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Alors que la grande bataille pour défendre les retraites, engagée fin 2019 puis interrompue par la crise du COVID, vient de reprendre face à la nouvelle tentative du gouvernement Macron pour imposer un recul des conquêtes sociales en la matière, Bernard Friot publie aux éditions La Dispute un petit livre d’intervention, bref et clair, pour mettre en évidence tous les enjeux.
Fort de quarante années de recherche sur le sujet, Bernard Friot part d’une interrogation toute simple : pourquoi les classes dirigeantes françaises tiennent-elles absolument à « réformer » la retraite alors qu’une très large majorité de la population s’y oppose, d’une part, et, d’autre part, qu’il n’existe aucune raison objective de remettre en cause un système à l’équilibre au plan financier ?

La réponse tient à l’enjeu de fond, qui est civilisationnel : ce qui est en cause, c’est la nature même de la condition salariale et du travail. Selon que l’on conçoit la retraite comme un « salaire différé » conditionné par le montant des cotisations individuelles au cours de la carrière, ou au contraire comme un « salaire continué », attaché à la personne et à sa qualification, on favorise une conception du travail comme subordination au capital ou au contraire comme activité collective émancipatrice.

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Transcription
00:00 Mais on s'autorise à penser dans les milieux autorisés.
00:05 Alors ça c'est un pas à notre truc.
00:07 Les milieux autorisés, vous y êtes pas.
00:09 Bonjour Bernard Friot.
00:19 Bonjour.
00:20 Prenons le pouvoir sur nos retraites.
00:23 C'est le titre de ce petit livre, petit par le format, mais grand par l'importance.
00:28 C'est ce que je pense après l'avoir lu, qui paraît à la dispute.
00:31 Évidemment sur un thème qui est "on ne peut plus d'actualité".
00:34 La bataille contre la contre-réforme des retraites a repris.
00:39 On se souvient qu'en 2019, un mouvement énorme avait monté contre cette première tentative d'Emmanuel Macron
00:48 qui avait été interrompue brutalement alors que le gouvernement était en très mauvaise posture.
00:52 Il y avait une impopularité totale et une mobilisation générale de la société.
00:55 Ça avait été arrêté par le confinement, on s'en souvient.
00:58 Dans ce petit livre qui explique les choses et les problèmes d'une manière tout à fait efficace,
01:05 tout en déplaçant assez nettement les questions, on va y revenir tout de suite.
01:09 Dans ce petit livre, tu rappelles que depuis le milieu des années 80,
01:14 c'est l'obsession des classes dirigeantes françaises, elles n'en démorent pas.
01:19 Il faut réformer les retraites alors même que le système n'est pas déficitaire.
01:24 On sait que le gouvernement, les membres du gouvernement,
01:26 ses soutiens médiatiques se démultiplient pour mentir éhontément contre l'évidence
01:32 puisque les rares personnes qui sont un peu de bonne foi tout en étant plutôt du côté du gouvernement
01:37 reconnaissent qu'il n'y a pas de déficit, qu'il n'y a pas de nécessité économique à cette réforme.
01:42 Pourtant, et on peut peut-être partir de ce paradoxe étonnant,
01:46 comme je le disais, comme tu le rappelles d'emblée, c'est un impératif pour le pouvoir,
01:52 c'est un impératif pour les classes dirigeantes que cette réforme,
01:54 depuis une trentaine d'années, il n'en démorde pas.
01:56 Alors pourquoi ? C'est que l'enjeu, sans doute, derrière, puisqu'il n'est pas économique,
02:00 puisque l'équilibre est là, en réalité, l'enjeu est autre.
02:04 Et tu le montres, l'enjeu est beaucoup plus général.
02:07 Alors l'enjeu, effectivement, on va le qualifier quand même d'économique,
02:11 mais pas du tout au sens financier.
02:14 Il est économique au sens où la classe dirigeante ne l'est que parce qu'elle dirige le travail.
02:21 Le pouvoir sur l'argent, c'est la conséquence du pouvoir sur le travail.
02:26 Et donc l'enjeu pour la bourgeoisie capitaliste, qui a le monopole du travail,
02:31 parce que le capital ne se met pas en valeur dans la sphère financière,
02:35 c'est croire n'importe quoi que de penser qu'il y a une auto-valorisation du capital.
02:42 Dans la sphère financière, c'est de la monnaie virtuelle.
02:45 La valorisation du capital, ça se fait dans l'économie réelle par le travail.
02:50 Et donc la maîtrise par la bourgeoisie du travail, le fait qu'elle est le monopole de la production,
02:58 de la décision sur ce qui va être produit, où, par qui, comment,
03:02 c'est la condition de son existence de classe.
