• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « La vie en bois » de Nicolas Herbeau *
00:20 Et ce mercredi, l'amitié entre un être humain et un animal.
00:24 Avec cette phrase, vous vous replongez certainement en enfance,
00:27 vous vous remémorez ces amitiés réconfortantes
00:29 Ouf, le personnage principal de mon roman préféré n'est donc plus seul.
00:34 Nous avons intitulé cette émission « Des livres des animaux et des hommes ».
00:38 Si les animaux ont toujours inspiré les auteurs et autrices,
00:41 ils sont aujourd'hui plus que jamais présents, bien présents dans la littérature.
00:46 La crise écologique a-t-elle changé nos représentations et notre rapport à la nature ?
00:51 On va en discuter avec nos invités pendant que nos lectrices
00:54 sont allées à la rencontre d'un blaireau, d'un ours et d'un pingouin.
00:59 Quand il frotta son bec rapidement contre la jambe de son pantalon,
01:02 Gus en fut bouleversé.
01:03 « La bête semblait d'ailleurs à peu près dans le même état d'esprit.
01:06 Son cou s'était hérissé, ce qui la faisait paraître encore plus impressionnante.
01:10 Et ses babines étaient toujours retroussées, mais son grondement s'était calmé.
01:14 « Ses dents ne seront pas les instruments de ma mort, il ne m'avalera pas. »
01:17 * Extrait de « La vie en bois » de Nicolas Herbeau *
01:25 Un avant-goût des lectures d'Aurélie, Sonia et Laurence, les lectrices du jour
01:29 qui vont éclairer les échanges du Book Club.
01:31 Bienvenue, Sybille Grimbert !
01:33 Bonjour !
01:33 Bonjour, merci beaucoup d'être avec nous.
01:35 Vous êtes romancière éditrice.
01:36 Vous avez publié en septembre dernier votre onzième roman intitulé
01:41 « Le dernier des siens » aux éditions Anne Carrière.
01:44 Roman salué par la critique et primé à deux reprises,
01:47 vous avez reçu le prix littéraire de 30 millions d'amis en novembre.
01:51 Et il y a quelques jours, le prix littéraire de la Fondation François Sommer
01:54 vous racontait dans ce roman la rencontre entre un homme et un pingouin.
01:58 Que saviez-vous plutôt que cette relation homme-animal
02:03 pouvait autant toucher les jurys et les lecteurs et lectrices ?
02:08 Non, ce n'est pas comme ça que je pensais les choses.
02:12 Je trouvais que c'était une relation touchante et même totalement passionnante.
02:18 Donc logiquement, comme je ne pense pas être très particulière,
02:22 je me disais que si moi ça m'intéresse, ça pouvait intéresser d'autres gens.
02:26 Mais c'est d'abord parce que ça me passionnait personnellement que j'ai pensé l'écrire.
02:33 Et il se trouve que ça tombe à un moment où effectivement,
02:39 c'est un thème qui semble-t-il passionne beaucoup de monde.
02:43 On va demander à notre autre invitée pour évidemment discuter et échanger.
02:47 On a convié l'écologue, directrice de recherche au CNRS Anne-Caroline Prévost.
02:51 Bonjour.
02:51 Bonjour.
02:52 Vous travaillez au Centre d'écologie et des sciences de la conservation
02:56 qui est situé, si je ne dis pas de bêtises, au Muséum national d'histoire naturelle.
02:59 C'est le premier point commun qu'on a relevé avec le héros du roman de Cybille Grimbert,
03:05 le dénommé Auguste Auguste.
03:06 On y reviendra évidemment.
03:08 Ce jeune scientifique qui dépend lui du musée d'histoire naturelle de Lille
03:12 et qui n'y met pas beaucoup les pieds puisqu'il est souvent en mission sur le terrain.
03:16 Il est plutôt, et là je vous cite, au contact de la nature.
03:20 C'est l'idée que vous défendez dans ce livre collectif que vous avez dirigé
03:24 avec la philosophe Cynthia Fleury, le livre intitulé "Le souci de la nature.
03:28 Apprendre, inventer, gouverner" qui reparaît chez CNRS édition au format biblie,
03:34 c'est-à-dire au format poche.
03:35 Ce contact avec la nature, c'est votre second point commun avec ce héros.
03:40 Qu'est-ce que ça veut dire ce contact avec la nature pour vous ?
03:43 C'est vrai que pour nous, le contact avec la nature,
03:46 c'est plutôt ce qu'on appelle des expériences de nature.
03:48 Comment est-ce que quand un individu humain, un homme ou une femme,
03:54 entre en expérience avec du vivant non humain,
03:58 qui peut être soit un individu d'une espèce animale, comme dans le cas de votre roman,
04:02 ou des végétaux, ou voir un écosystème, voir un paysage,
04:07 et comment cette rencontre, puisque je parle plutôt de rencontre,
04:11 peut avoir des conséquences pour l'individu humain, homme ou femme qui la vit,
04:16 conséquences qui peuvent être à court terme,
04:19 émotionnelles, cognitives, psychosociales,
04:22 mais aussi des conséquences à plus long terme,
04:23 potentiellement de la transformation sociale,
04:25 et c'est un peu ce qu'on voit dans votre roman aussi.
04:27 Et puis ensuite, comment ces conséquences peuvent avoir des conséquences plus larges,
04:32 à la fois pour le groupe social, parce qu'on va en parler,
04:36 et puis potentiellement pour la nature elle-même et dans les relations qu'on a avec elle,
04:40 parce qu'il va y avoir d'autres choses qui vont se passer après.
