Yasmina Reza : "Je ne crois pas que la culture nous rend meilleurs"

  • il y a 5 mois
Aujourd'hui dans le grand entretien à 8h20, Ali Baddou et Marion L'Hour reçoivent Yasmina Reza, écrivaine, metteuse en scène, pour la sortie de “On vient de loin. Œuvres choisies” (Collection Quarto, Série Voix contemporaines, Gallimard), qui regroupe une somme de textes variés de l'autrice. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-19-mai-2024-7026284

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00:00 Et dans le Grand Entretien, ce matin avec Marion Lourdes, nous avons le bonheur de
00:03 recevoir une formidable autrice écrivaine, elle est aussi la dramaturge française la
00:09 plus jouée dans le monde, elle vient d'être récompensée du prix mondial Sinodel-Luca,
00:15 un grand prix des fondations de l'Institut de France, extrêmement précise et un ensemble
00:21 de ses œuvres choisies vient de paraître dans la belle collection quarto de Gallimard
00:26 avec ce titre "On vient de loin, on vient de loin, on fait de notre mieux mais parfois
00:32 on ne sait pas ce qui nous prend".
00:33 Bonjour Yasmina Reza !
00:34 Bonjour !
00:35 Et bienvenue, félicitations, c'est un magnifique livre que vous publiez où l'on trouve des
00:40 textes de toute nature, où il y a des textes courts, il y a évidemment des pièces de théâtre,
00:46 art, pour ne citer que celle-là, il y a des textes plus longs et des textes en prise avec
00:51 la réalité, on se souvient que vous aviez suivi Nicolas Sarkozy par exemple.
00:56 Il y a aussi des dialogues sur votre œuvre "Heureux les Heureux", vous dialoguerez avec
01:00 les auditeurs d'Inter dans quelques minutes, ils peuvent vous appeler au 01 45 24 7000
01:08 ou vous écrire sur l'application France Inter.
01:11 Rentrons dans le vif du sujet Yasmina Reza, la collection quarto, elle est prestigieuse,
01:17 on y trouve les plus grands écrivains, Yoursenaar, Philippe Roth, Borgès, que vous admirez et
01:22 que vous aimez.
01:23 Et maintenant vous Yasmina Reza, qu'est-ce que vous avez ressenti quand Gallimard vous
01:28 a proposé de réunir des textes et d'y être publié ?
01:31 C'était des sentiments un petit peu mélangés parce que quand on vous propose une chose
01:40 pareille, ça veut dire qu'il y a beaucoup d'éléments derrière soi, donc c'est encore
01:47 un autre rappel du temps qui survient et en effet quand on voit l'objet, il est épais,
01:55 il est un peu lourd et on se dit "bon, j'ai écrit tout ça".
01:59 Tout ça et encore tant d'autres choses et on trouve des photos de vous, on trouve
02:04 aussi des dialogues où vous parlez de vos moteurs narratifs, de votre travail sur l'écriture,
02:11 sur ce que ça veut dire d'être dramaturge aujourd'hui, de prendre la plume pour écrire
02:16 des pièces de théâtre et non pas seulement des romans.
02:19 Ce titre, on vient de loin, vous citez cette phrase de Borgès "l'importance c'est l'œuvre
02:26 et l'œuvre est en soi une énigme, surtout pour le poète qui travaille avec les mots,
02:30 des mots qui sont moins importants pour le sens qu'ils ont dans le dictionnaire que
02:34 pour leur ambiance, leur connotation, leur rythme".
02:38 Une œuvre, ça doit rester une énigme ?
02:40 Oui, c'est pour ça que je suis un petit peu avare d'entretiens, d'interviews parce
02:46 que finalement, profondément, je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai écrit.
02:50 Il n'y a pas un mode d'emploi à côté, il n'y a pas la feuille de route de la lecture
02:58 puisque tout simplement, je ne la connais pas vraiment moi-même.