03:05 Et donc elle veille, mais de façon absolue, à ce que nos ressources dépendent de l'acte de travail
03:18 subordonné que nous faisons, quelle que soit notre appréciation de la légitimité de cet acte.
03:26 Mais nous sommes obligés de le faire parce que nous ne sommes payés qu'après que cet acte ait été posé.
03:31 C'est le salaire résultat de la subordination qui est au cœur du capitalisme.
03:37 On est payé à la tâche. La forme canonique du travail, c'est le travail indépendant, le capitalisme.
03:45 Et puis si c'est du travail employé, disons, eh bien c'est sur des CDD d'admission,
03:51 c'est sur des dispositifs d'intérim, des dispositifs où on est payé à la tâche.
03:56 Et contre ce salaire capitaliste, ce salaire à la tâche a été construit pendant tout le XXe siècle.
04:03 D'une part, le salaire à la qualification du poste dans l'emploi.
04:07 Et là, on est déjà libéré de la tâche. On l'a bien vu pendant le confinement.
04:10 Ceux qui avaient un salaire de la convention collective ont été payés à 84 %, quoi qu'ils aient fait,
04:16 parce que ce n'est pas la tâche qu'ils font qui est payée, mais c'est la qualification du poste sur lequel ils sont qui est payée.
04:22 Mais ce qui a été inventé, surtout, c'est la qualification de la personne, c'est-à-dire que là,
04:27 le salaire est un attribut de la personne qui ne dépend pas de la tâche qu'elle fait.
04:33 Et ça, on l'a vu dans le confinement. Les fonctionnaires ont conservé 100 % de leur salaire, quoi qu'ils aient fait.
04:38 Certains, en plus, travaillaient les soignants, bien sûr, mais d'autres, ma foi, étaient comme les autres, avec une activité très réduite.
04:43 Et ils ont conservé 100 % de leur salaire parce qu'un fonctionnaire est payé pour une qualification qui lui est propre.
04:49 Le salaire est un droit de la personne du fonctionnaire. Et le miracle, disons, de la subversion communiste de 1946,
04:59 lorsque les communistes subvertissent la sécurité sociale mise en place par les patrons entre 1880 et 1945
05:07 et qui était omniprésente en 1945, vous avez plus de 1 000 caisses de sécu, 70 000 salariés dans les caisses,
05:14 c'est une institution pléthorique qui va être subvertie par les communistes en 1946.
05:20 Et en matière de retraite, la subversion qu'opère Croisa en 1946, c'est de poser le droit au salaire des retraités.
05:27 C'est pas le différer de leurs cotisations. On ne tient plus aucun compte des cotisations de l'intéressé.
05:33 C'est son salaire de référence. Nous sommes dans le modèle de la fonction publique. Dans la fonction publique,
05:39 c'est évidemment le salaire de référence, le dernier salaire qui va être continué, puisque le grade est attaché à la personne.
05:47 Le fonctionnaire est payé pour sa personne et non pas pour son poste ou pour son activité.
05:53 Et donc cette extension du salaire lié à la personne, qui n'est pas le résultat d'un acte subordonné,
06:03 ce qui est le cœur du salaire capitaliste... — Et ponctuel. — Oui, et ponctuel, mais qui est un droit politique de la personne
06:11 qui va au contraire lui permettre un travail libre, c'est évidemment un refus absolu de la classe dirigeante,
06:21 qui dès 1947 réagit, hein, dès 1947 elle crée l'AGIRC, où c'est le « j'ai cotisé, j'ai droit ».
06:28 C'est pas du tout un droit au salaire. C'est le droit au différer de ses cotisations. Là, nous sommes dans une institution capitaliste,
06:33 évidemment, en répartition, parce que – encore une fois – le cœur de la bataille, c'est pas du tout capitalisation contre répartition.
06:38 — C'est pas la capitalisation. — Mais pas du tout. C'est répartition communiste, c'est-à-dire une socialisation du salaire
06:44 qui attribue du salaire hors emploi, qui a un salaire lié à la personne, versus répartition capitaliste, c'est-à-dire des cotisations
06:52 qui maintiennent le salaire dans le carcan de l'emploi mais qui vont être différées par une pension qui va être calculée en fonction des cotisations.
07:04 — Alors si on reprend ton raisonnement très clair tel qu'il est exposé dans le livre, là, tu es parti comme dans le livre du travail,
07:12 et non pas de la retraite. Et c'est ça qui est fondamental. Et c'est la démonstration de ton livre. La question des retraites, de leur nature,
07:19 qu'est-ce que c'est qu'une retraite qui est au cœur du combat – il y a deux positions face à face –, c'est en fait la question du travail.
