisation.
01:23 Et ce sont ces médicaments qui sont les plus touchés par les pénuries aujourd'hui ?
01:26 Oui, alors ce n'est pas la seule cause des pénuries.
01:30 Ça représente à peu près 15% des pénuries, donc ce n'est pas la totalité.
01:33 Mais c'est quand même une partie importante des pénuries qu'on constate aujourd'hui.
01:37 Et les autres causes, c'est quoi ?
01:38 Les autres causes sont très diverses.
01:41 Il peut y avoir des causes d'abord de capacité de production.
01:44 Par exemple, dans le domaine des injectables, puisque vous parliez d'Aguétan, les injectables
01:48 aujourd'hui manquent en termes de capacité de production au niveau mondial.
01:51 Il y a une croissance mondiale de l'ordre de 15% en besoin de médicaments.
01:56 Et là, on manque de capacité de production justement sur les injectables.
02:00 Et pour qu'on soit très concret, quels sont les médicaments les plus touchés par
02:02 les pénuries, pour le dire à nos auditeurs ?
02:04 Alors, il y a de très nombreuses classes thérapeutiques.
02:07 Pratiquement toutes sont touchées.
02:08 Mais les plus importantes, c'est les anticancéreuses, c'est les antibiotiques et c'est aussi
02:12 les anti-inflammatoires.
02:13 Alors, vous nous disiez que c'était très important et que vous réclamiez ça depuis
02:16 longtemps, à faire une liste de ces médicaments essentiels.
02:19 Et le but, c'est quoi ?
02:20 Une fois qu'on a cette liste, on fait quoi ?
02:21 Le but, c'est de les produire au maximum en France ?
02:23 Pas forcément, parce que certains d'entre eux sont déjà produits en Europe.
02:26 Alors, d'augmenter la production ?
02:27 Non.
02:28 Alors, le plus important, c'est de regarder sur ces produits-là, quel est le cycle de
02:32 production depuis le principe actif jusqu'au produit fini et de voir les points de fragilité.
02:38 Par exemple, pour les anti-inflammatoires, certains sont produits par plusieurs entreprises,
02:44 mais la matière première est produite par une seule entreprise en Chine.
02:47 Donc, évidemment, c'est un facteur de risque.
02:49 Donc, il faut regarder pour chaque étape quels sont les risques de pénurie et à ce
02:55 moment-là, prendre les mesures en conséquence, que ce soit des investissements industriels
02:58 en Europe ou que ce soit des augmentations de capacité.
03:01 Mais est-ce qu'il est techniquement faisable et économiquement intéressant de fabriquer
03:07 des médicaments de A à Z en France ?
03:09 Alors, c'est faisable, bien sûr, techniquement, mais ça va demander un accompagnement important,
03:14 à la fois pour avoir le personnel compétent, bien sûr, mais aussi pour, quelquefois, retravailler
03:19 les processus de production pour que ce soit acceptable sur le plan de l'environnement.
03:23 Un certain nombre de ces produits ont été délocalisés parce qu'il y a des problèmes
03:27 d'environnement.
03:28 Donc, il va falloir retravailler dessus.
03:29 D'une façon générale, il va falloir travailler les conditions pour que ce soit faisable,
03:35 en particulier les conditions de prix.
03:36 Donc, ça va prendre du temps ?
03:37 Ça va prendre des années.
03:38 C'est évident que ça va prendre des années.
03:41 Déjà, pour le paracétamol, on parle de 2026, mais pour les autres produits, ça va être
03:45 encore plus long.
03:46 Vous avez évoqué les prix.
03:47 Il faut le dire, les prix des médicaments sont, pour la plupart, réglementés en France.
03:52 Pour vous, c'est un problème, ça ?
03:53 Oui, c'est un vrai problème.
03:54 Parce que, d'une part, la plupart des produits ont des prix plus bas en France par rapport
04:01 aux autres pays.
04:02 Donc, il y a des transferts de produits d'un pays à l'autre à cause de ça.
04:05 Et en plus, il y a des produits qui ne sont plus viables.
