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La catastrophe écologique est aussi un désastre social. Et les luttes sociales s'imbriquent avec les mobilisations écologistes. A partir de ce constat, une prise de conscience se développe, qu'on observe dans le mouvement contre la réforme des retraites. Cette lutte met en relation l'écologie et le social, en démontrant que le report de la retraite à 64 ans aura des conséquences sur l'ensemble du vivant.
«Il n'y a pas une seule grande question écologique qui ne soit pas directement enchevêtré dans des rapports de domination », estime Philippe Boursier, professeur de sciences économique et sociale, sur le plateau du Média. « Les problèmes écologiques touchent les populations les plus vulnérables (…) les plus exposées aux problèmes environnementaux » poursuit Clémence Guimont, maîtresse de conférences en Science-politique, alors que les populations qui ont l'espérance de vie la plus faible et qui profiteront le moins, si ce n'est pas du tout, de la retraite, sont celles qui subissent le plus le changement climatique et les pollutions environnementales.
« La retraite est une forme de conquête écologique (...) qui s'inscrit dans une réduction du temps de travail tout au long de la vie », rappelle Philippe Boursier, pour qui « cette contre-réforme s'inscrit aussi dans le développement de logiques financières (…) très lourdement responsables des désastres écologiques ». Devant de tels constats, ces deux auteurs, qui ont coordonné le livre Ecologies le vivant et le social aux éditions La Découverte, prônent un « socialisme du vivant », fondé sur de « nouvelles protections socioécologiques ». Dans un livre qui réunit près de 70 contributions thématiques, Philippe Boursier et Clémence Guimont esquissent une écologie intersectionnelle qui met en question le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat. Une écologie qui croise écologie populaire, écologie décoloniale et écoféminisme et qui transforme les rapports entre humains et non-humains.

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Transcription
00:00 Comment as-tu eu l'air ?
00:02 Faisons que notre planète soit encore plus grande.
00:05 Nous vivons une ère de catastrophes écologiques, l'ère du changement climatique, l'ère
00:15 de l'effondrement de la biodiversité et il est temps de tout changer, de planifier,
00:20 certains disent de bifurquer, d'autres de tout révolutionner pour permettre aux vivants
00:23 de perdurer et de mettre fin aux pressions sur les écosystèmes.
00:27 Tout cela nécessite des actions, des politiques publiques, mais en amont des débats, des
00:32 discussions, des discussions scientifiques, politiques, idéologiques, des confrontations
00:36 de projets, d'idées et de constats.
00:38 C'est ce à quoi on tentait de s'atteler des chercheurs, des journalistes, des activistes
00:42 à travers un livre "Écologie, le vivant et le social", un livre riche, très complet
00:47 avec 70 contributions coordonnées par Philippe Boursier et Clémence Guimond, nos invités
00:52 du jour.
00:53 Bonjour, vous allez bien ?
00:54 Bonjour, très bien.
00:55 Alors Clémence Guimond, vous êtes maîtresse de conférence en sciences politiques à l'université
01:00 d'Ottawa, expérimentarien panthéon-sarbonne et spécialiste des politiques environnementales.
01:04 Merci d'être là.
01:05 Merci à vous.
01:06 Philippe Boursier, vous êtes professeur de sciences économiques et sociales, vous
01:09 êtes également ancien porte-parole national des verts.
01:13 Merci aussi d'avoir accepté l'invitation du Média.
01:16 Merci à vous.
01:17 Alors, vos trouvages s'intitulent "Écologie, le vivant et le social".
01:20 Ils prônent un socialisme du vivant.
01:23 Vous dites qu'un autre futur écologique doit prendre forme en s'articulant avec les
01:28 questions sociales et écologiques, fondées sur de nouvelles protections socio-écologiques,
01:33 pour vous citer.
01:34 En ce sens, peut-être que la période actuelle qu'on est en train de vivre, elle peut aussi
01:38 vous inspirer, alors qu'on réalise cette interview en plein mouvement social contre
01:43 la réforme des retraites.
01:44 Et dans ce mouvement social, l'écologie n'est pas totalement absente.
01:48 Il y avait par exemple un cortège climat lors de la manifestation du 19 janvier à
01:52 Paris.
01:53 Je pense que c'est très lié à la discussion qui va suivre.
01:56 Alors, avant de parler spécifiquement du livre, de ce que vous écrivez dans ce livre,
02:01 j'aimerais avoir votre avis un petit peu sur les débats qui peuvent traverser aussi
02:04 ce mouvement social.
02:05 On entend les activistes du climat nous dire que la réduction du temps de travail, c'est
02:11 un enjeu écologique.
02:12 Et vous, vous écrivez également dans votre livre qu'il faut lier les protections sociales
02:15 et les protections du vivant.
02:16 Oui, c'est en effet un axe important du livre, cette articulation.
02:21 Et donc, dans le cas des retraites, effectivement, par répartition, c'est une forme de conquête
02:25 écologique et qu'il faut défendre.
02:27 Et en l'occurrence, ici, la meilleure retraite, c'est l'attaque.
02:29 Il faut se mobiliser.
02:31 Alors, pourquoi c'est une conquête écologique ? Parce qu'effectivement, ça s'inscrit
02:35 dans une réduction du temps de travail tout au long de la vie.
02:37 Et donc, la contre-réforme en cours, la nouvelle contre-réforme, ce n'est pas la première,
02:41 finalement, vise à allonger le temps de travail et donc s'inscrit dans une logique
02:45 complètement productiviste.
02:46 Il y a une deuxième raison aussi à ça, c'est que cette contre-réforme, elle s'inscrit
02:51 aussi dans le développement de logiques financières.
02:53 On sait que ces logiques financières, puisqu'il s'agit de substituer un système par capitalisation,
02:58 en tout cas de favoriser, pour le substituer au système par répartition, ces logiques
03:02 financières sont aussi très lourdement responsables aujourd'hui des désastres écologiques.
03:07 Sur un troisième plan aussi, on pourrait dire que la retraite par répartition, en
03:12 tant que protection, c'est aussi une conquête écologique parce que, n'oublions pas que
03:16 les personnes qui sont retraitées, finalement, produisent énormément de richesses, mais
03:21 ce n'est pas des richesses comptabilisées dans le PIB et parmi ces richesses, il y a
03:24 y compris des choses qui sont favorables à la protection des vivants.
03:27 Les gens qui sont à la retraite, souvent, aussi, animent toute une série d'associations
03:31 environnementales, par exemple.
03:32 Il y aurait peut-être aussi une quatrième idée qui nous tient à cœur, c'est que
03:36 pour développer une écologie inclusive et précisément, comme vous l'indiquiez,
03:40 une écologie qui soit pleinement attentive aux vivants, il faut que les personnes ressentent,
03:46 si vous voulez, elles-mêmes une forme de sécurité psychique qui dépend aussi d'un
03:50 ensemble de sécurité sociale, matérielle, etc.
