Non, le secouement d’un bébé n’est pas un geste maladroit, ni accidentel, ce n’est pas le simple résultat d’un agacement lié à des pleurs insupportables. Mais c’est un sujet encore mal connu, parfois difficile à regarder, et pour lequel il est compliqué de faire de la prévention.
Qui commet ce geste, y a-t-il un profil type ? Comment faire face quand on est confronté à ce drame qui provoque chaque année la mort de plusieurs centaines de bébés ? Comment la justice traite-t-elle les responsables ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Invités
Charlotte Caubel : Secrétaire d’état chargée de l’Enfance
Maryline Koné : Co-fondatrice de l’association Stop Bébé Secoué
Pierre-Jean Verzelen : Sénateur (Les indépendants) de l'Aisne
Olivier Klein : Neurochirurgien pédiatrique au CHU de Nancy
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NewsTranscription
00:00 secouer la violence inavouable, un film signé Anne Palmowski,
00:03 que nous sommes les premiers à vous diffuser,
00:05 qui sonne comme une alerte sur un sujet
00:07 que l'on connaît tous peut-être un peu,
00:10 mais de loin et avec beaucoup d'idées reçues.
00:12 Ce documentaire casse ces idées reçues
00:14 et en cela, il pose plein de questions
00:15 que nous allons aborder avec nos invités.
00:17 Charlotte Cobell, bienvenue à vous.
00:19 Vous êtes secrétaire d'État chargée de l'Enfance.
00:21 Je précise que vous êtes magistrate.
00:22 Vous avez été substitue du procureur de la République
00:25 près le TGI de Meaux,
00:26 juge et vice-présidente au TGI de Bobigny,
00:29 directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse
00:31 au ministère de la Justice.
00:32 Tout cela est très important à préciser
00:34 pour l'échange que nous allons avoir ensemble ce soir.
00:37 Marie-Lynne Connay, bienvenue à vous également.
00:39 Vous êtes cofondatrice de l'association Stop bébé secoué,
00:42 qui a son petit dépliant,
00:44 et dont vous nous parlerez au cours de cette émission.
00:46 Vous êtes vous-même maman d'un enfant
00:48 qui a été secoué à l'âge de 11 mois
00:50 chez son assistante maternelle.
00:52 Il a heureusement survécu et sans séquel grave.
00:54 Pierre-Jean Verzelen, bienvenue à vous.
00:56 Vous êtes sénateur de l'Aine.
00:58 Vous êtes membre du groupe
00:59 Les indépendants, république et territoire.
01:01 Vous êtes à l'origine d'une projection du film
01:03 que l'on vient de voir au Sénat.
01:04 Vous avez été très touché par ce sujet
01:07 et vous nous direz peut-être ce qu'il faut faire
01:09 sur le plan législatif pour freiner le phénomène.
01:11 Professeur Olivier Klein, bienvenue à vous également.
01:14 Vous êtes neurochirurgien pédiatrique
01:15 au Centre hospitalier régional universitaire de Nancy.
01:18 Vous êtes président de l'association Cérebro-Lore
01:21 et vous êtes l'auteur de ce petit livret,
01:24 "Moi, Théo, bébé secoué",
01:26 un petit livret qui aide à la prévention
01:27 et qui s'adresse à tous ceux qui sont en contact
01:29 avec des bébés, les parents,
01:30 mais pas seulement, vous nous en parlerez.
01:33 Parmi les premières idées reçues très fortes
01:35 et encore très présentes dans l'imaginaire collectif,
01:38 il y a cette idée que le secouement du bébé
01:40 serait le résultat d'un agacement, d'un craquage,
01:43 nous dit l'une des mamans dans le film.
01:45 Marie-Line Conné, ce n'est pas un craquage ?
01:48 Alors, ce qui est complexe
01:51 dans la prévention du syndrome du bébé secoué,
01:53 c'est qu'il y a beaucoup d'aspects qui entrent en jeu.
01:55 Alors, c'est complexe déjà parce que ça touche
01:57 à un sujet extrêmement sensible
01:58 qui est la maltraitance des nourrissons.
02:00 Et puis parce que c'est multifactoriel
02:03 et qu'en fait, le but de la prévention
02:07 du syndrome du bébé secoué, c'est de toucher tout le monde.
02:10 Et pour toucher tout le monde, il faut nuancer
02:12 et surtout expliquer, c'est-à-dire que dire juste
02:14 "ce n'est pas un pétage de plomb",
02:16 c'est ce qui est dit dans le film.
02:18 C'est exactement ce qui est dit dans le film.
02:19 C'est ce qui vient un peu...
02:21 renverser les idées reçues que l'on a tous.
02:25 Alors, là, la question qui pourrait venir ensuite,
02:27 c'est si ce n'est pas un pétage de plomb, qu'est-ce que c'est ?
02:29 Bien sûr.
02:30 Est-ce que c'est une maladie mentale ?
02:32 Est-ce que c'est l'œuvre d'un psychopathe
02:35 qui prémédite son geste ?
02:37 Concrètement, ce n'est pas le cas.
02:39 Il n'y a aucun profil type de secoueur.
02:42 Par contre, il y a des expertises médicales,
02:44 psychologiques et psychiatriques,
02:46 qui sont faites dans le cadre de l'instruction
02:47 lorsque des personnes sont mises en cause.
02:50 Et il n'y a jamais eu de cas, en tout cas,
02:52 pas à ma connaissance, de maladie mentale
02:54 qui a été décelée chez ces gens-là.
02:56 Ce qui veut dire qu'en fait,
02:58 on ne sait pas qui est susceptible de...
03:01 Ce qui rend évidemment les choses plus compliquées.
03:03 Professeur Olivier Klein, dans votre livret,
03:05 il est écrit "Dans un moment d'énervement,
03:08 de colère ou de fatigue, ou les deux, je ne sais pas,
03:10 quelqu'un m'a secouée."
03:12 Pourtant, ce n'est pas tout à fait ce que disent
03:14 les mamans qui témoignent dans ce film.
03:16 Elles disent "Non, ce n'est pas ça."
03:18 Même que le bébé a été secoué en moyenne dix fois.
03:21 Oui, c'est vrai.
03:22 C'est vrai, mais je pense que, et je le vois aussi
03:25 dans ma pratique, de temps en temps,
03:27 c'est véritablement quand même,
03:29 comme disait Mme Connet, un pétage de plomb.
03:32 Donc, on n'a pas de profil, effectivement,
03:36 de celui ou de celle qui secoue l'enfant,
03:38 mais ça peut tout à fait être un agacement,
03:41 vraiment un agacement sur des pleurs qui sont insupportables.
