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Emission spéciale à presque 365 jours de guerre en Ukraine. Jusqu’où soutenir les Ukrainiens ? Comment conduire la Russie à la défaite sans pourtant rentrer directement en guerre ? Débat avec l’essayiste et eurodéputé "Place Publique", Raphaël Glucksmann. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-du-samedi-18-fevrier-2023-6999178

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Transcription
00:00 Merci Corinne Audouin, bonne journée, le Grand Face à Face c'est parti !
00:03 Merci d'écouter le Grand Face à Face de France Inter.
00:16 Bonjour à tous, je suis en compagnie de Natacha Polony et Gilles Finkelstein et une émission
00:22 qui s'inscrit dans la série de programmes, de reportages, de témoignages que vous propose
00:26 France Inter à l'occasion des 365 jours de guerre.
00:30 365 jours de guerre en Ukraine, c'était le 24 février dernier, l'armée russe
00:35 envahissait le territoire ukrainien.
00:37 Un an après, les combats font toujours rage, le pays est ravagé, les dégâts sont terribles
00:43 et les populations civiles sont toujours en menacé.
00:47 Sur le front, les Russes et les Ukrainiens se préparent à la prochaine grande offensive.
00:51 Une nouvelle étape cruciale pour l'avenir du conflit.
00:54 Mais cette question, jusqu'où aider les Ukrainiens ? Comment assurer la défaite
00:58 de Vladimir Poutine de son armée sans pour autant lui faire la guerre, sans directement
01:02 entrer en guerre contre la Russie ? Le Grand Face à Face ouvre le débat ce samedi avec
01:07 l'eurodéputé place publique Raphaël Glucksmann.
01:10 Il nous rejoindra dans une vingtaine de minutes.
01:12 Mais tout de suite, le duel.
01:13 Le Grand Face à Face, Alibadou sur France Inter.
01:20 Le duel entre la directrice de Marianne Natacha Polony, le secrétaire général de la fondation
01:25 Jean Jaurès, Gilles Finkelstein.
01:26 Bonjour les amis.
01:27 Bonjour.
01:28 Et on démarre avec ce qui domine l'actualité politique et sociale en France, la mobilisation,
01:33 les débats autour de la réforme des retraites qui se poursuivait cette semaine.
01:37 Encore cinquième journée de mobilisation ce jeudi.
01:41 Et ça se passait surtout à Albi, ville de Jean Jaurès, ville moyenne.
01:46 C'est là que les huit principaux syndicats français avaient décidé de se retrouver
01:50 pour manifester.
01:51 L'idée c'est de maintenir la mobilisation.
01:53 Et à chaque journée, il y a des personnes nouvelles qui viennent.
01:56 J'allais dire, les chiffres aujourd'hui importent peu.
01:59 Il y a du monde dans les rues, il y a du monde en grève.
02:01 C'est un mouvement qui est très ancré.
02:03 On le voit.
02:04 Tant que le gouvernement ne retire pas sa réforme, la mobilisation elle est là.
02:08 Il y a besoin de hausser le ton.
02:10 Et c'est le sens de l'appel intersyndical qui, me semble-t-il, conclut en disant qu'on
02:15 veut que le pays soit à l'arrêt le 7 mars.
02:17 Il va falloir hausser le ton.
02:19 C'était Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.
02:22 Et la perspective d'une grève reconductible et de blocage à partir du 7 mars est dans
02:28 tous les esprits.
02:29 Gilles, c'était inévitable, il fallait s'y attendre en arrivée à cette étape,
02:34 celle du blocage ?
02:35 Là, on est, avec cette cinquième journée de mobilisation à Albi, dans une espèce
02:42 de mobilisation d'attente entre la grande journée de samedi et puis la perspective
02:52 du 7.
02:53 C'était à la fois cette semaine un symbole d'unité syndicale, le choix évidemment
03:00 d'une ville moyenne et depuis le début, on souligne à quel point la mobilisation
03:04 est forte dans les villes moyennes.
03:06 Et puis, c'était le choix d'Albi.
03:08 Vous l'avez dit, la ville de Jaurès, c'est là où Jaurès a eu son premier poste de
03:13 professeur au lycée d'Albi en 1881.
03:16 C'est là où il a été élu dans la circonscription de Castres et d'Albi.
03:21 C'est là où il s'est marié et c'est là, et c'est intéressant parce que c'est
03:24 une grande date de l'histoire des luttes sociales, c'est là où il a contribué
03:30 à créer la première grande verrerie ouvrière, la première coopérative ouvrière de verrerie
03:36 après les combats à Carmeau.
03:38 Donc c'était aussi ça que venait symboliser ce choix de la ville d'Albi.
03:42 Cette mémoire est toujours là, Natacha.
03:44 Bien sûr, cette mémoire, elle est très vivante.
03:47 Et ce qu'il y a d'intéressant dans cette journée, je dirais qu'elle apporte surtout
03:52 la démonstration que dans un contexte qui aurait pu être assez difficile, Gilles parlait
03:58 de journée de transition, c'est tout à fait ça, les syndicats finalement manœuvrent
04:03 pour l'instant très intelligemment.
04:06 C'est-à-dire moi c'est surtout ça qui me frappe, c'est qu'ils ont réussi à éviter
04:10 les débordements éventuels, ils ont réussi à donner l'image de la mesure, c'est-à-dire
04:18 le choix de ne pas bloquer les vacances des Français, le choix d'attendre la rentrée
04:23 pour faire une journée de grève générale.
04:26 La question justement de cet élargissement, c'est-à-dire la prise en compte des villes
04:33 moyennes, du fait que le mouvement est national, il y a quelque chose tactiquement qui reflète
04:39 en fait le fait qu'ils sont sur une bonne pente parce qu'en fait cette réforme reste
04:47 majoritairement rejetée par les Français et parce que face à ce mouvement qui apparaît
04:55 comme le camp de la raison, on voit le gouvernement qui est en train de s'enfoncer d'ailleurs
05:00 de façon extrêmement surprenante.
05:02 C'est-à-dire qu'on a vu déjà, on en a parlé ici, Franck Riester sur la question
05:08 des femmes défavorisées par cette réforme, obligées d'avouer à quel point il y avait
05:15 eu un mensonge du gouvernement.
05:17 Cette semaine c'est Olivier Dussopt sur la question des 1200 euros avec cette séquence
05:24 à l'Assemblée nationale où en fait le député Jérôme Guedj est allé, socialiste,
05:31 parce qu'il est membre de la commission des affaires sociales, est allé tout simplement
05:35 demander à la direction de la sécurité sociale la vérification des propos du ministre sur
05:41 le fait qu'il y aurait 40 000 retraités qui seraient touchés par cette réforme et
05:48 il en est revenu avec la réponse c'est "ce chiffre sort de nulle part".
05:52 Et vous avez cette séquence où Olivier Dussopt, ministre, répond à un député qui a joué
05:59 son rôle "je n'ai pas à rendre de compte devant vous".
06:02 Bah si justement, la constitution dit que le gouvernement est responsable devant l'Assemblée
06:07 et que le rôle des députés est de contrôler le gouvernement.
06:10 On a là quelque chose de complètement fou, donc on a l'impression de quelque chose qui
06:13 s'enlise en fait, qui ne prend pas du côté du gouvernement.
06:16 Comment expliquer cette séquence des 1200 euros qui est partie de la matinale de France
06:21 Inter au micro de Léa Salamé et de Nicolas Demorand avec cette économiste Mikaël Zemmour
06:26 qui a pointé du doigt un problème qui semblait au départ technique mais qui était éminemment
06:31 politique à savoir quelque chose qui n'était pas complètement vrai, pas complètement
06:37 clair dans le discours gouvernemental ?
06:38 Ça a été pointé en réalité bien avant.
06:43 Ici même, nous l'avons évoqué dès le premier jour de la réforme parce que c'est
06:51 une des difficultés, le dossier des retraites est un dossier extrêmement technique.
06:56 Derrière chaque phrase, il faut essayer de tirer le fil et donc quand le gouvernement
07:02 au départ dit pour une carrière complète 1200 euros pour une carrière complète, chaque
07:07 terme doit être déplié.
07:09 En tout cas, ça a produit un effet.
