L'écrivain Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour son roman "Nos enfants après eux" (Actes Sud) a rassemblé dans un livre illustré, "Le Ciel ouvert", ses textes publiés sur son compte Instagram pendant cinq ans. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-we-du-vendredi-16-fevrier-2024-9167090
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00:00 Grand entretien ce matin avec un écrivain pris Goncourt pour son roman "Leurs enfants
00:05 après eux", il publie "Le ciel ouvert", c'est un recueil de textes écrits sur Instagram
00:11 notamment, où il est question d'une histoire d'amour clandestine mais qui pose des questions
00:16 politiques, des questions métaphysiques, des questions qu'on sait tous poser, qu'on
00:21 soit amoureux ou au contraire qu'on ait un chagrin d'amour.
00:24 Il est question de blessures, il est question du temps, de transmission.
00:28 Chers auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:34 Bonjour Nicolas Mathieu.
00:36 Bonjour.
00:37 Et bienvenue "Le ciel ouvert", c'est un livre qui vient de paraître chez Actes Sud
00:41 et c'est une plongée, votre plongée dans une histoire d'amour et on va y revenir.
00:47 C'est illustré de dessins d'Aline Zalco qui accompagne les textes.
00:51 C'est un recueil, on peut le dire comme ça, de micro-fiction, on l'a présenté comme
00:57 un recueil de poèmes également, des fragments en tout cas d'un discours amoureux.
01:02 Oui, finalement l'expression "fragment d'un discours amoureux", c'est ce qui conviendrait
01:06 le mieux si elle n'avait pas été employée si bien et tellement bien illustrée auparavant.
01:11 Ce sont des textes dont la nature est difficile à qualifier.
01:15 Disons que la vie produit ses effets sur nous et que quand ça m'arrive, moi ça produit
01:24 en retour du texte et ça exige d'être formulé et que ces formulations au cours des mois
01:31 et des années se sont déposées perle à perle, on va dire, sur les réseaux sociaux.
01:36 Alors on va en parler justement parce que "Le ciel ouvert" c'est un livre formidable
01:40 où on retrouve les dimensions de l'amour et je le disais, tout ce qui nous concerne
01:43 qu'on soit amoureux ou non, il y a donc cette démarche où vous dites que vous avez commencé
01:49 à écrire d'abord sur Facebook et puis en 2008 à peu près, donc ça a commencé sur
01:55 Facebook et sur Instagram, c'est à partir de 2012, vous avez publié près de 1400 textes
02:02 et en 2018, vous avez commencé à écrire des messages qui n'étaient destinés qu'à
02:07 une personne.
02:08 La démarche, elle est étonnante parce que vous écrivez à une personne et pourtant
02:13 des dizaines de milliers de personnes vous suivent.
02:16 Quel est le sens de cette démarche que vous aviez entamée ? Je rappelle ces grandes dates
02:21 2008, 2012, 2018 pour dire que c'est un projet au temps long, extrêmement long.
02:26 Oui, ces textes qui ont une nature lyrique, qui au départ s'adressaient à quelqu'un
02:33 de manière un peu clandestine, ça a commencé à partir de 2018 effectivement.
02:38 Le livre s'appelle "Le ciel ouvert" parce que c'était…
02:41 D'habitude on dit "à cœur ouvert".
02:44 Oui, je pense qu'on pourrait dire aussi que les réseaux sociaux sont un peu un égoût
02:48 à ciel ouvert.
02:49 En tout cas, moi j'ai tenté à un moment où sans doute j'étais dans une histoire
02:54 qui me tourmentait beaucoup, qui a duré longtemps et qui a été chahutée et compliquée de
03:01 bien des épisodes, de formuler les choses.
03:04 Et puis, il y avait cette adresse à quelqu'un, c'était une manière aussi de lester ces
03:11 déclarations, de l'attention que d'autres voulaient bien y porter et de dire "regarde,
03:17 on t'envie".
