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Hajime Isayama, le mangaka japonais, auteur de la série phénomène "L'Attaque des Titans", dont les 34 tomes se sont vendus à plus de 100 millions d'exemplaires dans le monde, est l'invité de France Inter. Il est mis à l'honneur du 50ème Festival d'Angoulême. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-26-janvier-2023-1398229

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Transcription
00:00 Bonjour Hajime Isayama !
00:02 Bonjour !
00:03 Merci d'avoir accepté notre invitation, votre parole est rare, vous donnez très peu d'interviews
00:08 et vous n'imaginez pas le torrent, le déluge de réactions qu'on a reçues ici à Inter
00:14 quand on a annoncé votre venue, notamment chez vos très nombreux jeunes fans, c'est proprement hallucinant.
00:20 Il faut dire que vous êtes l'auteur d'une des œuvres japonaises les plus marquantes de ces dix dernières années,
00:25 la série Phénomènes Multiprimés, l'attaque des titans, dont les 34 tomes ont été vendues à plus de 100 millions d'exemplaires à travers le monde,
00:33 dont 6 millions en France.
00:35 Et vous êtes à Paris aujourd'hui, de passage, c'est la première fois de votre vie que vous venez en Europe,
00:41 vous venez d'arriver en France pour la 50e édition du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême,
00:47 qui organise une exposition monumentale sur votre série.
00:51 Les billets pour l'exposition sont envolés en quelques minutes, le standard a failli exploser.
00:57 Il faut dire que la France est le deuxième pays du manga après le Japon.
01:01 Vous comprenez cette passion française pour le manga ou ça vous surprend ?
01:05 Je comprends que le manga est très important en France,
01:13 mais je ne sais pas la raison de pourquoi ça a autant de la cote en France.
01:21 Cette excitation de vos fans français, le fait que vous soyez attendus comme une rockstar à Angoulême,
01:27 ça vous amuse, ça vous fait sourire ou ça vous angoisse un peu ?
01:31 C'est un honneur.
01:33 Mais par contre je ne suis pas une rockstar, ça il faut le dire.
01:37 Vous ne vous sentez pas une rockstar ?
01:39 Non, pas vraiment.
01:41 Vous êtes fan de quel rockstar d'ailleurs ?
01:43 Queen, par exemple, c'était un groupe que j'écoutais.
01:47 Comment expliquer que les mangas, cet art si japonais, si symbolique de votre culture locale,
01:53 il n'y a pas plus japonais que le manga, touche autant de gens dans le monde,
01:56 que ce soit devenu un tel phénomène ?
01:58 En France, je le disais, mais aussi partout dans le monde, en Italie, aux Etats-Unis,
02:02 partout, les jeunes se ruent dans les librairies pour acheter des mangas.
02:05 Vous avez compris pourquoi ?
02:07 Je ne sais pas pourquoi, mais...
02:10 Encore une fois, je n'ai pas vraiment d'explication pour pourquoi autant d'enthousiasme.
02:14 Si vous trouvez ça intéressant, je suis heureux.
02:17 Je suis tout à fait honorée de voir que les gens sont autant intéressés par cet art.
02:21 Parlons à présent de l'Attaque des Titans, votre grande œuvre,
02:24 que vous avez commencée à dessiner quand vous aviez 20 ans, c'était il y a 16 ans.
02:28 Vous vous imaginiez à l'époque que l'histoire de cette communauté d'humains
02:31 retranchée derrière les murs immenses de leur ville pour se protéger de terribles titans
02:36 qui ne pensent qu'à les dévorer, aurait eu un tel retentissement qu'elle durerait 12 ans,
02:41 que vous en feriez 34 volumes, et que son adaptation en film animé
02:45 serait l'un des plus gros succès de Netflix ?
02:47 Aucune idée.
02:50 A l'époque où j'avais commencé à écrire,
02:54 je m'attendais à ce qu'à 80% ça soit arrêté en plein milieu.
03:00 Je n'imaginais pas pouvoir vivre ma vie en écrivant des mangas.
