L’insécurité et la délinquance en France ont-elles augmenté en 2022 ?

  • l’année dernière

Category

🗞
News
Transcript
00:00 *7h-9h, les Matins de France Culture, Guillaume Erner*
00:06 La question du jour, le service statistique du ministère de l'Intérieur publiait mardi
00:10 ses chiffres relatifs à l'insécurité et à la délinquance en France.
00:14 Ceux-ci s'appuyant sur l'effet de délinquance enregistré par la police et la gendarmerie
00:19 nationale auraient globalement augmenté au cours de l'année 2022, que ce soit en matière
00:23 de violences intrafamiliales, sexuelles, d'homicides, de trafics, de stupéfiants ou encore de vols.
00:29 Qu'est-ce que cette photographie de la délinquance révèle sur l'évolution de l'insécurité
00:34 en France ? Bonjour René Zauberman.
00:36 Bonjour.
00:37 Vous êtes directrice de recherche émérite au CNRS.
00:40 Alors je l'ai dit, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance ont augmenté
00:45 entre 2021 et 2022.
00:48 Il faut tout d'abord expliquer ce que signifient ces chiffres.
00:51 Qu'est-ce qu'ils comptent si j'ose dire ?
00:53 Comme le présente très clairement le document sur lequel on travaille là tout de suite,
01:02 ce sont des chiffres de la délinquance enregistrée.
01:04 Deux points là-dessus.
01:06 L'argument central de cette publication récente, c'est que la délinquance augmente.
01:16 Premier point, on peut difficilement dire une chose pareille avec une photographie,
01:22 comme vous l'avez dit et comme vous l'avez nommée tout à l'heure.
01:24 En effet, les chiffres qui sont présentés sont présentés sur deux, trois ans.
01:30 Mais évidemment, ça n'est qu'une très, très brève période par rapport à l'évolution
01:37 des délinquances.
01:38 On parle ici des délinquances banales contre les biens et les personnes, pas d'autres
01:41 délinquances.
01:42 Donc par rapport à l'évolution de ces délinquances particulières au cours du dernier demi-siècle.
01:50 Pourtant, on avait dit René Zoberman pour la période antérieure qui correspondait
01:54 au confinement, qu'il y avait eu une chute d'effet de délinquance.
01:58 Alors quand ça chute, c'est vrai, mais pas quand ça monte.
02:01 Bref, qu'est-ce qu'il faut croire ? Qu'est-ce qu'on peut croire ?
02:03 Il faut comprendre ce que mesure effectivement ces données.
02:10 Ces données mesurent la délinquance enregistrée.
02:13 La délinquance enregistrée est composée de plusieurs éléments.
02:17 Un des éléments essentiels de ces délinquances enregistrées, c'est les signalements par
02:21 les victimes.
02:22 Et puis pour d'autres délinquances que vous avez citées dans votre énumération,
02:28 par exemple les stupéfiants, ce que ça mesure, ce n'est non pas l'action de victimes
02:36 qui sont inexistantes, mais l'action des services de police et de gendarmerie qui,
02:41 à un moment X ou Y, insistent plus particulièrement sur la poursuite de ce type de délinquance.
02:53 Donc première chose, ou peut-être la deuxième, c'est qu'on dispose ici d'un certain
03:01 type de données, qui est une donnée tout à fait légitime.
03:05 Ce qui manque pour évaluer véritablement l'évolution de la délinquance, c'est
03:12 un discours, disons un contre-discours, qui est l'évolution de la délinquance mesurée
03:19 par un autre instrument qui s'appelle les enquêtes de victimation.
03:23 Qu'est-ce qu'une enquête de victime ?
03:26 Une enquête de victimation, c'est une enquête en population générale qui interroge des
03:30 échantillons de population pour leur poser des questions sur les victimations qu'elles
03:38 ont subies.
03:39 Il y a aussi des questions tout autour de ça, et notamment autour des peurs et du sentiment
03:45 d'insécurité.
03:46 Et là, l'avantage par rapport à cette délinquance enregistrée qui est présentée
03:51 dans ce document, c'est que ça permet d'ajouter à cette délinquance enregistrée
03:58 la délinquance qui ne l'est pas, parce que les victimes ne les ont pas signalées.
04:01 Et à ce moment-là, quand on compare les deux séries de données, on comprend qu'entre
04:09 les deux, il y a cette variable du signalement qui est présentée de façon tout à fait
04:14 intéressante dans le document et qui montre que suivant les différents types de délinquance,
04:21 les victimes signalent plus ou moins.
04:23 Alors vous avez des taux de signalement extrêmement élevés, comme par exemple pour le vol de