03:18 "Regarde, on t'envie" parce qu'il n'y a pas les échanges, en tout cas c'est
03:23 une manière de vous adresser à quelqu'un ou quelqu'une qui n'appelle pas de retour.
03:29 C'est assez surprenant en général quand on est amoureux.
03:31 La première des choses, c'est qu'on attend la réponse de la personne aimée.
03:35 Oh non, pas forcément.
03:36 Pas forcément ?
03:37 Non, je pense qu'il y a des… dans la poésie en général et puis dans le discours
03:44 amoureux, il y a des textes qui sont de l'ordre de la plainte, de l'élégie, de la célébration,
03:53 de la déclaration et qui n'attendent pas forcément de réponses, qui sont juste des
03:58 manières de faire sortir des choses qui ne peuvent plus être contenues.
04:03 Vous dites que ces textes peuvent se lire, je vous cite Nicolas Mathieu, "comme des
04:07 billets cachetés que je lui adressais à elle et où je glissais par surcroît comme
04:12 une friandise l'attention que d'autres allaient leur porter".
04:16 Les autres, c'est nous ? Ce sont les lecteurs ? Ce sont ceux qui vous suivent, les followers
04:21 sur Instagram ?
04:22 Oui, c'était tous ceux qui pouvaient rencontrer ces textes et les aimer et qui les chargeaient
04:29 d'une attention et donc d'une valeur supplémentaire à un moment où sans doute, moi, je me sentais
04:35 très seul avec cette histoire.
04:37 Très seul et très accompagné justement par les lecteurs.
04:40 Je disais que ça rappelait les fragments d'un discours amoureux parce qu'évidemment,
04:44 il y a les mots et surtout, vous dites, nous n'avons raté aucune étape, aucune étape
04:49 de cette histoire d'amour, comme si ce qu'on vit de plus intime, de plus personnel, de
04:54 plus bouleversant, c'était malgré tout quelque chose d'extrêmement codifié.
04:59 Qu'est-ce qu'avait justement montré Roland Barthes ?
05:01 Je ne sais pas si c'est quelque chose d'extrêmement codifié mais il y a toute une gamme, il y
05:07 a toute une série d'épisodes qui ne sont pas obligés, on n'est pas obligé de tous
05:10 se les farcir.
05:11 On n'est pas obligé de tout vivre.
05:12 Mais je pense que chacun, à un moment ou à un autre de sa vie, aime à sens unique,
05:17 aime en secret, éprouve le manque, éprouve la fusion, éprouve l'absence et que toutes
05:25 ces choses-là, une fois qu'on les formule pour soi, elles sont prises dans un devenir
05:29 qui est collectif.
05:30 Collectif ?
05:31 Bien sûr.
05:32 C'est-à-dire que ces mots-là, quand je les pose pour parler de mon histoire, évidemment
05:40 ils parlent pour d'autres que moi et d'autres vont y trouver un miroir et des formules qui
05:45 les concernent eux.
05:46 Honnêtement, depuis que le bouquin est sorti, c'est récent encore, je reçois des messages
05:52 des gens qui me disent "c'est moi".
05:54 Qui me racontent leur histoire.
05:56 Et je pense vraiment que c'est ça qui est important.
05:58 C'est-à-dire que ce n'est pas ma petite histoire personnelle.
05:59 La question du témoignage…
06:02 Elle compte aussi.
06:03 D'ailleurs, me dites, nous n'avons pas été modestes.
06:06 Ne soyez pas modestes Nicolas.
06:08 Ça compte comme point de départ.
06:10 Mais pour que ça devienne de la littérature, à mon avis, il faut que ça déborde l'idée
06:14 du témoignage et du narcissisme, de l'autosatisfaction à se dire "il m'arrive ceci, regardez-moi".
06:23 C'est par la formulation et la recherche de mots justes pour dire les choses que ça
06:28 devient intéressant.
