Roland Lescure : «L'État français est prêt à faire un peu plus pour accompagner la réindustrialisation de la France»

  • l’année dernière

Roland Lescure, ministre chargé de l'Industrie, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils abordent les sujets de la réforme des retraites et de la réindustrialisation de la France.
Retrouvez "L'entretien - Dimitri Pavlenko" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linterview-politique-dimitri-pavlenko

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00:00 8h12 sur Europe 1. Bonjour Roland Lescure.
00:04 - Bonjour. - Bienvenue sur Europe 1. Vous êtes le ministre délégué chargé de l'industrie.
00:08 On n'en parle pas beaucoup d'industrie en ce moment en France. Les retraites prennent toute la place.
00:12 On va se rattraper avec vous ce matin. Une question quand même Roland Lescure
00:16 sur les débats au Parlement sur la réforme des retraites. Quel bilan dressez-vous
00:20 de deux semaines sous tension au Palais Bourbon ? Est-ce que vous vous dites
00:24 vivement ce soir, minuit, que ça s'achève ou bien qu'on aurait peut-être dû laisser un peu plus
00:28 de temps aux débutés pour en parler ? - Non, c'est avant tout un bilan
00:32 de regret. Moi je regrette ce qui s'est passé pendant 15 jours parce que c'était du mauvais
00:36 théâtre de boulevard avec d'ailleurs un metteur en scène, on l'a vu hier, qui essaye de tirer
00:40 les fils à distance. C'est Jean-Luc Malenchon qui envoie ses marionnettes faire de l'esclandre
00:44 à l'Assemblée. Malheureusement le Parlement où j'ai siégé
00:48 avec bonheur et fierté pendant 5 ans n'en sort pas grandi. Le débat n'en sort pas
00:52 particulièrement éclairé. On est vraiment, on l'a vu tout à l'heure
00:56 dans les commentaires d'ailleurs, dans des commentaires sur la tactique parlementaire
01:00 qui fait partie du jeu. Moi j'ai vu des tactiques parlementaires, y compris
01:04 d'obstruction d'ailleurs dans la réforme des retraites de 2020, mais qui permettait quand même
01:08 d'avoir du débat. Aujourd'hui je pense qu'on a perdu les Français
01:12 autour d'un débat qui pourtant était important. - Mais la faute aux oppositions, Roland Lescure,
01:16 ou à un projet mal préparé, mal ficelé ? Je vous prends l'exemple des retraites
01:20 à 1200 euros. Le ministre annonce 800 000 pensionnaires, finalement ce sera
01:24 13 000, on découvre ça en cours de discussion,
01:28 avec une forte résistance d'ailleurs d'Olivier Dussopt qui refuse de répondre aux députés.
01:32 Il y a quand même un sentiment de dysfonctionnement. - Moi je trouve ça assez injuste. Oui, cette réforme
01:36 elle est complète, elle est complexe, elle a énormément de paramètres, et effectivement
01:40 au fur et à mesure il y avait beaucoup d'informations en études d'impact, on a donné de plus en plus d'informations
01:44 sur les détails. Mais c'est surtout, parce que tout ça c'est des détails, il va y avoir
01:48 des dizaines de milliers de retraités qui vont voir leur retraite augmenter, il va y avoir
01:52 des femmes qui vont voir leur retraite augmenter alors qu'aujourd'hui elles font l'objet d'injustice.
01:56 - Mais vous dites que la réforme ne peut pas être une somme de cas particuliers, c'est ça ?
02:00 - Non, ce que je veux dire c'est que la réforme, au fond, elle vise à
02:04 équilibrer le système, et c'était indispensable, même les oppositions
02:08 l'ont finalement reconnu, tout en corrigeant un certain nombre
02:12 d'inefficacités, d'injustices, du système de retraite actuel.
02:16 Le système de retraite français, il est universel, il est quand même très compliqué
02:20 et les gens le découvrent à l'occasion des discussions sur cette réforme, qui vise
02:24 à la fois à l'équilibrer, à le rendre un peu moins injuste et un peu plus efficace.
02:28 Mais au fond, ce qui manque c'est un vrai débat de société
02:32 autour du financement de notre modèle social. En France, moi je suis
02:36 extrêmement fier qu'on ait l'école gratuite, qu'on ait l'université gratuite, qu'on ait
02:40 l'hôpital et la santé gratuite, qu'on ait la retraite gratuite, puisque c'est vous et moi
02:44 qui payons la retraite de nos anciens. - Vous regrettez pas la capitalisation ?