04:42 Un mot avant de se plonger dans le roman de Cybille Grimbert,
04:44 écologue, est-ce que vous pouvez nous donner une petite définition de ce terme
04:48 qu'on entend de plus en plus et qu'on a du mal à définir ?
04:50 Ça veut dire quoi ?
04:51 - Donc l'écologie scientifique, c'est une discipline scientifique
04:54 qui cherche à comprendre le fonctionnement du vivant non humain.
04:58 Donc ça, qu'elle se soit à tous les niveaux, génétiques, spécifiques, écosystèmes,
05:03 mais c'est vrai que dans l'écologie scientifique,
05:06 l'humain est considéré comme une force extérieure au phénomène non humain.
05:11 Alors moi j'ai une formation d'écologue, mais depuis plus de 15 ans,
05:13 je travaille en relation entre les humains et ce fonctionnement non humain
05:17 et dans ce qu'on appelle plutôt des socio-écosystèmes.
05:21 Donc à la fois, de plus en plus, l'écologie scientifique a compris quand même
05:24 que ce n'était pas trop possible de séparer les humains des non humains.
05:28 Et donc notamment, les biologistes de la conservation, dont je suis,
05:31 qui essayent de comprendre comment les interrelations entre les sociétés humaines
05:34 et les autres composantes du vivant peuvent aider à résoudre,
05:39 à comprendre ce qui se passe en ce moment, la crise écologique et la crise sociale,
05:42 et puis proposer des pistes.
05:44 - En 2023 donc, et grâce à votre roman "Cybile Grimbert", on se plonge en 1835.
05:50 D'abord du côté des Orcades et puis aux îles Ferroé,
05:54 on rencontre Gustave, ce jeune scientifique qui va très rapidement faire la connaissance,
05:59 et nous avec, de celui qu'on va appeler "Prosperus" ou "Prospe".
06:03 C'est notre livre qu'a lu Sonia Deputeau. On écoute.
06:07 - La lecture du roman de Cybile Grimbert, "Le dernier des siens",
06:11 est une expérience magnifiquement singulière.
06:14 Tant cette improbable amitié entre Gustave, un naturaliste français,
06:17 et le pingouin Prospe est fascinante.
06:19 Nous sommes au XIXe siècle, et Gustave va en effet découvrir que Prospe,
06:23 ce pingouin qu'il sauve d'un massacre sur une île islandaise,
06:27 est le dernier des siens, le dernier de son espèce,
06:29 le dernier des grands pingouins à vivre sur Terre.
06:32 Et il ne va pas avoir d'autre choix que d'endosser la responsabilité de sa survie.
06:36 L'affection qui va se nouer entre Gustave et Prospe est absolument bouleversante de réalisme.
06:43 Il y a les attitudes, les intentions et les sentiments
06:46 que Cybile Grimbert prête aux pingouins dans cette relation,
06:49 qui sont littéralement convaincants, sans jamais verser dans la caricature animalière.
06:54 Outre cette amitié, le roman interroge sur la disparition des espèces animales,
07:01 et sur la responsabilité des hommes dans cette extinction,
07:04 ce qui nous parle particulièrement à l'heure où notre planète est plus vulnérable que jamais.
07:09 - Voilà, l'actualité de votre roman et ce que Sonia en a pensé.
07:15 Qu'est-ce qui vous marque le plus dans ce qu'elle vient de dire ?
07:19 - Le fait qu'elle a absolument réussi ce que moi je n'arrive jamais à faire,
07:24 c'est à bien résumer le livre en y mettant les deux points fondamentaux,
07:30 qui sont effectivement le dernier, et l'homme.
07:34 C'est en ça que nous nous rejoignons.
07:38 C'est aussi un livre centré sur un homme.
07:44 Et c'est là où je suis très touchée par ce que dit Sonia.
07:48 Mais en fait, tous les sentiments du pingouin, qu'elle a trouvé convaincants,
07:55 j'en suis très touchée, sont en fait vus par Gus, par l'être humain.
08:01 C'est-à-dire qu'après tout, on pourrait tout à fait imaginer qu'il a malentendu total.
08:07 Peu importe d'ailleurs, parce qu'en même temps, je pense qu'il y a aussi une affection.
08:13 Mais c'est ça qui permet de rendre le pingouin crédible.
08:17 - Et d'ailleurs, au début de votre roman, ce pingouin, il est plutôt effrayant.
08:21 Gus, il a même peur de lui.
08:23 Il parle de son œil marron ou noir, très foncé, qui le fixe, qui est franchement hostile.
08:28 On parle de son bec crochu, de son cri rauque.
08:32 Donc le début de cette rencontre, elle n'est pas évidente.
08:36 - Non.
08:37 Et au fond, j'y ai pensé a posteriori.
08:40 Mais au fond, non, au début, quand Gus récupère ce pingouin, il n'a...
08:47 D'abord, c'est un homme de son époque.
08:49 Il n'a pas vraiment de sensibilité particulière aux animaux.
08:52 Il n'est pas contre, il n'est pas pour.
08:53 Enfin, il n'aurait jamais imaginé se lier avec un animal et a fortiori un oiseau sauvage.
08:59 Mais à force de l'observer, puisqu'au début c'est un objet d'observation, le pingouin,
09:08 pour lui, à force de l'observer, donc de se familiariser avec lui, il va se mettre
09:13 à l'aimer.
09:14 Et au fond, je crois que c'est ça qui est le sujet et qui justifie que nous soyons toutes
09:19 les deux invitées.