06:29 Roland Barthes, c'est quand même ce qu'il fait.
06:31 Il part de ses émotions, de ses frustrations, beaucoup.
06:34 Chez Roland Barthes, on aime toujours à sens unique.
06:36 On est toujours mal aimé.
06:37 Toujours malheureux d'une certaine manière.
06:39 C'est l'île de France du jeune Werther qui revient souvent comme modèle.
06:42 Et là, c'est vrai qu'il y a cette dimension d'incendie, cette dimension incandescente.
06:47 Et même pour dire par exemple à la femme que vous aimez, pour lui parler de la chute
06:52 de ses reins, vous dites la catastrophe de ses reins.
06:55 Le mot, il n'est pas anodin, même si c'est un synonyme.
06:58 Oui, ça annonce bien l'idée de la chute.
07:04 D'ailleurs, on tombe amoureux.
07:05 On tombe amoureux, mais en attendant, on attend.
07:09 Quand vous disiez par exemple que plusieurs de vos lecteurs vous disent "mais c'est
07:14 moi", quand on lit par exemple ce livre, on réfléchit à l'attente et à tous les
07:20 moments différents de l'attente dont on pensait justement qu'ils étaient moins
07:25 présents aujourd'hui, qu'on a la possibilité de communiquer extrêmement simplement, qu'on
07:30 peut géolocaliser la personne qu'on aime, qu'on peut vivre quelque chose de différent
07:36 de ce à quoi ont été condamnés tous les amants qui nous ont précédés.
07:40 Oui, justement, on fragmente un discours amoureux, il y a ce moment où il nous parle
07:44 du téléphone.
07:45 Et il attend à côté d'un téléphone qui ne sonne pas.
07:48 Aujourd'hui, ces types d'attentes ont changé.
07:50 Mais quand vous écrivez à quelqu'un, qu'il vous répond et que vous voyez les trois petits
07:54 points de suspension se mettre en mouvement, ça dure.
07:57 Ça c'est terrible ! Quand on envoie un message.
07:59 Quelle prise de risque, quelle attente ! Elle n'a pas la même forme, elle ne dure pas
08:04 aussi longtemps, mais elle produit le même type de palpitations.
08:08 Ça produit le même type de palpitations, on attend, l'autre écrit, nous n'avons
08:14 raté aucune étape, jusqu'au "je t'aime".
08:17 Est-ce que c'est encore possible d'utiliser ces mots-là aujourd'hui, Nicolas Mathieu ?
08:22 Tout simplement, la formule "je t'aime".
08:24 Ça c'est une grande question littéraire, je pense.
08:28 Parce qu'on disqualifie très aisément ce qu'on appelle des clichés.
08:35 Mais peut-être que les clichés, "je t'aime" en est un, c'est-à-dire c'est un mot,
08:41 une expression rebattue, vidée de sens à force d'avoir été employée.
08:45 Et pourtant, elle peut être sans cesse réactualisée pour peu qu'on y mette un peu de foi.
08:48 Donc oui, oui, moi je pense que les clichés sont immortels.
08:53 Les clichés sont immortels et on peut malgré tout les vivre et ils disent quelque chose
08:57 de nos vies.
08:58 Mais Nicolas Mathieu, on vous connaît et on vous présente souvent comme un écrivain
09:01 du social, comme un écrivain qui prend des prises de position politique par exemple.
09:06 Ça vous arrive d'intervenir régulièrement dans le débat public.
09:09 Là, est-ce que ça vous étonne qu'on vous surprenne intime ? Qu'on vous surprenne
09:16 dans le registre de quelque chose comme la confession ?
09:18 C'est-à-dire, quand même, dans mes bouquins, je pense qu'il y a toujours eu toutes ces
09:25 dimensions.
09:26 C'est-à-dire celle de l'intime et du collectif, du personnel et du politique.
09:32 Tout ça s'articule sans cesse, qu'on fait tout le temps des allers-retours.