07:12 C'est que non seulement il y a les difficultés qu'on évoquait, l'opinion qui considère
07:16 que cette réforme est injuste, qu'elle est inefficace, même qu'elle n'est pas nécessaire
07:21 mais en plus, maintenant à 75% que le gouvernement n'a pas été transparent.
07:26 C'est-à-dire que la crédibilité même de la parole publique a été abîmée et
07:31 au final quand on fait le bilan de cette première phase du débat sur les retraites, je trouve
07:36 qu'il a été à la fois décevant sur le plan démocratique au sens où on a eu un
07:40 débat qui était chaotique, qui était confus.
07:43 Il était éclairant sur le plan politique au sens où on a vu le désarroi stratégique
07:51 des Républicains, on a vu la vacuité propositionnelle du Rassemblement National qui ne sentirent
07:57 que par eux une manœuvre, on a vu les excès, on va y revenir, de la France insoumise, la
08:01 fragilité du gouvernement.
08:03 Mais le point qui me frappe le plus c'est que d'une certaine manière, à ce stade,
08:09 c'est un peu inattendu sur les résultats.
08:11 Je m'explique.
08:12 Au départ, on avait une réforme paramétrique classique.
08:19 On avait un paramètre central, l'âge de départ à la retraite, qui était une visée
08:24 budgétaire.
08:25 A l'arrivée, avec les ajustements successifs, et a fortiori si le gouvernement finit par
08:31 céder jusqu'au bout sur la question des carrières longues, on a une réforme qui
08:36 aura modifié assez profondément notre système de retraite au sens où l'âge de départ
08:42 est en train, peu à peu, de s'effacer comme critère central.
08:46 Et dans le même temps, et c'est la contrepartie inévitable, par rapport à l'objectif initial
08:52 de la visée budgétaire, tout ça va finir par apporter pas grand chose.
08:55 Donc ça va être une réforme, peut-être d'ampleur plus importante que ce que l'on
08:59 pensait sur le système de retraite, mais avec un rendement budgétaire qui sera beaucoup
09:04 moins important.
09:05 Le duel continue.
09:06 Le grand face à face, le duel.
09:30 Il y a le fond et il y a la forme.
09:38 On entendait la présidente de l'Assemblée nationale, Yael Brown-Pivet, et puis le député
09:42 communiste André Chasseigne qui pointait du doigt le chaos à l'Assemblée nationale
09:47 toute cette semaine avec des insultes, des invectives, des suspensions de séances à
09:51 répétition.
09:52 Deux semaines que le vacarme domine à l'Assemblée.
09:55 De quoi ce révélateur pour vous, Natacha ? Est-ce qu'on a perdu l'art du débat démocratique
10:00 même à l'Assemblée ou rien de nouveau sous le soleil après tout ?
10:03 Il faut être assez mesuré sur cette question-là parce que des invectives, il y en a toujours
10:08 eu à l'Assemblée et tout de même assez corsé quand on se plonge vraiment dans l'histoire
10:14 des débats parlementaires.
10:15 Donc même les insultes, ce n'est pas une nouveauté dans l'hémicycle.
10:21 En revanche, il y a un problème, j'allais dire, de procédure et il y a un engrenage
10:28 en fait qui est de la part d'ailleurs de la présidente de l'Assemblée, la volonté
10:35 de sanctionner les dérives, de sanctionner les écarts de langage.
10:40 Mais quand on commence ce genre de choses, on ne peut plus s'arrêter en fait.
10:44 Pourquoi avoir sanctionné tel député et pas tel autre ? Donc on est dans cette procédure-là
10:50 premièrement et deuxièmement, je ne mettrai pas sur le même plan toutes les invectives.
10:54 Il y a eu en effet un spectacle de la part de certains députés assez affligeants, il
10:59 y a une certaine pauvreté des arguments et puis il y a des députés qui font leur travail.
11:04 Il y a des députés qui sont admirables.
11:07 Et par exemple, moi je ne trouve pas inutile que Rachel Keke, ancienne femme de ménage,
11:15 rappelle à ses collègues qu'elle est à peu près la seule dans cet hémicycle à
11:19 avoir vécu pendant des années dans sa chair ce qu'est un métier pénible.
11:23 C'est parfaitement digne d'un véritable débat démocratique.
11:28 De même que le fait qu'il y ait, je me réjouis qu'il y ait au sein de la majorité
11:33 présidentielle, des députés qui soient encore considérés, le terme me semble absurde,
11:40 comme des frondeurs et qui sont en fait des députés qui tout simplement font valoir
11:43 leur liberté de juger face à une réforme qu'ils estiment injuste.
11:48 Il ne faudrait pas laisser croire aux Français que la représentation nationale est en train
11:58 de sombrer.
11:59 Ce n'est pas totalement vrai.
12:00 Il y a du chahut, il y a des choses absolument consternantes.
12:05 Il y a la volonté d'obstruction des insoumis dont on a vu à quel point toute la semaine
12:13 elle a viré au Vaudville avec des retraits d'amendements.
12:15 Et à côté de ça, il y a des députés chez les Insoumis, au Modem, dans tous les
12:21 partis qui font leur travail et qui sont dignes de la représentation nationale.
12:28 Zil.
12:29 Pour le coup, je serais un peu moins optimiste que Natacha.
12:31 Je trouve qu'on a, depuis les dernières élections législatives, une configuration
12:36 parlementaire que la France n'avait pas connue depuis longtemps avec cette majorité
12:40 relative et que jusqu'à présent, ça a plutôt bien fonctionné.
12:44 Les 15 textes ont été votés avec des majorités souvent différentes, généralement avec
12:51 la droite, parfois avec la gauche, parfois à l'unanimité.
12:54 Mais qu'en l'occurrence, avec ce débat sur les retraites, c'est un rendez-vous
12:59 manqué et qu'il y a une vraie question démocratique qui est posée derrière.
13:03 C'est vrai, on l'a évoqué plusieurs fois sur le processus d'élaboration, c'est
13:07 vrai sur la procédure qui a été choisie par le gouvernement pour contraindre les débats,
13:12 mais c'est vrai quand même à cause de la stratégie qui a été choisie par la France
13:17 Insoumise dans ce débat.
13:18 Et je trouve qu'on a une représentation politique qui est décalée par rapport au
13:22 mouvement social et que le contraste entre ce qui se passe dans la rue et ce qui se passe
13:28 en séance est très fort.
13:31 « Des députés font leur travail », dit Natacha.
13:33 Oui, mais ça ne se voit pas, ça ne peut pas se voir parce que c'est recouvert par
13:38 le tumulte et par le reste.
13:40 J'ajoute et je termine par le fait que cette stratégie de la France Insoumise fait que
13:46 quand on réfléchit aux institutions futures, à la représentation proportionnelle, au
13:50 rééquilibrage entre l'exécutif et le législatif, ça vient compliquer la réflexion
13:57 parce que si les conditions du débat, si les conditions d'une discussion et d'un
14:03 compromis sont impossibles, c'est beaucoup plus difficile de se dire « on va avoir
14:07 une représentation parlementaire, on va redonner davantage de pouvoir au Parlement ».
14:11 Natacha ?
14:12 Gilles, je partage totalement l'idée qu'il y a un décalage hallucinant entre ce que
14:17 nous avons dit sur les syndicats sur la rue et ce qui se passe à l'Assemblée.
14:21 En revanche, il me semble important de rappeler que c'est tout de même une partie des
14:26 députés et la stratégie d'un parti politique, en l'occurrence les Insoumis, qui donne
14:33 cette image-là, qui pose problème, qui mérite d'être critiquée, que d'ailleurs cette
14:36 stratégie a été discutée au sein des Insoumis.
14:41 Ils n'étaient pas tous sur la même ligne et c'est extrêmement important.
14:44 Mais de fait, il y a une forme de gauchisme qui semble totalement infantile et dont on
14:50 peut dire qu'il profite à deux entités.
14:55 D'abord à Emmanuel Macron dans la mesure où en effet ça laisse apparaître l'espèce
15:01 de monopole de la raison et de l'ordre face à une agitation.
15:06 Et derrière, le Rassemblement National, en effet, vous l'avez dit, en termes de propositions
15:13 politiques, il n'y a pas grand-chose.
15:14 Et pourtant, c'est quand même extraordinaire de réussir l'exploit de faire apparaître
15:19 le Rassemblement National comme parfaitement mesuré, posé et jouant le jeu des institutions
15:24 démocratiques.