04:27 voiture, et puis vous avez des taux de signalement extrêmement faibles, comme par exemple un
04:31 certain nombre de violences, notamment les violences intrafamiliales, les violences sexuelles,
04:36 qui sont très mal signalées.
04:37 Justement, parce que moi, ce qui m'a frappé, c'est que les violences intrafamiliales et
04:42 sexuelles sont parmi les faits qui ont le plus augmenté en 2022.
04:45 Si je prends les chiffres, les violences intrafamiliales, elles ont augmenté de 17% et les violences
04:50 sexuelles de 11%.
04:52 Donc s'il y a une sous-déclaration en général, ça signifie qu'elles ont véritablement
04:58 augmenté René Soberman ?
04:59 Alors il est fort possible qu'en effet, elles aient véritablement augmenté dans les
05:03 enregistrements.
05:04 Ça c'est une certitude dans les enregistrements ?
05:07 Tout à fait, tout à fait.
05:08 Parce qu'en effet, on est actuellement sur un mouvement maintenant qui probablement
05:13 est de fond et qui date dans les données, qui date antérieurement au mouvement #MeToo,
05:20 qui est un mouvement d'ouverture, disons, du discours des victimes et aussi d'ouverture
05:26 des oreilles de ceux qui doivent entendre ces discours.
05:29 Vous voulez dire qu'il y avait avant le mouvement #MeToo, parce que le mouvement
05:34 #MeToo, c'est une date et comme tout phénomène social d'ampleur, on imagine qu'il a des
05:38 racines antérieures à l'officialisation de cette campagne.
05:45 Mais sur le plan des déclarations, par exemple des violences intrafamiliales, des violences
05:49 sexuelles, est-ce que vous avez vu augmenter le nombre de déclarations ?
05:51 Je ne parle pas du nombre de faits effectifs, René Zommerman.
05:55 Oui, on a observé dans différents enregistrements administratifs des montées depuis au moins
06:04 le début des années 80, des montées des enregistrements de violences sexuelles, notamment.
06:14 Beaucoup moins des violences intrafamiliales parce qu'elles n'étaient pas vraiment
06:18 mesurées, alors que les violences sexuelles, elles l'étaient.
06:21 Et en effet, on a observé depuis au moins le milieu des années 80, une augmentation
06:29 de ces déclarations.
06:31 Par conséquent, des affaires qui arrivent devant les tribunaux et à la fin des affaires
06:38 qui arrivent, des populations qui arrivent en prison.
06:42 Donc ça, on a pu l'observer depuis beaucoup plus longtemps que le mouvement #MeToo.
06:46 Alors, bien entendu, l'une des questions qui se pose René Zommerman consiste à savoir
06:51 si les gens vont plus volontiers porter plainte, si aujourd'hui il y a plus de faits ou si
06:57 on a un phénomène conjugué, puisque pendant très longtemps, les victimes se sont dit
07:02 qu'il était inutile d'aller porter plainte, celles-ci ne seraient pas prises en compte
07:07 ou ils ou elles seraient mal reçues lors de leur arrivée au commissariat.
07:13 Alors, si on prend la chose dans une perspective historique longue, moi mon hypothèse c'est
07:21 que les conditions de vie des populations ont plutôt porté à l'écartement des corps
07:28 qu'au rapprochement des corps.
07:30 Disons que quand on vivait dans des sociétés rurales et même urbaines, quand on vivait
07:37 à 15 ou 20 dans une pièce au-dessus des animaux pour se tenir chaud en hiver, je pense
07:45 que les atteintes sexuelles contre les femmes et les enfants, que ce soit des petites filles
07:51 ou des petits garçons, étaient certainement très fréquentes.
07:54 Il n'était probablement évidemment pas question de les signaler.
07:56 Elles arrivaient de temps à autre, et on en trouve des traces dans les archives judiciaires,
08:02 elles arrivaient de temps à autre devant des tribunaux, mais naturellement pour l'essentiel
08:07 elles n'y arrivaient pas.
08:08 Et je pense que les conditions sociales dans lesquelles peuvent être commises des infractions
08:15 sexuelles à l'intérieur des groupes de connaissances, des groupes de proches, les
08:20 conditions sociales dans lesquelles ces infractions peuvent être commises sont aujourd'hui beaucoup
08:24 moins favorables qu'elles l'ont historiquement été.
08:27 Et que véritablement ce qui s'est déclenché c'est la parole, et ce qui s'est ouvert
08:33 ce sont les oreilles.
08:34 NICOLAS ROCHEFORT - Merci beaucoup René Zauberman, je rappelle que vous êtes directrice de recherche
08:40 émérite au CNRS et responsable de l'OSCJ.
08:44 Il est 7h23 sur France Culture.

Recommandée