03:45 Alors, dans quelle proportion, ça, c'est très difficile à dire.
03:48 Mais le livret étant essentiellement axé
03:50 sur la prévention,
03:52 je pense que, justement, j'ai voulu être assez général,
03:56 en fait, dans ce propos,
03:57 mais ça peut être quand même un pétage de plomb.
04:00 Charlotte Cobell, dire que c'est lié aux pleurs d'un bébé,
04:04 que c'est un pétage de plomb,
04:05 est-ce que ce n'est pas déjà un peu excusé,
04:06 l'auteur des secouements ?
04:07 C'est un des sujets en matière de violence sur les enfants,
04:10 et en particulier sur les bébés secoués,
04:12 c'est qu'on essaie de trouver une explication
04:15 à ce qui est plus grave, c'est-à-dire
04:17 exercer des violences sur un enfant.
04:19 Et en fait, je m'autorisais à faire une synthèse.
04:21 Ce n'est pas un accident.
04:23 Il y a nécessairement une intentionnalité,
04:26 que les pleurs s'arrêtent parce qu'ils nous rendent nerveux,
04:29 ou qu'on souhaite maîtriser cet enfant,
04:32 quel qu'il soit, et c'est ça qui est important.
04:35 Ces faits de bébés secoués,
04:36 ce n'est pas un accident de la vie,
04:38 c'est une faute intentionnelle,
04:40 c'est une violence qui peut d'ailleurs être punie par la loi,
04:43 qui est punie par la loi.
04:45 Et ça, c'est important, on a parlé par le réformation,
04:49 que le monde de la santé et le monde de la justice
04:52 aient conscience que ce n'est pas un accident de pétage de plomb,
04:56 mais qu'il y a nécessairement, on le voit dans le film,
04:58 un acte intentionnel, c'est souvent répétitif.
05:01 Le pétage de plomb accidentel, c'est une fois, et on s'arrête.
05:05 Là, on voit bien qu'il y a quelque chose d'intentionnel, d'insistant.
05:09 Ça relève de la loi, des violences,
05:10 qui sont d'autant plus sévèrement réprimées
05:13 qu'elles causent des dégâts plus ou moins importants.
05:16 On sait que dans le cas des syndromes de bébés secoués,
05:19 il y a de la mort à peu de séquelles,
05:20 et on se réjouit quand il y a peu de séquelles.
05:23 -Vous avez été surpris, vous aussi, par ce documentaire,
05:26 qui nous dit que ce n'est pas du tout un pétage de plomb,
05:29 ou un "crackage", dit l'une des mamans.
05:31 -C'est un sujet que je connaissais mal.
05:33 -Comme la plupart d'entre nous.
05:35 C'est pour ça que je l'ai dit en introduction.
05:38 -Je connais une personne qui est amie avec Anne Pavlosky,
05:41 qui a réalisé le documentaire,
05:43 qui m'a sollicité pour pouvoir organiser
05:45 une prédiffusion du documentaire au Sénat.
05:48 D'ailleurs, déjà, ce que j'en ai compris,
05:50 et bravo au public Sénat de passer ce documentaire,
05:53 parce que, visiblement, des tentatives de documentaire
05:56 sur ce sujet y en a eu pas mal,
05:58 et il s'est jamais allé jusqu'au bout,
06:00 et je crois que c'est le premier.
06:02 Donc c'est bien que Public Sénat puisse le diffuser,
06:05 et en plus, à cette horaire-là.
06:06 Je trouve que le documentaire est bien fait.
06:09 Il y a un volet très pédagogique.
06:11 Et puis, après, le sujet s'y porte, mais l'émotion passe.
06:14 Et alors, avant cette diffusion,
06:17 je vous disais, je connais assez mal le sujet,
06:20 donc j'abordais ça avec des gens autour de moi,
06:22 notamment des femmes,
06:24 plutôt de l'âge de ma maman, autour de plus de 60 ans,
06:28 mais qui étaient complètement dans cette image d'épinal.
06:31 Complètement dans... Tu sais, on peut...
06:33 Il y a des parents qui peuvent péter un poing.
06:35 Dans le film, il y a cet avocat qui nous dit
06:37 que c'est la même chose que de dire
06:39 qu'il a violé parce qu'elle portait une minijupe,
06:42 qu'il a secoué parce que le bébé pleurait.
06:44 Est-ce que c'est une manière de relativiser ce geste ?
06:47 Qu'on vient de nuancer à chaque fois
06:49 et d'expliquer et de développer
06:51 cet axe, notamment, des pleurs ?
06:55 En fait, oui, un bébé, ça pleure,
06:57 mais non, ce n'est pas le bébé qui est bien évidemment
07:00 responsable des violences qu'il subit.
07:02 Il y a un seul coupable, ce ne sont pas le bébé et ses pleurs.
07:06 Le seul responsable dans cette histoire, c'est l'adulte.
07:08 Après, clairement, dans les aveux, qui sont rares,
07:12 les pleurs sont souvent évoquées par les auteurs
07:17 pour…
07:19 – Disons comme un déclencheur.
07:21 – Un déclencheur, je ne sais pas,
07:22 mais les pleurs sont présents dans les aveux que font les auteurs.
07:26 – Sauf que dans le film, on comprend quand même
07:28 que cette idée reçue que nous avons,
07:30 vous le dites, Pierre-Jean Verzelen,
07:32 a quand même un impact sur les décisions de justice.
07:34 L'avocate, toujours dans le film, nous dit
07:36 "si on a comme idée reçue que tout le monde
07:37 est susceptible de secouer un enfant
07:39 et que le secouement est dû aux pleurs incessantes de l'enfant
07:42 que l'auteur n'a pas pu supporter, on a de l'empathie,
07:44 on s'identifie à lui et donc c'est plus difficile
07:47 de sanctionner sévèrement une personne à qui on s'identifie".
07:50 Je vous rappelle qu'il y a quelques semaines,
07:51 une assistante maternelle accusée d'avoir secoué le bébé
07:54 dont elle s'occupait et qui est décédée,
07:56 a été acquittée par la Cour d'Assise des Hauts-de-Seine.
07:58 L'avocat général avait pourtant recuit 5 ans d'emprisonnement.
08:02 Alors, la justice sanctionne-t-elle suffisamment
08:05 et assez lourdement les auteurs de secouements des bébés ?
08:08 Il y a un échange sur cette question dans le film,
08:10 je voudrais qu'on le réécoute.
