• il y a 5 mois
Plus de deux ans que la guerre est aux portes de l’Europe, plus de deux ans que la Russie met au défi l’Occident en agressant l’Ukraine. Un conflit armé sans précédent sur notre continent depuis la Seconde guerre mondiale.
Quel est le quotidien des Ukrainiens qui vivent sous les bombes, des habitants qui restent dans des ruines, des soldats qui continuent de se battre avec détermination ? Gardent-ils espoir en l’avenir ? Et l’Europe, quel rôle joue-t-elle ? Quel soutien apporte-t-elle ?
Rebecca Fitoussi et son invité, Bernard-Henri Lévy, ouvrent la discussion.
Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 "L'Ukraine au cœur", réalisé par Bernard-Henri Lévy et Marc Roussel.
00:04 Bernard-Henri Lévy, qui est avec nous pour revenir sur ce documentaire.
00:07 Merci d'être avec nous aujourd'hui.
00:08 Bonjour, bienvenue, philosophe, écrivain, réalisateur.
00:11 Vous avez tourné ce film l'été dernier, entre juin et septembre 2023.
00:15 Question simple pour commencer.
00:16 Avez-vous des nouvelles des Ukrainiens que vous avez suivis pendant ce film ?
00:20 Comment vont-ils ?
00:21 Tout le temps.
00:22 Tout le temps, parce que quand on...
00:24 Quand on vit une aventure comme celle-là,
00:26 celle que je viens avec vous de revoir,
00:30 vous n'en sortez jamais.
00:32 Et il y a des liens qui se nouent.
00:34 Tous les personnages de ce film,
00:36 tous ceux que l'on voit apparaître ou les personnages récurrents,
00:39 c'est des liens à la vie et à la mort, donc on se parle tout le temps.
00:43 Un grand nombre d'entre eux, grâce au ciel, sont vivants.
00:47 Quelques-uns, notamment deux d'entre eux,
00:51 dans les scènes autour de Bahrout, sont morts.
00:55 Un des hommes qui est sur la position Macron, au début du film.
01:00 Un autre qui est à côté de Chassiviar.
01:04 Mais je suis en contact avec eux.
01:06 Contrairement à ce que je lis souvent dans la presse,
01:09 leur morale est bonne.
01:12 Ils ont une vie tragique, mais leur morale est bonne.
01:15 Ils ne croient pas du tout que Poutine va gagner cette guerre.
01:18 Et ils croient toujours que pour peu qu'on les aide,
01:20 ils gagneront la guerre.
01:23 Pourquoi ce documentaire, au fond ?
01:25 Est-ce que c'est pour documenter l'histoire ?
01:27 Est-ce que c'est pour mettre des visages sur une guerre
01:29 dont on parle plutôt stratégie, géopolitique ?
01:32 Est-ce que c'est pour humaniser aussi ce conflit ?
01:34 Oui, il y a deux choses.
01:37 D'abord, documenter.
01:39 J'ai la chance, depuis le début de cette guerre,
01:42 d'avoir des accès privilégiés,
01:44 parce que les Ukrainiens m'aiment bien,
01:48 parce que le président Zelensky a confiance en moi,
01:51 parce que je le connais d'avant l'élection,
01:54 je l'avais rencontré avant son élection.
01:56 Donc, quand on a la chance de pouvoir vivre tout ça,
02:00 d'aller dans tous ces endroits-là,
02:02 de passer du temps en première ligne, etc.,
02:06 ce serait vraiment dommage de ne pas en profiter.
02:09 C'est presque un devoir d'y aller.
02:10 Ce serait même un peu, pour moi en tout cas,
02:12 dans l'idée que je me fais du métier d'un intellectuel
02:16 presque un peu coupable, un.
02:18 Deux, une guerre, ce n'est pas des statistiques,
02:20 ce n'est pas des chiffres, c'est en effet des visages,
02:24 sauf les prisonniers russes, ça, on a flouté leur visage,
02:27 mais les Ukrainiens, c'est des visages,
02:29 c'est des vies, c'est des vrais humains.