03:01 Vous ne la connaissez pas ? Non.
03:03 Mais vous y réfléchissez quand même ? J'ai réfléchi sur le moment, au moment
03:06 où j'écris, mais ce n'est pas une réflexion intellectuelle, c'est une réflexion instinctive.
03:12 Et c'est assez passionnant parce que vous qui avez connu le succès, vous racontez par
03:16 exemple que vous êtes habité par le doute, le doute Yasmina Reza, il est encore présent
03:24 en vous lorsque vous vous attelez à l'écriture de quelque chose de nouveau ?
03:28 Il est de plus en plus présent.
03:30 Quand on commence, on n'a pour incidère pas de doute puisque tout est possible, y
03:35 est la catastrophe, tandis que maintenant, la position, ce qui vous arrive, la position
03:43 sociale que finit par avoir un écrivain est une espèce d'obligation externe qu'on
03:49 a désirée mais qu'on n'a pas voulu, disons, sur un plan profond.
03:52 Et on sait qu'on est quelqu'un, donc c'est encore pire.
03:57 Mais cette phrase que citait Ali Baddou, on vient de loin, on fait de notre mieux, mais
04:05 parfois on ne sait pas ce qui nous prend, vous dites qu'elle résume votre œuvre.
04:08 En quoi elle la résume ?
04:09 Elle la résume dans ce sens que on vient de loin, c'est vrai pour moi, pour ma famille,
04:18 mais c'est vrai aussi pour beaucoup de mes personnages, même s'ils ne sont pas typologisés,
04:23 si vous me permettez, étrangers, mais ils sont étrangers quand même.
04:27 Ce ne sont pas des personnages classiques dont j'écris, ce sont des gens qui viennent
04:32 de loin.
04:33 De loin, pas forcément géographiquement ?
04:35 Oui, pas forcément géographiquement, mais ça revient en même en réalité.
04:39 Et ils font de leur mieux, c'est-à-dire qu'ils sont bien élevés, mais ils basculent, parce
04:46 qu'ils sont mus par les nerfs plus que par la rationalité de la pensée.
04:50 Et j'ai toujours écrit sur le basculement de l'être, jusqu'où la morale s'arrête,
04:56 quand les nerfs prennent le pas, les aspects incontrôlables de l'homme.
05:03 Vous parliez de la rareté de votre parole, vous dites aussi que les journalistes, il
05:06 faut toujours leur expliquer la même chose.
05:08 Dites-nous quelque chose que vous n'avez jamais expliqué aux journalistes, que vous
05:12 auriez souhaité peut-être expliquer ?
05:13 Mais non, rien du tout !
05:14 C'est avec nous quand même !
05:17 Quelle est la différence entre un écrivain et quelqu'un qui écrit ?
05:20 Asmina Reza, c'est une phrase de Thomas Bernard que vous citez.
05:23 Oui, parce que moi j'ai mis très longtemps à mettre dans la casse profession du passeport
05:31 écrivain.
05:32 Ça me paraissait incroyablement pompeux et définitif.
05:36 Cette fonction, j'avais l'impression que c'était illégitime pour moi.
05:41 Illégitime ?
05:42 Oui.
05:43 Écrivain, enfin j'écris ! Je ne me suis jamais posé la question de la profession.
05:49 On est en ligne avec Dominique qui nous appelle de Haute-Corse.
05:54 Bonjour !
05:55 Bonjour France Inter, bonjour à votre invité !
05:57 Et bienvenue !
05:58 Je voudrais poser une question dans le sens où que peut apporter la culture à l'être
06:05 humain, à l'homme qui semble le type des sangs du singe ?
06:08 Alors pour une élévation de l'esprit, pardonnez-moi !
06:12 Merci pour votre question.
06:15 Qu'est-ce que la culture peut apporter ?
06:17 On peut rajouter la lecture, le théâtre, le cinéma, Asmina Reza ?
06:20 Oh là là, c'est une vaste question.