09:35 Je dis ça parce qu'il n'y a pas une interview, il n'y a pas un papier consacré à C'est
09:39 Ouvert, où il n'est pas question justement de la manière dont vous affrontez et le social
09:44 et la question amoureuse.
09:45 Mais moi, les grandes œuvres qui m'ont marqué, qui m'inspirent, elles sont toujours
09:54 sur ces deux niveaux.
09:55 C'est-à-dire que, enfin voilà, Guerre et Paix, il est question d'amour et puis il
10:00 est question des batailles napoléoniennes.
10:03 Les Sopranos, il est question des rapports de couple.
10:06 Les Sopranos, la série ?
10:07 Oui.
10:08 Sur les mafieux italiens du New Jersey.
10:09 Il est question à la fois de l'Amérique dans son ensemble, du fonctionnement d'une
10:14 famille et puis des attermoiements d'un homme, de sa dépression, de sa manière d'aimer
10:20 sa femme et ses enfants.
10:21 Tout dans nos vies, ces différents niveaux, ces différents registres, on ne cesse pas
10:27 de faire des allers-retours.
10:29 Il n'y a pas à choisir entre l'intime et le politique.
10:31 Il n'y a pas à choisir ? Les deux registres sont liés l'un à l'autre ?
10:34 En tout cas, moi je ne vois pas pourquoi je choisirais.
10:36 Le bouquin s'ouvre sur une citation de Hugo et le romantisme, ça a quand même été
10:42 ça.
10:43 C'est des gens qui ne choisissaient pas entre le lyrique et le politique.
10:46 On pouvait être à la fois dans la déploration amoureuse et en même temps exercer des fonctions
10:51 à l'Assemblée nationale.
10:52 Et il y a cette phrase "ne cède rien de ta joie" parce qu'il y a cette dimension
10:57 de la joie dont on n'arrive pas à se défaire, même lorsqu'elle devient un souvenir.
11:02 Et j'aimerais interroger l'écrivain que vous êtes, qui croit au pouvoir des mots,
11:06 qui croit au pouvoir de la littérature.
11:08 Vous avez cette phrase "je vais te dire en réalité, la littérature ne peut rien".
11:13 La littérature ne peut rien sous la plume d'un écrivain.
11:17 Qu'est-ce que ça peut vouloir dire à la fois de votre travail et de ce pouvoir que
11:22 vous avez et dont on a l'impression que vous doutez ?
11:24 Ça veut dire au moins deux choses.
11:26 C'est que je ne crois pas du tout que la littérature l'emporte sur la vie.
11:32 Je pense que la vie est toujours au-dessus et plus forte.
11:34 Et c'est aussi une manière de manifester des formes de détresse.
11:42 C'est-à-dire qu'à un moment, même les mots ne peuvent plus rendre justice à ce
11:46 qu'on vit.
11:47 C'est une détresse, même dans la joie, je le disais, quand vous considérez que
11:51 la littérature ne sait rien.
11:52 Elle ne sait pas parler de ton mouvement, de ton rire, du duvet sur tes cuisses, je
11:58 continue à vous citer, figé aussitôt qu'elle les touche.
12:01 Je vous échangerai sans hésiter mille ans d'écrivain pour une seconde de tes yeux
12:06 pour retrouver le son de tes pieds nus sur le parquet quand tu filais vers la salle de
12:09 bain pour entendre le claquement inquiet de ta sandale sous une table de jardin.
12:14 La littérature, elle sert au moins à ça.
12:16 Elle sert à raconter ce qui a été, ce passé qui est toujours présent.
12:21 Oui, je pense en tout cas que nous sommes tous engagés dans une bataille à mort et
12:29 qui ne se finira mal contre le temps.
12:31 Le seul moyen d'y faire pièce, ça reste quand même les œuvres d'art et en particulier
12:39 la littérature.