02:33 Et pour moi, je suis à la base un philosophe lévinacien,
02:40 donc pour moi, un humain, c'est un visage.
02:42 Donc ça, c'est très important.
02:44 Et puis la troisième chose, c'est un film militant.
02:47 C'est-à-dire, c'est un film qui est fait
02:50 pour achever de convaincre vos spectateurs
02:54 que pourquoi il faut aider l'Ukraine, pourquoi c'est notre guerre.
02:57 Donc c'est un film qui est fait pour aider la cause ukrainienne.
03:01 - Est-ce que vous les sentez dans une logique de communication,
03:03 les Ukrainiens ? Est-ce que vous sentez qu'ils ont soif de communication,
03:06 soif de montrer ce qu'ils vivent ?
03:08 - C'est vrai qu'ils savent depuis le premier jour
03:12 à quel point la bataille de l'opinion, c'est aussi un front.
03:16 C'est aussi là que ça se joue.
03:18 Et combien de fois j'ai convaincu,
03:22 parce qu'en même temps, quand ça vient d'en haut,
03:25 pour filmer des choses pareilles,
03:27 il faut un accord absolu du commandant de la position, etc.
03:33 Combien de fois j'ai convaincu un officier
03:37 qui était parfois réticent à nous amener,
03:39 Marc Roussel et moi,
03:41 en lui expliquant quel effet ça aurait ?
03:44 Pourquoi c'était important que ça sorte à France Télévisions
03:50 ou aujourd'hui à Public Sénat ?
03:51 Qu'est-ce que ça change ?
03:52 - Qu'est-ce qu'on vous a interdit de filmer ?
03:54 Est-ce qu'on vous a interdit des choses, d'ailleurs ?
03:55 Est-ce qu'il y a eu une forme de censure et d'auto-censure
03:57 nécessaire pour des raisons stratégiques ?
03:59 - Non. La seule chose qu'on m'a souvent demandée,
04:02 c'était de ne pas diffuser d'images
04:08 ce que j'étais en train de filmer tout de suite.
04:10 Voilà. Premièrement.
04:12 Et deuxièmement, il y a des scènes,
04:14 toutes les scènes sensibles,
04:16 c'est-à-dire toutes les scènes, en gros, tournées en première ligne,
04:21 dont on m'a demandé de m'assurer,
04:23 avant la première diffusion du film, auprès d'eux,
04:27 que je pouvais la montrer.
04:29 En gros, il fallait que la position ait bougé.
04:33 Vous voyez, que ça ne soit plus, etc.
04:35 Pour une raison ou pour une autre.
04:36 Soit qu'elle a été parfois, hélas, perdue,
04:38 soit que les Ukrainiens aient avancé.
04:40 Mais voilà. Mais à part ça,
04:42 zéro censure de leur part, zéro autocensure de la mienne.
04:45 Tout ce qu'on m'a permis de filmer,
04:47 et Marc Roussel et Gilles Herzog, mes camarades,
04:51 étaient dans le même état d'esprit que moi.
04:53 Quand on nous offrait, on prenait, toujours.
04:56 Oui. Beaucoup de séquences fortes dans ce film.
04:58 On va revoir quelques-unes ensemble, si vous êtes d'accord.
05:01 Celle qui a retenu mon attention, notamment,
05:03 c'est votre interview d'un soldat russe qui a été fait prisonnier.
05:06 Il vous raconte les circonstances de sa mobilisation.
05:09 On regarde ensemble et on en parle juste après.
05:12 -Je suis allé en guerre pour annuler mes statuts,
05:15 pour m'administrer complètement.
05:18 -Au niveau de votre unité, beaucoup n'étaient pas fermés ?
05:22 -Plus de la moitié.
