Mode - La mode de la belle époque déplume les oiseaux du monde entier
Yvane Jacob nous raconte la mode de la belle époque déplume les oiseaux du monde entier.
Retrouvez "Mes aïeux quelle époque !" sur : http://www.europe1.fr/emissions/mes-aieux-quelle-epoque
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00:00 Europain, historiquement vôtre, avec Stéphane Bern.
00:04 Mais aïe, quelle époque, mais aïe, quelle époque.
00:07 Oui, mais aïe, quelle époque, une époque et même plusieurs qu'on vous raconte chaque jour pendant deux heures.
00:11 Toujours avec Jean-Luc Lemoyne, David Castellelopez qu'on retrouve dans un instant.
00:14 Et aujourd'hui avec vous, Yvan Jacob, notre journaliste à la mode.
00:17 Ça s'est passé dans le passé, on remonte au temps de la Belle Époque, Yvan,
00:20 pour découvrir que la mode, qui était à la plume, a déplumé les oiseaux du monde entier.
00:25 Elle s'appelait Martha, elle avait 25 ans, elle est morte le 1er septembre 1914,
00:32 au zoo de Cincinnati dans l'Ohio, qui était Martha, la dernière tourte voyageuse de l'histoire de l'humanité.
00:40 Alors la tourte voyageuse, ce n'est pas une quiche à l'ananas, c'est une sorte de pigeon voyageur,
00:45 et c'était, figurez-vous, l'espèce la plus importante au monde au 19e siècle.
00:50 On estime qu'il y en avait entre 3 et 5 milliards, et tout à coup, en à peine 20 ans, patatra, plus aucune tourte voyageuse.
00:58 Alors comment expliquer un tel carnage ?
01:01 Eh bien la tourte apparemment c'était bon et assez facile à attraper,
01:05 donc les Américains en ont mangé des tonnes, mais la tourte c'était aussi joli.
01:09 Ça avait comme ça une petite tête dans des tons bleus, une poitrine rouge-oranger et des ailes bien blanches,
01:14 et ça allait très bien sur un chapeau.
01:16 - Ah bon ? - Mais oui.
01:18 Parce qu'à partir des années 1870, il y a une véritable folie du chapeau à plumes,
01:22 c'est LA grosse tendance de l'appel époque, dans les grandes villes américaines et en Europe.
01:27 Et ces chapeaux, ils sont de différentes formes, certains utilisent seulement les plumes de l'oiseau,
01:32 en petite touffe, en voyante, comme ça,
01:34 d'autres utilisent carrément l'oiseau en entier, avec la tête et tout.
01:37 - Je me demande si ça tient bien, quand même, un pigeon entier sur le crâne, comme ça, c'est...
01:41 - Bonne question ! - Vous avez des questions, mais...
01:43 En fait, il y a deux options. Soit on attache l'oiseau sur le côté du chapeau, avec des fils de fer,
01:49 et on peut même utiliser des petits systèmes de ressorts pour lui faire battre des ailes artificiellement,
01:54 comme s'il n'était pas décédé.
01:55 Parfois, on l'entoure même de feuilles et de mousse pour qu'il ait l'air, non seulement de ne pas être décédé,
02:00 mais en plus de s'ébrouer dans la nature avec bonheur.
02:03 Et la deuxième option, c'est de modeler le corps de l'oiseau pour qu'il prenne directement la forme d'un chapeau,
02:09 et on le pose sur sa tête, un peu comme un bonnet, comme ça.
02:12 - Mais franchement, Yvan, les coiffures à plumes, ça date pas du 19e siècle !
02:16 Y'en a toujours eu dans l'histoire ! - Mais vous avez raison, Stéphane !
02:19 La plume est à la mode depuis longtemps. Louis XIV en faisait même venir de Madagascar.
02:23 Marie-Antoinette adorait se coller des plumes d'Egrettes dans le pouf.
02:27 Mais le problème, c'est que la mode de la belle époque intervient dans un contexte d'industrialisation,
02:32 et que donc, la chasse, comme le reste, devient massive.
02:35 En 1900, aux Etats-Unis, l'industrie chapelière emploie plus de 80 000 personnes.