06:24 Non, je ne crois pas aux vertus améliorantes de la culture si vous voulez.
06:31 Je ne crois pas que la culture nous rend meilleure.
06:33 Mais elle peut nous approfondir.
06:35 La culture change les gens en fonction de la façon dont ils la reçoivent et en fonction
06:42 de ce qu'ils sont et ce qu'ils vont chercher.
06:45 Vous ne la voyez pas comme un antidote à la violence par exemple, aux pulsions mortifères
06:50 qu'on a en soi ?
06:51 Absolument pas.
06:52 Les nazis étaient cultivés.
06:53 La preuve peut-être de ça, c'est votre pièce de théâtre où des amis s'écharpent
06:59 autour d'un tableau blanc que l'un d'eux a acheté et que l'autre trouve son ami très
07:04 prétentieux, son ami Serge, qui a acheté ce tableau blanc.
07:07 Ça les nerve aussi qu'ils disent « l'artiste », l'artiste comme une entité intouchable,
07:13 une sorte de divinité.
07:14 Pour vous, un artiste n'est pas différent des autres ? Sur un piédestal en quelque
07:19 sorte ?
07:20 Je pense que l'époque a à cœur de créer des sortes d'idoles.
07:24 Ça fait longtemps maintenant que l'artiste avec un grand A est une idole, ce n'était
07:28 pas du tout le cas auparavant, avec des artistes immenses néanmoins.
07:31 C'est peut-être en ce sens que je suis assez juive, c'est que je n'aime pas le phénomène
07:38 d'idole et je ne mettrai pas l'artiste au titre d'idole plus que le charpentier.
07:46 D'ailleurs vous croyez au dieu du carnage ? Oui.
07:49 Au dieu du carnage, c'est le titre de l'une de vos pièces, c'est le seul qui gouverne
07:54 sans partage.
07:55 Qu'est-ce que ça veut dire Yasmina Reza ? On vous demande de vous expliquer.
08:00 Oui c'est terrible.
08:01 Je sais c'est affreux, mais merci d'être avec nous et de faire cet effort-là.
08:04 Le dieu du carnage n'est pas du côté du bien, il n'a pas de compte à rendre.
08:20 Il y a Catherine qui vous écrit sur l'application France Inter.
08:25 Bonjour, j'adore Yasmina Reza, elle a un univers très singulier et ma question est
08:29 indépendante de ce qui l'inspire.
08:32 Est-ce que vous avez remarqué des singularités de la perception de son travail selon la société,
08:38 la culture, le pays ? Par exemple, vous êtes très proche de Borges qui est argentin.
08:42 Oui.
08:43 Et vous avez une affinité profonde avec cet auteur et particulièrement avec l'une de
08:48 ses œuvres, Fiction.
08:50 Fiction au pluriel.
08:51 J'aime beaucoup Fiction, mais j'ai surtout une grande affinité avec sa poésie.
08:56 Fiction, ce sont des nouvelles.
08:59 La poésie, oui, mais vous savez, c'est intéressant parce que les affinités, ce
09:04 n'est pas toujours des choses qui vous ressemblent.
09:07 Je ne l'écris pas du tout comme lui, par exemple.
09:08 C'est des affinités mystérieuses de l'âme.
09:13 Vous parlez de poésie, vous parlez de nouvelles, mais vous êtes aussi dans l'époque.
09:19 Par exemple, en 2007, vous avez décidé de faire un récit de la campagne de Nicolas
09:23 Sarkozy, « L'aube, le soir ou la nuit ». C'était le titre.
09:26 Vous y décrivez son air d'enfant, son mouvement perpétuel, parfois fasciné, parfois un peu
09:32 amusé.
09:33 Est-ce que suivre d'autres politiques aujourd'hui, ça pourrait vous intéresser ? Ou il y avait
09:36 quelque chose de particulier à ce livre ?
09:38 Non, ce qui m'intéressait, c'est une chose qui ne se fait qu'une fois.