08:11 – Moi j'ai été déçu, déjà je m'attendais au moins 10 ans
08:15 et finalement il n'a pris que 6.
08:16 – C'est peu, mais en même temps je me disais, c'est quand même 6 ans,
08:18 à la base souvent l'avocat il demandait du sursis s'il te plaît.
08:21 – Mais il y en a.
08:22 – Sursis ?
08:23 Non mais tu te dis, mais comment tu peux donner du sursis
08:25 à une personne qui a tué son enfant ?
08:26 – Charlotte Cobell, je m'adresse à la magistrate évidemment que vous êtes,
08:30 est-ce que c'est vrai que ces idées reçues
08:33 sont aussi dans l'esprit des jurés ?
08:35 – On a quelque chose avec les violences faites aux enfants,
08:38 je parle des violences physiques, je ne vais pas parler des violences sexuelles.
08:41 Il y a toujours besoin de trouver une explication
08:45 qui atténue la responsabilité de l'auteur.
08:48 Et on a aujourd'hui en dehors des bébés secoués,
08:50 mais déjà avec les bébés secoués,
08:52 quand même un enfant qui meurt dans son environnement familial
08:55 tous les 5 jours, les adultes ne veulent pas l'entendre
08:59 parce que c'est à la fois atroce
09:01 et on trouve des explications systématiquement.
09:04 C'est le pétage de plombs,
09:06 on comprend parce que ça renvoie à nos éventuelles paternités
09:09 ou maternités et à notre situation d'enfant.
09:12 Je ne vais pas faire de la psychologie ou de la philosophie,
09:15 ce n'est pas mon métier, mais on sent bien que la maîtrise de l'enfant,
09:19 le fait de le tenir, de l'avoir à sa merci,
09:22 et peut-être aussi de relativiser la vie d'un enfant
09:25 qui n'est finalement qu'au début
09:27 et qui doit rentrer dans notre axe de contrôle
09:30 est quelque chose sur lequel il faut s'interroger, très sérieusement.
09:33 – Mais ça supposerait de revoir les sanctions ou pas ?
09:35 – Alors moi je pense que les sanctions elles existent,
09:37 un bébé volontairement plusieurs fois secoué qui meurt,
09:41 c'est les assises en France,
09:42 mais effectivement il faut rentrer dans la tête des gens
09:46 que ce n'est pas parce que c'est un petit bébé qui vient de commencer sa vie
09:49 que sa vie a moins d'importance qu'un adulte,
09:53 et que ce n'est pas parce que cet enfant nous met en difficulté,
09:58 ça fait du bruit, ça ne se maîtrise pas, ce n'est pas une poupée,
10:02 qu'on peut accepter tous les faits.
10:04 Et c'est très intéressant dans ce film
10:06 de montrer l'intention de maîtrise et d'arrêter etc.
10:10 Ce n'est pas un objet, c'est un être vivant,
10:13 et donc oui il faut former le corps médical pour repérer
10:18 et expliquer en quoi ça n'est pas un geste accidentel
10:23 mais que ça a été volontairement fait,
10:25 et puis derrière redire et redire,
10:27 comme le procureur a tenté de le faire,
10:29 mais ça renvoie à notre paternité, notre maternité,
10:32 et nos craquages avec nos enfants qui sont,
10:36 j'espère en tout cas, rarement avec des violences de cette façon.
10:38 – Pierre-Jean Verzonel.
10:39 – Il y a un sujet, c'est l'intentionnalité qu'on juge,
10:41 c'est est-ce que vous avez voulu tuer ou faire du mal à quelqu'un ?
10:45 Et j'imagine que la défense joue sur un truc qui est,
10:48 mais je n'avais pas l'intention de faire,
10:50 je ne savais pas que ça pouvait créer ça.
10:52 Et l'intérêt de ce genre de documentaire,
10:55 de toutes les démarches qui vont dans le sens de la prévention,
10:57 c'est que vous ne puissiez plus jamais dire,
10:59 "je ne savais pas avant", voilà.
11:01 Et je pense que ça, ça jouera beaucoup dans les décisions de justice futures.
11:03 – Il y a une forme de tolérance coupable quand même,
11:06 vous diriez ça, de la justice, je veux dire, liée à ce phénomène ?
11:10 – Oui, il y en a une, elle a été évoquée précédemment,
11:12 c'est l'identification aux auteurs.
11:15 Quand on dit "ça peut arriver à tout le monde", non.
11:17 Nous, c'est vrai que quand "Stop bébé secoué" a été créé,
11:21 une des premières choses qu'on a faites,
11:22 ça a été de créer des postes sur les idées reçues justement.
11:26 Et la première c'était "ça peut arriver à tout le monde", c'est faux.
11:29 Ce qui peut arriver à tout le monde,
11:30 c'est de se retrouver en difficulté avec un enfant, un bébé, le sien,
11:33 ou celui qu'une assistante maternelle est amenée à garder.
11:36 Mais non, heureusement, ça ne peut pas arriver à tout le monde
11:40 de passer à l'acte.
11:41 Il y a une différence entre l'épuisement, être excédé,
11:45 parfois même, voilà, plus en pouvoir du bébé.
11:48 Ça, ça n'a rien d'anormal,
11:50 c'est des problèmes qui peuvent se présenter en parentalité,
11:53 mais heureusement, non, tout le monde n'est pas capable
11:56 de maltraiter un nourrisson.
11:57 – Moi, j'ai une question d'ordre sémantique.
11:59 Est-ce que parler de "bébé secoué", c'est suffisant ?
12:02 Et je m'explique, je vais continuer ce parallèle
12:04 avec les violences conjugales,
12:07 ou ce qu'on appelait les crimes passionnels,
12:10 qui sont devenus féminicides.
12:12 Faut-il garder cette expression de "bébé secoué"
12:14 alors que nous sommes face à des meurtres d'enfants
12:18 ou de la maltraitance d'enfants ?
12:19 En tout cas, "bébé secoué",
12:20 est-ce que l'expression n'est déjà pas un peu légère ?
12:22 Vous qui avez écrit ce livret dans "Le choix des mots",
12:24 est-ce qu'il ne faut pas dire autre chose que "bébé secoué" ?
12:26 – Alors, pour l'instant, c'est la terminologie qui existe,
12:28 il y en a même d'autres.
12:30 Il y a le traumatisme crânien non accidentel,
12:32 ce qui est… – Un peu technique, un peu médical.
12:34 – Et qui est même, je crois, encore un peu plus en atténuation
12:38 que "bébé secoué".