15:25 Gauchisme infantile ?
15:26 Oui, je crois, je disais, il y a une question démocratique qui est posée par la stratégie
15:35 de la France insoumise.
15:36 Il y a aussi une question politique derrière parce que ce qui est nouveau pour le coup,
15:39 c'est qu'on voit que le clivage passe à l'intérieur de la France insoumise et
15:42 même à l'intérieur de ce qui constitue le cœur de la France insoumise, c'est-à-dire
15:46 le parti de gauche, le parti fondé par Jean-Luc Mélenchon, entre ceux qui restent sur ce
15:50 qui était la matrice initiale de ce parti, c'est-à-dire une forme de populisme de gauche,
15:55 de volonté de radicaliser jusqu'au bout, de ne faire aucun compromis sur rien.
16:02 Et puis ceux qui, d'une certaine manière, s'inscrivent dans la bifurcation qui a été
16:06 opérée à l'occasion des dernières élections législatives avec la constitution de la
16:10 NUPES.
16:11 C'est ça aussi qui est en jeu dans ce débat.
16:13 Le Grand Face à Face continue avec Raphaël Glucksmann.
16:16 France Inter, Alibadou, Le Grand Face à Face, le débat.
16:22 - L'Ukraine, 365 jours de guerre, vous savez que France Inter vous propose une série
16:26 d'émissions spéciales, un an tout juste après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
16:30 Et l'invité du Grand Face à Face aujourd'hui, il est eurodéputé place publique, président
16:35 de la commission spéciale sur les ingérences au Parlement européen et séiste.
16:40 Bonjour Raphaël Glucksmann.
16:41 - Bonjour.
16:42 - Et bienvenue.
16:43 Jusqu'où soutenir les Ukrainiens ? Comment contraindre la Russie à la défaite sans
16:47 pour autant directement lui faire la guerre ?
16:49 C'était le 24 février dernier, Raphaël Glucksmann, Vladimir Poutine déclenchait
16:54 cette offensive militaire en Ukraine.
16:56 Et ce jour-là, le 24 février dernier, vous écriviez à chaud dans le magazine Lobs que
17:03 nous avions sous nos yeux le spectacle de la mort du mythe de la fin de l'histoire.
17:07 20 ans d'aveuglement sur la véritable nature du pouvoir russe nous avaient mené au bord
17:12 du gouffre.
17:13 Un an après, est-ce que vous diriez que nous avons enfin ouvert les yeux ?
17:16 Nous sommes dans un entre-deux. Nous savons pas exactement si nous avons ouvert les yeux.
17:23 Nous sommes entre le sommeil et le réveil.
17:26 Il y a eu un changement profond en Europe.
17:29 On a commencé à livrer des armes à la résistance ukrainienne.
17:35 On a pris des sanctions fortes contre le régime russe.
17:37 Il y a eu une prise de conscience de la naïveté et aussi de la corruption d'ailleurs, qui
17:43 ont miné l'Europe pendant 20 ans face à la Russie de Poutine.
17:47 Mais on n'a toujours pas répondu à cette question fondamentale, qui est celle que vous
17:51 posiez.
17:52 Jusqu'où on aide la résistance ukrainienne ? Jusqu'où cette guerre est aussi la nôtre ?
17:56 Jusqu'où l'Europe est derrière Kif dans sa résistance à l'invasion russe ?
18:03 Et est-ce que vous avez une réponse à cette question ?
18:04 La réponse dépend des capitales.
18:06 Elle dépend des pays.
18:08 Elle dépend aussi des moments.
18:09 Ce qui est sûr, c'est que progressivement, c'est imposé l'idée qu'il fallait que l'Ukraine
18:13 gagne et qu'il fallait que Poutine perde.
18:15 Ce n'était pas sûr au début.
18:16 Vous avez vu tout le temps qui a été perdu sur les questions de livraison d'équipements
18:20 militaires, sur les semaines et les mois de discussion autour de la livraison de l'artillerie,
18:26 puis de la livraison des tanks.
18:27 Aujourd'hui, il y a une certitude, c'est qu'il faut que la Russie perde.
18:30 Et les Européens ont parfaitement compris, la plupart des dirigeants européens en tout
18:33 cas, que si Poutine gagnait cette guerre, c'est l'ensemble du continent européen qui
18:37 serait complètement déstabilisé.
18:39 Et qu'on ne connaîtrait plus la paix sur le continent européen.
18:41 Et qu'après l'Ukraine, il y aurait la Moldavie.
18:43 Et qu'après la Moldavie, il y en aurait d'autres.
18:45 Et que donc, il faut impérativement qu'ils perdent.
18:48 Mais est-ce qu'on fait tout pour cela ? Non.
18:50 Non.
18:51 Je vous réponds clairement, non.
18:52 Quand on a les analyses…
18:53 Vous étiez au Parlement européen la semaine dernière, quand le président Zelensky était
18:58 accueilli en héros.
19:00 Il avait des demandes.
19:01 Il avait des demandes justement d'avions de chasse, de missiles long porté.
19:04 Une stratégie qu'on a adoptée dès le départ, qui était une stratégie progressive.
19:09 C'est-à-dire qu'on augmentait l'aide étape après étape.
19:12 Et qu'on augmentait les sanctions étape après étape.
19:15 Cette stratégie-là, elle a placé le président Zelensky et les Ukrainiens dans une position
19:20 de demandeurs permanents.
19:21 Comme si nous les aidions pour eux.
19:24 Comme si finalement, les armes qu'on leur donnait, c'était des cadeaux qu'on offrait
19:30 à la résistance ukrainienne.
19:31 Or, ce que nous faisons pour les Ukrainiens, nous le faisons pour nous-mêmes.
19:34 Nous le faisons pour notre souveraineté, pour notre sécurité.
19:37 Nous le faisons parce que les Ukrainiens aujourd'hui sont une ligne de résistance
19:42 qui protège l'Europe.
19:44 Imaginez juste une seconde que le 24 février 2022, les plans de Poutine aient fonctionné.
19:51 Qu'il ait pris Kif.
19:52 Que quand Biden appelle Zelensky, au lieu de lui répondre "je n'ai pas besoin d'un
19:57 taxi, mais j'ai besoin de munitions", il ait dit "oui" à la proposition d'exfiltration.
20:02 Où en serions-nous aujourd'hui ?
20:04 On serait en train de discuter des menaces sur les frontières de l'OTAN et les frontières
20:09 de l'Union Européenne aujourd'hui.
20:10 Et donc, les Ukrainiens sont notre ligne de défense.
20:14 Ce sont eux qui meurent.
20:15 Depuis le début, il y a une chose qui est très claire.
20:16 Nous n'interviendrons pas directement militairement.
20:18 Il n'y aura pas de confrontation militaire entre les pays européens et les pays de l'OTAN
20:22 et la Russie.
20:23 Mais à partir du moment où on pose cette ligne rouge là, tout le reste doit être
20:28 fait pour faire en sorte que l'Ukraine gagne.
20:30 D'un mot, avant d'ouvrir la discussion avec Gilles et Natacha, vous disiez dès
20:35 le 24 février dernier qu'il était question derrière cette guerre de la résistance au
20:40 fascisme poutinien.
20:41 Vous maintenez.
20:42 C'est ce qui est révélateur de ce conflit.
20:45 Le culte de la violence.
20:47 L'impérialisme sans borne.
20:49 Une idéologie ultra réactionnaire au pouvoir.
20:53 La xénophobie d'État.
20:55 Toutes les caractéristiques, les formes caractéristiques du fascisme se retrouvent dans le poutinisme.
21:00 Moi je ne suis pas du tout un utilisateur du terme fasciste comme ça peut être classique
21:04 à gauche.
21:05 À chaque fois que quelqu'un a une opinion un peu réactionnaire, on le traite de fasciste.
21:08 Ce n'est pas du tout mon cas.
21:09 Je ne pense même pas que les dirigeants d'extrême droite en Europe soient particulièrement
21:12 fascistes au sens strict.
21:14 Je pense qu'ils sont très dangereux.
21:15 Mais je ne pense pas nécessairement qu'ils sont fascistes.
21:17 Par contre, Poutine lui, rassemble, y compris dans son lien avec la pègre, avec le crime
21:24 organisé, toutes les caractéristiques fondamentales du fascisme.