03:53 Et donc, là encore, défaire cette protection de la retraite, c'est aussi sans doute empêcher
03:58 beaucoup de gens d'avoir cette attention plus importante qui est nécessaire aujourd'hui
04:02 à l'ensemble du vivant.
04:03 Vous venez de dire que les logiques financières poussées au saccage écologique, c'est notamment
04:09 parce qu'avec ces réformes sur les retraites, on pousse également les Français à épargner
04:17 pour leur retraite et donc à se tourner vers des caisses privées, des caisses justement
04:22 qui financent notamment beaucoup de projets vis-à-vis des énergies fossiles.
04:25 Tout à fait.
04:26 Là, ce qui est en cause, en creux, on voit bien qu'il y a le lobbying aussi du secteur
04:31 de l'assurance derrière ces réformes.
04:34 Et donc, casser le système de répartition, c'est évidemment aussi favoriser le développement
04:39 des fonds de pension.
04:40 Fonds de pension qui ont aussi très bien, sont aujourd'hui des actionnaires très
04:43 importants, notamment sur la place de Paris, du CAC 40.
04:47 Ce sont des fonds de pension qui font pression sur les entreprises pour dégager un maximum
04:52 de rentabilité financière et par là même qui accroissent aussi à la fois l'intensification
04:57 du travail, mais aussi l'exploitation de la nature et l'intersection des écosystèmes.
05:02 Il y a quand même une dernière problématique aussi sur cette réforme des retraites qui
05:05 peut vous intéresser.
05:07 C'est peut-être également le fait que les premiers concernés par la réduction de l'espérance
05:12 de vie sont aussi les populations les plus vulnérables, les classes populaires.
05:15 Et ça, justement, ces catégories-là, ces populations-là, elles ont une place importante
05:20 dans votre livre.
05:21 Oui, absolument.
05:22 Mais du fait aussi que les problèmes écologiques, malheureusement, touchent les populations
05:29 les plus vulnérables et que, ce que nous disions, les responsabilités sont inégalement
05:33 partagées.
05:34 Ce sont les plus dominants sur le plan économique et sur le plan politique qui provoquent des
05:38 inégalités et les populations les plus vulnérables qui les subissent de plein fouet.
05:43 Et en effet, les populations les plus vulnérables, les populations aussi les plus exposées à
05:49 des problèmes environnementaux, tout ce qui est lié à la santé environnementale notamment,
05:53 entre autres.
05:54 Aux pollutions industrielles notamment, par exemple.
05:57 Vous avez le cas de Lubrizol que vous détaillez notamment dans le livre.
06:01 En fait, finalement, si je résume bien, c'est le titre de votre livre, c'est-à-dire "Lier
06:06 le vivant et le social".
06:08 Oui, complètement.
06:09 Peut-être que du reste, on peut préciser.
06:12 C'est vrai que c'est sans doute l'une des grandes innovations de ce livre, c'est
06:18 d'articuler le vivant et le social sur quatre plans.
06:22 À la fois sur le plan des thématiques qui sont abordées, puisqu'on parle de coféminisme,
06:26 de racisme environnemental, plein de choses qui sont habituellement dissociées.
06:30 Ensuite, c'est sur le plan du dialogue entre les sciences sociales et les sciences du vivant.
06:33 Et puis ensuite, c'est sur la question aussi d'une remise en question des dominations,
06:41 mais d'une manière élargie.
06:42 C'est qu'on prend en compte ici, pas simplement l'ensemble des dominations sociales, mais
06:47 aussi les dominations sociales, les dominations humaines sur le vivant.
06:51 Et donc, on essaie d'articuler toutes ces dominations.
06:53 Et puis, sur un quatrième plan, ce livre aussi essaie d'esquisser toute une série
06:57 de perspectives pour s'en sortir.
06:59 Et parmi les perspectives, il y a bien l'idée de porter des politiques publiques, de porter
07:02 aussi des coalitions, précisément, qui permettent de fédérer le social et le vivant.
07:07 L'objectif, on a un peu tendance dans le débat public, parfois, à compartimenter,
07:11 voire à opposer de façon un peu artificielle, à mon sens, les porte-voix qui souhaitent
07:16 donner des droits aux vivants non humains.
07:18 Et puis, toutes les questions des inégalités environnementales.
07:21 Et d'après nous, il n'y a pas forcément lieu de les opposer, mais au contraire, de
07:24 les faire dialoguer et d'en montrer la complémentarité.
07:27 C'est-à-dire qu'il faut croiser tous ces regards, peut-être qu'en fait, tous ces
07:30 regards qui sont abordés de façon très différente, finalement, convergent toutes
07:34 vers un même point.
07:35 Parce qu'on parle d'écologie, mais finalement, on ne parle pas que d'écologie.
07:39 On parle là aussi de luttes sociales, de luttes contre le capitalisme, de colonialisme,
07:44 de patriarcat.
07:45 Des luttes qui, au premier abord, ne se rencontrent pas forcément.
07:49 Mais vous, vous les faites rencontrer parce que vous dites finalement qu'elles vont
07:51 toutes dans la même direction.
07:52 Oui, on doit aller vers l'émancipation, l'émancipation individuelle et l'émancipation
07:56 collective.
07:57 Et ça, ça passe par une plus grande solidarité, que ce soit envers les autres groupes sociaux,
08:04 envers l'ensemble de la population, mais également envers les écosystèmes et tout
08:09 le vivant non humain, les différents animaux, etc.
08:12 Notamment parce qu'il y a des responsabilités et des vulnérabilités inégales dans cette
08:17 situation.
08:18 Absolument.
08:19 On écrit ça à un moment donné, que des responsabilités inégales fabriquent des
08:22 vulnérabilités inégales.
08:23 Et donc, il n'y a pas, si vous voulez, une seule grande question écologique qui ne soit
08:27 pas directement enchevêtrée avec des rapports de domination.
08:30 Et je pense d'ailleurs que toutes les personnes qui aujourd'hui parlent d'écologie, mais
08:35 sans faire le lien avec la critique des différentes formes d'exploitation et de domination, ça
08:40 relève pour moi d'une forme de charlatanisme technocratique, si vous voulez, de penser
08:44 qu'on peut s'en sortir, s'en remettre en cause des rapports de domination.
08:47 Si je prends un exemple, il pourrait y en avoir mille en fait, sur la question climatique,
08:52 c'est bien des rapports de domination qui sont engagés, puisque qui est responsable
08:57 de la dérive du climat ?
08:58 Il y a d'abord une responsabilité historique des pays les plus riches, si vous voulez,
09:02 qui ont une dette écologique vis-à-vis des autres.