05:24 Vous voyez, c'est comme une situation.
05:28 Ce que l'Agence de la défense a promis,
05:30 ils n'ont pas fait.
05:32 -Qu'est-ce qui n'a pas été respecté par le ministère de l'Intérieur ?
05:35 -Nous, on a été promis qu'on pouvait travailler.
05:40 Quoi par profession, les voitures,
05:43 qui par construction, par exemple.
05:46 Ils nous ont dit qu'ils allaient faire
05:48 une deuxième et une troisième ligne.
05:50 Ils nous ont dit qu'ils allaient les renforcer.
05:53 -Dans la suite de l'extrait,
05:56 il nous dit qu'ils ont été vendus comme des esclaves
05:59 pour 25 000 roubles chacun, l'équivalent de 250 euros.
06:02 Vladimir Poutine envoie des détenus, des personnes malades,
06:06 encore récemment, un homme condamné pour cannibalisme.
06:08 Qu'est-ce que ça signifie, qu'ils n'arrivent pas à mobiliser,
06:11 que les Russes n'ont pas envie d'aller au front ?
06:14 -D'abord, qu'ils n'arrivent pas à mobiliser, absolument.
06:17 Deuxièmement, que c'est des mauvais soldats.
06:19 Des soldats extraordinairement démotivés.
06:22 Et ça signifie...
06:25 C'est l'illustration d'une loi qu'on connaît
06:28 depuis la Grèce ancienne,
06:30 à savoir, à mon avis,
06:32 que quand vous avez d'un côté une armée de soldats patriotes
06:37 et citoyens d'Ukraine,
06:39 et que de l'autre côté, vous avez des hommes comme ça,
06:41 c'est-à-dire démotivés, découragés,
06:44 qui ne savent pas pourquoi ils sont là, complètement à l'ouest,
06:48 je crois que les premiers, les soldats citoyens et patriotes,
06:51 ont un avantage considérable,
06:53 et c'est la raison pour laquelle, à mon avis,
06:55 si on se décide à les aider, ils gagneront la guerre.
06:58 En effet, je crois qu'on est les premiers
07:01 à avoir montré des prisonniers.
07:03 Il y a deux choses que je voudrais dire.
07:06 La première, d'abord,
07:07 image filmée dans le respect absolu des conventions de Genève.
07:11 - Bien sûr. - Visage flouté d'une part,
07:13 mais pas un Ukrainien dans la pièce.
07:17 Pas un Ukrainien, sauf mon traducteur,
07:20 dont on entend la voix.
07:21 Donc ça, évidemment, c'est essentiel.
07:23 Mais surtout, je crois que ces trois prisonniers
07:26 que nous montrons sont représentatifs.
07:29 - C'est important. - De quoi ?
07:31 De l'état de l'armée russe.
07:32 On ne les a pas pris...
07:34 Parce qu'ils étaient particulièrement...
07:37 - Des exceptions. - Voilà.
07:39 C'était vraiment ce jour-là, on était à Klishivka,
07:42 et c'est les trois prisonniers
07:46 qui ont été faits prisonniers dans la nuit.
07:48 C'était les prisonniers du jour.
07:50 Donc je pense qu'ils sont représentatifs.
07:52 Ils sont vraisemblablement représentatifs
07:55 de cette armée d'esclaves vendues comme de la chair fraîche
07:59 et envoyées au front comme de la chair à canon.
08:03 Et à mon avis, je pense que le sous-texte de cette interview,
08:08 comme d'un de ses compagnons, d'ailleurs,
08:11 c'est qu'ils n'ont pas été vraiment capturés.
08:13 Ils se sont un peu rendus, en vérité.
08:16 C'est ça qu'il dit.
08:18 Et c'est ça que dit un autre prisonnier,
08:20 qu'ils n'avaient pas de GPS,
08:22 qu'ils ont été envoyés en mission de reconnaissance
08:25 et que, comme par hasard,
08:26 ils sont tombés sur une unité ukrainienne en face.