21:28 Et donc, on a face à nous une menace qui n'est pas simplement une menace pour les
21:32 pays voisins.
21:33 Parce que moi, je préside au Parlement européen la commission sur les ingérences étrangères.
21:38 Et on a documenté pendant des centaines d'heures d'auditions, de missions, les ingérences
21:45 russes dans nos démocraties.
21:47 Et l'objectif de Poutine, ce n'est pas l'Ukraine comme ce n'était pas la Géorgie.
21:52 L'objectif de Poutine, c'est la confrontation avec nos démocraties, avec ce qui est appelé
21:57 en Russie l'Occident collectif.
21:59 Et donc, en un sens, pour répondre à la question que vous m'avez posée au début, est-ce
22:03 qu'on a ouvert les yeux ? Est-ce qu'on s'est réveillé ? Je pense qu'on s'est
22:07 réveillé au fait que Poutine était dangereux.
22:08 Je pense qu'on n'a pas encore pris la mesure, finalement, du niveau d'implication
22:13 qui était le nôtre, malgré nous, dans cette guerre et dans ce conflit.
22:17 On n'a pas encore pris la mesure du fait que Poutine visait nos démocraties.
22:21 Que quand les hackers russes attaquent nos hôpitaux pendant la pandémie, quand ils
22:25 attaquent l'agence européenne du médicament, quand les entreprises comme Gazprom corrompent
22:31 nos systèmes politiques, quand les mercenaires de Wagner s'en prennent à l'armée française
22:35 au Mali, et bien à chaque fois, ça participe d'une guerre hybride lancée par le Kremlin
22:41 contre les démocraties européennes.
22:43 Et on ouvre le débat, Raphaël Luxmann, avec Natacha Polony.
22:46 J'entends tout ce que vous dites et je m'interroge sur un point.
22:53 Pourquoi des gens comme Edgar Morin, Jürgen Habermas, Henry Kissinger, qui ont un certain
23:00 recul, qui pour certains ont connu la seconde guerre mondiale, savent ce qu'elle était
23:08 la nature exacte de cette guerre.
23:10 Pourquoi ne sont-ils pas du tout sur le même type de récits que le vôtre ? Pourquoi n'ont-ils
23:18 pas du tout la même lecture de cela ?
23:20 C'est-à-dire, même si les trois considèrent que l'unique culpabilité dans cette guerre
23:26 est celle de Vladimir Poutine et que son régime est épouvantable, en revanche, ils
23:32 n'en tirent pas les mêmes conclusions et se montrent très prudents sur cette idée
23:36 qu'il y aurait un Occident global qui aurait les mêmes intérêts uniformément et qui
23:43 incarnerait la démocratie face à Poutine.
23:46 Je n'ai pas dit qu'il y avait un Occident global qui avait les mêmes intérêts.
23:49 J'ai dit que dans la tête de Poutine, il y a un Occident global et qui nous cible en
23:53 tant que tel.
23:54 Ça, c'est dans tout leur discours.
23:55 En tout cas, l'opposition du bien et du mal.
23:57 Comment expliquez-vous cela ?
23:58 Déjà, je pense que les penseurs, les éditorialistes, les ministres occidentaux ont un défaut quand
24:07 ils parlent de la Russie.
24:08 C'est qu'ils ne connaissent pas la Russie, qu'ils n'ont pas fait l'effort de lire
24:12 les textes de Sourkoff, qu'ils n'ont pas fait l'effort d'écouter les discours de
24:15 Vladimir Poutine, qu'ils n'ont pas lu ou qu'ils n'ont pas écouté Anna Politkovskaya.
24:19 Et que donc, ils n'ont pas vu venir…
24:21 Ce sont des naïfs, Habermas, Edgar Morin ?
24:23 Je ne pense pas du tout qu'ils soient naïfs.
24:26 Ils ne sont pas renseignés ?
24:27 Je pense qu'ils ne sont pas focalisés depuis 20 ans sur ce qui se passe à Moscou.
24:32 Et que donc, ils voient une guerre et qu'ils sont pour la paix.
24:36 Tout le monde est pour la paix.
24:38 Mais la vérité, c'est que ce régime-là, ce n'est pas sa première guerre.
24:43 Et qu'on a déjà eu une attitude conciliante à chacune de ces guerres.
24:47 Il y a eu d'abord la prise du pouvoir…
24:49 Dès 1999 ?
24:50 Il y a eu la prise du pouvoir par la guerre en Tchétchénie, au tout début des années
24:55 2000, 1999, 2000, 2001.
24:57 C'est quand même 100 000 morts sur une population d'un million d'habitants.
25:00 Ensuite, il y a eu le démembrement de la Géorgie en 2008.
25:04 Ensuite, il y a eu l'annexion, l'occupation de l'annexion de la Crimée en 2014 et l'invasion
25:11 du Donbass.
25:12 Il y a eu Alep, Homs, en Syrie.
25:15 Et à chaque fois, on a adopté une attitude conciliante en espérant que nos gestes vis-à-vis
25:21 de Poutine allaient le ramener à la table des négociations et dans le droit chemin.
25:25 Mais la vérité, c'est que c'est cette attitude-là qui est une forme d'impérialisme
25:29 de la pensée occidentale.
25:30 C'est de projeter sur l'autre ses propres codes.
25:33 Mais Poutine, il n'a pas envie d'être à cette table.
25:35 Il a envie de la renverser, la table.
25:37 Il n'a pas envie d'adopter nos codes.
25:38 Il n'a pas envie de réfléchir en termes d'intérêt comme le font les diplomates
25:41 occidentaux.
25:42 Il est mu par une haine viscérale de nos cités et pense que tant que l'Union européenne
25:49 existe à ses frontières, il y a un risque de propagation des idéaux de liberté, de
25:54 démocratie qu'elle incarne.
25:55 Vous livrez un récit et une lecture de ce qui s'est passé.
26:03 On pourrait, évidemment, mais c'est vous qui avez la parole et qui êtes l'invité,
26:07 ce n'est pas moi.
26:08 Mais pour autant, on pourrait analyser l'ensemble des faits qui se sont passés depuis 30 ans
26:14 de façon totalement différente en partant d'ailleurs d'un point qui me semble essentiel,
26:20 à savoir que Vladimir Poutine est le produit de la politique que les Occidentaux ont menée
26:26 vis-à-vis de Gorbatchev au moment de la perestroïka.
26:31 Et c'est parce que les Occidentaux n'ont pas soutenu Gorbatchev et au contraire se
26:37 sont dit qu'il y avait moyen là d'affaiblir durablement et définitivement la Russie,
26:43 qu'ils ont produit un monstre en effet.
26:46 Et on pourrait ensuite relire toute l'histoire.
26:48 Mais peu importe.
26:49 Vous êtes trop narcissique occidentale.
26:52 Parce que bien sûr qu'il y a des fautes et des erreurs qui sont commises par l'Occident
26:58 ou par les dirigeants occidentaux.
27:00 Mais il faut arrêter de penser que tout n'est que réaction à ce que fait ou ne fait pas
27:06 l'Occident.
27:07 Il y a aussi des dynamiques internes.
27:08 Je veux bien entendre le narcissisme occidental.
27:11 Mais dans ces cas-là, comment expliquez-vous que toute une partie du monde aujourd'hui
27:16 considère que c'est votre discours qui relève du narcissisme occidental ?
27:19 Raphaël Lussman.
27:20 Moi, mon discours depuis le début, il a été d'écouter les peuples en question.
27:25 Personne n'a voulu écouter les Tchétchènes.
27:27 Tout le monde a décrété qu'ils étaient a priori biologiquement terroristes.
27:31 Personne n'a voulu écouter les Géorgiens en 2008.
27:35 Personne n'a voulu écouter les Syriens.
27:37 Personne n'a voulu écouter les Ukrainiens.
27:38 Personne même au sein de l'Union européenne n'a voulu écouter les membres de l'Union
27:44 européenne qui nous alertaient.
27:45 Les Estoniens, les Lituaniens, les Polonais, les Tchèques.
27:49 On a fermé nos oreilles, fermé nos yeux parce qu'en Europe de l'Ouest, on était sûr
27:55 de tout savoir.
27:56 On était sûr d'avoir raison.