09:04 Vous avez aussi une responsabilité particulière des grandes firmes aujourd'hui, des industries
09:09 fossiles.
09:10 Il y a aussi une responsabilité des milieux ou des groupes sociaux les plus favorisés,
09:14 à la fois parce que par leur mode de vie, de consommation, ils contribuent beaucoup
09:18 plus à l'empreinte climatique, mais aussi parce que par le patrimoine qu'ils détiennent,
09:23 ils sont très directement responsables des pollutions en cours.
09:27 On pourrait développer l'analyse sur l'ensemble des problèmes écologiques aujourd'hui,
09:32 mais chaque fois, effectivement, c'est toujours enchevêtré avec des rapports de domination.
09:37 Ce qui veut dire aussi que pour résoudre ces grandes crises écologiques, il faudra
09:41 assumer une forme de conflictualité avec des intérêts dominants très divers d'ailleurs.
09:45 Il y a un des contributeurs de l'ouvrage, le journaliste Michael Correa, qui parle de
09:50 criminels climatiques.
09:51 Oui, tout à fait, à propos des grandes entreprises fossiles, du pétrole.
09:57 Je te rejoins complètement, Philippe.
10:00 Une des idées fortes de cet ouvrage, c'est vraiment de repolitiser la question écologique
10:07 et ne pas en faire une question uniquement technique, technocratique ou qui n'appartiendra
10:10 qu'à quelques-uns, mais vraiment que chacun, chacune puisse s'en emparer et définir
10:16 un horizon souhaitable.
10:17 Avec ce que j'entends de ce que vous dites, il y a quand même un aspect très important
10:22 qui ressort.
10:23 Vous parlez beaucoup de système de domination.
10:26 Une lecture qui domine, notamment, c'est une lecture de classe par certains aspects,
10:32 notamment quand vous parlez des aspects structurants.
10:34 En fait, finalement, la question de la responsabilité, on le dit à l'instant avec la question
10:39 notamment des criminels climatiques, etc.
10:41 Elle pose l'enjeu, notamment en termes sociaux et en termes de classe.
10:45 Oui, en termes de classe, bien sûr.
10:47 On l'a évoqué tout à l'heure à propos du système de retraite, mais pas uniquement
10:52 en termes de classe.
10:53 C'est-à-dire que les problèmes environnementaux, d'après nous, doivent se lire d'après
10:57 une perspective intersectionnelle, c'est-à-dire que bien sûr, il y a des rapports de classe,
11:02 mais aussi des rapports de race et des rapports de genre.
11:04 C'est-à-dire qu'on imbrique l'écologie avec la question de la race, de la classe,
11:10 du genre et tout ça, finalement, forme quelque chose de cohérent.
11:13 Oui, absolument, tout à fait.
11:15 Parce que les problèmes écologiques ne se situent pas uniquement d'un point de vue
11:19 strictement économique, mais également d'un point de vue spatial et également d'un
11:25 point de vue spatial.
11:26 J'entends par exemple dans les villes, certains quartiers les plus défavorisés vont être
11:32 plus affectés par les usines polluantes.
11:35 C'est comme ça qu'est né le mouvement de la justice environnementale aux États-Unis
11:38 dans les années 1980.
11:39 C'est cette perspective aussi qui anime cet ouvrage.
11:44 C'est bien de rappeler que les enjeux de justice environnementaux se lisent aussi dans
11:50 le cadre de rapports intersectionnels.
11:53 Et qu'est-ce qui se passe si on ne le fait pas ? Est-ce qu'on peut comprendre l'écologie
11:59 sans intersectionnalité ? Qu'est-ce qui se passe si on décide de mettre en place
12:02 un projet sans le prendre en compte ?
12:04 Concrètement, non, et tout faux ?
12:06 Je pense qu'on passerait à côté de la réalité vécue par plein de gens.
12:11 On est dans des sociétés qui sont aussi très différenciées.
12:14 Il y a à la fois aujourd'hui des très grandes crises écologiques qui sont au niveau macro,
12:22 au niveau mondial.
12:23 Et en même temps, la manière de les vivre ou de les subir varie énormément selon le
12:27 groupe social auquel vous appartenez.
12:29 Il importe aujourd'hui de préciser et d'expister bien les choses, de voir qui est concerné
12:34 par quoi, si on veut.
12:35 Si on prend un exemple peut-être plus concret, le livre parle de la question du racisme environnemental
12:40 que Clémence évoquait à l'instant.
12:42 Il y a un auteur du livre, William Acker, qui a fait une enquête vraiment très passionnante
12:47 en France.
12:48 Il a regardé ce qu'on appelle les aires d'accueil, très mal nommées d'ailleurs,
12:52 qui sont réservées aux gens dits du voyage.
12:54 On va les appeler les voyageurs.
12:55 Et donc, il a fait l'étude partout en France.
12:57 Il a examiné quels étaient les endroits où ces personnes étaient donc "accueillies".
13:00 Et il s'est rendu compte en fait que systématiquement, ces endroits étaient des endroits vraiment
13:06 très, très dégradés du point de vue environnemental, extrêmement pollués.
13:09 Et donc, c'est bien un exemple très, très clair, très précis d'une forme de racisme
13:15 environnemental, c'est-à-dire des personnes qui sont ethnicisées, qui sont assignées,
13:21 si on veut, à une identité, et bien subissent une discrimination particulière.
13:26 Et ici, une discrimination sur le plan écologique.
13:28 On mentionnait tout à l'heure, par exemple, le brisol, justement, en disant qu'il y
13:32 avait des populations plus vulnérables que d'autres et plus exposées aux pollutions.
13:35 Mais là, concrètement, on a eu un cas avec le brisol où il y avait justement une aire
13:38 des gens du voyage à côté de l'usine qui ont été les derniers prévenus finalement
13:43 au moment de la catastrophe.
13:44 Mais justement, par rapport à ça, parce que finalement, dans le livre, sur cette question
13:49 de l'intersectionnalité, vous parlez d'écoféminisme, vous parlez d'écologie décoloniale, vous
13:56 parlez aussi d'écologie populaire.
13:57 Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Ce n'est pas forcément les termes, en
14:03 tout cas, les plus courants quand on parle d'écologie de façon générale.
14:06 Mais concrètement, qu'est-ce que c'est ?
14:09 Concrètement, ça veut dire donner des outils, des façons de penser pour permettre à chacun
14:15 et chacune de prendre conscience de ces rapports de domination et du fait que parce qu'en
14:21 raison de son genre, en raison de sa race, en raison de sa classe, on vit de façon plus
14:26 forte et de façon violente les problèmes écologiques.
14:32 Et c'est donc en fait une façon d'avoir une certaine réflexivité et de pouvoir prendre
14:37 le pouvoir d'une façon ou d'une autre et de rebasculer les rapports de domination.