08:28 Je ne sais pas dans l'interview,
08:30 mais je ne serais pas surpris.
08:33 Enfin, je peux même dire
08:36 qu'ils n'étaient pas mécontents d'être faits prisonniers.
08:40 - Mais ce qui m'amène à cette question,
08:42 comment sont-ils traités par les soldats ukrainiens ?
08:44 Vous avez l'air de dire qu'il y a un traitement humain.
08:47 Presque fraternels ?
08:49 C'est compliqué pour eux de se battre
08:51 alors que ce sont deux peuples qui sont frères ?
08:53 - Fraternels, je ne dirais pas.
08:57 Peuple frère, d'ailleurs, non plus.
08:59 C'est ce que disent beaucoup les Russes,
09:02 mais les Ukrainiens ne se sentent pas très frères.
09:05 Non, les Ukrainiens se sentent frères
09:07 des siens fraternités,
09:09 ces fraternités avec les Lituaniens,
09:12 avec les Polonais,
09:14 avec l'Europe de l'Ouest de manière un peu plus lointaine,
09:17 mais pas tellement avec les Russes.
09:19 C'est la fable qu'ils ont inventée depuis longtemps,
09:24 depuis l'URSS,
09:25 et évidemment avec lourde aggravation depuis Poutine.
09:28 - Comment la qualifier, cette relation ?
09:30 Notamment quand les uns détiennent les autres ?
09:32 - Quand les uns détiennent les autres...
09:36 Je ne sais pas ce qui se passe quand les...
09:38 Si, je sais, d'ailleurs.
09:40 Quand les Russes détiennent les Ukrainiens,
09:41 ça se passe mal.
09:42 Il y a un personnage du film,
09:44 un combattant du régiment Azov,
09:46 Ilya Samoylenko,
09:48 qui m'a fait des récits assez terribles
09:51 des conditions de détention.
09:53 Donc les gens d'Azov,
09:55 notamment maltraités dans les prisons russes,
09:58 maltraités dans les prisons des séparatistes russes.
10:02 Il y a eu, avant ce film,
10:05 cette prison en territoire séparatiste
10:08 qui a explosé avec une bombe
10:11 très certainement mise à l'intérieur par les Russes
10:14 et qui avait des dizaines et des dizaines de morts.
10:16 C'est comme ça que les Russes traitent leurs prisonniers.
10:18 Les Ukrainiens, ils ne les traitent pas en frères,
10:20 mais ils les traitent bien.
10:22 Et ça, je les vérifie aussi.
10:24 Ils les traitent, là encore, selon le droit de la guerre,
10:28 les conventions de Genève, etc.
10:30 Sans aucun doute.
10:31 Il y a d'ailleurs une application,
10:33 c'est aussi dans...
10:35 Une application Telegram
10:39 qui s'appelle "I want to live", je crois,
10:43 "I want to live", "Je veux vivre",
10:44 qui permet à des soldats qui veulent se rendre
10:48 d'entrer en contact avec la première ligne ukrainienne.
10:51 Et je peux vous dire que cette ligne Telegram,
10:53 elle est archi courue.
10:55 Pourquoi ? Parce que les soldats russes savent
10:57 qu'ils seront mieux traités à attendre la fin de la guerre
11:01 dans une prison ukrainienne que par les chiourmes,
11:04 les gardes-chiourmes de leur propre armée.
11:06 Dans votre film, il y a aussi des séquences un peu plus légères,
11:09 pas moins signifiantes pour autant.
11:11 On va en voir une aussi.
11:12 C'est au début de votre documentaire.
11:14 Vous êtes sur le front avec des soldats
11:16 et vous découvrez le nom qui a été donné à une position.
11:19 On va en parler juste après l'extrait.
11:21 La position est appelée "Macron".
11:27 - C'est la position "Macron". - OK.