07:27 Elle engage en réalité beaucoup plus, si on peut dire, que les dernières décennies de la vie, mais l'ensemble du travail,
07:36 des conditions dans lesquelles s'exerce le travail, et la nature même de ce travail entre un travail capitaliste d'un côté,
07:43 qui est conçu comme un élément finalement domestiqué pour la production, dans la subordination, avec donc une souveraineté de ceux qui maîtrisent le capital,
07:53 par opposition à un autre travail qui est un travail collectif libre. La question étant de manière... par conséquent,
08:04 la nature aussi de ce que c'est que la retraite. Est-ce que c'est un revenu différé, tu le disais, donc qu'on perçoit à hauteur des cotisations
08:15 qu'on a faites quand on travaillait, ou bien est-ce que c'est un salaire continué, ce qui a des implications très différentes sur la nature même de la chose ?
08:27 Absolument. C'est le cœur de la bataille de classe qui se joue en matière de retraite. C'est évidemment la souveraineté sur le travail. Ce n'est pas du tout...
08:37 Ce qui explique l'acharnement. Bien sûr. Evidemment. L'acharnement des classes dirigeantes.
08:41 Mais la classe dirigeante n'existe que parce qu'elle est souveraine sur le travail. Et donc elle est souveraine sur le travail, encore une fois,
08:48 parce qu'elle nous tient par un salaire qui est suspendu au fait qu'on ait d'abord posé l'acte subordonné...
08:54 C'est un chantage. Tu le dis très bien. Ce salaire est un chantage.
08:56 Absolument. Le salaire c'est un chantage dans le capitalisme. Et nous sommes sortis du chantage dès lors que le salaire devient un attribut de notre personne. C'est ça le point.
09:05 Et justement le retraité c'est quelqu'un qui est tout à fait... dont l'existence est tout à fait scandaleuse dans ce contexte-là,
09:10 puisqu'il continue à percevoir un salaire alors qu'il fait, en fait, c'est pas qu'il ne fait rien. Non. Il fait ce qu'il veut.
09:16 Voilà. C'est ça la question. Et comme il fait ce qu'il veut, la bourgeoisie va appeler ça non-travail.
09:23 Dès lors que ce n'est pas imposé par elle, ça n'est pas du travail.
09:26 C'est acceptable si finalement il fait ce qu'il veut parce qu'il a accumulé un revenu différé. C'est ça.
09:31 Alors voilà. Donc ça c'est effectivement... si on fait de la retraite une espèce de succédanée du droit de propriété à travers ce qu'on appelle la solidarité intergénérationnelle,
09:43 le thème capitaliste s'il en est. J'ai pas consommé tout mon salaire quand j'étais actif. J'en ai mis une partie au pot commun.
09:50 Eh bien je dois maintenant bénéficier de la solidarité à travers les cotisations des actifs actuels dont j'ai fait preuve quand j'étais moi-même actif.
09:57 Et le sens commun soutient ça. La façon dont ton livre est organisé le montre bien parce que tu réponds dans le livre.
10:02 C'est une conversation en fait. Les gens qui ne sont pas spécialistes, qui n'ont pas derrière eux 40 ans de travail autour de ces questions,
10:08 te posent tout simplement les interrogations qui leur viennent du point de vue du sens commun.
10:13 Oui. Alors c'est vrai que la forme de ce livre, ce sont des conversations avec des interlocuteurs qui sont des interlocuteurs représentatifs, disons, de l'opinion.
10:26 Mais c'est vrai que l'opinion courante, mais ça Marx le signalait, les idées dominantes sont celles de la classe dominante.
10:34 Et donc l'opinion courante c'est que la retraite c'est g cotisé, g droit, que c'est la solidarité intergénérationnelle, etc.
10:42 Alors que ce que les communistes mettent en place en 1946, c'est le contraire de cela. C'est un droit politique au salaire déconnecté de l'emploi.
10:52 C'est pas le différé d'un salaire que j'ai touché, qui ne peut être touché que dans l'emploi. D'accord.
11:01 Et que j'ai pas complètement consommé.
11:03 C'est connecté à la qualification, donc à la personne. Et donc à un statut. Un grade et un statut.
11:05 On attribue à la personne une qualification, bien sûr, sur le modèle de la fonction publique qui est étendu en matière de retraite par croisant au régime général des salariés du privé.
11:15 Et donc depuis 47, disons, la riposte c'est pas du tout. Un retraité c'est pas un salarié en train d'avoir un salaire pour une activité libre, pour un travail libre.
11:27 Un retraité c'est un ancien travailleur qui ne travaille pas, qui ne produit rien, qui a travaillé sans merdant toute sa vie, mais qui est devenu méritant.