14:41 Alors, ça peut paraître un petit peu abstrait dit comme ça, mais prendre conscience que
14:47 le patriarcat domine à la fois la nature et domine les femmes.
14:54 C'est une façon pour les femmes de reprendre le pouvoir et de se rendre compte que toutes
15:00 les qualités qui sont liées à leur socialisation et notamment tout ce qui est lié au prendre
15:03 soin d'eux, qui a souvent été dévalorisé dans le débat, dans les politiques, dans
15:09 le discours, peut être en fait un point très, très fort pour résoudre la crise écologique,
15:14 notamment du fait de prendre soin des autres et prendre soin de son environnement, de la
15:18 nature des écosystèmes.
15:19 C'est-à-dire qu'en fait, étudier les saccages écologiques, les comprendre, c'est
15:24 aussi forcément étudier le capitalisme et le patriarcat.
15:28 Ça passe forcément par cette étape.
15:29 D'ailleurs, dans le livre, il y a des auteurs qui disent qu'ils préfèrent utiliser le
15:34 terme de capitalocène plutôt que d'anthropocène.
15:37 C'est justement dans cette perspective-là.
15:38 Il y a beaucoup de récits qui existent, des catastrophes auxquelles aujourd'hui nous
15:43 sommes confrontés.
15:44 Alors effectivement, beaucoup d'auteurs pointent la responsabilité d'un système particulier
15:48 historique, qui est le capitalisme.
15:50 Mais le capitalisme qui du reste avait aussi une dimension, dès sa naissance finalement,
15:54 une dimension coloniale.
15:55 Vous avez évoqué la question aussi de l'écologie décoloniale du coup.
16:00 Effectivement, le capitalisme s'est développé aussi à partir de l'exploitation des personnes
16:05 colonisées et des milieux qui les enveloppaient et d'un pillage des ressources.
16:09 Aujourd'hui, par exemple, le développement du système des plantations est vraiment une
16:14 caractéristique du productivisme colonial, où il y avait à la fois une très forte
16:19 exploitation des peuples autochtones, mais aussi une destruction de la biodiversité.
16:24 Et aujourd'hui, il y a encore plus que des traces de cette histoire-là.
16:28 Elle est encore malheureusement en partie vivante quand on voit ce qui s'est passé
16:31 dans les Antilles récemment.
16:32 Vous connaissez l'affaire du chlordécone, une population quasiment entièrement empoisonnée.
16:39 Avec des pathologies, des cancers qui se sont multipliés.
16:43 Tout ça est très lié aussi à l'histoire coloniale.
16:46 Malheureusement, l'État français, qui est quand même très impliqué aussi dans cette
16:51 catastrophe sanitaire, il y a un non-lieu qui vient de lui être accordé, ce qui est
16:57 évidemment très contestable.
16:58 Ce sont les plantations, mais ce sont aussi peut-être les sujets liés à l'extractivisme
17:04 qui est un enjeu central également quand on parle d'écologie décoloniale.
17:08 Oui, absolument.
17:09 Parce que dans les grandes dévastations écologiques qui aujourd'hui se multiplient, interagissent
17:17 entre elles, s'accélèrent également.
17:18 On a évoqué la question de la biodiversité, on a évoqué aussi la question du climat,
17:22 mais il y a aussi le problème aujourd'hui de l'épuisement de toute une série de ressources.
17:27 Et donc l'extractivisme dont vous parlez, effectivement, la prise de possession des
17:32 matières dans les sols et dans les sous-sols fait partie des grands problèmes.
17:36 On n'a pas pour l'instant évoqué la question des perspectives pour s'en sortir, mais parmi
17:42 toutes les issues plus favorables qui sont esquissées par le livre, il y a aussi une
17:48 mise en cause effectivement de l'extractivisme.
17:50 Et donc ça pose aussi sans doute la nécessité d'un modèle aussi aujourd'hui économique,
17:59 un modèle de production et de consommation qui économise les ressources, d'une économie
18:04 beaucoup plus économe.
18:05 Je voudrais juste revenir sur l'idée de capitalocène que vous avez évoquée, le
18:10 fait qu'effectivement dans l'ouvrage, le terme est porté par des contributeurs et
18:15 des contributrices.
18:16 Je voudrais aussi insister sur l'idée qu'une des idées de l'ouvrage, une des ambitions,
18:22 ce n'est pas qu'un terme ait plus d'importance que l'autre, mais bien de comprendre que les
18:26 crises écologiques se comprennent à travers le récit de l'anthropocène, du capitalocène,
18:31 de l'androcène et aussi du plantationocène.
18:34 Vraiment essayer de voir qu'il n'y a pas un processus qui serait monocausal, mais bien
18:38 essayer de voir dans toutes leurs dimensions les crises écologiques et les catastrophes.
18:42 Ça signifie aussi que si on veut pouvoir écrire un projet, en tout cas le penser,
18:48 on est obligé d'abord de passer par une remise en cause de ces systèmes, notamment
18:53 du capitalisme.
18:54 Oui, absolument, tout à fait.
18:56 C'est évident que les systèmes capitalistes, qui sont assez pluriels, les systèmes capitalistes
19:04 sont un des principaux problèmes, tout à fait, absolument, si ce n'est le principal.
19:09 Mais les capitalismes sont liés à des logiques de domination qui sont liées à la colonisation,
19:15 au patriarcat notamment.
19:17 Je reviens un petit peu sur ces mouvements d'écoféminisme, d'écologie décoloniale,
19:23 des mouvements sociaux qui parlent aussi d'écologie, etc.
19:25 Est-ce que c'est facile de les faire se rencontrer ? Parce que l'objectif, j'imagine,
19:30 c'est de faire rencontrer des mouvements aussi qui avancent, pas forcément ensemble,
19:35 mais en parallèle.
19:36 Là, l'idée, c'était également, je pense, peut-être de les faire dialoguer, dialoguer
19:40 toutes ces réflexions, croiser les débats.
19:42 Oui, absolument.
19:43 Vous l'avez dit, il y a 70 auteurs et autrices dans cet ouvrage.
19:48 Ils viennent de disciplines différentes.
19:51 Vous avez beaucoup de scientifiques, des deux rives, si je puis dire, des scientifiques
19:55 des sciences de la terre et du vivant, des scientifiques plutôt des sciences sociales.
19:59 Vous avez aussi des philosophes, vous avez aussi des journalistes.
20:02 Et puis, il y a y compris dans cet ouvrage une dimension presque intergénérationnelle.
20:06 On le voit un petit peu aujourd'hui sur le plateau.
20:07 Mais ce qu'il y a de commun parmi toutes ces personnes, c'est effectivement d'être
20:12 inscrite, en tout cas d'être très, très sensible à toutes les dimensions des écologies
20:17 contemporaines.