12:40 C'est ça qui résiste parce que c'est vrai que dans une relation amoureuse, en tout
12:43 cas telle que vous la racontez et telle que vous l'avez peut-être vécue, qui sait,
12:47 le temps abîme, le temps sépare, le temps éloigne, le temps c'est quelque chose qui
12:55 s'oppose à la vie, vous le disiez.
12:57 Figer le mouvement de l'horloge, c'est pour ça qu'on écrit, c'est à ça que
13:01 servent les mots.
13:02 Figer le temps de l'horloge.
13:04 Il n'y a vraiment absolument rien d'original à le dire, c'est quelque chose de rebattu
13:09 dans l'histoire littéraire et presque tous les grands romans tentent ça je crois, d'arracher
13:15 un peu de la vie au passage du temps et de le fixer.
13:19 Et de le fixer d'une manière spéciale, c'est-à-dire de le fixer sans le figer,
13:26 que ça reste quand même un peu vif.
13:28 Que ça reste un peu vif ? Alors qu'est-ce qui fait qu'on est toujours dans son époque,
13:34 on est toujours quelqu'un de son époque ? S'il y a des invariants, s'il y a quelque
13:38 chose d'éternel dans la vie amoureuse, quelque chose qui se répète et qu'on vit chacun
13:42 entre nous d'ailleurs, c'est ce qui fait que votre livre peut ressembler à un miroir
13:47 pour beaucoup de lecteurs ?
13:49 Je vais vous répondre en évoquant "Leurs enfants après eux" qui est un roman pour
13:57 lequel vous avez reçu le prix Hong Kong, où je racontais une histoire d'amour adolescente
14:00 sur presque dix ans.
14:01 Et il y a des invariants il me semble en amour et dans les rapports adolescents, les veilles
14:07 des sens, le roman d'apprentissage qu'est toute histoire d'amour adolescente.
14:12 Ce sont des invariants et qu'on peut retrouver dans la littérature depuis l'antiquité
14:15 au XIXe siècle et jusqu'à nos jours.
14:17 Et en même temps, dans ce roman, il n'y avait pas un seul téléphone mobile.
14:20 Et il me semble quand même qu'aujourd'hui, ça change l'économie de la vie amoureuse.
14:26 Ça en précipite les mouvements, mais ça ne change pas forcément la structure profonde.
14:34 Avant d'aller au standard, retrouver les auditeurs d'Inter, Nicolas Mathieu, il y
14:38 a sur l'appli France Inter, Frédéric qui vous pose cette question.
14:42 Frédéric, qui est à Pau et qui a l'imagination lui aussi d'un romancier, mais qui aimerait
14:48 avoir une confirmation.
14:50 À quel personnage de l'histoire ou fictionnel vous ferait penser Emmanuel Macron ?
14:54 C'est intéressant qu'un auditeur ait envie de voir fonctionner l'imagination du romancier.
15:03 Je ne sais rien.
15:06 Je sais qu'à un moment, il me faisait penser pas mal à Guizot.
15:10 Guizot, c'est donc cet homme extrêmement brillant, premier ministre au 19ème siècle
15:18 qui disait « Enrichissez-vous ! »
15:20 Enrichissez-vous !
15:21 C'est un personnage de l'histoire, pour la fiction, on laissera ça de côté.
15:26 Lucie vous dit « Bonjour Nicolas Mathieu, vous mêlez sur votre page Instagram ces textes
15:31 merveilleux d'amour et des prises de position ultra-politiques parce que j'ai réagi poliment
15:36 à ces prises de position sans aller dans votre sens.
15:39 Je suis aujourd'hui privé de vos beaux textes.
15:42 Trouvez-vous que votre égo justifie la censure ? »
15:45 Merci de votre réponse et merci Lucie pour cette question.
15:49 Vraiment là, je pense qu'il y a un gros malentendu.