11:36 C'est toute la valeur travail. Le travail c'est quelque chose qui par nature est subordonné, par nature ne nous appartient pas.
11:46 On naturalise complètement la violence capitaliste sur le travail. C'est normal. D'ailleurs on invente une étymologie complètement con, tripalium, d'accord, qui n'a rien à voir avec…
11:56 Travailler viendrait d'un mot qui signifierait mettre à la torture, en l'avant latin.
12:00 Ça n'a rien à voir avec l'étymologie.
12:01 Ce qui est très contesté, mais ce qui est souvent mis en avant.
12:03 Mais bien sûr.
12:04 C'est aussi l'idée du labeur. Le labeur, alors ça par contre, c'est à la fois la souffrance et le travail.
12:09 Voilà, et donc ça nous rend méritant, puisqu'on fait quelque chose qu'on ne maîtrise pas, ça nous rend méritant et ça mérite qu'on ait un temps de non-travail en fin de vie.
12:18 On travaille pour plus avoir à travailler.
12:20 Sachant que de son côté la bourgeoisie, elle vit largement dans l'oisiveté, mais sans aucun problème moral à ce sujet.
12:25 Oui, mais encore une fois, mon problème n'est pas l'oisiveté des riches, je m'en fous éperdument.
12:29 Ce qui est mon problème, c'est que nous sortions de l'aliénation à la religion capitaliste, à ce dogme que le travail, le salaire, ça se mérite par un travail subordonné qu'on ne décide pas.
12:40 Et que ça, ça a valeur et que parce qu'on s'est soumis à un travail qu'on ne maîtrise pas, on a le droit, un, de consommer, deux, d'avoir du loisir.
12:52 Or, confiner les personnes de plus de 60 ans dans le loisir, pour moi, c'est un scandale inouï.
13:01 Leur nier toute contribution à la production, c'est les amputer d'une dimension absolument nécessaire de la personne.
13:12 Mais encore une fois, le travail n'a de sens anthropologique que s'il est maîtrisé par celui qui le fait.
13:18 Un travail non maîtrisé n'a aucune valeur anthropologique, sinon vive l'esclavage, évidemment.
13:23 Et tu dis, au fond, il n'y a de travail que collectif.
13:25 Et il n'y a de travail que collectif, c'est-à-dire que, attribuer, mais ça, je le montre depuis "Puissance du salariat", ça fait depuis 25 ans que je l'ai montré, ça.
13:34 Attribuer à une personne une contribution précise qui serait monnayée dans un salaire correspondant à son contribution, mais c'est tellement absurde, c'est impossible.
13:46 – Ça fait abstraction de toutes les conditions sociales dans lesquelles elle a acquis sa qualification, d'abord.
13:49 – Mais bien sûr.
13:50 – Et puis ensuite, la question du capital.
13:53 – Nous sommes tous partie prenante d'une production dont nous récupérons...
13:59 Enfin, nous avons une contribution et le salaire que nous en tirons n'est pas du tout la mesure de notre contribution.
14:09 Il y a bien des rapports sociaux, des rapports de violence, etc. qui sont passés par là.
14:14 Et la socialisation du salaire qui s'opère à travers la retraite permet, effectivement, de reconnaître dans la pension la contribution des retraités à ce travailleur collectif que nous sommes en permanence.
14:34 Il y a même des métiers comme le nôtre, celui de chercheur, où les retraités font partie des gens tout à fait productifs.
14:41 – Tu en es un exemple.
14:43 – Non, pas par le cumul emploi-retraite qui est une saloperie capitaliste, par le fait qu'en tant que retraité,
14:50 ils continuent à bosser dans les labos, à faire de la recherche, à écrire des bouquins,
14:54 ce qui montre bien que ça pourrait être la situation de tout le monde.
14:57 Ah oui, mais alors on va être sur les toits ou maçons toute notre vie ?
15:00 Non, à pas du moment, on est titulaire de sa qualification, de son salaire,
15:06 mais on a des possibilités de choix, de libre activité qui s'ouvrent à nous
15:12 sans que nous ayons à quémander à la bourgeoisie capitaliste un travail qu'elle nous impose.
15:18 C'est cette liberté-là qui est représentée aujourd'hui.
15:23 Le groupe le plus important qui représente ce salaire de la liberté, c'est les retraités.
15:28 Alors pas tous, parce que les retraités, surtout femmes qui gagnent moins que le SMIC,
15:32 c'est pas du salaire, faut pas rigoler.
15:34 Mais sur les 17 millions de retraités, il y en a 9, surtout des hommes,
15:38 il y en a 9 qui ont une pension supérieure au SMIC,
15:42 comprise entre 75 et 100 % de leur salaire net de référence,
15:47 et qui donc sont titulaires d'un salaire à vie, le salaire de la liberté.