09:20 C'est que, en fait, on se met à regarder quelque chose qui était toujours là, mais
09:28 simplement avant on ne le voyait pas.
09:30 Et il voit quelque chose qui était toujours là, c'est-à-dire un être vivant, un animal.
09:35 Et du coup, je crois que c'est assez naturel, et comme toujours, il se met à l'aimer.
09:39 Et c'est ça qui fait le lien.
09:41 Et au fond, c'est ça qui fait l'écologie, l'éthologie.
09:44 - Est-ce que c'est une expérience scientifique qui est en train de vivre au gust dans ce
09:49 roman Anne-Caroline Prévost ?
09:50 - Je ne suis pas sûre qu'on puisse parler de scientifique au sens…
09:56 C'est compliqué votre question.
09:59 - Est-ce que vous vous retrouvez dans cette façon ?
10:02 - Je me retrouve complètement dans cette façon-là, mais par contre, ce n'est pas
10:06 scientifique au sens caricatural du terme scientifique.
10:08 Et souvent, comme on entend scientifique en disant « la science c'est différent
10:12 de l'émotion, c'est rationnel, etc. », ici c'est une expérience émotionnelle,
10:17 mais qui en même temps est une expérience émotionnelle qui apporte de la connaissance,
10:20 qui apporte de l'attention, qui apporte du lien.
10:22 Et tout ça, pour moi, on n'a plus le temps de séparer science, rationalité et émotion.
10:30 Tout doit être lié.
10:31 Et en ça, ce que vous venez de dire me fait penser à des choses qui sont dites par des
10:37 scientifiques, notamment les scientifiques internationaux du GIEC de la biodiversité,
10:42 l'IPBES, dans leur rapport en 2019, donc post l'écriture du livre « Le souci de
10:48 la nature ».
10:49 Et ils parlent de l'importance pour les transformations à venir de retrouver d'autres
10:55 valeurs qu'on donne à la biodiversité ou à la nature, et notamment des valeurs relationnelles,
10:59 en disant que finalement, le plus important, ce qui est important pour nous humains, c'est
11:04 à la fois l'existence du non humain, c'est à la fois l'importance du non humain pour
11:09 en tirer des profits, mais c'est aussi la relation qu'on tisse avec eux et la relation
11:13 qu'on tisse entre nous à propos d'eux.
11:15 Et du coup, c'est en ça que votre ouvrage, que votre roman, il est fort aussi, parce
11:20 qu'il résonne au niveau scientifique avec le contexte actuel de la science.
11:25 Alors justement, dans votre roman, il s'ouvre par cette première scène, une scène assez
11:30 violente puisqu'on assiste au massacre de cette colonie de pingouins sur une toute petite
11:35 île avec des chasseurs sans état d'âme qui les tuent, qui cassent leurs œufs et
11:40 qui les emportent, puisqu'il y a évidemment tout un trafic autour de cet animal.
11:46 Ça veut aussi dire qu'il y a une relation de domination de l'homme envers la nature,
11:52 et c'est ce que vous expliquez aussi à Anne-Caroline Prévost, cette idée qui fait
11:54 donc écho à votre livre.
11:56 C'est quoi cette idée d'homme qui domine, qui met la nature à son service ?
12:01 Ça vient d'où ?
12:02 Est-ce que vous pouvez nous l'expliquer, en tout cas dans les thèses qui sont abordées
12:07 dans votre ouvrage ?
12:08 Oui, dans notre ouvrage, on parle des sociétés qu'on appelle modernes, c'est-à-dire en
12:13 gros nos sociétés occidentales, et qui se sont construites dans notre imaginaire collectif
12:18 depuis très très très très longtemps, comme des sociétés qui séparent le monde
12:23 humain du monde non humain, et donc à partir du moment où on sépare, à ce moment-là
12:28 on peut dire qu'on peut utiliser le non humain comme des objets pour notre propre
12:31 bien-être ou pour notre propre croissance.
12:33 Je pense que nous, maintenant, en tant qu'individus qui vivons dans cette société, on fait partie
12:41 de cette culture-là, et ce serait vraiment de mon point de vue un peu illusoire de décider
12:46 qu'on va tout d'un coup changer de braquet et penser complètement autrement, mais par
12:51 contre on peut essayer de questionner ça, en disant "on vient de là, et à partir
12:56 de là, qu'est-ce qu'on peut faire pour bifurquer et prendre un peu des pas de côté
12:59 et des chemins de traverse ?" Et c'est en ça que retrouver du lien, de l'attention,
13:04 de l'importance de l'observation, comme vous avez dit, Sybille, de l'observation,
13:09 de la familiarisation avec du non humain, ça permet aussi de retrouver une espèce
13:14 de culture populaire, et certains scientifiques parlent d'expérience incarnée de la nature.
13:21 Je pense surtout que nous ne pouvons pas faire autrement, nous autres humains, sauf si on
13:30 est scientifique, mais je ne connais pas d'autres moyens d'appréhender ce qui nous entoure,
13:38 quoi que ce soit, à la limite la table devant laquelle je suis assise, qu'à travers l'expérience.
13:44 Et évidemment c'est ça que permet un roman, à travers les sentiments que ça fait naître,
13:53 les émotions que ça procure, et surtout l'intérêt, c'est de l'altérité au carré, je crois,
14:04 c'est la même altérité que celle qu'on a entre nous, humains, mais justement plus
14:11 vertigineuse parce que c'est un être avec lequel on ne parlera pas, donc peut-être
14:15 qu'on analyse mal dans notre interprétation de ses sentiments, mais en revanche, tout
14:22 ce qui est vivant a quelque chose qui nous oblige, d'un certain point de vue je pense
14:29 qu'on pourrait même aimer une araignée, et je vous dis ça, je ne les aime pas du
14:33 tout.