03:09 Je pense que ce seul fait est un succès à mes yeux.
03:12 D'où vous est venue l'idée de cette histoire très sombre, très violente,
03:16 sur ces humains qui résistent contre la menace de titans ?
03:19 C'était votre vision du monde quand vous aviez 20 ans, quand vous avez commencé ?
03:23 Vous étiez très jeune.
03:26 Comment je voyais le monde ? Ce n'est pas vraiment ça le sujet.
03:29 Ce n'est pas là que j'ai mon inspiration, mais juste que je trouvais que c'était intéressant comme sujet.
03:34 Je pensais que ce serait un sujet qui serait prenant, même pour les lecteurs.
03:37 Il faut dire que vous êtes née dans une petite ville de la campagne japonaise,
03:41 entourée de montagnes.
03:43 Vous avez grandi dans cet environnement confiné en vous demandant, quand vous étiez petit,
03:47 si des monstres venus des montagnes allaient vous attaquer.
03:50 Cette enfance confinée, elle vous opprimait, vous étouffiait.
03:54 Oui, je crois certainement qu'il y a une influence de ce côté-là.
03:58 Ma ville natale était vraiment entourée de montagnes.
04:02 C'était vraiment comme une île terrestre, dans un sens.
04:07 Nous n'avions pas de contact avec les autres.
04:10 Le fait d'avoir grandi dans un environnement pareil a eu beaucoup d'impact sur moi.
04:15 Et sur votre œuvre, ce qu'on peut lire effectivement dans votre œuvre,
04:18 vous dites aussi que vous vous sentiez différent quand vous étiez enfant.
04:21 Différent comment ? Et est-ce que ça vous a fait souffrir,
04:25 ou au contraire, ça a été un moteur pour vous, cette différence ?
04:28 Donc vraiment, si je parle à titre personnel,
04:34 nous avons ces idéogrammes japonais que nous utilisons,
04:38 et j'étais très mauvaise à l'apprentissage de ces idéogrammes.
04:42 Et même maintenant, en tant qu'adulte, je continue à ne pas être très douée pour cette écriture.
04:46 Et les autres sont capables de, de manière très aisée, d'apprendre ça.
04:50 Et moi, à chaque fois que je dois écrire, je regarde avec mon smartphone,
04:53 en fait, pour me remémorer tous ces kanji, ces idéogrammes japonais.
04:56 Et j'avais l'impression d'être, en fait, un peu un cancre,
05:01 et ça, je l'ai ressenti depuis toute mon enfance.
05:03 Et aujourd'hui, vous le pensez encore ?
05:06 Oui, il y a des choses que je sais faire et des choses que je ne sais pas faire,
05:11 et c'est assez extrême, le fossé qui existe entre ces deux choses.
05:14 L'idée de créer ces titans, ces monstres terribles, effrayants,
05:18 vous serez venu, j'ai lu, vous serez venu un soir, alors que vous étiez serveur dans un cybercafé,
05:24 vous aviez subi une agression par un client qui était totalement ivre,
05:28 et vous avez dit "l'être humain peut être l'animal le plus familier,
05:31 mais aussi le plus effrayant du monde".
05:33 Vous pensez, en fait, comme le philosophe Hobbes, que l'homme est un loup pour l'homme.
05:37 C'est vraiment au cœur de votre œuvre, quand on la lit jusqu'au final, qui est incroyable.
05:45 Oui, dans ce cybercafé, oui, j'ai eu cette expérience très marquante pour moi.
05:49 C'était dans le quartier de Ikebukuro, c'est vraiment un quartier assez populaire
05:53 et où il y a beaucoup de gens, et c'était vraiment très tard,
05:57 et il y avait beaucoup de clients ivres, et c'était des gens avec qui je n'arrivais pas à communiquer,
06:04 et c'était quelque chose qui était très fatigant,
06:07 et parfois j'avais du mal à aller au travail juste en pensant à ça.
06:10 Et c'est aussi une inspiration de ce qu'on voit.