20:18 Et à travers cet ouvrage, il s'agissait évidemment de produire quelque chose qui
20:24 permettait de partager des connaissances.
20:26 Aujourd'hui, ce livre, évidemment, c'est un livre d'intervention.
20:30 C'est un livre qui est fait pour comprendre, puis un livre qui est fait pour agir.
20:33 Un livre fait aussi pour composer des mondes nouveaux.
20:35 Mais il s'agissait aussi d'esquisser sans doute des formes de coalitions nouvelles,
20:40 parce que dans les quelques lueurs d'espoir qu'on pourrait avoir dans cette période
20:44 de métamorphose qui est vraiment très, très particulière, il y a sans doute l'idée
20:50 que les catastrophes et les défastations en cours permettent sans doute de penser des
20:57 coalitions inédites, des grands rassemblements en fait, et peut-être aussi un nouvel horizon
21:02 émancipateur.
21:03 D'où l'intérêt, effectivement, comme vous le soulignez, de mettre en dialogue
21:06 aujourd'hui plein de chercheurs, d'activistes aussi, ou de journalistes qui ont des préoccupations
21:15 communes.
21:16 Oui, en fait, chaque personne a une pierre à apporter à l'édifice, si on peut estimer
21:22 que l'édifice c'est le changement que l'on va construire ensemble, et que ce soit
21:25 par sa discipline, les jumelles par lesquelles on regarde le monde, ou par les mots qu'on
21:33 va proposer, ou par l'action qu'on va mener.
21:36 Tout ça, c'est très complémentaire, bien sûr, et c'est totalement nécessaire de
21:40 mettre en dialogue toutes ces personnes.
21:42 C'est ce qu'on a essayé de faire dans l'ouvrage.
21:43 Pour une nouvelle culture scientifique ?
21:45 Pour une nouvelle culture scientifique et politique.
21:47 Il y avait une tradition dans le débat public en France, c'est que depuis l'affaire
21:53 Dreyfus, le débat public était plutôt occupé par ce qu'on appelle des intellectuels,
21:58 mais qui étaient plutôt des littéraires, des philosophes ou des gens formés aux sciences
22:02 sociales.
22:03 Et depuis quelques années, désormais, ce sont beaucoup de savants issus des sciences
22:09 de la terre, des sciences du vivant, qui prennent la parole.
22:12 Ils prennent la parole pour pointer les urgences aujourd'hui.
22:16 Ils prennent la parole à la fois au nom des compétences qu'ils ont acquises et au nom
22:20 également, et aussi au titre de citoyens ou de citoyennes.
22:23 Et donc dans ce livre, il s'agissait aussi finalement de jeter des passerelles entre
22:30 ces différents mondes scientifiques.
22:32 Parce que là encore, les sciences sociales se sont constituées en se détachant des
22:37 sciences dites de la nature, mais aujourd'hui, les sciences sociales sont interpellées parce
22:43 que expliquer les faits sociaux par des faits sociaux, c'est important, c'est très,
22:48 très riche.
22:49 On a produit beaucoup de connaissances comme ça, mais désormais, les sciences sociales
22:53 sont interpellées aussi parce qu'on leur dit finalement, mais alors qu'est-ce que
22:57 vous faites ? Qu'est-ce que les sciences sociales font du reste du vivant, du vivant
23:01 qui englobe les sociétés humaines ? Et donc, d'où l'intérêt aussi de ce dialogue
23:05 qu'on essaie de nouer dans ce livre, dans cet ouvrage, entre les sciences sociales
23:09 et les sciences du vivant ?
23:10 Peut-être aussi parce que les sciences servent de socle finalement aussi pour élaborer derrière,
23:16 comme guide des politiques publiques.
23:18 Oui, absolument.
23:19 En fait, on ne peut pas définir un projet politique si on n'a pas d'abord mené des
23:23 analyses rigoureuses qui permettent d'identifier les processus destructeurs et d'identifier
23:27 les rapports de domination.
23:28 Donc, la science et la politique sont totalement complémentaires.
23:32 D'autant qu'on a besoin aussi, parce qu'on parle d'écologie, on est souvent là dans
23:37 les sciences du vivant d'abord, mais ce qu'on observe aussi, c'est que finalement, on ne
23:41 peut pas se passer des sciences humaines pour comprendre, par exemple, pour appréhender
23:45 les conséquences finalement sur les sociétés humaines.
23:48 On le voit par exemple avec le cas de l'eau, c'est très bien démontré, expliqué dans
23:53 le livre avec une contribution qui montre justement, par exemple, qui interroge la question de
23:58 la guerre de l'eau, en disant peut-être qu'il n'y en aura pas, mais en tout cas, qui interroge
24:02 ce point de vue.
24:03 On voit vraiment l'importance des sciences humaines.
24:05 Oui, tout à fait.
24:06 C'est un ouvrage, si vous voulez.
24:08 Là, je pense que sous ce rapport, c'est relativement inédit, qui rassemble des climatologues,
24:13 des hydrologues, des biologistes, des physiciens, beaucoup de physiciens, et puis aussi des
24:18 sociologues, des historiens, des géographes, des urbanistes.
24:20 Et donc, on n'a pas l'habitude de ce dialogue-là entre scientifiques.
24:24 Alors, on n'est pas non plus, comment dire, totalement naïfs.
24:29 C'est-à-dire qu'on sait bien que les énoncés scientifiques ne sont pas des vérités absolues.
24:34 Ce sont des énoncés qui sont vrais, si on veut, jusqu'à preuve du contraire.
24:38 Mais comme ces énoncés sont produits dans des champs scientifiques, ils sont soumis
24:43 à un débat rationnel, ils sont soumis à la critique, ils ont un degré de vraisemblance
24:47 plus important, si on veut, que des énoncés ordinaires.
24:51 Et à ce titre, on pense que dans le contexte actuel, c'est fondamental de partager ces
24:56 connaissances, de faire en sorte qu'elles soient démocratisées, appropriées par le
24:59 plus grand nombre.
25:00 Alors certes, pour orienter les politiques publiques, mais aussi pour que les citoyens
25:04 s'emparent finalement de toutes ces grandes questions.
25:07 Alors, peut-être une nuance à apporter, c'est-à-dire que diffuser ces connaissances
25:12 et savoirs scientifiques, les vulgariser, ça ne veut pas dire pour autant que c'est
25:15 le seul type de connaissance qui est digne et valide.
25:17 Il y a aussi dans le domaine de l'écologie, beaucoup de savoirs pratiques, de savoirs
25:22 populaires, si on veut.
25:23 La connaissance, par exemple, du milieu, du rythme des saisons, de plein de choses
25:29 que les gens, dans leur expérience et dans les connaissances qui sont transmises en eux,
25:34 ce type de connaissances a aussi sa validité et a aussi sa dignité.