15:53 C'est pour ça qu'il y a un bonheur à être retraité.
15:56 Et évidemment, cette situation, il faut l'étendre à tout le monde.
16:00 Il n'y a aucune raison que ce soit réservé aux retraités.
16:02 Et c'est pour ça que la classe dirigeante veut le supprimer à tout prix chez les retraités.
16:06 Et là, on voit bien comment en partant de l'enjeu des retraites,
16:09 on en arrive à l'enjeu du travail et l'enjeu beaucoup plus général
16:12 des formes de la société et de la substance, de la valeur elle-même.
16:15 L'enjeu du communisme, évidemment.
16:17 L'enjeu de la sortie du capitalisme, qui est une urgence,
16:19 aussi bien anthropologique qu'écologique.
16:21 Dans ton dialogue avec plusieurs interlocuteurs,
16:25 à un moment donné, tu repars de cette idée qui est énoncée devant toi,
16:28 qui est très commune et qui correspond à ce que disait Marx,
16:30 comme tu le rappelais tout à l'heure.
16:31 Les idées dominantes sont celles de la classe dominante.
16:34 Je suis fier de mon travail et je tiens à cette idée selon laquelle je vis de mon travail.
16:41 Voilà, être fier de son travail, ça, c'est très important.
16:45 Mais être fier de vivre de son travail, ça, c'est une alienation.
16:49 C'est pas du tout la même chose.
16:50 Être fier de vivre grâce à son travail, de vivre de son travail, selon l'expression,
16:54 et être fier de son travail, ça peut même être des choses qui sont, aujourd'hui, antithétiques.
16:58 Antithétiques, parce que ceux qui sont invités à être fiers de vivre de leur travail,
17:04 font en général des travaux avec lesquels ils sont en désaccord.
17:07 Donc ils ne sont pas fiers de leur travail du tout.
17:09 Dans l'utilité sociale.
17:10 Absolument. Ils ne sont pas fiers de leur travail.
17:12 Ou la nuisance.
17:13 Mais on les invite à être fiers de vivre de leur travail.
17:15 C'est ça, comme si ils étaient autonomes.
17:17 Les méfaits de la religion capitaliste, de la valeur travail.
17:22 Le travail, par définition, c'est emmerdant, voire c'est nocif.
17:27 Mais, du coup, comme c'est emmerdant et nocif, ça nous rend méritants.
17:31 On fait un truc qui va contre notre déontologie.
17:35 Du coup, on mérite.
17:37 Et on mérite de gagner sa vie.
17:39 Et gagner sa vie, c'est pas travailler.
17:41 Non, gagner sa vie, c'est gagner de la consommation et gagner du loisir.
17:45 Le pain et les jeux.
17:46 Alors, tu expliques bien, dans ce livre, en revenant sur les décennies passées,
17:52 que finalement, depuis 1987 et la première offensive,
17:56 ça n'a pas cessé depuis, du gouvernement ultra réactionnaire de Chirac,
18:01 de la cohabitation, finalement, il n'y a eu quasiment que des défaites,
18:05 de l'opposition dans la défense des retraites.
18:10 Tu repasses sur les différents événements.
18:13 Il y a une exception.
18:14 Il y a un moment important qui est 1995, où Juppé échoue à imposer sa retraite.
18:20 À mains et gares, c'est quand même une flexure importante,
18:23 parce que c'est le moment où une bonne partie des intellectuels de gauche,
18:27 entre guillemets, de gauche de gouvernement, se rallient massivement,
18:31 même si Bourdieu réagit et il y a des réticences, mais enfin, globalement,
18:35 toute cette classe intellectuelle qui fait l'hégémonie culturelle
18:38 se rallie au plan Juppé, y compris quand elle se prétend de gauche.
18:41 Alors la réforme échoue, mais tu rappelles, quelques années plus tard,
18:44 c'est, si je ne me trompe pas, Sarkozy qui l'a fait passer.
18:47 Absolument. En 2008-2009, la réforme Juppé du statut,
18:52 du régime de retraite des cheminots s'opère.
18:56 Et depuis, il n'y a eu quasiment que des défaites,
18:58 et ça, tu l'expliques par le fait que les opposants se situent,
19:02 sans s'en rendre compte, restent sur le même plan,
19:05 dans le même cadre de pensée, dans le même cadre de réflexion
19:08 sur les retraites, que les réformateurs, que la contre-réforme.
19:11 Mais bien sûr, puisque ce que conquièrent les communistes en 1946,
19:16 alors Thorez, communiste de la fonction publique,
19:18 Marcel Paul, communiste de la production industrielle,
19:20 qui fait le statut des électrices ingasiés,
19:22 Ambroise Croizat, communiste du travail, qui met en place le régime général,
19:28 ces ministres communistes opèrent cette dissociation du salaire
19:33 de l'activité, du salaire de l'emploi, pour en faire un attribut de la personne.