02:40 Et il y a autre chose qui est produite massivement à l'époque, ce sont les magazines de mode,
02:44 qui diffusent donc largement cette tendance au plus grand nombre.
02:47 En anglais, on appelle ça le "plume boom", toutes les femmes veulent leur chapeau à plume.
02:52 En 1886, un ornithologue qui s'appelle Frank Chapman, écrit une lettre désespérée au magazine "Forest and Stream",
03:00 il dit avoir croisé en seulement deux promenades à Manhattan, 700 chapeaux,
03:05 dont 543 décorés de plumes d'oiseaux, ça fait les trois quarts des chapeaux avec des oiseaux dessus.
03:11 Et évidemment, ce qui était une idée déjà un peu moyenne dès le début,
03:14 devient carrément une course absurde à qui aura le plus gros chapeau,
03:18 et surtout, à qui aura l'oiseau le plus chatoyant.
03:21 Les femmes les moins fortunées, elles se tournent vers les plumes de dinde, d'oie, de pigeon, de pintade,
03:26 mais les plus riches, elles, elles veulent du volatile exotique.
03:29 La plume d'autruche d'Afrique du Sud est si recherchée que sa valeur atteint presque celle du diamant, vous vous rendez compte,
03:36 et plus les plumes deviennent rares, évidemment plus leur prix augmente,
03:39 le gramme de plume de l'égrette neigeuse, par exemple, vaut le double du gramme d'or à cette époque.
03:45 Et l'autre facteur aggravant, c'est que pour avoir l'oiseau le plus chatoyant,
03:49 il faut le prendre au moment de sa reproduction, quand il sort son plus beau plumage pour attraper des femelles.
03:54 Et la chasse excessive laisse donc des milliers de petits soisillons sans parents et sans chance de survie,
04:00 tuant d'un même coup deux générations d'oiseaux.
04:03 - Mais est-ce que véritablement cette mode a menacé des espèces ?
04:06 - Bah oui, aux États-Unis, on estime qu'il y a eu plus de 5 millions d'oiseaux tués dans les dernières années du 19e siècle.
04:12 En fait, c'est un tel carnage que la société commence à se mobiliser pour leur défense,
04:16 à Boston notamment, qui devient l'épicentre de la lutte pour la défense des oiseaux.
04:20 Il y a une femme de la Bonne Société qui mobilise l'opinion sur le massacre des oiseaux,
04:24 et elle demande aux femmes d'arrêter de les mettre sur elle.
04:27 L'affaire de la tourte voyageuse a vraiment marqué les esprits,
04:30 elle a prouvé que les hommes peuvent être responsables de l'extinction d'une espèce,
04:34 quelque chose qu'on avait du mal à croire avant.
04:36 Et en 1903, le président Roosevelt, qui est un passionné d'oiseaux, intervient,
04:40 il crée le premier refuge national de la faune sauvage.
04:44 Ce ne sera pas suffisant pour sauver les tourtes, comme je vous l'ai dit, mais c'est un premier pas.
04:49 En 1916, les Etats-Unis et le Canada signent une convention pour la protection des oiseaux migrateurs,
04:55 mais en 1916, la belle époque est finie, la tendance des chapeaux à plumes est passée,
05:00 et c'est finalement cette folie de la mode qui aura donné naissance
05:03 aux toutes premières organisations de défense des animaux.
05:06 - Incroyable, on a appris des choses. Et plus jamais on ne verra plus de tourtes voyageuses ?
05:11 - On n'a pas conservé leur ADN.
05:13 - On n'a pas trouvé plus de deux, il n'y a pas un ou deux exemplaires ?
05:16 - C'était Martha, c'était elle, la dernière. Ça me fend le cœur.
05:20 - Autant il y a des espèces qu'on ne va pas regretter, autant cette espèce on la regrette.
05:24 - La tourte voyageuse, oui, bien sûr, rien que pour son nom.
05:27 - Mais aïeux, quelle époque ! Merci Yvan !
05:29 Dans un court instant, c'est le début de la fin, ou le début tout court, avant de partir,
05:33 on remonte aux origines avec David Castell-Lopez et sa console de jeux.
05:37 Mais avant, nouvel extrait de son album qui sort vendredi, c'est Pierre Demare sur Europe 1.