12:40 On peut employer "hématome sous-dural du nourrisson",
12:43 le mot "maltraitance" pourrait apparaître,
12:45 tout simplement, dans les conséquences du "bébé secoué".
12:49 Pour revenir quand même sur les pleurs,
12:52 les pédopsychiatres nous ont aussi montré
12:55 qu'il y avait l'intolérance aux frustrations,
12:57 ça, on ne s'en doutait pas au départ,
13:01 on a eu des choses très surprenantes,
13:02 – C'est-à-dire ? Très contraignantes ?
13:04 – Il fallait bien que je puisse regarder mon film,
13:07 des choses comme ça, très très surprenantes.
13:09 Donc effectivement, il n'y a pas que les pleurs,
13:11 mais c'est souvent quand même un élément déclencheur, sans atténuer.
13:14 – Quelque part, les enfants sont encore trop souvent
13:20 les objets de nos frustrations, de nos violences, de nos pulsions,
13:24 parce qu'ils sont, grâce à ce concept d'autorité parentale,
13:28 qui va revenir en discussion devant l'Assemblée Nationale,
13:32 ils sont la décision des parents,
13:36 et on est encore plus la décision des parents,
13:37 puisque on choisit à peu près sa parentalité,
13:40 dans nos jours, ce n'est pas tout à fait vrai.
13:41 Et donc voilà, l'enfant est là, il est à notre disposition,
13:45 il va grandir comme on le souhaite, dans le projet qu'on a,
13:49 et surtout il doit, pour certains,
13:50 ne pas m'empêcher de voir la télévision, etc.
13:52 Donc ce sujet-là est très important.
13:55 Ce qui est important aussi, c'est qu'il faut faire de la prévention,
13:58 et la prévention spécifique au bébé secoué,
14:01 je trouve qu'elle est quand même particulière
14:03 dans le cadre des maltraitances,
14:06 parce qu'il faut aussi expliquer les séquelles que ça conduit,
14:09 et la fragilité du bébé, on y reviendra,
14:11 mais la question de l'éducation à la parentalité,
14:14 en tout cas moi c'est un de mes chantiers prioritaire.
14:17 – Et le choix des mots, bébé secoué,
14:18 est-ce que c'est vraiment le terme approprié ?
14:19 Est-ce qu'il ne faudrait pas commencer par changer ça ?
14:21 Je le dis parce que ça a changé les choses
14:22 pour ce qui est de crime passionnel à féminicide,
14:25 ça a quand même changé la donne dans l'imaginaire collectif.
14:28 – Je n'ai pas une réponse précise sur ça,
14:30 parce qu'en fait, les gens vont venir vous dire
14:32 "non mais moi je n'ai pas cogné, j'ai secoué",
14:34 donc c'est bien ça le sujet, c'est-à-dire que,
14:36 c'est d'ailleurs la même chose dans les violences conjugales,
14:38 "je ne l'ai pas tapé, je l'ai tenue",
14:40 ok elle est bleue, elle est bras explosé,
14:42 donc tu l'as vraiment beaucoup tenue.
14:44 Donc ce sujet quand même de l'expression du bébé secoué,
14:46 moi je pense qu'elle est importante,
14:48 et elle est importante bien sûr pour les parents,
14:49 mais elle est aussi importante pour les assistantes maternelles,
14:53 assistantes familiales, là on est dans un champ un peu différent,
14:56 ce sont quand même des professionnels
14:57 qui ont dédié leur vie à ce métier,
15:00 et donc voilà, il faut être attentif,
15:03 moi je pense que c'est quelque chose de très parlant,
15:06 et d'ailleurs l'impact de ce film, je pense qu'il est très parlant,
15:10 mais là où il faut faire attention,
15:11 c'est de dire que ce n'est pas parce que c'est un bébé secoué
15:14 que ce ne sont pas des violences,
15:16 mais c'est une violence particulière qui arrive
15:19 dans un contexte particulier qu'il nous faut traiter, prévenir.
15:21 Une autre idée reçue, corrigée par ce film,
15:23 ce sont ces chiffres,
15:24 10% des auteurs de "Se coument sont les mères",
15:27 20% sont les nounous, assistantes maternelles,
15:29 70% sont les pères ou les compagnons de la mère,
15:33 donc très majoritairement des hommes, pourquoi ?
15:36 Alors que factuellement, objectivement,
15:38 selon toutes les études, ils s'occupent moins des bébés.
15:41 Dans le film, le psychologue avance quelques éléments d'explication,
15:44 vous allez me dire si vous trouvez cela convaincant.
15:46 La venue de l'enfant va changer une dynamique de couple,
15:49 on va passer de la conjugalité à la parentalité.
15:51 Il y a une jalousie, mais qui se pose à plusieurs niveaux,
15:54 il y a une jalousie vis-à-vis de sa compagne,
15:57 il y a une jalousie vis-à-vis de l'enfant,
15:59 il y a une jalousie en lien à la perte.
16:02 J'ai perdu une qualité dans la conjugalité
16:07 et la paisibilité avec ma compagne,
16:09 mais il faut réussir à en faire le deuil.
16:10 Professeur Klein, c'est intéressant,
16:13 c'est un peu ce que vous disiez sur cette question de la frustration.
16:16 Là, on est dans la jalousie.
16:18 Oui, l'arrivée d'un enfant change tout dans un couple,
16:22 dans la vie de couple.
16:23 L'arrivée d'un enfant bouleverse tout.
16:25 Alors effectivement, il y a toute cette notion de parentalité
16:29 qui est extrêmement, extrêmement importante.
16:33 Elle m'avait été enseignée par madame le professeur Sommelet,
16:37 à Nancy, qui était l'ancienne patronne
16:39 des services d'oncologie pédiatrique,
16:41 qui me disait "Mais vous savez, Klein,
16:43 quand on va sonner chez ces gens,
16:46 souvent, c'est-à-dire avant la naissance,
16:48 ou quand l'enfant est tout petit,
16:50 souvent, ils ouvrent la porte et ils écoutent les conseils.
16:53 Et là, la prévention arrive."
16:56 Et effectivement, ce sont majoritairement des hommes,
16:59 pas que. Dans la série d'anciennes,
17:01 on a aussi une large majorité d'hommes,
17:04 mais un peu moins que dans d'autres séries.
17:06 C'est un tout petit peu plus équilibré.
17:10 Mais, encore une fois,
17:12 pourquoi ? C'est très difficile à dire.