25:38 Donc, tout l'enjeu, c'est d'arriver à diffuser les connaissances scientifiques
25:43 sans disqualifier les autres, mais en les articulant au contraire, ensemble.
25:46 On peut lire que finalement, toutes ces rencontres, tous ces acteurs, toutes ces discussions,
25:53 elles peuvent aussi constituer un foyer de résistance et de contre-pouvoir pour une
25:57 écologie populaire.
25:59 Mais vous avez abordé toutes les problématiques finalement, quasiment toutes les problématiques
26:02 écologiques, que ça va de l'agriculture au nucléaire, en passant par les énergies
26:07 fossiles et les espèces invasives.
26:08 Du coup, la question que je me pose, c'est cet état des lieux, est-ce qu'ils sont
26:13 objectifs finalement, parce que vous parlez de foyer de résistance et de contre-pouvoir,
26:18 son objectif serait de nous amener vers une vision politique ? On a besoin d'en voir
26:22 tous les aspects pour y répondre.
26:24 Et donc finalement, c'est un livre très politique qui cherche à construire aussi
26:28 un projet.
26:29 C'est un livre très politique pour plusieurs raisons.
26:32 Déjà parce qu'on n'a plus le choix.
26:34 Je pense qu'on est tous et toutes gagnés par une éco-anxiété qui est de plus en
26:40 plus présente et qui ne doit pas être démobilisatrice.
26:44 Justement, cette éco-anxiété largement partagée doit nous amener à construire ensemble
26:49 un projet.
26:50 On ne peut pas chacun rester dans son coin comme ça.
26:52 Parce que la catastrophe écologique est un sujet politique.
26:55 La catastrophe écologique est un sujet politique puisque justement, ce que montre l'ouvrage,
26:59 c'est qu'on peut identifier différents processus sociaux, différents processus
27:03 économiques.
27:04 On peut identifier des responsables de ces catastrophes écologiques et donc un moyen
27:08 de les endiguer.
27:10 Malheureusement, il y a des effets d'emballement.
27:12 Je ne sais pas si on arrivera à les arrêter totalement.
27:14 Mais un moyen de les endiguer, de minimiser, de réduire les catastrophes en cours, c'est
27:19 de lutter collectivement.
27:21 Et donc, bien sûr, bien sûr que cet ouvrage est politique.
27:23 C'est aussi une critique très acerbe de la politique française.
27:26 De la politique telle qu'elle est conduite aujourd'hui, oui, bien sûr.
27:29 On a une vision sans doute assez fausse de ce que c'est qu'un État.
27:32 Il faudrait voir l'État comme un endroit où il y a aussi une dimension sociale.
27:37 Et un État social, ça existe, même si aujourd'hui il est menacé.
27:40 Mais un État, c'est aussi un lieu souvent de coordination de toute une série de dominations.
27:45 Dans chaque secteur de l'État, en France, vous avez des intérêts dominants qui influencent
27:51 beaucoup les politiques publiques.
27:52 Si on pense par exemple à la politique agricole en France, elle est très directement influencée
27:57 depuis longtemps par le complexe agro-industriel.
28:00 Si on pense à la politique énergétique, elle est très directement influencée depuis
28:03 longtemps par le lobby nucléaire.
28:05 Si on pense à la politique des transports, elle est très directement influencée depuis
28:09 longtemps par les lobbys autoroutiers et l'automobile.
28:12 Et donc, si on veut faire une politique écologique, ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui,
28:16 la politique d'Emmanuel Macron, au contraire, est une politique très complaisante avec tous
28:21 ses intérêts de lobbyistes, de groupes de pression, eh bien il faut aussi tisser des
28:29 alliances, par exemple avec la petite paysannerie, avec plein de secteurs sociaux, qui permettent
28:34 aussi d'affronter ces intérêts dominants.
28:36 Dire que chacun et chacune doit s'emparer de la question écologique ne veut pas dire
28:42 que chacun et chacune a la même capacité à renverser les processus en cours.
28:48 Et bien entendu, l'État a un rôle essentiel à jouer.
28:51 Et même si on voit qu'il y a des mouvements, des questions qui traversent par exemple un
28:56 ensemble de fonctionnaires aujourd'hui, qui s'interrogent sur comment agir au sein
29:00 de l'État.
29:01 Il y a des choses qui sont en train de se produire, mais on apparaît tellement en retard
29:06 à côté de ce qui est en train de se passer qu'on espère faire bouger les lignes un
29:10 peu plus activement.
29:12 Et si justement les causes sont structurelles, les solutions elles également sont structurantes,
29:18 c'est également la question de la planification qu'il faut poser aujourd'hui ?
29:22 En conclusion de l'ouvrage, on a esquissé plusieurs orientations possibles, qui ne sont
29:29 pas les nôtres spécifiquement, c'est plutôt celles qui émergeaient à travers cette pluralité
29:33 d'interventions.
29:34 Parce que ce livre n'est pas un livre qui défend une ligne unique et totalement homogène,
29:41 c'est plutôt un espace de débat à la fois intellectuel et politique qui est émergeant
29:45 aujourd'hui.
29:46 Et donc parmi les pistes pour s'en sortir, si on veut, les auteurs et les autrices ont
29:50 développé à peu près quatre points de vue.
29:53 Il y a un premier point de vue aujourd'hui qui met beaucoup l'accent sur le fait qu'il
29:56 faut transformer très profondément nos représentations, notre façon de voir le vivant non humain.
30:03 Là-dessus, on a beaucoup à apprendre sans doute aussi des peuples autochtones.
30:08 Vous transformez les rapports entre humains et non humains en fait.
30:11 Oui, y compris dans notre sensibilité, dans la façon de vivre avec les existants non
30:18 humains.
30:19 Il y a une deuxième perspective qui était celle développée par beaucoup d'auteurs
30:22 aussi qui est plutôt celle de la décroître, démétaliser, dénumériser.
30:27 L'idée qu'il faut réduire de manière très rapide, générale, l'empreinte écologique
30:35 qui est la nôtre, mais le faire d'une manière qui soit socialement acceptable.
30:39 C'est la question de la sobriété.
30:40 Oui, une sobriété, mais une sobriété qui soit, si on veut, juste.
30:44 Liée à la répartition des richesses.
30:46 Absolument, liée à la répartition des richesses.
30:48 Puis il y a une troisième piste qui est plus celle du coup de la socialisation, de la planification.
30:54 Bon là, en creux, c'est l'idée de dire aussi que si on veut réorienter profondément
31:03 le mode de production dominant, parce que c'est bien une sorte de révolution écologique
31:06 qu'il faut, on en a bien aujourd'hui, il faut aussi revoir les formes de propriété,
31:11 sans doute privilégier des formes de propriété collective, coopérative, différentes formes
31:16 de socialisation.