14:34 - Je le vois votre visage.
14:35 - Non mais au fond, dès qu'on tisse un lien, c'est comme le visage, on est responsable
14:45 de cet être.
14:46 - Anne-Caroline Prévost ?
14:47 - Oui, vous parlez d'aimer une araignée, alors évidemment on peut aimer une araignée,
14:51 mais on peut aussi la détester, et ce qui m'interpelle dans ce que vous dites, c'est
14:57 que ce que je trouve très important c'est d'avoir cette expérience de relation pour
15:02 pouvoir ensuite s'autoriser à éprouver des émotions et retrouver les émotions qu'on
15:06 a avec l'altérité, et puis le respect, d'autres émotions.
15:10 Après, faire en sorte, essayer d'avoir une injonction qu'il faut toujours aimer,
15:15 non, parce qu'on a une diversité d'individus et heureusement qu'on a le droit de ne pas
15:20 aimer les araignées, si on a envie.
15:22 - De même que nous n'aimons pas tous entre nous, donc oui évidemment, c'est effectivement
15:27 de l'équivalent.
15:28 - Vous parliez d'amour parce que dans votre roman, la relation entre le pingouin prosp
15:34 et Gus va évoluer au fil des pages.
15:37 On va réécouter Sonia qui nous fait une petite lecture et qui à la fin vous pose
15:40 une question.
15:41 - L'animal cria à son entrée, se dandina vers lui le plus vite qu'il put, du moins
15:47 ce fut l'impression qu'il donna à Gus.
15:49 L'oiseau lui parut avoir des expressions humaines, un éclat dans l'œil qui signifiait
15:53 "Enfin je te vois !" Une avancée de son cou qui ajoutait "Je m'ennuyais sans toi
15:58 !" Quand il frottait son bec rapidement contre la jambe de son pantalon, Gus en fut
16:03 bouleversé.
16:04 Avez-vous été confronté à des difficultés particulières pour rester le plus crédible
16:09 possible lorsque vous avez écrit le personnage de Prosp ?
16:13 - Non, j'ai eu plein de difficultés, surtout ce qui était le savoir de ce que Gus savait
16:22 historiquement, mais pour créer le pingouin non, parce que j'étais totalement à la
16:30 place de Gus, de l'être humain.
16:32 Donc je n'avais qu'à suivre mes propres pensées, quand en l'occurrence, moi j'ai
16:40 fait avec ce que j'avais devant moi, c'était un chat.
16:43 Et quand je me suis interrogée sur quel est mon lien avec ce chat, qu'est-ce que je pense
16:50 quand je vois ce chat penser, en l'occurrence parce que je crois qu'il pense.
16:54 Et quand il est assis au milieu de la pièce et qu'il me regarde, qu'est-ce que je crois
17:00 qu'il ressent ? Et surtout, comment il me voit ? Est-ce qu'il voit un égal ? Est-ce
17:07 qu'il voit un être humain qu'il domine ? Un être humain qui ne le domine pas ? Une
17:12 espèce unique en son genre ou quelque chose qui se mélangerait ? Est-ce qu'il ferait
17:18 la différence s'il me voyait à côté d'une girafe par exemple ? Et c'est toutes ces
17:24 questions que j'ai mises dans le personnage de Gus.
17:28 Et vous écrivez "à force d'être en tête à tête et d'avoir des habitudes communes,
17:33 ils avaient créé une espèce hybride, une chimère d'oiseau marin et d'homme".
17:37 C'est amusant Anne-Goréline Prévost, cette symbiose entre les deux, presque, ou en tout
17:42 cas ce rapport et cette réflexion de comment me voit l'animal aussi.
17:45 Oui tout à fait, c'est vraiment intéressant et heureusement que j'allais dire qu'il y
17:52 a des romanciers et des romancières pour parler comme ça.
17:54 C'est vrai que venant de l'écologie scientifique, on se dit "bon".
17:59 Mais en même temps, on est là vraiment entre deux mondes et c'est exactement comme ça
18:06 qu'on va y arriver.
18:07 Donc allons-y, continuons comme ça.
18:10 Ce qui est intéressant évidemment c'est cette relation qui se tisse entre eux.
18:14 Ils lui parlent par exemple, il ne sait pas s'il comprend, il ne connaît pas le langage
18:19 des pingouins, mais ça ne l'empêche pas de penser qu'ils peuvent se comprendre.
18:23 En tout cas cet homme et ce pingouin, ils ont en quelque sorte besoin l'un de l'autre
18:27 aussi à un moment donné.
18:28 Comme par exemple quand ils décident le soir de l'emmener se baigner.
18:32 Ça c'est la responsabilité minimum si je peux dire.
18:39 Parce qu'il hérite.
18:41 Il a trouvé un pingouin, il s'occupe de son grand pingouin.
18:45 Il faut bien que cet animal vive de la même manière qu'il le nourrit et qu'il lui donne
18:54 à boire.
18:55 Il faut bien aussi lui donner le minimum de ce qui semble absolument nécessaire pour
18:59 un oiseau marin, à savoir le bain.
19:01 Donc ça c'est la chose qui était la plus essentielle.
19:06 C'était votre question tout au début ?
19:08 C'était sur l'idée du besoin de l'un de l'autre et de cette idée qu'à un moment
19:13 donné ils se retrouvent dans une situation d'interdépendance aussi.