17:15 Je pense qu'effectivement, il y a des changements majeurs
17:17 qui devraient s'anticiper dans la vie de couple
17:19 avant l'arrivée des enfants.
17:21 Et puis surtout, après, dire "Si l'enfant pleure,
17:25 si l'enfant est ceci, cela, faites ce que vous voulez,
17:28 mais ne secouez pas."
17:30 Le fait que ce soit majoritairement des hommes,
17:33 j'imagine que vous n'avez pas été surprise, vous le savez.
17:35 Dans le documentaire, on évoque aussi l'idée
17:38 qu'il y aurait une éducation virile ou viriliste des garçons.
17:41 Oui, vous adhérez, vous pensez que ça fait partie des...
17:44 C'est vrai que c'est évoqué par le Dr Mikhaïlov,
17:47 qui organise les groupes de papas.
17:48 Oui, clairement, c'est ce qu'il indiquait,
17:52 il y a beaucoup de choses, heureusement d'ailleurs,
17:55 qui sont prévues pour les mamans.
17:56 Et finalement, les papas sont peu inclus
17:59 dans cette parentalité.
18:01 Ils le sont de plus en plus,
18:02 mais il y a encore beaucoup de choses à faire.
18:05 Et puis le Dr Mikhaïlov parle bien aussi,
18:08 il sensibilise et il fait un focus sur les difficultés
18:12 auxquelles ses papas vont peut-être être amenés
18:15 et confrontés, et les papas le disent,
18:18 ils parlent de frustrations, de colères,
18:20 qu'ils n'en peuvent plus, de choses comme ça.
18:22 Donc oui, l'éducation des garçons est importante,
18:27 d'une manière globale, j'en ai deux,
18:28 donc je suis très impliquée là-dedans,
18:31 à en faire, oui, des futurs papas,
18:35 s'ils en ont envie, évidemment.
18:36 Charlotte Cobain ?
18:38 Effectivement, tout le sujet de la parentalité,
18:40 de manière générale, et plus particulièrement
18:42 de la parentalité des papas,
18:44 est un sujet essentiel.
18:47 Pour tout vous dire, je pense qu'il faudrait
18:49 pratiquement attaquer ça dès l'école,
18:52 pour que les enfants, rapidement,
18:54 à la fois au titre de leur propre protection
18:57 et aussi de leur futur, peut-être, de parents,
19:01 et quelques notions sur les besoins,
19:03 la fragilité des enfants,
19:05 et puis les différents moments de la vie
19:08 où c'est pas si simple pour les parents.
19:10 Mais quand on est aujourd'hui dans des parentalités
19:13 qui restent encore parfois,
19:15 un peu contrariquement à ce que j'ai dit,
19:16 pas choisis ou un peu pas entourés,
19:20 eh bien, on découvre ces choses "sur le tas".
19:22 Alors bien sûr, il y a tout le temps
19:24 de la périnatalité qu'on utilise de plus en plus,
19:27 il y a tous les travaux qui ont été faits
19:28 autour des mille premiers jours
19:30 pour bien accompagner la périnatalité.
19:33 Mais moi, je crois qu'il faut mettre des petits germes avant.
19:36 Et je réfléchis, notamment,
19:38 avec le ministre de l'Éducation nationale,
19:39 ce ne va pas s'agir de mettre des cours
19:41 pour faire des couches à l'école,
19:43 mais quand même, insuffler...
19:45 - Des petites éducations ?
19:46 - Insuffler cette idée que, d'abord, un enfant,
19:49 il a un certain nombre de besoins,
19:51 et choisir ou pas de mettre au monde un enfant,
19:54 c'est une forte responsabilité.
19:57 Et ça impose, évidemment, un self-control
20:00 pour prendre un terme absolument indécisant,
20:01 mais important.
20:02 Une mère et l'enfant restent relativement uniques,
20:06 mais après, c'est vrai qu'on a des familles
20:07 qui se composent, qui se recomposent.
20:10 Quand c'est son enfant, c'est déjà pas toujours simple.
20:12 Quand c'est l'enfant de sa compagne ou de son compagnon,
20:15 c'est pas plus simple, c'est même plus compliqué,
20:17 parce qu'on n'a pas la légitimité.
20:18 Et je rejoins ce qui a été dit.
20:20 L'arrivée d'un enfant dans une famille,
20:22 à quel cas que ce soit, les tout-petits,
20:23 bouleverse les relations entre adultes.
20:27 Et l'enfant est très souvent,
20:30 à tous les moments du conflit conjugal,
20:32 qu'il soit facile à résoudre ou qu'il soit définitif
20:35 devant le juge d'affaires familiales,
20:36 un objet de manipulation et de chantage,
20:41 et de tout ça, entre les parents.
20:42 Et ça, il faut qu'on en ait tous conscience,
20:44 pour toutes les violences, en particulier celle des bébés secoués.
20:47 Je voudrais, avant de parler prévention,
20:49 je voudrais aussi apporter au débat
20:50 ces éléments donnés par le professeur Mathieu Vinchon,
20:52 neurochirurgien au CHRU de Lille,
20:55 qui nous dit, lui, que dans son service,
20:57 l'adulte secoueur est majoritairement jeune,
20:59 un homme, père ou beau-père, désœuvré ou mère immature,
21:03 isolé, une nourrice, qui ont été souvent eux-mêmes maltraités,
21:06 ont subi des violences conjugales ou familiales,
21:08 un deuil, un déménagement, une séparation,
21:10 une dépression post-natale,
21:12 sont isolés ou présentent des troubles du comportement,
21:14 des addictions.
21:16 Des secoueurs eux-mêmes maltraités.
21:18 Ça, ça fait aussi partie du profil type, j'ai envie de dire.
21:20 Vous êtes d'accord avec votre contraire ?
21:22 Alors, assez. En tout cas, sur cette problématique,
21:26 des gens qui ont eux-mêmes été maltraités, oui.
21:28 Un petit peu moins sur les données épidémiologiques,
21:31 parce que je pense qu'elles dépendent vraiment des régions françaises.
21:33 Je pense que c'est pas tout à fait la même chose à Paris
21:36 que dans le Nord-Pas-de-Calais ou que dans la région Grand-Est.
21:39 - Pourquoi ? - Nous, sur la série Nancyenne,
21:42 les couples sont plutôt stables.
21:44 C'est plutôt des couples, justement,
21:47 des hommes et des femmes qui travaillent en majorité,
21:50 donc avec une structure familiale qui apparaît,
21:52 en tout cas comme ça, de l'extérieur, plutôt stable.