31:17 Et puis, quatrième stratégie, si on veut, aujourd'hui dans la mouvemence écologiste,
31:22 il y a aussi des franges aujourd'hui de plus en plus actives, de plus en plus nombreuses,
31:27 qui préconisent plutôt une intervention en dehors de l'État, sous la forme de l'auto-organisation,
31:32 sous la forme des ZAD, et on voit se développer, et on comprend bien les raisons, c'est aussi
31:37 légitime, des formes de désobéissance civile, voire même aujourd'hui de sabotage.
31:41 Alors, notre point de vue, c'est que ces quatre manières d'envisager une politique
31:48 écologique ne sont pas nécessairement incompatibles entre elles.
31:51 Ce livre aussi essaie en tout cas d'œuvrer pour que ces manières d'agir et ces manières
31:58 de lutter puissent se compléter.
32:00 Je reviens sur la question de la planification, mais finalement, il y en a déjà aujourd'hui
32:04 de la planification, il y a même au commissariat la planification, et de la planification,
32:10 il y en a eu beaucoup après la Seconde Guerre.
32:12 Vous, vous parlez de socialisation, justement, c'est peut-être en rupture avec ces planifications-là,
32:17 parce que peut-être il y a des critiques aujourd'hui qui émergent, on le voit à gauche, sur le
32:22 fait de planifier, mais sans remettre en cause la question de la propriété privée.
32:26 Oui, une véritable planification écologique, elle devrait d'abord être élaborée de
32:33 la manière la plus démocratique qui soit.
32:35 Il faudrait aussi que toutes ces grandes questions soient débattues à la base, si on veut, et
32:40 qu'on y associe les collectivités locales, les citoyens, mais aussi le monde du travail.
32:45 J'ai fait un papier dans le livre sur la place du syndicalisme dans la bifurcation
32:51 écologique.
32:52 Je pense qu'on l'ignore trop souvent, mais on ne fera pas de bifurcation écologique
32:57 sans le monde du travail.
32:58 Vous dites que le mouvement ouvrier, le syndicalisme, doit s'emparer de ces sujets pour transformer
33:03 le travail et les modes de production.
33:05 Absolument, il doit faire sa mue écologique.
33:06 Il y a un syndicat en France qui l'a fait, mais qui est un syndicat plutôt de petits
33:09 producteurs indépendants, c'est la Confédération Paysanne.
33:12 Mais le syndicalisme des salariés doit aussi bouger.
33:15 Il doit aussi prendre en charge la question de qu'est-ce qu'on produit, avec quel impact
33:20 sur l'environnement, et pour répondre à quel type de besoin.
33:23 Les milieux politiques ne plus jamais ça, c'est peut-être un petit plan en route.
33:26 Oui, tout à fait.
33:27 Il y a des avancées en ce sens, c'est vrai.
33:29 Et puis, une planification écologique, c'est ce qu'on disait tout à l'heure, c'est
33:32 que elle devrait aussi nécessairement se confronter aussi à des intérêts dominants.
33:37 Ça ne peut pas être simplement une planification où on compose avec tous ces grands intérêts
33:43 aujourd'hui, ces grandes forces qui sont en train de détruire le vivant.
33:46 Il y a une part de volontarisme qui serait ici indispensable, y compris en assumant
33:51 la part de conflectualité qu'il faut avoir vis-à-vis de ces grands groupes qui sont
33:59 écocides.
34:00 Effectivement, le gouvernement s'est aujourd'hui emparé de la question de la planification,
34:04 mais la planification écologique sans rupture dans le système économique, si vraiment il
34:10 n'y a pas ce qu'on appelle la bifurcation, mais une volonté aussi de décroître et
34:15 de diminuer les inégalités, ça n'a pas de sens.
34:20 Tout le monde peut parler de planification, mais on n'y met pas forcément le même
34:22 projet politique derrière.
34:23 D'où le fait qu'on parlait par exemple de la réforme des retraites en début d'interview
34:27 finalement, on est dans ce modèle-là.
34:29 Vous avez aussi parlé de démocratie, de planification et de la démocratie, mais
34:34 vous écrivez dans votre conclusion qu'il faut l'émergence d'une démocratie écologique
34:39 ou écologiser la démocratie.
34:41 Je ne voyais pas forcément très bien la différence entre les deux.
34:44 Peut-être que vous pouvez m'expliquer ce que ça signifie.
34:47 L'idée d'écologiser la démocratie, c'est bien comprendre cette question des interdépendants,
34:53 c'est-à-dire comprendre que nos décisions et nos systèmes sociaux et politiques sont
34:58 interdépendants avec ce qu'on peut appeler les systèmes naturels, les écosystèmes,
35:01 les temporalités du vivant et l'urgence écologique.
35:03 C'est bien l'idée aussi de se dire qu'on ne peut pas prendre uniquement les décisions
35:10 entre humains avec des intérêts strictement humains.
35:13 Écologiser la démocratie, ça veut dire aussi prendre des décisions en protégeant
35:18 les écosystèmes, en reconnaissant aux vivants non humains une valeur d'existence et en
35:25 modifiant les temporalités de la décision.
35:28 Aujourd'hui, on a une forme d'inertie dans la décision face à une urgence écologique
35:32 très forte.
35:33 On est également confronté à cette urgence écologique, mais on doit aussi prendre en
35:38 compte le temps long de l'histoire du vivant et le temps long des dégradations environnementales.
35:44 On parlait tout à l'heure de l'affaire du chlordécone.
35:46 Il y a des pollutions dans les sols aujourd'hui qu'on n'arrive pas à effacer, si je puis
35:51 dire, et avec lesquelles on va devoir vivre pendant des siècles et des centaines d'années.
35:56 Ça, c'est agir collectivement et avec un dialogue le plus ouvert possible, mais en
36:03 prenant en compte toutes ces dimensions et pas uniquement les intérêts anthropocentrés.
36:06 Vous dites qu'il faut transformer les rapports entre humains et non humains.
36:11 Vous dites qu'il faut transformer le travail.
36:14 Finalement, il faut tout transformer.
36:15 Il faut même transformer notre rapport à la science, à la façon dont on fait rencontrer
36:21 les différentes disciplines scientifiques, etc.
36:23 Justement, pour conclure par rapport à ça, il s'agit aussi de transformer les imaginaires.
36:29 C'est ce que vous dites dans la conclusion de votre livre.
36:33 Il y a un des auteurs, Stéphane Laviniot, qui écrit « Des imaginaires et des modes
36:38 de vie super intersectionnels ». Comment on fait ? Comment ça se passe ? Comment changer
36:42 ces imaginaires ?