27:58 On pensait que finalement, si les Européens de l'Est étaient si inquiets vis-à-vis
28:02 de la Russie, c'est qu'ils avaient des fantômes de leur passé qu'il fallait les
28:05 envoyer chez le psychanalyste en gros.
28:06 Eh bien, nous, nous sommes trompés en Europe de l'Ouest.
28:09 À Paris et à Berlin, les dirigeants se sont trompés dans leur analyse sur la Russie.
28:14 Et il est toujours bon de reconnaître ses erreurs quand la réalité nous saute au visage.
28:19 - Gilles Finkelstein.
28:20 - Vous disiez tout à l'heure qu'on était dans un entre-deux entre le réveil et le
28:24 sommeil.
28:25 Et vous interrogez jusqu'où cette guerre.
28:29 On considère que cette guerre n'est pas seulement la guerre des Ukrainiens, mais est aussi la
28:33 nôtre.
28:34 Il y a aujourd'hui, ce qui est nouveau, un accord que l'Ukraine doit gagner ou que Poutine
28:40 doit perdre.
28:41 Est-ce que c'est exactement la même chose?
28:43 D'ailleurs, chacun n'utilise pas nécessairement la même expression.
28:48 Et qu'est-ce que ça veut dire?
28:50 Et notamment, qu'est-ce que ça veut dire sur cette question qui est un peu un implicite,
28:57 qui est la question de la Crimée?
28:58 Il y a un début de reconquête de l'Est de l'Ukraine.
29:06 Et puis, il y a la question de la Crimée.
29:08 On recevait Thomas Gomart il y a quelques semaines qui montrait à quel point la Crimée
29:15 était non seulement un enjeu symbolique, un enjeu militaire, mais aussi un enjeu économique,
29:19 parce que c'est par là que transitait une partie des exportations agricoles.
29:24 Jusqu'où les objectifs ukrainiens doivent être les nôtres?
29:32 Raphaël, Lutwen.
29:33 D'abord, une chose, c'est qu'on a fait l'erreur de ne pas croire que la guerre allait arriver.
29:39 Mais on a aussi ensuite, quand il y a eu les premiers succès ukrainiens, eu une sorte
29:44 de vent d'optimisme qui s'est répandu partout en disant "ils vont gagner vite".
29:48 La vérité, c'est que cette guerre sera très longue et que l'Ukraine n'est pas aujourd'hui,
29:53 mais présentement en mesure de reprendre rapidement ses territoires.
29:57 Sur les objectifs stratégiques qui doivent être ceux des soutiens de l'Ukraine, des
30:03 européens, des occidentaux, ça doit être que l'Ukraine retrouve ses frontières de
30:08 1991.
30:09 C'est-à-dire que le droit international soit respecté.
30:12 Que le droit international soit respecté et que l'annexion de la Crimée, qui est une
30:16 première en Europe depuis la deuxième guerre mondiale, soit invalidée.
30:20 Parce qu'en fait, sinon, on n'aura pas été au bout.
30:24 On n'aura pas été au bout d'une chose fondamentale qui est le rétablissement de
30:27 l'architecture de sécurité européenne.
30:29 On a été extrêmement léger en 2014, quand on a réagi si mollement au fait qu'un tyran
30:35 peut en Europe s'arroger le droit de déplacer les frontières et d'annexer un territoire
30:42 à son propre pays.
30:43 Ce n'est jamais arrivé depuis 1945.
30:45 Je vais vous citer une phrase.
30:50 « Tout en défendant leurs intérêts vitaux, les puissances nucléaires doivent éviter
30:54 toute confrontation qui ne donnerait à leur adversaire que le choix entre une retraite
30:59 humiliante et une guerre nucléaire.
31:01 » C'est John Fitzgerald Kennedy en juin 1963.
31:06 Après la crise de Cuba, et ça a été la conclusion justement de ce moment où l'humanité
31:12 a frôlé la catastrophe.
31:14 J'entends ce que vous dites sur les frontières, sur la Crimée notamment, qui a eu un statut
31:21 qui a changé de nombreuses fois dans l'histoire, ou plutôt qui a changé parce que Khrouchev
31:26 a voulu la donner à l'Ukraine.
31:29 Mais j'aimerais que vous poussiez votre raisonnement jusqu'au bout.
31:33 Ça veut dire donc que vous pensez que là, ça va se résoudre par les armes et par le
31:42 fait d'évacuer jusqu'à la Crimée.
31:46 Et dans ces cas-là, quel est le risque ?
31:49 Ça va se résoudre par l'inversion du rapport de force.
31:52 À la fin, quand Poutine comprendra qu'il a perdu, peut-être que ça se résoudra par
31:59 des négociations.
32:00 Peut-être que ça se résoudra autour d'une table.
32:02 Je ne suis pas en train de vous dire « le plan militaire est de ». Ce que je dis, c'est
32:07 que l'objectif stratégique doit être de.
32:10 Mais la défaite sera forcément militaire ? La défaite de l'armée de Poutine ?
32:14 La défaite de Poutine commence par l'aspect militaire.
32:18 Parce qu'aujourd'hui, la décision se fait sur le terrain militaire.
32:23 Et parce qu'aujourd'hui, on est nous dans une situation où, comme nous n'interviendrons
32:27 pas, et ça c'est acté, tout le monde est d'accord, nous devons faire en sorte que
32:32 l'Ukraine puisse inverser ce rapport de force militaire.
32:35 Et ce n'est pas fait aujourd'hui.
32:36 Ce n'est pas fait parce que les armes arrivent au compte-gouttes et qu'aujourd'hui, il
32:41 y a un déséquilibre stratégique en termes de munitions, en termes d'équipements entre
32:45 la Russie et l'Ukraine encore au moment où on se parle.
32:48 Est-ce que ça se résout avec ou sans Poutine ?
32:51 Je pose la question autrement.
32:53 Est-ce que la présence de Poutine, pour l'instant, à la tête de la Russie, est un obstacle
33:00 supplémentaire ou est-ce que, à force de recul, une éviction de Poutine simplifierait
33:06 ou complexifierait la résolution de cette crise ?
33:09 La question de qui après Poutine qui obsède tout le monde, elle n'est pas encore, à
33:19 mon avis, d'actualité puisque Poutine est solidement au pouvoir.
33:21 Et qu'il a toujours joué sur cette carte qui était de dire "mais attendons, après
33:27 moi, ça peut être pire", vous avez vu, et c'est pour ça qu'il a financé des mouvements
33:30 ultra-nationalistes comme ceux de Zhirinovsky à l'époque pour expliquer qu'il y avait
33:33 toujours pire que lui.
33:34 Mais ce qui est certain, c'est que tant que Poutine sera au pouvoir, ça ne veut pas dire
33:40 qu'il y aura la guerre en Ukraine, mais tant que Poutine sera au pouvoir, il y aura une
33:44 situation de conflictualité.
33:45 Parce que cette conflictualité qu'on n'a pas voulu voir, elle existe chez Poutine dès
33:50 le départ.
33:51 Elle existe dès les années 2000.
33:54 Elle existe dès, finalement, Dresde.
33:57 Mais ça se comprend.
33:59 Moi, ce que j'aimerais, c'est qu'on arrive à saisir la cohérence de Poutine.
34:03 Parce qu'aujourd'hui, bien sûr, tout le monde nous explique qu'il a beaucoup changé.
34:06 Mais ça, c'est juste une manière de justifier le fait qu'on n'avait pas vu qui il était.
34:10 Parce qu'en réalité, le monde de Poutine se structure, et ça, il faut arriver à le
34:14 comprendre.
34:15 Et donc, c'est-à-dire qu'il faut faire un effort de décentrement.
34:17 Il se structure dans les années 89-90, quand l'URSS s'effondre, que lui, il est à Dresde,
34:24 et qu'il voit son univers s'effondrer.
34:27 Et qu'il nourrit depuis ce temps-là un sentiment d'humiliation et de revanche, de ressentiment
34:36 qui anime sa politique et qui a un cœur qui n'est pas dépendant des actions que nous
34:42 pourrions mener dans les années 2000, 2010, 2020.
34:45 Et donc, ça, ça veut dire qu'il y aura toujours cette conflictualité.
34:48 Les choses ne redeviendront pas paisibles avec Vladimir Poutine.
34:53 Mais ça n'empêche pas qu'il peut y avoir des solutions sur le terrain.