21:55 Effectivement, on retrouve aussi les facteurs de risque
21:57 qui sont l'alcool, la consommation de drogue, etc.,
22:01 les violences intrafamiliales,
22:02 mais on a plutôt des couples stables.
22:05 Ça a été un petit peu une surprise
22:07 et ça fait aussi tomber des idées reçues.
22:10 Ce qui rend encore plus difficile,
22:11 le fait d'identifier les populations à risque.
22:13 C'est ça.
22:14 Il y a les mêmes facteurs de risque
22:17 que dans les violences conjugales,
22:20 mais ça touche tous les milieux.
22:22 On aurait tendance à penser
22:24 que c'est des gens qui vont être dans des milieux défavorisés
22:26 ou avec des problèmes sociaux importants.
22:28 Non, on a des cadres supérieurs,
22:30 on a des magistrats, pourquoi pas.
22:32 Ça touche tout le monde et c'est en ça
22:35 qu'il est important de réussir à faire comprendre
22:38 que non, tout le monde ne peut pas le faire,
22:40 mais tout le monde peut être concerné,
22:42 directement ou indirectement, il n'y a pas de profil type.
22:44 Et personne, évidemment, lorsqu'on dit
22:47 "Il ne faut pas secouer un bébé, ça tue ou ça rende vicable",
22:50 la première réaction, c'est de dire "Mais moi, je vais pas concerner,
22:52 je vais jamais faire ça."
22:53 Bien évidemment, personne ne se pense capable de passer à l'acte.
22:56 Et comme on ne sait pas qui peut le faire,
22:58 il faut toucher le maximum de personnes.
22:59 - Une petite chose quand même intéressante,
23:01 c'est qu'on le sait, le confinement a entraîné
23:04 une augmentation des violences intrafamiliales
23:07 et du nombre de bébés secoués.
23:09 Et moi, même si évidemment, il va falloir traiter ça
23:12 de manière scientifique,
23:14 aujourd'hui, j'interroge aussi le télétravail
23:16 comme un lieu où, en fait, un mode de vie,
23:20 souvent, on vous dit "Mon enfant est malade,
23:22 c'est pas grave, je suis en télétravail."
23:24 Donc oui, il y a de la prévention,
23:27 rappeler qu'un enfant est fragile, etc.
23:29 Oui, il y a de la prévention sur le contexte familial.
23:33 Quand un enfant arrive, ça bouleverse les relations,
23:36 ça bouleverse ses relations de travail,
23:38 expliquer à son patron que son bébé pleure
23:41 alors qu'on efface, voilà.
23:43 Et puis, dans sa conjugalité, avec les autres enfants,
23:46 qui peuvent devenir très compliqués quand un bébé arrive, etc.,
23:49 il faut prendre en compte tous ces facteurs,
23:52 les connaître, former les professionnels
23:54 et informer les parents de ces risques, c'est sûr.
23:56 Vous vouliez ajouter quelque chose ?
23:57 Oui, parce que votre question soulevait aussi
23:59 le problème de la détection.
24:01 Et effectivement, la détection, c'est pas forcément une famille
24:05 dont on a l'impression qu'elle est à risque.
24:07 La détection, c'est aussi au service d'accueil des urgences,
24:11 et les gens et les médecins urgentistes
24:13 sont très formés actuellement sur ces sujets-là,
24:16 repérer les petits signes, ce qu'on appelle les lésions sentinelles,
24:19 qui peuvent faire penser à un syndrome du bébé secoué,
24:22 par exemple des vomissements, mais des vomissements sans diarrhée,
24:25 des vomissements sans fièvre,
24:27 des changements de comportement de l'enfant,
24:29 des échymoses, des lésions buccales,
24:32 toutes ces choses qui sont un petit peu curieuses,
24:35 en tout cas avant la marge pour les échymoses,
24:37 et repérer ça avant que n'arrivent les secousses
24:45 et puis la répétition des secousses,
24:47 ce qui va faire qu'un jour l'enfant va arriver
24:49 en neurochirurgie pédiatrique ou en réanimation,
24:51 et là, bien sûr, on va s'occuper de lui, on va l'opérer,
24:54 mais les séquelles seront là aussi.
24:56 On parle de ce sujet, mais force est de constater
24:58 qu'il n'est pas récurrent dans le débat public, loin de là,
25:01 il est plutôt inexistant, et c'est assez surprenant.
25:03 Y a-t-il un tabou ?
25:04 Pourquoi est-ce si compliqué d'aborder ce sujet ?
25:06 Écoutez ce qu'en dit l'infirmière puricultrice dans le film.
25:09 On n'en parle pas assez, on n'en parle pas, ou très peu,
25:13 ne serait-ce que sur les ensorties de maternité,
25:15 parce qu'il y a beaucoup d'équipes et de professionnels
25:19 qui disent "Ah boy, mais tu comprends,
25:21 ils viennent d'être parents, ils sont tout noyeux,
25:23 c'est un peu triste de parler de ça."
25:25 Ah bah ouais, mais ce sera un peu plus triste
25:27 quand ils passent leurs cinq jours ici, en fait.
25:29 Pierre-Jean Verzelen, vous êtes d'accord,
25:31 on n'en parle pas assez, il faut en parler davantage.
25:33 Vous avez organisé une projection au Sénat,
25:35 vous saviez que vous abordiez un sujet
25:36 qui était rarement abordé, quand même.
25:38 Oui, et encore une fois, je reviens à ce qu'on dit au début,
25:40 un sujet qu'on connaissait assez mal,
25:44 mais là, on est, je reviens à ce qu'on disait tout à l'heure,
25:46 sur le fait que les parents ne puissent plus dire
25:49 "Je ne savais pas."
25:51 Ça, ça s'appelle de la prévention,
25:53 ça s'appelle de la communication,
25:55 ça s'appelle de la politique publique, en fait.
25:56 Exactement.
25:58 Ça s'appelle des spots,
25:59 ça s'appelle des affiches en 4x3,
26:01 ça s'appelle des trucs qui passent à la radio,
26:02 ça s'appelle des documentaires,
26:04 ça s'appelle une prise de conscience.
26:06 Ça s'appelle le carnet de santé, ça s'appelle...
26:09 Oui, mais on voit bien, c'est ce que dit cet infirmière,
26:11 c'est que dès que ça touche à la maternité,
26:13 on n'a pas envie d'amoindrir la joie de jeunes parents
26:16 qui viennent avoir un bébé en leur disant "Attention, bébé secoué."