15:52 C'est-à-dire que cet endroit, Instagram, et la manière dont je pratique les réseaux
15:58 sociaux, ce n'est pas un forum où chacun peut dire ce qu'il veut et où on débat
16:04 à volonté.
16:05 C'est-à-dire que si moi je m'estime agressé, pris à partie ou fragilisé par une parole,
16:13 je me réserve le droit de me protéger.
16:17 Et je voudrais dire, ce n'est pas une place de village où vous faites ce que vous voulez,
16:21 c'est ma maison et mon jardin et je vous y invite et vous êtes censé vous tenir correctement.
16:25 Voilà.
16:26 Écoutez, voilà Lucie la raison pour laquelle vous êtes privé des textes merveilleux d'amour.
16:31 Mais le ciel ouvert vient de paraître chez Actes Sud.
16:34 Bonjour Dominique.
16:35 Bonjour France Inter, bonjour M. Mathieu.
16:38 C'est l'amour au sens plein du terme, si vous permettez.
16:41 Mais y a-t-il aussi une connotation religieuse, politique ? On ne sait pas.
16:48 Et puis, dans les romans, à ciel ouvert, est-ce que tous les citoyens du monde voient
16:53 le ciel de la même couleur ? N'y a-t-il pas aussi dans votre livre un message de paix
16:58 en quelque sorte ? Voyez-vous ?
17:00 Merci Dominique pour votre question/réponse Nicolas Mathieu.
17:03 C'est vrai qu'on peut poser la question de savoir si ça a une connotation religieuse.
17:07 Non, je crois pas.
17:08 En tout cas, ce n'est pas ce que moi j'y ai mis.
17:13 Mais ça c'est intéressant parce qu'on se rend compte quand on écrit un livre et
17:19 qu'il sort dans la nature, que le sens qu'on y a mis, non pas entre en concurrence, mais
17:28 devient second par rapport au sens que vont y projeter des lecteurs.
17:32 Et que je ne suis pas maître du curseur de mon travail et qu'on peut y projeter ce
17:39 qu'on veut.
17:40 Alors, je ne crois pas qu'il soit question de religion dans ce livre, mais en revanche,
17:43 ce n'est pas question que d'amour sentimental.
17:47 Il est question aussi d'amour paternel, d'amour filial, de différents régimes amoureux.
17:55 Différents régimes amoureux, pourquoi est-ce que la littérature c'est un art martial ?
17:59 C'est comme s'il y avait des gagnants et des perdants dans une compétition ou dans
18:03 une bataille, dans un combat ?
18:05 Non, parce que un art martial, ça veut dire que c'est un art de guerre.
18:08 Et c'est une guerre qui est faite à la vie.
18:10 Non pas parce que la vie devrait être réduite ou vaincue, mais parce qu'elle nous blesse,
18:20 que le temps nous terrasse.
18:22 Et que, comme on disait tout à l'heure, la littérature est une des possibilités peut-être
18:25 de sauver des choses, de rendre des coups, de se défendre, d'avoir maille à partir
18:32 avec l'existence.
18:33 Donc là, en l'occurrence, c'est une manière de vous défendre, en tout cas, c'est une
18:36 manière de ne pas trop subir le poids des événements, d'écrire cette histoire-là.
18:41 Moi, c'est un leitmotiv chez moi, je pense que la vie est au-dessus de nos forces, que
18:46 ça nous déborde toujours et qu'on se retrouve très régulièrement au tapis.
18:50 Moi, je ne fais pas le malin sur l'amour, je fais comme tout le monde, je fais ce que
18:53 je peux.
18:54 Je ne fais pas le malin.
18:55 Et grosso modo, j'ai plutôt mal que bien.
18:58 Mais par rapport à ce qui nous submerge, on a, quand on écrit, la possibilité d'ordonner
19:07 un peu les choses, de se défendre.
19:10 « Pourquoi c'est jamais à moi qu'on parle comme ça ? », vous demande Agnès
19:14 sur l'appli Radio France.