19:16 Oui bien sûr.
19:19 D'autant plus si je peux dire que tout d'un coup le personnage humain, enfin Gus, va comprendre
19:30 et aussi par observation, par réflexion seule, que l'animal qu'il a là est l'unique et
19:40 le seul.
19:41 Donc d'un certain point de vue lui-même va être désespéré et pas simplement parce
19:47 qu'il perd un ami.
19:48 Il perd même la possibilité du souvenir d'un ami.
19:54 Plus jamais rien qu'un être sur terre ne pourra évoquer ce qu'il a été.
20:01 Plus jamais personne n'aura ses gestes par exemple, ses mouvements.
20:05 Et d'un certain point de vue à partir de là tout le monde doit se soutenir l'un l'autre.
20:12 C'est aussi une forme de reconnexion avec la nature.
20:17 C'est aussi l'une des idées très importantes de cet ouvrage que vous avez dirigé Anne-Caroline
20:23 Prévost.
20:24 Qu'est-ce que ça veut dire cette reconnexion avec la nature ? Comment est-ce qu'on l'explique ?
20:28 Quand on parle de reconnexion, ça sous-entend qu'on a été déconnecté.
20:35 Plusieurs de mes collègues ont repris ce terme en disant qu'on n'est pas forcément
20:39 déconnecté.
20:40 Moi depuis je parle toujours de reconnexion parce que je pense qu'il y a une nouvelle
20:46 connexion à avoir, en tout cas à reconstruire, telle qu'on l'a dit depuis le début de
20:50 l'émission.
20:51 Mais ce qui est assez avéré par les différentes recherches internationales dans les sociétés
20:59 occidentales, c'est qu'avec nos modes de vie, on perd petit à petit le contact ou
21:04 les occasions d'entrer en contact et en expérience avec ce vivant non humain, avec
21:08 cette nature.
21:09 Et non seulement on perd les occasions d'entrer en contact, mais on oublie que les générations
21:14 d'avant avaient ce contact.
21:16 C'est ce que le psychologue Peter Kahn appelle l'amnésie environnementale générationnelle.
21:20 Et pour reprendre ce que vous disiez, le personnage Gus pourrait perdre son grand pingouin et
21:30 du coup perdre le contact avec cette espèce-là parce que c'est le dernier.
21:34 Mais la suite, ses descendants ou les autres qui n'ont jamais vu de grand pingouin, ils
21:40 ne savent même pas qu'ils perdent ça parce qu'ils n'ont pas connu ça.
21:42 Et c'est ce qu'on observe actuellement dans nos sociétés occidentales maintenant.
21:45 Avec des espèces qui n'ont pas encore disparu, mais des espèces communes d'oiseaux par
21:51 exemple qui sont partout autour de nous et dont la plupart d'entre nous ne savent pas
21:57 les reconnaître, ne savent même pas les entendre ou n'ont pas conscience qu'ils
22:02 sont entourés de ces espèces-là.
22:04 Alors que des gens comme des ornithologues ou des naturalistes qui savent les reconnaître
22:09 à Louis par exemple, ont une expérience très différente.
22:11 Et on perd ça de génération en génération.
22:13 C'est ce qui fait en fait que… Oui allez-y Cyprien.
22:16 - Oui, je change légèrement.
22:18 J'espère ne pas être trop à côté.
22:20 Il y a quelque chose dans le livre que je trouve absolument… une idée que je trouve
22:26 très passionnante, c'est quand vous expliquez que, je le dis avec mes mots, la Terre se
22:35 fiche totalement, les espèces se fichent totalement de savoir si… Enfin la Terre continuera
22:42 à vivre même s'il y a moins d'espèces, s'il y en a d'autres qui se mettent à
22:45 d'ailleurs ou même si le dérèglement climatique devient épouvantable.
22:48 C'est nous que ça fera souffrir.
22:52 C'est notre rapport au monde.
22:54 Et c'est ça qui est l'angle.
22:55 Et c'est là où je crois que, sans le savoir, puisque je l'ai découvert là, mais sans
23:01 le savoir finalement, j'ai trouvé que ça disait bien mon livre, enfin qui en était
23:05 une illustration.
23:06 C'est ça, c'est vraiment… C'est un rapport que nous perdrons.
23:11 C'est un rapport que Gus perd en tant qu'illustration de nous tous.
23:16 Et ce n'est pas… La Terre survivra.
23:20 Elle a vécu sans fleurs pendant toute une ère.
23:24 Elle continuera sans les abeilles.
23:27 - France Culture, le book club, Nicolas Herbeau.
23:34 - Book club consacré ce mercredi à la nature, des livres, des animaux et des hommes.
23:39 C'est le titre de cette émission avec nos deux invités, la romancière Sybille Grinvert
23:45 et l'écologue Anne-Caroline Prévost.
23:46 Alors on a demandé à la communauté du book club sur Instagram quelle était la plus belle
23:50 rencontre dans la littérature entre l'homme et l'animal.
23:53 Je vais vous en citer quelques-uns.
23:55 Beaucoup ont cité Gus et Prosp.
23:57 Je tiens à vous le dire, Sybille Grinvert.
23:59 On m'a parlé de Dagobert du Club des Cinq pour Anne-Laure.
24:02 Le renard du Petit Prince qui est également beaucoup revenu.
24:05 Comme le loup, évidemment.
24:06 Celui de Croblant de Jack London notamment.
24:09 Aurore nous conseille les mémoires d'un chat de Hiro Harikawa, un roman japonais.