26:19 C'est ça qu'elle dit, l'infirmière,
26:20 c'est que c'est compliqué, en tout cas,
26:22 dans les premiers instants de la vie et de la vie de parent,
26:25 d'aller tout de suite parler des problèmes.
26:26 Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
26:28 C'est vrai qu'on pourrait avoir une logique
26:30 un peu comme les accidents domestiques,
26:33 qui sont dans les carnets de santé.
26:34 Attention aux produits toxiques, attention...
26:37 - Les prises, les points de table. - Les prises, les points de table.
26:40 Et c'est là où on en revient, si on ne nomme pas bien les choses,
26:43 on n'informe pas suffisamment les parents,
26:46 parce que là, on est effectivement dans le champ des violences
26:49 et des maltraitances.
26:50 Donc, dans les carnets de santé,
26:52 c'est pas dire "Attention, bébé secoué",
26:53 c'est dire peut-être "Attention à la fatigue que peut avoir",
26:57 parce qu'on pourrait élargir le sujet,
26:58 on a aujourd'hui quand même beaucoup de burn-out des mamans,
27:01 on a un contexte de la périnatalité qui est complexe
27:05 pour plein de raisons, avec des gens qui ne se sentent pas bien.
27:08 Donc, au titre du bien-être de l'enfant,
27:11 attention, un enfant, il faut être particulièrement attentif,
27:15 il faut le manipuler avec délicatesse, etc.
27:18 Donc, je pense que c'est ça,
27:19 on pourrait quand même parler de ça dans les carnets de santé.
27:21 Après, évidemment, je pense qu'il faut, au titre...
27:26 Alors, une campagne, on a déjà fait une campagne,
27:27 - elle va être relancée. - On a les images.
27:29 Alors, justement, ça, c'est intéressant.
27:31 - Elle va être relancée. - Bien sûr, évidemment.
27:33 Donc, lancée l'année dernière, comme phrase forte,
27:36 "Un enfant secoué, un bébé, est une maltraitance qui peut être mortelle."
27:38 Donc, c'est cette même campagne qui va être relancée.
27:40 Elle a eu un effet quand même assez important,
27:42 - insuffisant, bien sûr. - On ne l'a pas beaucoup vu.
27:44 Mais il faut relancer, la remettre partout,
27:46 la mettre peut-être dans les salles d'attente,
27:49 - maternité, etc. - Vous savez quand elle va être relancée ?
27:52 Alors, on a plusieurs...
27:53 Parce qu'en matière de violence sur les enfants,
27:55 hélas, le sujet est aujourd'hui vastement ouvert,
27:57 que je prenne les violences sexuelles,
27:59 avec les chiffres qui nous sont livrés par la civise,
28:01 les violences physiques,
28:03 y compris les violences de bébés secoués.
28:06 Donc, on va avoir plusieurs campagnes sur le premier semestre
28:09 - qui vont se succéder. - D'accord.
28:12 Et celle-ci rentrera après les violences sexuelles,
28:14 qui sont aussi un vaste sujet,
28:16 puisque nous avons beaucoup, beaucoup d'enfants.
28:18 Mais exposées suffisamment, je dirais, à des heures de grande écoute,
28:21 - dans les lieux stratégiques. - À la chaîne de télévision.
28:23 Je suis maire de famille, je n'ai pas vu cette campagne,
28:25 - l'année dernière, par exemple. - Oui.
28:26 Oui, on en est très, très conscient.
28:28 On en est très, très conscient.
28:29 Elle a été diffusée pendant trois semaines.
28:31 Elle n'a pas été diffusée sur les chaînes de télévision.
28:34 Voilà, elle a été relayée le temps de son lancement par la presse,
28:37 mais après...
28:38 Et en effet, très, très peu de gens, au final, l'ont vue.
28:41 Ça fait partie des sujets qui agacent, non ?
28:42 C'est terrible.
28:44 Alors, il y a aussi l'enseignement.
28:47 C'est-à-dire que je fais cours, bien sûr, en faculté de médecine,
28:50 mais aussi à l'école de sages-femmes,
28:52 parce que les sages-femmes sont en première ligne,
28:55 notamment dans les consultations anténatales.
28:58 Je crois que c'est là aussi où il faut aborder
29:01 cette problématique du bénéficiaire.
29:02 Les sages-femmes voient essentiellement les mamans,
29:04 pas tellement les papas.
29:05 On vient de se rendre compte que c'était essentiellement...
29:07 - Enfin, majoritairement les hommes. - Je suis d'accord.
29:09 C'est déjà ça.
29:10 J'espère qu'après, il y a un dialogue au sein du couple.
29:12 Mais en tout cas, savoir que...
29:15 Est-ce qu'il ne faut pas les mettre à des heures d'écoute
29:18 concernant les hommes ?
29:19 Enfin, pardon, c'est peut-être un peu dérangeant ce que je vous dis,
29:21 mais pourquoi mettre ça dans des environnements maternels
29:24 et féminins alors qu'on se rend compte que c'est 70 % des hommes...
29:27 Vous voulez dire qu'elle a mis le temps d'un bon club de...
29:28 - Et bien, vous avez vu dans mes pensées. - ...de Marseille.
29:31 Mais pourquoi pas ? Il ne faut pas les stimuler.
29:33 Mais c'est évident. La campagne qui avait été lancée l'an dernier,
29:35 je crois que c'était Adrien Taquet, à l'époque, votre prédécesseur,
29:37 qui s'était occupé de la question, le truc avait été impulsé.
29:41 Moi, le premier, je ne l'ai pas vu.
29:43 Moi, le premier, j'ai lu les journaux tous les matins.
29:44 Ce sujet ne m'est jamais venu devant les yeux.
29:47 Donc c'est évident qu'il faut décupler ça.
29:50 Et en plus, alors pardon de parler comme ça,
29:52 c'est un sujet simple à comprendre.
29:54 Je veux dire, vous pouvez vite frapper l'esprit des gens
29:55 et le message passe assez bien.
29:57 Donc une campagne très ramassée,
30:00 mais qui passe un peu partout sur quelques jours,
30:01 je pense vraiment que ça aurait son effet.
30:02 - Et le spot est très bien fait. - Et il est bien foutu.
30:04 Le spot est très pertinent, très court.
30:07 Voilà, il est très bien fait.
30:08 Il y a des sages-femmes, des infirmières puricultrices aussi,
30:10 peut-être aussi dans les PMI,
30:11 les centres de protection maternelle et infantile.
30:14 Ça fait partie des lieux dans lesquels il faudrait communiquer ?