19:39 Et ça, cette nouveauté communiste, elle va être combattue dès 1947
19:45 par la riposte patronale qui est, mais non pas du tout,
19:48 dans la JIRC, c'est pas un salaire continué, c'est le différé de cotisation.
19:52 La JIRC, c'est une institution en répartition, bien sûr.
19:55 La riposte patronale, elle est forcément en répartition.
19:57 Aucune classe dirigeante est assez folle pour fonder la retraite
20:00 sur la capitalisation, nulle part au monde.
20:02 Nous sommes là en répartition, bien sûr.
20:05 L'enjeu de classe, il est interne à la répartition
20:07 entre le régime général et la JIRC-ARCO.
20:10 La JIRC cadre uniquement, et puis ARCO, année 50.
20:14 Il y a une obstination patronale à créer un régime complémentaire
20:17 qui progressivement l'emporte.
20:19 Pour le moment, il ne fait encore que le quart des pensions,
20:23 sur les 340 milliards de pensions, le régime JIRC-ARCO,
20:29 qui est un régime vraiment capitaliste, c'est 80 milliards à peu près.
20:34 Mais dans les pensions les plus récentes, il fait le tiers.
20:37 Pourquoi ? Parce que depuis 20 ans, même depuis plus de 20 ans,
20:41 il n'y a eu aucune hausse du taux de cotisation au régime général,
20:44 alors que le taux de cotisation à la JIRC a doublé.
20:47 Et donc, sous ça, dans une indifférence syndicale totale.
20:51 C'est ça le problème.
20:52 C'est que sur les deux mots essentiels, salaire et travail,
20:57 sur ces deux mots essentiels de la retraite,
21:00 nous avons une identité de vue des réformateurs et des opposants.
21:05 C'est-à-dire, ce n'est pas du salaire et les retraités ne travaillent pas.
21:10 Alors évidemment, si ce n'est pas du salaire et si les retraités ne travaillent pas,
21:13 nous n'avons pas commencé à imposer un autre statut du travailleur,
21:18 libérer de l'obligation de satisfaire un travail subordonné
21:23 pour pouvoir être payé.
21:25 On n'a pas commencé. On est resté dans le capitalisme.
21:28 - On ne peut pas connaître de victoire.
21:31 - On ne peut pas connaître de victoire, puisqu'on ne s'appuie pas
21:34 sur le déjà-là communiste qui a été construit.
21:37 - Tu montres bien que c'est le fil directeur, finalement,
21:39 de toutes les réformes Macron depuis qu'il est arrivé.
21:42 Qu'il s'agisse de la réforme de l'enseignement professionnel,
21:44 qu'il s'agisse de la diminution des allocations chômage,
21:48 qu'il s'agisse des retraites. Et c'est ça la clé.
21:50 C'est ça qui explique pourquoi cette obstination,
21:51 alors qu'il n'y a aucune nécessité financière,
21:53 c'est à chaque fois restreindre l'autonomie du travailleur.
21:57 Restreindre sa liberté, le coincer, le soumettre à un chômage,
22:02 à un chantage toujours plus pressant pour l'obliger à vendre sa force de travail.
22:09 - Et ce chantage est d'autant plus pressant que, encore une fois,
22:13 notre adhésion au travail tel que la bourgeoisie en a le monopole,
22:17 elle est de plus en plus faible.
22:19 Pour des raisons à la fois anthropologiques et écologiques.
22:22 Voyons bien que d'un point de vue anthropologique,
22:24 ce travail-là, il ne nous satisfait pas.
22:27 Et puis du point de vue écologique, alors, il nous mène droit dans le mur.
22:30 Et donc, il n'y a plus d'adhésion.
22:31 On le voit bien à travers tous ces jeunes diplômés qui disent
22:34 qu'on ne travaille pas pour la merde que nous fait faire le capital
22:38 et qui sont dans la sécession.
22:40 Il faut les sortir de la sécession pour qu'ils deviennent majoritaires, évidemment.
22:45 Mais à partir du moment où une classe dirigeante n'emporte plus d'adhésion
22:50 sur la façon dont elle organise le travail,
22:52 alors, un, elle devient très violente.
22:54 Dieu sait si le pouvoir de Macron, c'est un pouvoir d'une violence inouïe.
22:58 - Il y a plus de...
22:59 Je crois que le nombre de policiers par habitant est aujourd'hui supérieur en France
23:02 à celui qui était en RDA au début des années 70.
23:05 - Mais bien sûr !