19:15 « Ça me fout les boules de savoir que tous ces mots existent et que je reste cantonné
19:20 à ma condition misérable.
19:22 J'ai envie de lire ce livre même si ça va me faire du mal.
19:25 »
19:26 - Alors ça, je reprendrai ce que je disais tout à l'heure.
19:29 La vie est supérieure à la littérature.
19:32 Et ce n'est pas parce qu'on n'a pas ces mots-là dans notre vie que ça ne vaut pas
19:40 le coup ou que ce serait une condition hiérarchiquement moins élevée.
19:47 Moi, je viens d'un monde quand même où les gens n'avaient pas tellement les mots.
19:50 - Les gens n'avaient pas les mots ?
19:51 - Non.
19:52 Je pense que les parents n'avaient pas les mots pour se dire l'amour qu'ils se portaient
19:57 et que ça se manifestait d'autres manières.
19:58 - Mais vous comprenez cette question que pose Agnès sur l'appli Radio France ?
20:01 « Pourquoi c'est jamais à moi qu'on parle comme ça ? » ou « qu'on écrit comme ça ? »
20:04 C'est comme si on était exclu d'une certaine dimension de la vie.
20:09 Sa question, elle est vertigineuse.
20:12 - Là, j'avoue, vous me séchez un peu.
20:18 Je ne sais pas très bien quoi répondre.
20:19 Il me semble que même si ces mots ne sont pas prononcés dans votre existence, les sentiments
20:28 qui y correspondent sont bien là.
20:31 Peut-être que quand on écrit, on formule pour tout le monde.
20:37 - On formule pour tout le monde.
20:38 On formule également des choses qui ont trait à la sensualité.
20:43 Il y a aussi les dessins, je le disais, qui accompagnent vos textes.
20:47 « Ciel ouvert », dessin d'Aline Zalco.
20:49 Qu'est-ce qu'il ne suffit pas dans la littérature, Nicolas Mathieu, pour avoir besoin d'illustration ?
20:56 - Ça ne vient pas d'une carence ou d'une lacune.
21:01 C'est plutôt l'idée, le fantasme de faire un beau livre, un bel objet.
21:06 Avec peut-être des modèles comme « Les mains sales », « Les loirs » ou des choses comme ça.
21:13 Et puis, c'est un livre très condensé.
21:15 Tous ses textes fonctionnent un peu comme des blocs de sens et de poésie.
21:21 Et les dessins percent des vitraux de couleurs.
21:26 - Des vitraux de couleurs.
21:28 Je le disais tout à l'heure, la dimension religieuse, finalement, n'est peut-être pas si lointaine.
21:31 D'autres questions sur l'appli France Inter.
21:34 Marie vous dit que vous êtes l'écrivain qui sublime le « nous ».
21:38 Le « nous » tombait en désuétude.
21:41 J'ai lu « Connemara », l'un de vos précédents ouvrages.
21:44 Vous m'avez sauvé à un moment où je doutais de mes choix.
21:47 La littérature est parfois plus efficace qu'une séance de psychologue.
21:51 Merci !
21:53 - Ça, moi, ça me bouleverse.
21:56 Parce que vraiment, ça coïncide exactement avec ce que je vous dis tout à l'heure.
22:02 Moi, je ne m'estime pas du tout être un porte-voix ou un thérapeute.
22:05 Mais il me semble qu'à chaque fois qu'on dit des choses personnelles,
22:08 pour peu qu'on les dise avec justesse et en visant une certaine...
22:13 Oui, précision dans le rendu des affects, des choses, des rapports.
22:17 On parle pour quelqu'un d'autre que soi.
22:19 - Mais que quelqu'un vous dise « vous m'avez sauvé », c'est extrêmement fort !
22:25 Qu'une lectrice prononce ces mots, écrive ces mots.
22:28 - Alors déjà, je ne le prends pas pour moi.