24:15 Et Mathilde, la vie plus un chat de Chantal Deschery.
24:18 Et puis Laurence.
24:19 Laurence Denant, elle, a pensé à une rencontre.
24:22 La rencontre d'Alan Eckhart.
24:24 La rencontre d'Alan Eckhart est un roman américain qui date de 1971.
24:30 C'est une histoire vraiment marquante, basée en plus sur une histoire vraie.
24:34 Ça se passe à la fin du 19e siècle en Amérique du Nord.
24:38 Ben Macdonald, dont les parents sont des pionniers, est un enfant un peu particulier.
24:42 Il a 7 ans mais il paraît beaucoup plus jeune.
24:45 Il ne parle pas et beaucoup pensent même qu'il est un peu attardé.
24:48 Sa seule occupation, c'est d'imiter les animaux et d'y suivre partout.
24:52 Or, un jour, alors qu'il était en train de suivre des animaux, il s'éloigne beaucoup
24:56 de chez lui.
24:57 Une tempête se lève et il finit par se perdre.
25:00 Il va se réfugier dans un trou et il s'avère que ce trou est en fait le terrier d'une
25:05 femelle blaireau.
25:06 Aussi incroyable que cela paraisse, une relation très forte doit se nouer entre Ben et cette
25:11 femelle blaireau.
25:12 Ils vont cohabiter pendant plus de deux mois.
25:14 La femelle blaireau donne une belle leçon d'humanité aux hommes puisqu'elle accepte
25:19 de Ben ce que ne faisaient pas forcément les hommes.
25:22 Elle lui sauve la vie, elle le nourrit, elle prend soin de lui, elle le réchauffe.
25:26 Bref, c'est très fort et pas du tout mièvre comme parfois dans les histoires destinées
25:30 à la jeunesse.
25:31 Ben s'était figé mais bizarrement, il n'avait pas vraiment peur.
25:41 Il était sur ses gardes, certes, et il était aussi profondément ému mais ce n'était
25:45 pas de la peur.
25:46 La bête semblait d'ailleurs à peu près dans le même état d'esprit.
25:49 Son cou s'était hérissé, ce qui la faisait paraître encore plus impressionnante.
25:53 Et ses babines étaient toujours retroussées mais son grognement s'était calmé.
25:57 Silencieuse, elle ne quittait pas l'enfont des yeux.
26:01 Les secondes s'écoulaient.
26:02 Bientôt une minute, puis deux, puis trois.
26:06 Il continuait à se regarder les yeux dans les yeux, immobile.
26:09 Soudain, la grosse bête lâcha un bref grognement guttural.
26:12 Entièrement concentrée, Ben répliqua en imitant l'intonation du blaireau à la perfection.
26:18 * Extrait de « Trust in me » de Caroline Prevost *
26:44 Ce qui est intéressant c'est que, à l'année 4, le livre « La rencontre » date de
26:46 1971, ça veut dire que les animaux sont présents dans la littérature, évidemment depuis très
26:52 longtemps.
26:53 « Animaux, sujets littéraires », c'est le titre de la chronique de notre consort
26:56 du monde des livres, Virginie François, qui note cette nouveauté, l'envie de donner
27:00 actuellement aux bêtes une voix authentique.
27:03 Elle cite notamment l'historien Michel Pastoureau.
27:06 « Il y a encore 50 ans, l'animal passait pour un sujet ridicule aux yeux de l'histoire
27:10 ou des sciences humaines, alors qu'aujourd'hui ce thème est devenu prioritaire au carrefour
27:14 de plusieurs disciplines s'emboîtant sur les problématiques environnementales ou
27:18 alimentaires.
27:19 Notre monde citadin, fait qu'on s'est éloigné de cette nature et qu'on oublie
27:27 à chaque fois, en tout cas à l'échelle individuelle, qu'il y a des choses qui se
27:30 perdent autour de nous. »
27:31 Oui, on oublie, mais effectivement la littérature et les œuvres culturelles sont très importantes
27:39 pour pouvoir nous y reconnecter aussi.
27:41 C'est une des façons d'entrer en expérience de nature.
27:44 C'est ce que le psychologue américain Kellert avait appelé les expériences vicariantes,
27:51 vicarious en anglais, ou par procuration, où on n'est pas directement en contact
27:54 mais on est en contact via des romans, des documentaires, des films, des jeux vidéo,
28:01 etc.
28:02 C'est intéressant ce que vous dites sur la place de l'animal dans la littérature.
28:05 Évidemment, il est partout.
28:07 En tant qu'écologue, ce que je trouve intéressant, important, c'est de regarder si c'est un
28:14 animal particulier, un individu qui est pris en compte.
28:16 Par exemple, dans votre livre, c'est un individu.
28:19 Mais l'écologue scientifique dirait que ce qui est intéressant, c'est d'avoir
28:24 l'animal dans son milieu et d'être en relation, en contact, que les humains soient
28:32 à l'intérieur d'un milieu où il y a des animaux, des végétaux qui sont eux-mêmes
28:35 en interrelation.
28:36 Si je peux citer un livre que j'étudie en tant qu'écologue avec une de mes doctorantes,
28:43 c'est un livre américain qui a été traduit il y a une dizaine d'années qui s'appelle
28:48 « L'été prodigue » de Barbara Kingsolver.