06:12 Oui, parce qu'il y avait des clients qui pouvaient être très fâchés,
06:17 et je me disais "mais qu'est-ce qui va se passer quand ils vont revenir ?"
06:21 Par exemple, s'il y avait, on va dire, un tigre dans la ville,
06:27 si nous on s'enfuit dans la maison et qu'on ferme la clé,
06:31 le tigre ne peut pas nous suivre, mais en fait un être humain, lui, il peut ouvrir la porte,
06:36 il peut aussi avoir un couteau dans les mains,
06:38 et c'est là où je me dis qu'en fait l'humain est plus effrayant qu'un animal, qu'un tigre.
06:42 Et ce qui épatte aussi dans cette attaque des titans, c'est la complexité de vos personnages.
06:47 Ils sont tantôt victimes, tantôt des traîtres, tantôt des défenseurs, tantôt des bourreaux,
06:52 tantôt du côté du bien, tantôt du côté du mal, ils échappent en fait à tout manichéisme.
06:57 Pourquoi ? Parce que chez vous, au fond, fondamentalement, le monde est tragique,
07:01 vous êtes un pessimiste, un grand pessimiste, Hajime Isayama.
07:06 Alors, personnellement, je suis plutôt un optimiste,
07:12 et je pense que les êtres humains, en fait, nous nous formons en faisant des erreurs.
07:19 Dans l'attaque des titans, il y a cette histoire, bien sûr,
07:24 et à chaque fois, ma motivation est, je crois que ce sera plus intéressant,
07:27 que l'histoire sera plus prenante si je l'écris de cette manière.
07:30 On parle de manichéisme, et donc je me suis dit qu'un héros qui serait complètement parfait,
07:40 qui serait complètement bourre, ne serait pas intéressant.
07:42 Un mot sur Eren, votre héros, le héros le plus important de cette série.
07:47 Qu'est-ce que vous aviez derrière la tête quand vous avez écrit ce personnage ?
07:51 Qu'est-ce que vous vouliez dire derrière lui ? Qu'est-ce qu'il est pour vous si vous deviez le résumer ?
07:56 Alors, c'est quelque chose qu'on me pose la question, et ça fait longtemps que j'y réfléchis,
08:02 mais je crois que c'est un personnage qui reflète la mauvaise partie de moi.
08:08 Donc, toute l'histoire va vers le fait de me débarrasser et de tuer ces mauvaises parties de moi.
08:14 Le dernier chapitre de la série a été publié en 2021.
08:17 Mettre fin à un projet qui vous a occupé pendant plus de dix ans, ça vous a soulagé, ça vous a déprimé ?
08:23 Vous arrivez à vivre sans vos héros, sans Eren, sans vos Titans, ou est-ce qu'il vous manque parfois ?
08:29 Juste après la fin, c'est vrai que j'ai ressenti à quel point je n'avais pas pu vraiment sortir toute ma force,
08:39 et que c'est pour ça que je me suis sentie un peu mal, disons,
08:42 mais après je pense aussi que j'ai fait de mon mieux et que je reste satisfaite.
08:45 Vous avez pourtant dit devant un panel de lecteurs il y a quelques jours à New York, vous avez dit
08:49 "J'ai toujours des doutes sur moi-même, est-ce que j'ai réussi ? J'en suis même pas sûre."
08:54 Vraiment, vous avez encore des doutes malgré le succès immense que vous avez eu ?
08:59 Oui, j'ai pu aller à New York, je suis maintenant à Paris, je crois qu'on peut parler quand même d'une réussite.
09:08 Oui, mais vous dites aussi "J'ai toujours l'impression que mon travail n'est pas assez approfondi,
09:13 surtout quand je le compare à l'univers de science-fiction de mes amis artistes."
09:18 Alors on connaît l'humilité des Japonais, mais chez vous, vous allez très très loin dans cette forme d'humilité.
09:25 Oui, après je vois les gens qui ont 10 ans de plus que moi, 20 ans de plus que moi,
09:34 qui ont ouvert le domaine de la science-fiction et qui ont une réflexion très profonde par rapport à cet univers.