22:32 Je le prends pour le texte et c'est un peu différent.
22:35 - Qu'est-ce qui est différent ?
22:37 - C'est-à-dire que ce n'est pas moi qui suis un sauveur.
22:38 C'est le texte qui produit des effets qui sont bénéfiques.
22:40 Ce n'est pas exactement la même chose.
22:42 Je ne suis pas un gourou.
22:43 Ce n'est pas à moi que ça s'adresse.
22:45 C'est au texte que j'ai produit et au sens qu'y met cette dame
22:49 parce qu'elle a un vécu qui, à un moment, rentre en contact avec ce texte
22:53 et que ça produit des effets.
22:54 C'est assez beau parce que ça montre qu'on peut avoir encore un peu de foi dans la littérature.
23:01 - C'est magnifique d'ailleurs.
23:03 C'est quelque chose de très fort parce que vous avez eu le prix Goncourt,
23:07 vous avez eu la reconnaissance, vous avez beaucoup de lecteurs
23:09 et notamment des lecteurs sur Instagram, sur tous supports.
23:13 La question de l'enfance, de l'adolescence, vous la posiez dans un précédent livre
23:19 et là on a l'impression que toute l'enfance, on imagine que les adultes savent ce qu'ils font,
23:25 qu'on apprend petit à petit, qu'on apprend notamment à aimer.
23:28 Ça vous fait sourire ? Et finalement non ?
23:31 Tout finit par recommencer ?
23:34 - En devenant adulte, j'ai eu l'impression de découvrir le poteau rose.
23:40 Tout est une immense mystification.
23:43 Quand on regarde nos parents, quand on est petit, on a l'impression qu'ils savent, qu'ils nous protègent.
23:48 Et quand on devient adulte, mon Dieu, on se rend compte que tout n'est que tâtonnement.
23:51 Et c'est pareil dans le milieu professionnel.
23:53 On a l'impression que tout le monde assure et une fois qu'on est dedans,
23:55 on se rend compte que tout le monde fait à peu près n'importe quoi
23:57 et que ça ne tient qu'à moitié en réalité.
24:01 La performance, l'efficacité, c'est en partie une fiction.
24:11 Ça bricole beaucoup.
24:13 - C'est une fiction mais qui produit des effets,
24:15 qui produit notamment des effets sociaux et politiques.
24:17 C'est quelque chose qui est très utilisé pour indiquer par exemple un changement de société
24:22 ou pour mobiliser les Français à imaginer un avenir plus radieux qu'il n'est aujourd'hui, Nicolas Mathieu ?
24:28 - Oui, là, au bascule de l'existentiel, aux politiques,
24:30 évidemment, il y a des lignes de continuité.
24:33 Mais le fait que des évidences soient en réalité des outils politiques pour orienter notre sort,
24:42 je n'en doute pas une seconde.
24:44 Et là encore, les livres peuvent quelque chose, ils ont des puissances démystificatrices.
24:49 Et quand on exerce un regard de l'ironie sur des pouvoirs tels que l'idéologie de la performance,
25:00 on arrive à déconstruire ça et à avoir une petite fonction politique à son tour.
25:07 - Et ça, c'est une belle définition aussi de la littérature et de l'importance de ce livre
25:11 puisqu'on s'y retrouve justement et qu'on lit, on relit et on retrouve, comme vous l'écrivez,
25:18 la succession des saisons, la douleur et l'excitation des débuts, l'ennui du jour le jour,
25:23 les tournées, les villes-entrevues, etc.
25:26 Et j'invite donc nos lecteurs à poursuivre la lecture, c'est au tout début de ce recueil, le ciel ouvert.
25:33 Merci infiniment Nicolas Mathieu d'avoir été l'invité de France Inter.
25:37 Je vous recommande chaleureusement la lecture de ce livre qui est publié chez Actes Sud.
25:41 Je vous souhaite une excellente journée.