02:48 - Déjà, on est aujourd'hui face à
02:52 un système social qu'il faut financer, qu'on ne veuille ou qu'on ne veuille pas,
02:56 ce sont ceux qui travaillent, qui financent ce système social. Et donc si on veut préserver
03:00 voire même amplifier ce modèle social, il faut travailler davantage.
03:04 Et ça, ce débat de fond, on ne l'a pas eu suffisamment.
03:08 - Parlons maintenant d'industrie Roland Lescure, puisque c'est votre portefeuille, il y a beaucoup d'actualités.
03:12 Vous recevez aujourd'hui à Bercy près d'une centaine d'industriels du secteur de la santé, du monde
03:16 entier. Mais d'abord, j'ai une question sur une société française dont on a parlé
03:20 il y a quelques semaines de cela, c'est CareLide, dernier fabricant français de poches de perfusion.
03:24 Ils font notamment du paracétamol liquide pour les hôpitaux. CareLide
03:28 est en redressement judiciaire. Le tribunal de commerce
03:32 de Lille, je crois, se réunit tout à l'heure à 9h30. Est-ce qu'on va sauver CareLide ?
03:36 Roland Lescure. - Alors, je l'espère... - La décision ne vous revient pas. - Exactement. La décision
03:40 est une décision de justice, je vais vous dire je l'espère et je le pense. Pourquoi ? Parce que
03:44 vous l'avez dit, cette société produit des poches à perfusion, c'est une des 3
03:48 dernières européennes à le faire et la dernière française. Et on parle beaucoup de
03:52 souveraineté industrielle, de souveraineté sanitaire. Il faut être très concret.
03:56 Si cette entreprise avait mis la clé sous la porte, on perdait
04:00 un des 3 acteurs, on avait un enjeu, les hôpitaux nous l'ont dit,
04:04 de capacité à livrer. Et c'est la seule société
04:08 aujourd'hui qui fait des poches à perfusion de paracétamol. Donc vraiment, on en avait
04:12 besoin. - Il y a une offre de reprise sur la table. - Voilà, ça c'est important.
04:16 Moi j'ai eu pendant quelques semaines, M. Ruffin, Mme Marion Maréchal qui me donnaient des leçons
04:20 en disant "nationaliser", etc. La réalité, c'est que moi j'ai
04:24 travaillé avec mes services pour chercher un repreneur. On a parlé à 50 industriels différents.
04:28 On en a trouvé un. - Delpharm. - Delpharm, avec Sébastien
04:32 Aguetan à sa tête, qui a fait une offre avec énormément
04:36 de conditions suspensives il y a maintenant un mois. Depuis un mois, on travaille jour et nuit
04:40 pour les lever. - Delpharm, on le connaît parce que ça a été un des façonniers du vaccin du Covid-19.
04:44 - Oui, oui. Puis c'est un industriel pharmaceutique ancré en France
04:48 qui a beaucoup de succès. Je voudrais d'ailleurs en profiter
04:52 pour dire que celles et ceux qui disent "pour régler notre problème des retraites, il faut taxer les riches"
04:56 ou "les industriels, on n'en veut pas parce que les capitaines d'industrie, on n'en veut pas"
05:00 se mettent le doigt dans l'oeil. Si on veut assurer notre souveraineté industrielle,
05:04 on a besoin de grands industriels. On en a un qui est prêt à prendre
05:08 Carlyde. L'État va l'accompagner. - C'est-à-dire concrètement ?
05:12 - Concrètement, on va faire un prêt de 20 millions d'euros et une subvention
05:16 de 5 millions d'euros. Mais face à ça, on a un industriel qui lui va en mettre 40.
05:20 C'est-à-dire, j'ai un industriel qui connaît le métier et qui est prêt à investir
05:24 dans cette entreprise. Il y a un besoin d'investissement énorme.
05:28 De ce point de vue-là, je voudrais peut-être finir par dire que 1) j'espère qu'on va déboucher
05:32 et 2) merci et bravo aux salariés de Carlyde. Parce que contrairement
05:36 aux politiques de tribune qui m'ont donné les leçons et qui ont
05:40 finalement soufflé sur les braises, moi j'ai rencontré des salariés qui ont été extrêmement responsables.
05:44 Ils tenaient à leur entreprise, ils souhaitaient qu'on la sauve, ils nous ont demandé
05:48 de le faire. On l'a fait, j'espère en tout cas avec un industriel extrêmement
05:52 performant. Je dirais bravo à tous, sauf aux donneurs de leçons
05:56 qui ont été sur les lignes de côté à souffler sur les braises.