34:56 - Natacha Polony, puis j'aurais une question à vous poser à tous les trois.
34:58 - Je suis toujours assez étonnée quand on résume absolument tout à la folie d'un
35:05 homme qui serait la seule cause de tout.
35:07 Mais simplement, le résultat, le moment où nous en sommes aujourd'hui, c'est l'alignement
35:18 complet de l'Union européenne dans un camp occidental, un affaiblissement économique
35:26 qui, à terme, peut être extrêmement dangereux.
35:29 Je prends un seul exemple.
35:31 L'accord qui a été signé entre Ursula von der Leyen et Joe Biden sur les données,
35:38 les datas des citoyens européens que l'Europe essayait de protéger depuis des années.
35:43 Et nous les avons offertes en échange du gaz naturel liquéfié américain dont nous
35:49 avions besoin.
35:50 C'est un exemple parmi d'autres de tous les bouleversements que cause cette guerre.
35:54 Est-ce qu'à terme, l'Europe peut ne pas disparaître à la fois économiquement, politiquement,
36:05 industriellement dans un contexte où, de fait, pendant des décennies avant, les États-Unis
36:12 avaient utilisé l'extraterritorialité de leurs droits pour affaiblir les entreprises
36:16 européennes, pour imposer leur vision ? Et là, nous nous retrouvons, du fait de cette
36:21 guerre, en fait, totalement pieds et poings liés.
36:23 Si vous voulez que l'Europe ait une autonomie, il faut faire l'Europe de la défense, par
36:31 exemple.
36:32 Il faut qu'on ait des capacités autonomes de défense.
36:35 Moi, j'aime beaucoup les discours souverainistes qui nous expliquent "attention, on va être
36:39 dépendant des États-Unis, mais on va être dépendant des États-Unis si nous ne construisons
36:42 pas l'Europe de la défense".
36:43 Pourquoi moi, je suis pour ne pas dépendre des États-Unis ? C'est aussi parce que je
36:48 trouve complètement fou de jouer son avenir et sa sécurité tous les quatre ans au dé
36:56 en fonction des votes dans le vis-consigne.
36:58 On ne connaît pas les électeurs du vis-consigne, on ne sait pas ce qu'ils veulent et pourtant,
37:05 leurs votes déterminent notre sécurité.
37:07 Parce qu'en fait, qu'est-ce que vous pensez que ce serait passé si Donald Trump avait
37:19 été à la Maison-Blanche le 24 février 2022 ? Nous n'en savons rien.
37:24 Qu'est-ce qu'il ferait si Vilnius ou Riga étaient attaqués ? Nous n'en savons rien.
37:29 Donc c'est pour ça qu'il faut construire une capacité autonome de défense.
37:33 Et oui, la guerre va changer beaucoup de choses, mais elle va aussi changer des choses dans
37:37 une direction qui devrait vous plaire.
37:39 C'est-à-dire qu'on va reparler maintenant des capacités industrielles de l'Europe.
37:43 Parce que ce qu'on se constate aujourd'hui, c'est comme pendant la pandémie.
37:47 C'est-à-dire qu'on ne savait pas produire de masques ou de liprane ou de curare.
37:54 On ne sait pas non plus produire de munitions.
37:58 Nous ne sommes pas sur le front, nous n'avons pas un engagement direct et pourtant nos capacités
38:04 industrielles sont déjà sous pression, ce qui veut dire à quel point elles sont faibles.
38:07 Et donc il y a quand même là quelque chose sur laquelle s'appuyer pour changer les politiques
38:14 commerciales, faire en sorte que la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act
38:21 de Joe Biden, qui est une subvention et du protectionnisme vert américain, soit pas
38:27 des cris d'orfraie parce qu'il ne respecterait pas les règles de l'OMC, mais soit qu'on
38:30 fasse la même chose, c'est-à-dire qu'on défend nos intérêts stratégiques.
38:34 Mais pour que ça fonctionne, il faut résister à Poutine et il faut montrer qu'on est sérieux
38:39 en matière de sucrède.
38:40 C'est 100 milliards de dollars.
38:42 Joe Biden, c'est aussi l'aide militaire et financière la plus importante à apporter
38:47 au Suède.
38:48 Soyons honnêtes, qu'est-ce qu'on aurait fait là aujourd'hui vu notre état de faiblesse,
38:52 d'apathie industrielle, de léthargie sur le plan militaire, vu le sous-investissement
38:56 dans la défense des pays européens.
38:58 Qu'est-ce qu'on aurait fait là sans Joe Biden ? On serait dans un chaos total.
39:04 Et donc si vous voulez vous émanciper des Etats-Unis, il faut construire les instruments
39:08 de votre défense.
39:09 Il faut construire vos propres industries de défense.
39:12 Il faut renforcer vos capacités militaires.
39:16 Il ne faut pas avoir peur de le dire.
39:18 C'est pour ça que les investissements dans l'armée aujourd'hui sont nécessaires.
39:20 Allons jusqu'au bout sur cette question-là.
39:23 Si on est favorable, et c'est votre cas comme le mien, d'une défense européenne.
39:28 Est-ce qu'une des leçons de cette crise n'est pas que penser aujourd'hui, je ne
39:36 dis pas dans 20 ans, dans 30 ans ou dans 40 ans, mais penser aujourd'hui une défense
39:41 européenne en dehors de l'OTAN est une illusion ?
39:44 On ne peut pas aujourd'hui…
39:47 Quand on regarde ce qu'est l'état d'esprit de l'ensemble ou de l'immense majorité
39:54 de nos partenaires européens.
39:55 On ne peut pas aujourd'hui sortir de l'OTAN.
39:59 La chose est extrêmement claire sur le plan sécuritaire.
40:03 Mais on peut construire une capacité de défense autonome qui sera l'embryon de notre autonomie
40:11 stratégique ensuite.
40:12 Mais ça, il faut commencer dès maintenant.
40:14 Il faut commencer dès maintenant à doter…
40:16 Parce que tout le monde veut réarmer aujourd'hui en Europe, mais il faut impérativement qu'il
40:20 y ait une coordination européenne.
40:22 Parce que sinon, on va tous dépenser dans les mêmes domaines en même temps.
40:25 Non seulement ce sera une gabegie totale, mais en plus, ça va relancer une forme de
40:28 concurrence nationaliste entre les différents Etats membres.
40:32 Mais pour moi, l'Europe de la défense, ça passe aussi par le fait qu'on donne
40:39 aux pays qui sont directement menacés des garanties de sécurité.
40:43 Et ça commence par le fait qu'à Paris et Berlin, on sache écouter Vilnius, Varsovie
40:50 ou Riga quand ils nous disent qu'ils sont menacés, qu'on ne se moque pas d'eux
40:54 et qu'on ne prenne en compte leur question vitale, qui est celle de la sécurité vis-à-vis
40:58 de la Russie.
40:59 Et donc, c'est une opportunité pour la France, par exemple, qui ne dépendait pas
41:07 du gaz russe autant que l'Allemagne, qui avait continué à avoir une armée et une
41:11 industrie de la défense, de montrer qu'elle pouvait être leader en Europe sur ces questions
41:16 de sécurité et de défense.
41:17 Et donc, chaque hésitation des dirigeants français envoie le mauvais signal dans la
41:22 perspective même de créer une cohésion européenne.
41:26 Vous aviez dit qu'on va dépasser la question militaire pour en revenir à la question morale,
41:30 à la question des principes que vous portez, que vous défendez depuis longtemps maintenant.
41:36 Mais quand vous dites que Kiev est la capitale morale de l'Europe, est-ce que c'est une
41:40 phrase que vous partageriez, Natacha ?
41:42 Oui.
41:43 Natacha ?
41:44 Je ne comprends pas bien ce que ça veut dire exactement parce qu'on peut mettre absolument
41:50 tout dans cette phrase.
41:51 Kiev, capitale morale de l'Europe.
41:54 C'est aujourd'hui à Kiev que se vivent les principes même de la construction européenne
42:02 qu'ils ont défendus.
42:03 Et c'est à Kiev, vous savez où on dit toujours qu'il n'y aura pas d'attachement émotionnel
42:08 ou charnel au drapeau européen parce que personne n'est jamais mort pour lui, n'est-ce
42:13 pas, contrairement au drapeau tricolore ? C'était vrai jusqu'à récemment, mais moi en 2014,
42:21 j'ai vu des étudiants en philo de la fac de Kiev mourir un drapeau européen, braver
42:25 les balles des snipers, un drapeau européen dans les mains.