09:43 Et donc quand je vois tous ces gens qui sont d'un autre niveau et qui ont une côte incroyable,
09:50 disons que pour moi, je ne me compare pas dans le même standard qu'eux.
09:54 Et c'est pour ça que je dis que pour moi, je ne suis pas au même niveau qu'eux.
09:58 Hajime Isayama, vous pourriez un jour reprendre une suite de l'Attaque des Titans où c'est fini, fini, fini ?
10:05 Une suite, c'est impossible, c'est une oeuvre qui est complètement terminée.
10:11 C'est vrai que vous regardez les commentaires sur vos livres, sur les réseaux sociaux,
10:14 que vous communiquez avec vos fans, que vous leur répondez ?
10:17 Alors il n'y a pas d'échange avec mes fans, mais c'est vrai que de mon côté, en anonymat,
10:25 je regarde les revues et après parfois je suis content, parfois je suis triste.
10:30 Mais vous arrivez à prendre de la distance quand même ?
10:32 Oui, c'est vrai qu'au départ, parfois ça m'arrivait d'être très choqué par ce que je lisais.
10:40 Et après, à force de me frotter à ces critiques, j'ai fini par me renforcer.
10:45 Quel conseil vous donneriez aujourd'hui à un jeune qui voudrait faire des mangas,
10:49 qui voudrait se lancer dans la bande dessinée ou dans les mangas ?
10:52 Et d'abord, est-ce que vous lui diriez, il faut d'abord être japonais pour faire des mangas,
10:55 sinon tu n'y arriveras pas ?
10:57 Non, ce n'est pas quelque chose qui est réservé aux japonais pour les mangas.
11:02 Mais par contre, au Japon, il y a vraiment une compétition incroyable concernant ce domaine.
11:10 Il y a une population importante, et c'est grâce à cette compétition
11:15 que nous pourrons avoir des oeuvres incroyables dans les mangas.
11:19 Mais je crois que ce n'est pas vraiment l'origine culturelle,
11:23 l'origine japonaise qui va tout faire pour le manga.
11:26 Dernière question, vous avez encore des rêves aujourd'hui.
11:29 Vous avez 36 ans, vous avez donc fait ce succès mondial,
11:33 l'attaque des titans, 100 millions d'exemplaires vendus.
11:36 Est-ce qu'il y a encore des rêves que vous avez à accomplir, des choses que vous avez à faire ?
11:40 Mon rêve concernant tout ce qui est manga, pour l'instant je n'en ai pas.
11:46 Après, par exemple, j'aimerais bien faire un sauna de mes propres mains.
11:54 Un sauna ?
11:56 Oui, un sauna.
11:58 Au Japon, il y a beaucoup de saunas.
12:04 Souvent, nous avons des sources thermales et des saunas,
12:08 et après aussi, toujours le bassin d'eau froide.
12:11 J'ai envie de recréer cet environnement, tout simplement.
12:16 Vous avez un message pour vos fans français, c'est quoi la France pour vous ?
12:20 Pour moi, c'est vraiment de l'autre côté du monde, du point de vue japonais.
12:27 Il y a toute une histoire qui est complètement différente du Japon.
12:31 Et malgré tout, c'est un peuple qui aime beaucoup le manga japonais,
12:38 et c'est quelque chose que je trouve un honneur.
12:41 Vous êtes content d'être en France, pour la première fois de votre vie ?
12:44 Oui, je suis très content d'avoir été invitée, c'est un honneur d'être en France.
12:51 On vous retrouvera au Festival international de la BD d'Angoulême.
12:54 Merci beaucoup, Hajime Isayama.
12:57 Merci d'avoir été à notre micro ce matin sur France Inter.
13:01 Merci beaucoup, c'est un honneur de pouvoir répondre à cette interview.
13:06 Et ce sera aussi un honneur de pouvoir communiquer avec mes fans français au festival.
13:13 -Oui.

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