09:41 C'est-à-dire que je voulais comprendre… C'est un livre existentiel, ce n'est pas
09:46 du tout un livre politique.
09:47 Je voulais comprendre la substance de l'ambition, la substance de la quête d'un pouvoir.
09:53 J'ai eu beaucoup de chance de tomber sur lui.
09:54 Il aurait pu être tout à fait un autre.
09:56 Je ne l'ai pas pris d'un point de vue idéologique.
09:59 C'était au hasard ?
10:00 Pas tout à fait au hasard, évidemment pas.
10:02 Mais il était l'homme de la situation.
10:04 Il était là, il était intéressant humainement.
10:07 Et il s'est avéré un personnage merveilleux.
10:13 Voilà, je ne pourrais jamais faire quelqu'un d'autre.
10:16 Ça ne m'intéresserait plus.
10:17 J'ai vu tout ce que j'avais à voir.
10:18 Mais par exemple, vous racontez qu'au moment du Nouvel An, vous vous êtes embrassé.
10:22 C'est quelque chose qu'on fait plutôt entre amis en général ou en famille.
10:25 Comment est-ce qu'on garde la bonne distance avec son personnage ?
10:27 Écoutez, franchement, je n'avais aucun problème.
10:29 Mais j'étais toute la journée avec lui.
10:30 Tout le temps, tout le temps.
10:31 Justement.
10:32 Pendant presque un an.
10:33 Ça crée des liens d'affection.
10:34 Moi, je l'aime beaucoup.
10:35 Enfin, je l'aimais beaucoup.
10:36 Je ne le vois plus.
10:37 Ça a été le temps de ce livre.
10:39 Mais non, pas du tout.
10:41 Il y a deux personnes quand vous écrivez.
10:43 Il y a la personne normale de la vie et puis il y a celle qui est à côté avec un oeil
10:48 asserré qui regarde tout autrement.
10:50 Et le livre, c'est un carnet de campagne puisque vous étiez vraiment au quotidien
10:55 avec lui.
10:56 Et on le voit évoluer.
10:58 On l'entend parler, Yasmina Reza, parce que vous avez une très grande attention aux mots
11:02 que vous employez.
11:03 Vous avez une passion pour l'écriture théâtrale.
11:07 Qu'est-ce que ça peut apporter aujourd'hui d'être dramaturge dans un monde où on est
11:12 inondé par ce qu'on voit sur des écrans ? Qu'est-ce qui reste spécifique au théâtre ?
11:17 Je pense que si tout disparaissait, le théâtre resterait.
11:21 Parce que les enfants font déjà du théâtre.
11:25 Un petit extrait d'une planche, d'une caisse, où quelqu'un se surélève légèrement
11:30 et récite quelque chose ou fait le pantin ou le clown.
11:33 Les autres s'arrêtent et regardent ou chantent.
11:37 La scène, c'est consubstantiel au jeu.
11:40 On en a besoin ?
11:41 C'est en nous.
11:43 C'est en nous ?
11:44 Oui.
11:45 Ce qui est intéressant, c'est l'importance que vous apportez aux mots.
11:50 Si on revient à votre récit avec Nicolas Sarkozy, à un moment vous parlez d'un discours,
11:55 vous dites qu'il ne s'adressait qu'à lui-même, une grande armure de comédie.
11:58 Comme s'il y avait un langage qui avait une certaine vacuité.
12:01 Et en même temps, dans la pièce « Art » par exemple, un mot, un petit mot, même
12:05 une inflexion de voix d'un des protagonistes, suffit à brouiller les gens entre eux.
12:10 Est-ce que les mots peuvent être à la fois rien, vide de sens et tout ?
12:14 C'est-à-dire peut-être trop lourd ?
12:15 C'est ça qui est extrêmement intéressant dans l'écriture de théâtre.
12:20 C'est-à-dire ce maniement des mots en fonction de ces deux écarts.