04:07 Un certain nombre de produits vont être retirés du marché cette année parce qu'économiquement,
04:12 ça n'est plus rentable.
04:13 Et pourquoi ils sont si peu chers ? C'est parce que ce sont des génériques, ce sont
04:15 des vieux médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public ?
04:18 Oui, et je dirais qu'il y a eu une politique depuis des années de baisser les prix systématiquement
04:23 pour accepter les nouveaux produits très chers.
04:25 Et je pense que cette politique a une limite.
04:28 C'est qu'au bout d'un certain temps, on ne peut plus baisser les prix.
04:31 Et ça fait déjà plusieurs années qu'on n'aurait pas dû continuer à baisser les
04:35 prix.
04:36 Bruno Bonnemain, je rappelle que vous êtes le président de l'Académie Nationale de
04:39 Pharmacie.
04:40 La pharmacie, elle a longtemps été un secteur phare de notre industrie en France.
04:43 Il y a dix ans, la France était le premier producteur européen de médicaments.
04:47 On est désormais cinq ou sixièmes selon les années.
04:49 Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment se fait-il qu'on dépend d'aujourd'hui à ce point
04:52 de l'Asie ?
04:53 Je pense que c'est encore une fois pour une raison économique.
04:55 On a baissé les prix des produits anciens au fur et à mesure des années.
05:00 Et donc les industriels, pour arriver quand même à maintenir ces produits sur le marché,
05:05 ont été obligés de trouver des solutions pour baisser le prix de production de ces
05:09 produits.
05:10 Une des façons de faire, ça a été de sous-traiter.
05:12 Sous-traiter en Asie ou ailleurs, mais sous-traiter globalement la production, ce qui a complexifié
05:18 considérablement le processus de production et de distribution.
05:21 Et cette complexification fait que le moindre grain de sable prend un temps fou pour être
05:27 réglé.
05:28 Donc c'est un des problèmes qu'on a aujourd'hui.
05:30 Mais est-ce que cette fabrication de médicaments, elle peut vivre sans aide publique ?
05:34 Bien sûr, je pense que ce n'est pas forcément une bonne idée d'imaginer que le public
05:40 doit supporter cette production ou la faire.
05:43 Par contre, il faut trouver les conditions économiques pour que n'importe qui puisse
05:46 le faire.
05:47 Que ce soit le public ou le privé, il faut qu'il y ait des prix suffisants pour investir
05:52 chaque année dans les produits.
05:53 Donc c'est vraiment le nœud du problème pour vous, le prix ?
05:55 Oui, le prix est un élément essentiel.
05:57 Alors il y a certaines biotech françaises qui disent tout simplement que ça c'est
06:00 un combat d'arrière-garde et qu'il faut se battre non pas pour relocaliser en France
06:06 certaines productions et notamment pour ces vieux médicaments dont on parlait tout à
06:09 l'heure, mais ces biotech elles disent non, non, il faut mettre le paquet maintenant
06:13 sur les médicaments innovants.
06:15 C'est ça ce qu'il faut faire.
06:16 Qu'est-ce que vous leur répondez ?
06:17 Je pense que c'est une erreur.
06:18 Pourquoi ?
06:19 Parce que je crois qu'il faut effectivement favoriser l'innovation, c'est une évidence.
06:24 Mais il faut se rendre compte que la plupart des médicaments anciens indispensables sont
06:28 réellement importants pour les patients.
06:30 Et c'est ça qui nous guide, qui doit nous guider.
06:32 Parce qu'il n'y a pas de nouveaux médicaments qui peuvent les remplacer aujourd'hui ?
06:35 À des prix beaucoup plus élevés souvent, mais en tout cas pas forcément.
06:38 Non, pas forcément.
06:39 Il y a des produits qui sont nouveaux, qui sont intéressants, mais pour une toute petite
06:43 partie de la population.
06:44 Or la plus grande partie, c'est avec des produits anciens qu'on les traite aujourd'hui.
06:48 Merci Bruno Bonnemain, président de l'Académie Nationale de Pharmacie.
06:52 Vous étiez l'invité du 5/7.

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