28:51 Elle met en scène des femmes aux Appalaches qui sont en relation avec des animaux et des
28:59 plantes dans leur milieu et dans leur vie privée et professionnelle, dont une des héroïnes
29:05 est une garde forestière et qui va entrer en contact avec des coyotes, mais qui ne rentre
29:10 pas en contact comme Gus avec le pingouin, mais qui va les observer dans leur milieu,
29:16 mais qui a un attachement aussi très fort, qui se mêle, qui se crée avec cet ensemble,
29:22 avec cette biodiversité.
29:23 Allez, ça y est, je l'ai employé.
29:25 Avec ce grand monde vivant où on est finalement, on fait partie de ce monde-là.
29:31 Et c'est ça qui me paraît important aussi dans les romans, de réussir à retrouver
29:38 la place qu'on a, se recréer une place dans le monde plus large que nous.
29:42 Et les œuvres culturelles peuvent vraiment nous y aider.
29:45 - Sybille Grabart, vous voulez ajouter quelque chose ?
29:48 - Je pense que j'aurais plusieurs choses.
29:50 D'une part, je pense qu'on peut se reconnecter avec le monde et que même si on le fait sans
30:01 même y penser d'un certain point de vue, même à partir d'une petite chose.
30:04 Il ne faut pas forcément aller vivre, et il le fait à la fin, mais à vivre sur un
30:14 bord isolé de grève dans une cabane.
30:17 Mais cela dit, une seule petite chose peut permettre de se reconnecter.
30:22 Et que le sentiment de l'appartenance au monde, d'un certain point de vue, mais de l'appartenance
30:28 active au monde de naître, c'est un peu ce qu'on raconte de l'expérience du désert.
30:34 Quand les grands religieux vont dans le désert et que tout d'un coup...
30:40 Donc je crois que ça, on peut le faire tous.
30:43 Maintenant, de façon tout à fait outrancière, je vous l'accorde, je vais faire preuve d'un
30:50 petit peu d'optimisme.
30:52 Parce que je trouve que j'en suis la preuve.
30:56 Je ne suis pas... je suis une citadine, je ne suis pas...
31:00 Tout d'un coup, ce sujet m'a pris, et totalement, et il est devenu important à mes yeux, à
31:07 travers d'ailleurs des lectures.
31:08 Je pourrais y revenir.
31:09 Mais si quelqu'un comme moi a pu tout d'un coup, avec ferveur, même pour l'avenir, je
31:18 veux dire pas ferveur en écrivant mon livre, on s'en fiche, mais avec ferveur et conviction,
31:24 se lancer dans... être maintenant concerné par ce sujet-là, je crois que c'est un signe
31:29 d'optimisme, au sens où ça se diffuse largement.
31:34 - Je suis entièrement d'accord avec vous.
31:37 Merci d'être optimiste, et il faut être optimiste.
31:39 C'est vraiment important parce qu'on est là à une croisée.
31:42 Notre situation, elle est terrible.
31:45 Donc on peut être pessimiste en disant "c'est foutu", mais en fait on peut dire aussi "ok,
31:49 elle est terrible, on a un point de basculement".
31:52 Parce que les écologues et d'autres chercheurs ont dit "ben voilà, on arrive à un tipping
31:56 point en anglais, un point de basculement".
31:58 On y est, ça y est.
31:59 Et donc maintenant, certes, tout va s'effondrer, c'est-à-dire qu'en gros, on va changer de
32:05 monde et c'est le moment d'aller inventer des différentes voies possibles et d'autres
32:09 trajectoires.
32:10 Et une de ces trajectoires, ça peut être de retrouver du contact avec le vivant non-humain
32:16 et du coup réinventer notre vie à partir de ça.
32:18 - Ça veut dire changer aussi son mode de vie, puisqu'on est dans une ère aussi de
32:22 dématérialisation où les machines ont pris beaucoup de place et parfois de façon utile,
32:29 il faut bien le dire, mais ça nous fait perdre ce contact direct aussi avec la nature.
32:34 Quel effort il faut faire selon vous pour revenir à un rapport plus sain, si on peut
32:43 dire ? Je ne sais pas si c'est le bon terme d'ailleurs.
32:45 - Alors moi, je ne veux pas donner de solution ni de piste.
32:49 Je dis juste que, parce que je ne vois pas pourquoi ce serait moi qui donnerais des solutions,
32:54 plus qu'au-delà de rapport à la machine, je pense qu'il y a une question à se poser
32:58 par contre, proposer de se poser la question du rapport au temps aussi.
33:02 Et du rapport au temps et du rapport à notre relation à l'autre et à l'altérité,
33:06 comme vous disiez.
33:07 Et à partir du moment où on décide, c'est quelque chose que je propose à faire à mes
33:12 étudiants et je propose dès que je suis en collectif.
33:15 Prenons cinq minutes tous les jours pour nous poser et aller regarder la nature ou n'importe
33:20 quoi élément vivant non humain autour de nous.
33:22 Cinq minutes pour regarder, puis cinq minutes pour écrire nos perceptions.
33:26 Ça fait dix minutes par jour.
33:27 Et après, qu'est-ce qui va se passer si on fait ça pendant quinze jours, trois semaines,
33:32 tous les jours ? Voilà, c'est une question.
33:34 Allez-y, faisons-le.
33:35 C'est dix minutes.
33:36 - On prend le pari et on invite les auditeurs et auditrices de YouBook Club de France Culture
33:41 à nous donner peut-être leur réaction sur la page Instagram du book club, book club
33:47 culture.
33:48 Donc merci beaucoup Anne-Caroline Prévost d'être venue nous parler de cet ouvrage
33:53 publié en 2017, republié en format poche qui s'appelle "Le souci de la nature, apprendre,
33:59 inventer, gouverner" qui paraît donc à nouveau chez CNRS Éditions.