12:26 J'aime beaucoup écrire des petits moments où les mots ne veulent strictement rien dire
12:31 et où tout le monde se barbe.
12:32 Pas les spectateurs, mais les gens.
12:34 Dans vos pièces, vous voulez dire ?
12:36 Oui.
12:37 Et puis j'aime aussi affûter les mots comme un couteau qu'on aurait bien aiguisé.
12:43 Parce que forcément, la personne qui est à côté repère.
12:46 C'est les deux extrêmes.
12:48 Juste avant votre arrivée, nous étions en dialogue avec Annick Cogent qui vient de publier
12:55 un livre sur le débarquement, le « D-Day » avec les témoignages de 18 vétérans.
13:01 Le 6 juin prochain, Emmanuel Macron célébrera les 80 ans du débarquement.
13:05 Vous écrivez dans un livre, Serge, la chose suivante « Il n'y a rien à attendre de
13:10 la mémoire, un savoir qui n'est pas intimement relié à soi est vain.
13:16 Malgré tout, ces commémorations sont importantes.
13:19 Nous vivons dans un monde ivre du mot mémoire.
13:23 Pour vous citer toujours, Iriesse Minarezza.
13:26 Oui, je ne saurais pas le dire mieux.
13:29 C'est bien d'être instruit.
13:32 Il faut savoir, il faut connaître.
13:36 Mais je ne suis pas sûre du mot mémoire.
13:39 Le mot mémoire pour moi c'est une chose extrêmement personnelle.
13:42 Une mémoire personnelle infuse en soi, vous transforme, vous transforme la substance de
13:49 l'être.
13:50 Alors qu'une mémoire qui n'est qu'un su, qu'un savoir su, ce n'est pas du
13:55 tout la même chose.
13:56 Et ces commémorations ne peuvent jamais créer une mémoire réelle.
13:59 C'est impossible.
14:00 Elles ne peuvent jamais créer de mémoire réelle ?
14:01 Non.
14:02 Donc elles servent à quoi ? Je ne sais pas à quoi elles servent.
14:05 Vous vous racontez en tout cas, et vous donnez quelques éléments de votre biographie dans
14:10 ce recueil quarto.
14:12 Vous êtes née d'une mère hongroise, d'un père iranien.
14:15 Vous racontez dans « Nulle part » le voyage que vous avez fait avec votre mère justement
14:18 pour parler de mémoire dans sa ville natale à Budapest.
14:22 Mais vous n'avez pas la nostalgie du lieu.
14:24 Vous n'avez pas la nostalgie de la ville.
14:27 Et vous dites même « Il n'y a aucun endroit que je regrette.
14:31 Je suis capable des plus violentes nostalgies pour les espaces où je ne suis jamais allé.
14:35 » Vous avez la nostalgie du futur.
14:37 Et ça, pour le coup, c'est paradoxal.
14:39 Je ne crois pas que ce soit la nostalgie du futur.
14:43 Je pense qu'on a en soi des particules…
14:47 Elémentaires ?
14:48 Oui, élémentaires et qu'on ne connaît pas.
14:51 Et qui sont capables de… qui sont comme un vécu antérieur.
14:55 Qui sont quelque chose que…
14:58 Yurtürk Sonar a écrit des pages géniales sur comment survenaient en elle des personnages
15:05 qu'elle n'avait jamais rencontrés et qui pourtant vivaient en elle.
15:08 Et je pense que c'est la même chose pour les paysages.
15:10 On peut connaître des paysages, on peut connaître des sensations qu'on ne connaît pas pour
15:17 de vrai.
15:18 Et je serais incapable d'expliquer ça.
15:20 Toujours dans ce cahier biographique justement où vous parlez de cette absence d'endroits
15:24 et de coins à vous, vous dites « Ce qui s'en rapproche le plus, c'est quoi ? »
15:27 C'est le carré juif du cimetière Montparnasse.
15:31 Vous pouvez nous expliquer ?