06:00 C'est scandaleux. - C'était aussi une forme d'inquiétude et je sais que vous la partagez
06:04 d'une certaine manière. - Oui mais on peut partager l'inquiétude. Et moi franchement, François Ruffin
06:08 je suis prêt à lui donner une certaine forme de sincérité dans ses colères et dans ses inquiétudes.
06:12 Mais qu'est-ce qu'il a fait pour sauver Carlyde, lui ? À part brailler.
06:16 Est-ce qu'il m'a envoyé ne serait-ce qu'un mot pour me dire franchement bravo et merci
06:20 d'avoir fait le boulot ? Parce que le boulot c'est nous qui l'avons fait, avec un repreneur,
06:24 avec les salariés, c'est pas lui. - Je vous laisse à vos bisbilles avec François Ruffin et Mario Maréchal.
06:28 Je voudrais parler du dossier de Carlyde, pourquoi ? Parce que on peut dire que ça tombe pile
06:32 avec cette grande réunion que vous organisez à Bercy, je le disais, avec les
06:36 industriels de la santé. Est-ce qu'on peut prétendre avoir un système de santé robuste sans avoir
06:40 une industrie de santé puissante derrière ? Ça c'est la question.
06:44 Et on voit que la France en matière de pharmacie décline. On était numéro 1 il y a 15 ans,
06:48 on est quatrième aujourd'hui au niveau européen. De quoi vous allez parler
06:52 très concrètement ? - Eh bien on va parler du triangle des bermudes de la santé française. On veut
06:56 soigner les Français. On veut le faire pas trop cher, mais on veut le faire, vous l'avez dit, avec une
07:00 industrie pharmaceutique forte et en France. Et ça c'est un triangle très
07:04 difficile à concilier. - On peut pas tout concilier. - Bah en fait si, on doit
07:08 pouvoir le faire. Parce que je considère que... - On peut produire pas cher en France
07:12 alors que les industriels ne cessent de nous dire si on délocalise
07:16 parce que sinon c'est trop cher en France. - Avec François Braun, on va annoncer
07:20 aujourd'hui aux industriels de la santé une doctrine sur la production
07:24 industrielle, sur ce qu'on appelle le critère industriel. Si on produit en France et en
07:28 Europe, si on assure la souveraineté industrielle, on doit pouvoir
07:32 payer un peu plus cher. On doit pouvoir intégrer dans les critères de choix...
07:36 - Vous allez relever le prix du médicament ? - Pas tous. On est toujours dans une
07:40 logique d'économie. Mais on doit pouvoir intégrer à côté des économies des critères de
07:44 souveraineté industrielle qui assurent... On a eu des tensions... - C'est-à-dire très
07:48 concrètement, Roland Lescure, les médicaments que les industriels vont s'engager à produire
07:52 en France ou à produire à nouveau en France, cela, la sécurité sociale
07:56 les remboursera davantage. - On intégrera dans les critères
08:00 de fixation des prix, évidemment, les économies, mais aussi
08:04 ce critère industriel et de souveraineté. - Mais c'est pour quand ? Il va y avoir
08:08 un projet de loi ? - Non, c'est-à-dire qu'on a
08:12 un comité... - Un PLFSS rectificatif ? - Non, ça va, on en a eu un, merci.
08:16 - Je dis ça parce que vous avez été interpellé, le gouvernement a été interpellé fin 2022
08:20 par les industriels de la santé sur le thème "le projet de loi de santé,
08:24 le budget de la sécurité sociale 2023 n'est pas assez généreux
08:28 sur le poste médicaments". On n'accompagne pas le coût de la dépense réelle
08:32 des Français sur ce poste-là. - On a surtout un sujet sur la fixation des prix, d'ailleurs on a mis une mission
08:36 en place avec François Brune, à la demande de la Première Ministre, pour remettre à plein la fixation
08:40 des prix. Aujourd'hui, on fixe des prix extrêmement contraints et on a
08:44 effectivement des industriels qui aujourd'hui ont du mal à investir
08:48 en France et préfèrent parfois investir ailleurs. Donc on a remis à plein
08:52 toute la méthode de fixation des prix et on aura des préconisations concrètes dès cet été
08:56 mais on a d'ores et déjà annoncé aux industriels que sur certains
09:00 produits particuliers sur lesquels les enjeux de souveraineté sont importants,
09:04 on est prêt à faire un effort et c'est tant mieux. - Mais sur lesquels ? Est-ce que c'est...