42:28 C'était pendant la révolution de Maïdan et qu'on appelait Euro-Maïdan, donc c'était
42:32 une révolution pour l'Europe, pour l'Europe européenne.
42:35 Et les Ukrainiens, depuis le 24 février, nous montrent chaque jour qu'on peut se battre.
42:40 Moi, je dis qu'on ne doit pas simplement soutenir l'Ukraine parce qu'ils sont courageux
42:45 ou parce que même ils nous défendent et que c'est notre intérêt en termes de sécurité,
42:49 mais aussi parce que je pense qu'ils vont nous apporter quelque chose dans l'Union
42:52 européenne.
42:53 Ils vont nous apporter une forme de fierté d'être ce qu'on est, de dire à nouveau
42:58 ce qu'on est et de voir que la force n'est pas nécessairement du côté de la tyrannie,
43:04 que le droit peut être plus fort que la force brute, qu'on peut aimer sa nation et qu'on
43:10 peut aimer l'Europe dans le même temps, dans le même mouvement, parce que c'est
43:14 aussi une leçon de patriotisme que nous donnent les Ukrainiens aujourd'hui.
43:17 Et tout ça, c'est un patriotisme d'adhésion au projet européen.
43:21 Natacha ? Là, vous avez un discours qui est un discours
43:24 d'un politique et c'est parfaitement légitime.
43:26 J'ai répondu que je ne voyais pas ce que signifiait cette phrase sur Kiev, capital
43:36 moral de l'Europe, parce que j'essaye de voir les choses en journaliste, c'est-à-dire
43:42 en regardant les faits et les faits sont complexes.
43:44 Par exemple, sur Euromaïdan, vous avez tout à fait raison, il y avait des étudiants
43:48 qui adhéraient à l'idée européenne et à l'idée d'un basculement de l'Ukraine
43:57 vers l'Union européenne en coupant petit à petit les liens d'inféodation à la
44:04 Russie.
44:05 C'est vrai, mais il n'y avait pas que ça en fait.
44:07 C'était à un moment où l'ensemble de la population ukrainienne était partagée
44:13 sur ces questions-là.
44:14 Et bien toute la complexité de cette affaire, c'est que justement la conscience ukrainienne
44:20 de cette volonté de se décoloniser, puisqu'en fait c'est un petit peu ça, est venue doucement.
44:26 Et à Euromaïdan, vous aviez ça, mais vous aviez aussi une diplomate américaine qui
44:33 était sur place, Victoria Nuland, et qui distribuait des gâteaux.
44:38 C'est-à-dire que vous aviez en fait un soutien par une puissance étrangère d'une
44:42 manifestation.
44:43 Peu importe, avec des gâteaux ou avec autre chose.
44:47 C'est-à-dire que vous aviez un soutien par une puissance étrangère d'une manifestation
44:51 contre un pouvoir.
44:53 Vous voyez, tout cela est complexe.
44:55 Et nous sommes aujourd'hui dans la continuité de cette histoire.
45:00 Et la question que je me pose, c'est faut-il lire ça en termes uniquement moraux, avec
45:07 l'idée du bien, du mal de Kiev, où est-ce qu'il faut lire ça en termes historiques.
45:14 Je vous invite à lire un article d'il y a un mois dans Le Monde Diplomatique, sur la
45:19 façon dont l'Union Européenne avait commencé ces dernières années à tisser des liens,
45:26 des liens notamment juridiques avec l'Ukraine, notamment à la demande des entreprises allemandes
45:32 qui ont besoin d'avoir des travailleurs formés à moindre coût et que du coup, on était
45:41 en train de faire basculer l'Ukraine d'un droit russe vers un droit européen.
45:44 Tout cela doit être pris en compte.
45:46 Il y a la question morale et il y a aussi les processus historiques.
45:51 C'est absolument pas d'ailleurs.
45:53 Ça fait une demi-heure qu'on parle de questions stratégiques.
45:56 Je ne place pas la question seulement sur la morale.
45:58 Et d'autre part, ce n'est pas un discours d'homme politique puisque je tenais ce discours-là
46:03 quand j'étais documentariste ou essayiste.
46:04 Quand vous étiez militant.
46:06 Mais votre discours, vous pensez qu'il est objectif ? Mais regardez, vous avez une diplomate
46:12 américaine.
46:13 Je vous cite des faits.
46:14 Mais non, vous me citez une diplomate américaine qui distribue des gâteaux.
46:17 Je vous parle de guerre, qu'on fait des centaines de milliers de morts.
46:19 Qu'est-ce que vous voulez ? C'est quoi cette équivalence ?
46:22 Vous croyez que les Etats-Unis n'exercent pas une ingérence au même titre que la Russie ?
46:28 Les Etats-Unis, vous savez que les Etats-Unis, par exemple la Révolution orange qui a commencé
46:32 le mouvement d'émancipation vis-à-vis de la Russie en Ukraine en 2004.
46:39 Les Etats-Unis au début étaient très très très sceptiques parce qu'ils avaient des
46:42 excellentes relations avec l'oligarchie en place.
46:44 Et d'autre part, les pays de l'Union européenne ont certes noué des relations juridiques.
46:53 Ce qui est un processus d'intégration qui n'avait pas commencé au moment de la guerre,
46:58 c'est le fait de la volonté des Ukrainiens.
47:00 Il y a des divisions politiques en Ukraine, mais regardez, on nous a servi pendant des
47:06 années cette idée que les Ukrainiens qui parlent russe sont proches de la Russie, alors
47:12 que les Ukrainiens qui parlent ukrainien à l'ouest sont proches de l'Europe.
47:15 La vérité, c'est que la majorité de la résistance aujourd'hui est composée par
47:19 les Ukrainiens russophones.
47:21 Vladimir Poutine, ses troupes, n'arrivent pas à conquérir les villes russophones comme
47:26 Krakow, qu'on nous avait présenté comme une ville prorusse, parce qu'il y a un sentiment
47:30 de résistance nationale en Ukraine.
47:33 Gilles, Gilles Finkelstein, si on va au-delà de l'histoire et de la morale et qu'on réfléchit
47:38 en politique et en se projetant dans l'avenir et en réfléchissant à ce qui dépend de
47:43 nous, de nous, européens, vous disiez l'Ukraine va apporter à l'Union européenne ce qui
47:49 pose, repose la question des modalités, du calendrier, de l'adhésion de l'Ukraine
47:55 à l'Union européenne, où en gros on a deux démarches qui s'opposent, une réflexion
47:59 plus géopolitique qui dit il faut aller vite et puis une réflexion plus...
48:05 Pour accélérer l'adhésion de l'Ukraine à l'UE.
48:07 Et une réflexion plus classique, juridique, technique qui dit il y a un certain nombre
48:11 de critères qu'il faut remplir et les deux ont des arguments qui sont des arguments solides.
48:17 Est-ce que vous êtes sur l'une de ces deux positions et est-ce que la voie de sortie
48:22 est cette nouvelle étage d'une communauté politique européenne qu'a proposé Emmanuel
48:27 Macron ?
48:28 Très clairement, ce n'est pas une voie de sortie.
48:31 Parce que si c'est conçu comme une voie de sortie, la communauté politique européenne,
48:34 il faut arrêter tout de suite.
48:35 Le président Macron a expliqué parce qu'en fait, il ne faut pas que ce soit perçu comme
48:40 une alternative.
48:41 Le président, au début, a peut-être eu cette idée qui lui a traversé l'esprit.
48:46 Mais en tout cas, depuis, ce n'est plus du tout la ligne officielle.
48:49 Et moi, j'en maintiens la ligne officielle qui est de dire que c'est autre chose.
48:53 Et donc, sur la question de géopolitique ou règles, en fait, ce sera les deux.
48:59 C'est-à-dire que bien évidemment, l'urgence géopolitique va faire qu'on va aller plus
49:02 vite dans l'examen des règles.
49:04 Mais il y a quand même un certain nombre de choses à changer pour que ça corresponde
49:10 aux règles.