36:43 Il change déjà.
36:45 Il y a de grandes transformations aujourd'hui dans la société, notamment parmi les jeunes
36:50 générations.
36:51 Il y a aussi un débat intellectuel qui est passionnant.
36:54 L'anthropologie, celle de Philippe Descola, par exemple, nous a apporté beaucoup dans
36:58 la discussion parce que c'est vrai qu'on était souvent enfermés dans une pensée
37:03 très ancienne en Europe sur l'idée qu'il y avait une partition entre ce qu'on appelait
37:08 la nature et de l'autre côté, les sociétés humaines, la culture, qui avaient vocation
37:13 à surplomber, à dominer, qui étaient censées être au sommet d'une supposée hiérarchie
37:21 du vivant.
37:22 Tout ça aujourd'hui est profondément remis en cause.
37:25 Vous parlez d'ailleurs des peuples autochtones dans l'ouvrage.
37:28 Oui, dont on a aussi beaucoup à prendre.
37:30 Mais on a aussi beaucoup à prendre de plein de gens dans la société française.
37:35 Les rapports aux vivants non humains sont aussi multiples, y compris dans la petite
37:42 paysannerie, y compris chez des gens qui sont des naturalistes.
37:45 Ils ont aussi une connaissance très importante.
37:47 Là où on fait une tentative qui est un petit peu audacieuse, c'est qu'on dit qu'il
37:54 faut à la fois s'ouvrir aux non humains, remettre en cause cette amputation de la sensibilité
38:04 à la nature, mais en même temps, tout en évitant des formes d'ethnocentrisme social.
38:13 Je vais prendre un exemple un peu provocateur.
38:15 C'est l'exemple de la chasse.
38:17 C'est un débat qu'on n'a pas complètement abordé dans le livre, si vous voulez.
38:22 Mais paradoxalement, il peut y avoir, au moins chez une frange de la petite chasse,
38:27 petite chasse paysanne, etc., il peut y avoir des gens qui, paradoxalement, ont une très
38:32 grande sensibilité et une très grande connaissance du vivant non humain.
38:37 Et ces personnes sont parfois stigmatisées par des groupes sociaux plus « cultivés »,
38:48 plus diplômés, plus urbains, qui auront tendance à projeter sur ces petits chasseurs
38:56 des formes de mépris social.
38:58 Et donc, toute la difficulté, si vous voulez, c'est justement de prendre en compte aussi
39:02 toute cette diversité et de bien ne pas indignifier les personnes.
39:07 Voir la pluralité des expériences, la pluralité des manières d'être.
39:11 Vous parlez de changement des imaginaires.
39:13 Je pense aussi que le changement des imaginaires est déjà en cours et je reste bluffée quand
39:21 je vois les étudiants et les étudiantes à qui j'enseigne, quand je vois en fait
39:26 que ils et elles sont beaucoup plus avancés que nous.
39:30 Et ce changement d'imaginaire, ils l'ont profondément antériorisé.
39:33 Et je crois beaucoup aussi dans le fait que les générations qui viennent, qui ont beaucoup
39:39 mieux compris, je pense, que beaucoup d'autres, les catastrophes et la nécessité de changer,
39:45 qu'elles porteront aussi ce changement.
39:47 Ça va assez vite, parce que la catastrophe, elle est déjà en cours.
39:51 La catastrophe est déjà en cours, certes, mais on n'a pas d'autre choix que de rester
39:55 mobilisés et de faire chacun et chacune du mieux possible.
39:59 Ce qui est clair, c'est que les politiques publiques ne vont pas assez vite.
40:03 Ça, on est bien d'accord.
40:04 On l'a dit, les dévastations sont multiples.
40:09 Elles interagissent entre elles, elles s'amplifient mutuellement et elles s'accélèrent aujourd'hui.
40:14 Et le livre commence par un très beau texte de Jean Jouzel, le climatologue, sur l'urgence
40:21 d'agir, où il explique comment, avec beaucoup de travail, beaucoup de conviction, les scientifiques
40:27 du GIEC sont parvenus à convaincre les gouvernements des enjeux, en tout cas les éclairer.
40:33 Mais l'action publique, globalement, n'a pas suivi.
40:36 Et donc, face aux crises auxquelles on est confrontés, mettre tous ces espoirs dans
40:46 une forme simplement de conversion spirituelle du plus grand nombre, je crois que ça serait
40:51 pas raisonnable.
40:53 Cette évolution des manières de penser, de la représentation est indispensable, elle
40:59 est déjà en cours, Clémence le disait.
41:02 Mais il faut aussi sans doute assumer l'action aujourd'hui, y compris l'action qui paralyse
41:09 en tout cas les forces qui aujourd'hui sont en train de détruire le vivant.
41:14 Donc il y a aussi une place dans ce livre très importante qui est donnée aux gens
41:22 qui sont vraiment dans l'action.
41:23 Il y a plusieurs animateurs, animatrices d'ONG qui expliquent leur manière aussi de lutter.
41:29 Vous parlez de Jean Jouzel, qui était un scientifique membre du GIEC, le GIEC qui a
41:36 alerté les gouvernements, qui a alerté notamment les présidences françaises.
41:40 Pourtant ça n'a pas empêché le président de la République de poser la question qui
41:45 aurait pu prédire la crise qu'on est en train de vivre.
41:47 Je vous remercie Clémence Guimond, Philippe Boursier, je le rappelle vous avez écrit
41:52 ce livre "Écologie, le vivant et le social".
41:55 Merci d'être venu sur le plateau du Média.
41:58 Je le rappelle pour ceux qui nous regardent et peut-être voudraient plutôt nous écouter,
42:03 ces entretiens sont également disponibles sous forme de podcasts sur toutes les plateformes
42:08 d'écoute.
42:09 Vous pouvez également nous retrouver sur notre site internet, lemediatv.fr et retrouver
42:14 tous les contenus produits par Le Média.
42:16 N'hésitez pas non plus à nous liker, à nous partager, à commenter nos publications,
42:22 ça nous aide énormément et on lit très attentivement tout ce que vous dites.
42:26 Encore merci, au revoir et à bientôt.
42:29 Merci, au revoir.
42:30 Au revoir.
42:30 Au revoir.
42:31 Au revoir.
42:32 Au revoir.
42:33 Au revoir.
42:33 Au revoir.
42:34 Au revoir.
42:34 Au revoir.
42:35 Au revoir.
42:35 Au revoir.
42:36 Au revoir.
42:36 Au revoir.
42:37 Au revoir.
42:37 Au revoir.
42:38 Au revoir.
42:38 Au revoir.
42:39 Au revoir.
42:39 Au revoir.
42:40 Au revoir.
42:40 Au revoir.
42:41 Merci à tous !
42:43 [SILENCE]

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