15:33 Ce qui se rapproche le plus de quoi ?
15:35 D'un coin à vous.
15:36 D'un recoin à vous.
15:38 C'est-à-dire dans ce carré juif, mes parents sont enterrés, mes grands-parents aussi.
15:44 Je connais d'autres gens.
15:47 Un jour j'allais avec mon fils, on a mis des pierres, comme c'est la tradition sur
15:54 mes parents.
15:55 J'ai été voir le père d'une amie, on a été aussi mettre une pierre.
15:58 Mon fils avait 4 ans ou 5 ans, il était au balai, il m'a dit « On connaît d'autres
16:01 gens ici ? »
16:02 Il voulait mettre des pierres partout.
16:05 Je ne sais pas comment j'ai écrit ça, mais c'est vrai que c'est un vrai lieu,
16:13 c'est un petit lieu que je reconnais comme une racine en quelque sorte.
16:17 Forcément oui.
16:18 Et comment vous ressentez aujourd'hui la hausse des actes antisémites qui sont recensés
16:22 en France ?
16:23 Le Premier ministre disait une hausse de 300% sur le premier trimestre.
16:26 Oui, je le ressens comme vous tous.
16:28 C'est un chiffre très inquiétant, c'est surtout extrêmement attristant.
16:34 Bien qu'on puisse en voir relativement les raisons.
16:40 Ce n'est pas si surprenant que ça.
16:43 C'est-à-dire ?
16:44 Ah non, on ne me rappelle pas ! Ce n'est pas l'espace ni le temps.
16:49 Mais je veux dire, tout le monde en parle, donc on n'a pas besoin de ma parole pour
16:52 ça.
16:53 Il y a une forme de légèreté.
16:55 Pour justement changer de registre dans votre écriture, cette légèreté-là, elle est
17:02 quelque chose qui parle de vous.
17:03 Il y a une auditrice d'Inter qui nous dit la chose suivante, Myriam.
17:08 Elle a repeint un tableau en blanc chez elle.
17:11 Il engendre des questions de ses amis grâce à votre pièce « Art », grâce à vous.
17:16 Merci et bravo !
17:18 Commentaire ?
17:20 C'est drôle de vous prendre au mot !
17:22 Oui, oui !
17:23 Et de peindre en blanc un tableau qui, malgré tout, suscite les commentaires sans fin.
17:30 Les écrivains ont en commun avec les tyrans de plier le monde à leur désir.
17:34 Oui, c'est vrai !
17:35 C'est vrai ?
17:36 C'est moi qui ai dit ça ?
17:37 C'est vous qui avez même écrit ça dans le livre que vous avez consacré à la campagne
17:41 de Nicolas Sarkozy, « L'aube, le soir ou la nuit ».
17:43 Oui, mais c'est une belle phrase !
17:44 Oui, elle est belle !
17:45 Vous, vous avez le sentiment de réussir à plier le monde à votre désir ?
17:50 Ah oui, quand j'écris, oui !
17:51 Oui ?
17:52 Enfin, pas toujours, quelques fois je rate.
17:53 Mais oui, quand j'écris, oui !
17:54 On a un énorme pouvoir quand on écrit !
17:57 En tout cas, c'est assez rare que vous ratiez.
17:59 Merci infiniment, Yasmina Reza, d'avoir été l'invité de France Inter.
18:04 Vous avez donc ce livre « On vient de loin », des œuvres choisies.
18:09 Ça a été difficile de choisir parmi tout ce que vous avez écrit pour faire ce recueil ?
18:13 Le choix était simple parce que les éditions Folio avaient déjà fait le théâtre complet.
18:18 Donc j'ai privilégié tout ce qui n'était pas théâtre.
18:21 Oui, avec notamment des très courts textes absolument passionnants.
18:25 « On vient de loin », des œuvres choisies, donc publiées dans la magnifique collection
18:29 Quarto chez Gallimard.
18:31 Merci Yasmina Reza !

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