49:11 Et il ne s'agit pas de dire que l'Ukraine, mais les Ukrainiens eux-mêmes ne le demandent
49:14 pas, que l'Ukraine adhère demain à l'Union européenne sans avoir réformé leur justice,
49:19 sans avoir réformé les structures de leur État.
49:21 Donc, il y a tout un processus.
49:23 Il faut prendre le temps.
49:24 Il fallait annoncer d'abord qu'ils étaient candidats, qu'ils allaient devenir membres.
49:28 Il faut faire en sorte que chaque étape soit le plus possible accélérée.
49:32 Et on ne sautera pas des étapes.
49:33 Il y a quelques mois, c'était l'été dernier, vous craignez une forme de lassitude, de lassitude
49:39 des opinions occidentales, notamment européennes.
49:43 Comme si d'ailleurs, on ne voyait pas le bout de la guerre et que finalement, les
49:46 yeux allaient se détourner de l'Ukraine.
49:49 Finalement, vous étiez peut-être trop pessimiste.
49:52 Ça vous surprend finalement que l'idée ou le projet ou ce qu'incarne la guerre
49:59 en Ukraine soit toujours aussi présent dans les consciences ?
50:02 Je pense qu'on joue notre avenir et que ce message de solidarité qui continue, moi,
50:10 me donne beaucoup d'espoir pour l'Ukraine, mais pas simplement pour l'Ukraine, pour
50:13 nos sociétés.
50:14 Parce que dans nos sociétés, on a une tendance au zapping qui est extrêmement ancrée.
50:20 On est un peu dans des sociétés de poisson rouge, c'est-à-dire qu'on saute d'une
50:23 émotion à une autre émotion à une autre émotion sans avoir de continuité sur un
50:26 seul sujet.
50:27 Et là, il y a quand même un rapport à cette guerre qui dure depuis le début.
50:33 Je serai toujours inquiet sur cette lassitude parce que je connais les sociétés européennes,
50:37 bien sûr, et que je sais en plus qu'il y a des difficultés immenses et que non seulement
50:43 la guerre sera longue, mais les conséquences sociales de la guerre seront longues.
50:47 Et que la responsabilité du politique, c'est d'abord d'expliquer, à mon avis, de donner
50:51 sens à cette solidarité, de la cultiver et d'expliquer pourquoi cette guerre nous
50:55 concerne aussi sans relâche.
50:57 Donc d'insister sur la menace qui pèse sur nous, pas simplement sur les Ukrainiens.
51:01 Et ensuite, c'est aussi de faire en sorte que les sacrifices qui sont demandés le soient
51:05 de manière juste, équitable.
51:07 Et c'est pour ça que tout le débat sur la taxation des profits de guerre, tout le
51:12 débat sur les contributions des plus riches à l'effort qui est demandé à l'ensemble
51:17 de la cité, c'est des débats extrêmement importants.
51:19 Ce n'est pas simplement des lubigochistes, c'est pas simplement par souci de justice
51:24 sociale, c'est par souci d'efficacité politique.
51:26 Il faut qu'on soude nos sociétés.
51:28 Vous, vous vous présentez comme réaliste.
51:30 Mais moi, je suis convaincu que je suis réaliste, oui, et que j'étais réaliste pendant 15
51:35 ans quand j'expliquais que, attention, le pouvoir qui grandit à Moscou nous prend
51:39 pour cible et que c'est dangereux et que j'étais réaliste quand j'ai demandé
51:42 la création d'une commission sur les ingérences au Parlement européen parce que je n'en
51:46 pouvais plus de l'état de surprise hébété des dirigeants européens, à chaque fois
51:50 qu'ils voyaient la main de la Russie dans les élections.
51:52 Je vous rappelle qu'ils se sont ingérés dans l'élection présidentielle de 2017
51:55 en hackant les comptes de campagne de Macron, qu'ils se sont ingérés dans les élections
52:00 présidentielles de 2016, qu'ils se sont ingérés dans la campagne du Brexit et que
52:03 donc, à chaque fois qu'il y a un tournant, ils essayent d'exploiter.
52:07 Ce n'est pas eux qui créent les failles de nos sociétés, mais ils exploitent ces
52:10 failles et que donc, oui, être réaliste, c'est savoir faire face à la réalité et
52:15 fonder sa politique sur la réalité et pas sur l'illusion de la paix perpétuelle qui
52:19 a été cultivée par les pseudo-réalistes.
52:21 L'émission touche à son terme, Natacha ?
52:23 Alors, en l'occurrence, l'illusion de la paix perpétuelle, elle venait de ceux qui
52:27 s'imaginaient que le modèle de la démocratie libérale avait définitivement gagné.
52:32 Et en effet, il n'a pas définitivement gagné et c'est bien un problème.
52:34 Je ne m'y ai jamais imaginé.
52:35 Pour autant, la question des ingérences, elle est en effet essentielle, mais il faudrait
52:41 observer toutes les ingérences.
52:42 Et il n'y a rien de pire que les prophéties autoréalisatrices, c'est-à-dire en effet
52:46 la constitution d'un camp contre un autre pour ensuite constater qu'en effet, il y
52:49 a un camp contre un autre.
52:50 Et la question que je vous ai posée tout à l'heure…
52:54 Donc, il n'y a pas un camp contre un autre ?
52:55 Non.
52:56 C'est-à-dire que je considère que les pays européens sont du côté de l'Ukraine
53:00 et doivent soutenir l'Ukraine dans cette guerre parce que c'est le pays agressé.
53:04 Pour autant, je me méfie énormément de cette idée qu'il y aurait un camp occidental.
53:10 En plus, avec cette idée d'une sorte de magistère moral de ceux qui seraient les
53:17 plus vâtants guerre, alors que le président Macron, en essayant de jouer les pivots pour
53:24 mettre fin à cette guerre, aurait eu tort, aurait été tiède, etc.
53:28 Je crois que c'est une relecture qui en effet est une relecture de camp contre camp.
53:33 La question que je voulais poser, c'est derrière, quel est l'avenir ?
53:39 C'est-à-dire, est-ce que nous sommes au début d'une guerre mondiale ?
53:42 Est-ce que le prochain point d'embrasement, c'est Taïwan ?
53:48 Et est-ce que le camp occidental va donc combattre ?
53:53 Il n'y a là, en Ukraine, qu'un vâtant guerre, un camp vâtant guerre, c'est celui
54:00 de la fédération de Russie.
54:01 Ensuite, il y a une discussion sur comment on résiste à ce camp.
54:07 Et on ne peut pas résister à ce camp en refusant les armes que les Ukrainiens nous
54:12 demandent pour résister.
54:14 Et donc, ce n'est pas une question de vâtant guerre, c'est une question de savoir comment
54:22 résister à une offensive qui n'a pas été déclenchée par les Américains, par les
54:26 Polonais, par les Baltes ou par les Ukrainiens, qui a été déclenchée par Vladimir Poutine.
54:30 Et donc, il faut aujourd'hui comprendre qu'en tout cas, oui, il y a un camp, qui
54:35 est celui de Poutine.
54:36 Et que face à ce camp-là, il faut qu'on travaille avec les autres démocraties pour
54:41 faire en sorte que ce camp, qui est celui de la tyrannie, qui est celui de l'oppression,
54:46 perde cette guerre.
54:47 Parce que c'est vital pour l'Ukraine, mais parce que surtout, c'est fondamental pour
54:52 nous.
54:53 Et que moi, ce n'est pas par moral, ce n'est pas par réalisme que je le dis, c'est par
54:56 souci des intérêts stratégiques de la France et de l'Europe.
54:59 Si Poutine ne perd pas cette guerre, nous ne connaîtrons plus la paix sur notre continent.
55:03 Merci infiniment Raphaël Glucksmann d'avoir été l'invité de ce grand face à face
55:07 très largement consacré à l'Ukraine.
55:10 365 jours de guerre et des émissions spéciales, vous le savez, sur l'antenne d'Inter, qui
55:15 vont se poursuivre jusqu'au 24 février prochain.
55:19 Merci Natacha et Gilles, à la semaine prochaine.
55:21 Merci à Mathilde Clattes qui a préparé cette émission.
55:24 A la réalisation, c'était Marie Mérié.
55:25 A la technique, Raphaël Rousseau.
55:27 A suivre, le journal de Frédéric Barère.
55:30 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
55:33 ♪ ♪ ♪

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