23:06 - Une société extrêmement répressive.
23:07 - Mais nous sommes une société d'une très grande répression.
23:10 - Et la retraite des policiers, en revanche, on le sait,
23:13 c'est un des éléments qui font scandale.
23:14 C'est tellement énorme, c'est tellement gros, mais plus c'est gros, plus ça passe.
23:17 Elle, elle va être maintenue à 54 ans.
23:19 - Non mais ça, c'est classique.
23:21 - Pour service rendu à la domination de classe.
23:23 - Bien sûr, tout ça, c'est normal.
23:25 Mais ce qui, encore une fois, un, ce pouvoir est de plus en plus autoritaire,
23:29 ça, c'est évident.
23:31 On voit comment il a éborgné de façon...
23:34 Sans état d'âme et en niant qu'il y ait violence policière.
23:37 - Et en toute impunité judiciaire.
23:39 - Et en toute impunité judiciaire, parce que là aussi,
23:41 il faut interroger quand même ceux que font les juges.
23:44 Et surtout, enfin, surtout, et en même temps, disons,
23:47 en même temps, on n'ose pas dire les propos de Macron,
23:52 sont en même temps la con.
23:55 La classe dirigeante est d'autant plus attachée, acharnée
24:01 à ce que le salaire redevienne du paiement à l'acte.
24:05 C'est pour ça qu'elle impose aux jeunes jusqu'à 35 ans l'insertion,
24:09 c'est-à-dire du paiement à l'acte.
24:11 On fait des contrats de mission, on fait du...
24:14 On est volontaire en service civique.
24:17 Enfin, les trois mots sont répugnants, d'accord ?
24:19 Volontaire pour travailler sans être payé,
24:21 en service civique, invoquant le civisme
24:23 pour faire bosser des gens sans les payer.
24:26 Enfin, tout ça est absolument répugnant.
24:28 Il s'agit donc à la fois d'étendre le début de la vie de travail
24:34 où on n'a pas le statut de salarié.
24:37 - On est sur-exploité.
24:38 - Et puis d'étendre la fin de la vie de travail
24:40 où on n'a pas le statut de salarié,
24:42 il faut bien voir que les seniors, ça démarre à 45-50 ans...
24:46 - Du point de vue de la productivité exigée en entreprise, tout à fait, oui.
24:49 - Ils sont exclus des plans de formation...
24:52 - Et il y a 50% des gens de plus de 60 ans qui ne sont pas actifs au sens technique.
24:58 - Mais beaucoup plus.
24:59 Non, à 60 ans, les dernières statistiques,
25:02 c'est qu'à 60 ans, il n'y a plus que 48% de personnes ayant un emploi.
25:08 Tu as 25% de gens qui sont en longue maladie, invalidité, pré-retraite, retraite,
25:14 7% qui sont au chômage, et puis les autres, ils sont fragilisés, disponibles,
25:19 chers à canon sur le marché du travail.
25:23 Donc il s'agit à la fois... Passer de 62 à 64 ans,
25:26 ce n'est pas du tout pour qu'on travaille plus longtemps.
25:28 Le capitalisme, il élimine le travail vivant.
25:31 Donc il n'a pas besoin de travailleurs.
25:32 Bien sûr que non, il essaye de s'en passer.
25:34 Au contraire, ce n'est pas du tout pour qu'on travaille plus longtemps.
25:36 C'est pour qu'une population plus nombreuse sur plus de temps encore
25:41 fasse pression sur l'ensemble des salaires en étant fragilisé sur le marché du travail.
25:46 C'est ça, en fait, de même que les jeunes.
25:49 Là, on a maintenant une discrimination par âge qui est devenue un outil
25:54 mais massif de réduction du champ du salaire à la qualification,
25:59 à la qualification personnelle.
26:00 Pratiquement maintenant, il n'y a plus qu'entre 35 et 50 ans
26:03 qu'on a le statut normal de salarié.
26:06 Avant, on est en train de s'insérer et toutes les saloperies qui sont faites aux jeunes.
26:09 Et après, on est seigneur et toutes les saloperies qui sont faites aux plus de 50 ans.
26:13 Donc...
26:14 Tu montres que cette discrimination à l'âge est venue progressivement doubler la discrimination au genre.
26:19 Mais bien sûr.
26:20 La discrimination subie par les femmes au travail.
26:21 À partir du moment où la discrimination de genre n'a plus été légitime,
26:24 elle est toujours pratique la discrimination de genre, bien sûr,
26:26 mais elle n'a plus été légitime, alors on a inventé une nouvelle légitimité.
26:30 Il est légitime de discriminer par l'âge.
26:33 Ça a été le plan, le plan BAHR en 77.