09:08 le gouvernement souhaite, on le sait, être en pole position sur les médicaments du futur
09:12 mais quand on voit les pénuries d'amoxycyline, quand on voit les pénuries de paracétamol
09:16 on se dit peut-être qu'il faudrait peut-être commencer par les produits de base. Lesquels allez-vous
09:20 privilégier dans vos discussions cet après-midi ? - Donc on a en fait, c'est une vraie question, est-ce qu'il faut mettre tout ça
09:24 dans un grand sac ou séparer d'un côté les produits innovants, la médecine du futur
09:28 aujourd'hui on importe 90% de biomédicaments en France
09:32 ça veut dire qu'on en produit très peu. Donc oui, on va investir dans l'avenir
09:36 mais on va aussi faire en sorte qu'on puisse produire les médicaments
09:40 du quotidien dont on a le plus besoin. Alors j'en profite pour passer un message quand même à nos
09:44 compatriotes. Essayons de consommer moins de paracétamol,
09:48 moins d'antibiotiques, parce qu'aujourd'hui on en consomme plus qu'ailleurs. - Surtout si on doit le payer
09:52 plus cher. - Voilà, donc si vous voulez, tout est dans tout. On a tous besoin
09:56 de faire un effort. Mais ce que je dis aujourd'hui aux industriels, c'est que l'Etat français
10:00 est prêt à faire un peu plus pour accompagner la réindustrialisation de la France
10:04 parce que c'est un enjeu de souveraineté, c'est aussi un enjeu d'emploi, c'est un enjeu de prospérité
10:08 moi je crois à l'industrie française, c'est mon job, si je n'y crois pas, personne n'y croira
10:12 mais je suis persuadé qu'on peut réindustrialiser la France, un, en la
10:16 décarbonant, c'est essentiel, et deux, en produisant en France
10:20 des produits qui sont indispensables à notre souveraineté. - Roland Lescure, EDF
10:24 vient de publier ses résultats il y a quelques minutes de cela. Alors je ne vais pas vous interroger sur la perte
10:28 historique affichée par le groupe, 18 milliards pratiquement en 2022,
10:32 non, en revanche, sur ce dont parle ce matin le Parisien, qui nous dit que pour construire
10:36 les futurs réacteurs EPR, que souhaite Emmanuel Macron, dans cet objectif
10:40 à la fois de transition énergétique et d'indépendance énergétique, il va
10:44 falloir à EDF recruter 80 000 personnes. Est-ce que ça fait
10:48 partie des sujets que vous aurez cet après-midi avec les industriels de la santé et l'emploi dans l'industrie ?
10:52 On sait que c'est un problème. - C'est un de mes trois combats essentiels.
10:56 Le premier, décarboner l'industrie en créant de l'emploi. Deux, partout
11:00 dans les territoires, parce que là où une usine se crée, la colère régresse, le Front National
11:04 recule. Et trois, en créant les compétences et
11:08 les talents qui vont nous permettre de répondre aux besoins. Aujourd'hui, il y a plus de 70 000
11:12 emplois ouverts dans l'industrie. Il va y en avoir des centaines
11:16 de milliards, pour voir, dont vous l'avez dit, sans doute 80 000 ou 90 000 dans le secteur
11:20 nucléaire. On a un enjeu de formation. On a un enjeu de transition.
11:24 On sait bien qu'il y a des industries qui sont en recul et d'autres en expansion. Il faut qu'on arrive
11:28 à former ceux qui sont aujourd'hui dans les industries en déclin et les
11:32 amener vers les industries de l'avenir. Oui, le nucléaire, mais aussi la décarbonation,
11:36 la santé. Donc on a un énorme enjeu de formation. On travaille là-dessus avec
11:40 Sylvie Retailleau, Papendiaille et Carole Grandjean pour réformer toute
11:44 la filière d'enseignement professionnel des techniciens aux ingénieurs
11:48 de manière à ce qu'on réindustrialise la France avec des employés français.
11:52 - Merci Roland Lescure d'être venu ce matin sur Europe 1. Je rappelle que vous êtes
11:56 le ministre délégué chargé de l'industrie. On retient donc cette annonce que vous nous faites
12:00 de cette réunion à Bercier, des objectifs que vous tracez dans cette conversation importante
12:04 que vous allez avoir avec eux. Bonne journée à vous. Restez avec nous.

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