30:16 C'est prévu.
30:17 Ça fait partie maintenant des formations assez systématiques.
30:21 Mais...
30:22 Oui, mais ça reste un syndrome mal connu.
30:23 Oui, bien sûr.
30:24 Même parmi les étudiants en médecine.
30:26 Oui, oui.
30:27 Mais vous voyez qu'on a besoin de formations à différents niveaux,
30:29 ceux qui accompagnent les parents,
30:31 et là, vous parlez sages-femmes, infirmières puricultrices,
30:34 environnement de la maternité.
30:36 Dans les études de médecine,
30:38 on a effectivement à former les pédiatres,
30:39 mais aussi toute la médecine d'urgence
30:42 pour repérer les symptômes.
30:44 Et puis, on a évoqué la nécessité de former
30:47 toute la chaîne judiciaire,
30:48 depuis les policiers et gendarmes jusqu'aux magistrats.
30:52 Et bien évidemment, à changer les mots
30:54 pour que, sociétalement, tout le monde prenne conscience
30:57 qu'il ne s'agit pas d'un accident,
30:59 qu'il ne faut pas...
31:01 C'est pas qu'il ne faut pas avoir de compréhension,
31:02 mais que c'est un acte volontaire
31:04 et qu'il doit être puni à la hauteur des conséquences qu'il a,
31:08 et donc changer un peu l'état d'esprit.
31:09 Mais vraiment, en matière de violence physique,
31:12 il y a toujours une forme de tabou,
31:15 ou en tout cas de malaise qui fait vite...
31:17 Enfin, on met de côté,
31:19 y compris les infanticides hors bébés secoués,
31:22 qui font partie des infanticides.
31:24 Et puis, ça nous rassure d'avoir une explication.
31:27 La mère n'était pas tout à fait normale.
31:29 Il y a un pétage de plomb. C'est la pauvreté.
31:32 Enfin, on trouve 47 explications,
31:34 parce que ça nous soulage, en tant qu'ancienne enfant,
31:37 ou en tant que nouveau parent, ou en tant qu'ancien parent,
31:39 enfin, bref, parce que cette famille,
31:42 on n'arrive pas à la concevoir comme un lieu
31:44 où les choses ne sont pas jolies, belles,
31:47 et où l'enfant ne peut pas naître.
31:48 Il y a une sacralisation de la famille.
31:49 Il y a une sacralisation.
31:50 Et donc, ça, il faut en sortir.
31:51 La réalité, c'est que trop d'enfants
31:54 subissent plein de formes de violence
31:56 au sein des familles,
31:58 et ça commence dès le tout petit âge,
32:00 et ce n'est pas un accident.
32:02 C'est déjà cette volonté de maîtriser
32:04 et de ne pas se laisser imposer la vie de cet enfant.
32:08 Or, cet enfant, il a une vie, et il est là,
32:09 et il faut... -Mais il n'a pas demandé à être là.
32:11 Je vous parlais du confinement. Je vous rappelle cette étude,
32:13 une étude menée par l'hôpital Necker à Paris et l'Inserm.
32:16 On apprend qu'en 2021, le nombre de bébés secoués a doublé
32:19 et la mortalité a été multipliée par neuf.
32:22 Plus de cas et plus mortels.
32:23 Vous vouliez intervenir, Pierre-Jean Svevall-Jolaine ?
32:25 Pour résumer ce qu'on disait,
32:26 une campagne de communication globale,
32:28 de la formation auprès des parents
32:30 dans avant et après la naissance,
32:32 une sensibilisation, pardon,
32:33 et puis aussi les assistantes maternelles.
32:36 Il y a eu le chiffre de 20 %.
32:38 Moi, je suis élu dans un conseil départemental,
32:40 en général, la PMI,
32:41 ce qui délivre les agréments pour les assistantes maternelles.
32:44 Il y a sûrement la matière à aller plus loin.
32:46 Au-delà d'un agrément qui est donné à quelqu'un,
32:48 peut-être faire une enquête familiale
32:49 pour savoir qui sont les parents, les enfants qui vivent dans les maisons,
32:53 deux, d'avoir un fichier national
32:55 qui permette de savoir les difficultés
32:57 qu'a pu avoir une assistante maternelle.
32:59 Moi, je suis dans l'Aisne.
33:00 Si quelqu'un a une difficulté dans l'Aisne,
33:01 pas condamnée, mais elle arrête, elle démissionne,
33:03 elle va s'installer dans la Somme, aujourd'hui, il n'y a rien.
33:05 Il faut qu'il y ait ce fichier départemental qui soit créé
33:08 et aussi, évidemment, une formation auprès de ses personnels.
33:10 - Voilà un chantier... - Moi, j'aurais voulu en venir
33:12 sur le sujet de la détection des cas.
33:14 Il faut savoir que dans les cas de syndrome du bébé secoué,
33:16 il y a, dans la majorité des cas, un diagnostic loupé
33:19 lors de la première présentation de l'enfant auprès d'un médecin.
33:22 Donc, quand le professeur Klein dit,
33:24 "Je ne redoute pas que son équipe est très sensibilisée au sujet",
33:27 ce n'est pas le cas partout.
33:28 Et on a, dans la majorité des cas,
33:30 des enfants qui sont diagnostiqués victimes d'une gastro ou de RGO
33:35 qui sont, du coup, remis entre les mains de l'auteur,
33:38 soit le parent, soit l'assistante maternelle.
33:40 On connaît la réitération des gestes et l'aggravation des séquelles
33:45 qui peuvent mener jusqu'au décès.
33:46 Pour conclure, professeur Olivier...
33:47 Non, d'où, justement, encore une fois, la formation
33:49 pour détecter tout ce qu'on appelle ces lésions sentinelles,
33:52 ces "petites choses",
33:54 mais ce n'est pas du tout des petites choses,
33:56 c'est vraiment des indices qui vont faire penser
34:00 qu'il va falloir travailler avec cette famille,
34:02 voire aller jusqu'à faire un scanner cérébral
34:04 pour s'assurer qu'il n'y ait pas de sang autour du cerveau.
34:07 Un énorme chantier, donc,
34:09 et on aura eu au moins le mérite d'en parler un petit peu ce soir
34:11 sur Public Sénat.
34:13 Merci infiniment à tous les quatre d'avoir participé à cette émission.
34:15 Merci à vous deux de nous avoir suivis
34:17 et de nous être fidèles, comme chaque semaine.
34:18 À très vite sur Public Sénat.
34:20 Sous-titrage ST' 501
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34:36 ...