26:36 C'est l'invention de la légitimation par l'âge pour les jeunes, l'insertion.
26:40 Et puis, à la même époque, apparaissent les seigneurs
26:44 et la légitimation d'une marginalisation sur le marché du travail par l'âge.
26:49 Encore une fois, le recul de l'âge légal de la retraite,
26:52 ça n'est pas du tout pour qu'on travaille plus longtemps.
26:54 C'est pour qu'il y ait une population plus longtemps,
26:58 comme surpopulation relative, on va dire, selon les termes marxistes académiques,
27:04 disons, qui fait pression sur le petit noyau qui reste des salariés,
27:11 c'est-à-dire les 35-50 ans.
27:13 Et donc, c'est pour cela qu'il faut que la retraite, ce soit 50 ans.
27:16 Non, la retraite, ce n'est pas la fin du travail.
27:18 La retraite, c'est le travail enfin libre parce qu'on est titulaire de son salaire.
27:23 Il faut donc supprimer les seigneurs.
27:25 Si on veut supprimer l'insertion, ce qu'il faut faire aussi.
27:27 C'est pour ça qu'il y a une absolue symétrie dans la bataille
27:30 contre la réforme des retraites et la bataille contre l'insertion.
27:35 C'est la même bataille.
27:37 Pour les vieux et pour les jeunes.
27:38 Voilà. Il faut supprimer les seigneurs. Supprimer les seigneurs,
27:41 ça veut dire qu'à 50 ans, on devient enfin titulaire de son salaire.
27:45 Ce salaire est porté au salaire moyen, c'est-à-dire à 2 500 euros.
27:49 C'est le salaire moyen aujourd'hui.
27:50 S'il est inférieur, ramenez à 5 000 euros s'il est supérieur.
27:53 Parce que des salaires supérieurs à 5 000 euros, ça ne sert à rien qu'à emmerder le monde.
27:57 C'est tout. Donc il n'y a aucune légitimité à des salaires supérieurs à 5 000 euros.
28:00 Donc on a une hiérarchie des salaires qui est de 1 à 2 à partir de 50 ans.
28:05 Et ces retraités de 50 ans, bien sûr qu'ils restent au travail, évidemment.
28:13 Mais c'est enfin du travail libre parce qu'ils sont titulaires de leur salaire.
28:17 Il faut aussi qu'ils soient un licenciables. C'est très important parce qu'ils vont avoir une responsabilité.
28:23 Ils vont être chargés de l'auto-organisation des travailleurs dans l'entreprise.
28:29 Actuellement, la bourgeoisie, elle a créé un cordon sanitaire entre les salariés encore soumis à la subordination
28:36 et les salariés libérés de la subordination. Il ne faut jamais qu'ils se rencontrent.
28:41 C'est pour ça qu'il est interdit, sauf dans la recherche, mais il est interdit aux retraités
28:46 d'être encore dans une entreprise ou dans un service public. Il faut qu'on les marginalise dans le milieu associatif
28:53 où ils ne rencontreront que des jeunes en insertion, par ailleurs.
28:58 C'est-à-dire que la présence sur le même lieu de travail de salariés encore subordonnés
29:05 et de salariés libérés, ça, il faut absolument qu'elle ne se fasse pas.
29:09 Et c'est pour ça qu'il faut maintenant absolument qu'elle se fasse et qu'on soit libérés du marché du travail
29:15 à 50 ans, qu'on devienne titulaire de son salaire à 50 ans, mais qu'on soit également
29:20 inlucenciables et en responsabilité de la lutte contre les directions et contre les actionnaires
29:26 pour l'auto-organisation des travailleurs. Parce que l'enjeu du passage au communisme,
29:30 c'est évidemment l'auto-organisation des travailleurs.
29:34 Merci beaucoup, Benafry. On voit très bien en te lisant, en t'écoutant, tu nous fais profiter
29:40 de toutes ces décennies de recherche et d'expertise sur la question. On voit très bien comment ce combat
29:45 pour les retraites, auto des retraites, c'est un combat général, un enjeu de civilisation
29:50 et un combat contre l'aliénation du travail. - Absolument. C'est un combat pour la libération du travail
29:56 et non pas pour se libérer illusorement du travail, d'un travail qui ne serait pas libéré.
30:00 Quand on le hors-travail d'un travail non libéré, il n'est pas libre, ce hors-travail, bien sûr.
30:05 Prenons le pouvoir sur nos retraites, c'est le titre de ce petit livre d'intervention que je recommande
30:10 chautement, qui concerne tout le monde et qu'il faut lire pour savoir à quoi s'en tenir,
30:14 où se trouvent les enjeux. Merci Bernard. - Merci beaucoup.
30:19 (Générique)
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