34:02 Je rappelle aussi cet autre livre que vous avez publié aux mêmes éditions, "La nature
34:07 à l'œil nu".
34:08 Merci beaucoup d'avoir accepté cet échange Sibylle Graber.
34:11 Je rappelle le titre de votre roman, "Le dernier des siens" aux éditions.
34:15 Anne Carrière, merci de continuer aussi à nous ouvrir les yeux de cette façon-là.
34:20 - C'est vrai que c'est passé super vite.
34:25 - Oui, c'est passé super vite.
34:26 - J'ai l'impression qu'on était… - 13h25.
34:27 Je vais quand même lancer Charles Danzig dans un instant et vous allez rester avec nous
34:31 puisqu'il y a une petite nouveauté dans le book club, ça s'appelle l'épilogue
34:34 et c'est donc juste après les quadritèmes.
34:36 Parmi les personnages apportés par la fiction à la vie qui se les cache, voici un travesti.
34:42 Je disais hier que les handicapés mentaux qui existent depuis toujours ont dû attendre
34:47 le XXe siècle pour voir l'un des leurs en fiction.
34:49 Les travestis n'existent probablement pas depuis moins longtemps et ils ont dû attendre
34:55 la Deuxième Guerre mondiale pour mériter de la littérature.
34:58 Il en est peut-être apparu auparavant dans des fictions, je n'en connais pas, mais
35:02 si c'est le cas, cela ne peut être que pour des personnages de quatrième plan et
35:06 surtout pittoresques.
35:08 Le pittoresque est le contraire de la littérature.
35:11 Le pittoresque est une réduction amusante à un détail bénin qui amuse le lecteur
35:16 qui se croit supérieur.
35:17 Pour être supérieur, il n'est pas besoin d'être roi, il suffit d'être borné.
35:21 On imagine bien un personnage de travesti maniéré et ridicule, cet adjectif qui concentre
35:28 beaucoup de la bassesse française.
35:30 Le personnage sérieux de travesti, avec toute son humanité, c'est-à-dire sans pittoresque,
35:36 naît dans le premier roman de Jean Genet, Notre-Dame des fleurs, en 1943.
35:40 Notre-Dame des fleurs est un roman baroque, je le dis dans le sens le plus strict du terme,
35:45 un roman de 1600, absolument pas réaliste, absolument pas naturaliste, une féerie.
35:51 Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas sérieux, loin de là.
35:54 La féerie est une manière hystérique de regarder la vie.
35:57 Le féérique se note ici d'abord par les noms des personnages.
36:01 Ce travesti s'appelle Divine.
36:03 Vous me direz si le travesti qui a joué dans les films de John Waters et porté ce
36:07 nom l'a choisi en hommage à Genet.
36:10 Le travestissement est une entrée dans la féerie.
36:13 C'est tout ce qu'a voulu Divine, morte à Montmartre où elle habite au début du
36:18 livre.
36:19 Avant, elle portait un nom qui était le contraire du féérique.
36:22 Le petit garçon qui allait devenir Divine se nommait Louis Culafroi.
36:26 On a deviné comment Genet a inventé ce nom.
36:29 Divine apparut à Paris pour mener sa vie publique environ 20 ans avant sa mort.
36:34 Elle était alors la mince et vive qu'elle restera jusqu'à la fin de sa vie en devenant
36:39 anguleuse.
36:40 Et suit, tout en fioriture, préciosité, ce que le narrateur a appelé la légende,
36:46 la saga, le dîte divine, où l'on trouvera bien des créatures aimantées par les voyous
36:52 et les assassins qui ne portent pas moins des noms de contes comme le souteneur Mignon
36:57 les petits pieds et l'assassin Notre-Dame des fleurs.
36:59 Divine est homosexuel comme souvent les travestis.
37:03 Les homosexuels sont haïs des homophobes.
37:06 L'homophobe est un personnage qui n'apparaissait que de manière très très latérale dans
37:10 des personnages très très mineurs de la fiction.
37:13 J'ai pensé que ça n'allait pas.
37:15 Et j'ai entrepris de faire entrer le personnage de l'homophobe dans la fiction par mon député
37:20 Furness dans l'histoire de l'amour et de la haine.
37:22 On me l'a beaucoup reproché, c'est bon signe.
37:25 Il n'y a que le silence des écrivains qui conviennent à la malveillante obscurité.
37:30 Les cas de ritem de Charles Danzig à retrouver sur franceculture.fr et sur l'appli Radio
37:34 France.
37:35 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club, Zora Vignet, Auriane Delacroix, Didier
37:39 Pinault, Jeanne Agrappard et Alexandre Alaïbégovitch.
37:41 Thomas Beaud est à la réalisation ce midi et à la prise de son.
37:44 Etienne Rouch, on se quitte comme promis avec l'épilogue de ce jour.
37:48 Comment est-ce que quand un individu humain, un homme ou une femme, entre en expérience
37:54 avec du vivant non humain ?
37:56 Mais c'est ça qui permet de rendre le pingouin crédible.
37:59 En fait, on se met à regarder quelque chose qui était toujours là.
38:02 Mais par contre, on peut essayer de questionner ça.
38:03 En fait, c'est de l'altérité au carré.
38:06 D'un certain point de vue, je pense qu'on pourrait même aimer une araignée, un chat,
38:09 une girafe.
38:10 Oui, tout à fait, c'est vraiment intéressant.
38:11 France Culture, l'esprit d'ouverture.

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