11:29 - Votre président. - Oui, bien sûr.
11:32 - Tac, tac.
11:33 - La position "Macron".
11:35 Vous avez su si c'était vrai, ironique ?
11:38 - C'est vrai. - C'est vrai ?
11:39 C'est vraiment le nom qu'ils ont donné à leur position ?
11:41 - C'est archi vrai. - C'est ironique ou c'est vraiment amical ?
11:44 - C'est vraiment amical. C'est vraiment amical.
11:46 Il y a eu un peu d'échos et débats dans l'opinion ukrainienne,
11:51 dans le regard qu'elle porte sur la France,
11:54 mais globalement, la France est avec la Pologne,
11:57 les Pays-Baltes et l'Amérique
11:58 parmi les pays auxquels les Ukrainiens ont confiance,
12:01 les pays qui aident.
12:02 Et ce canon-là est un canon français.
12:05 Il y a des canons César que j'ai vus aussi,
12:08 que j'ai vus opérer,
12:10 qui sont des canons de fabrication française,
12:14 dont les Ukrainiens pensent que c'est parmi les meilleures armes du monde.
12:17 Non, non, la position s'appelle "Macron"
12:19 parce que Macron est bien vu en Ukraine.
12:24 - Quand ils entendent qu'E. Macron parle d'envoi de troupes au sol,
12:28 comment perçoivent-ils cette information,
12:29 ces déclarations répétées du président français ?
12:32 - Au début, les Ukrainiens ont été surpris,
12:36 se sont demandé si c'était du lard ou du cochon,
12:39 et puis ils ont compris que c'était sérieux,
12:41 que c'était un vrai geste stratégique et politique.
12:45 Et je crois qu'ils sont extrêmement heureux.
12:49 Voilà.
12:50 Ils pensent que voilà un pays qui...
12:55 Comment vous dire ?
12:56 Les Ukrainiens, au fond, se tuent à nous dire,
12:59 depuis le début de cette guerre, depuis deux ans et quatre mois,
13:03 enfin, de la guerre, de la full scale, de l'invasion totale,
13:06 mais la guerre, elle a commencé il y a 10 ans, 2014,
13:09 se tuent à nous dire que c'est pas eux le seul sujet,
13:12 c'est pas l'Ukraine, que le vrai sujet, c'est l'Europe,
13:15 que la vraie intention de Poutine, c'est de démanteler,
13:18 de démembrer l'Europe.
13:20 Là, ils ont l'impression qu'il y a un chef d'État,
13:22 et pas des moindres,
13:24 siège au conseil de sécurité,
13:26 armes nucléaires,
13:30 donc un chef d'État, la France, qui a reçu le message 5 sur 5.
13:33 - Et vous, comment vous les percevez, ces déclarations ?
13:36 Est-ce que vous les trouvez raisonnables, responsables ?
13:39 Vous dites qu'Emmanuel Macron parle comme il faut parler
13:42 à Vladimir Poutine, c'est-à-dire montrer les muscles ?
13:45 - Je trouve cette position nouvelle de la France,
13:47 la position de Macron,
13:49 je la trouve raisonnable et responsable.
13:51 Et je pense que c'est la seule façon,
13:53 la seule chance de faire reculer la guerre,
13:57 que c'est la seule chance de faire qu'il y ait moins de morts
14:00 à l'arrivée.
14:01 C'est la seule chance qui peut faire
14:05 que Poutine comprenne,
14:08 parce qu'en effet, il ne comprend que cette langue-là.
14:11 Et que quand on lui laisse le terrain libre,
14:13 il l'interprète à l'échelle géopolitique,
14:17 comme à l'échelle micro-tactique,
14:20 il l'interprète comme un permis d'avancer,
14:22 comme un permis de tuer.
14:23 - Est-ce que ça veut dire qu'Emmanuel Macron et la France
14:26 ont cessé de sous-estimer la Russie de Vladimir Poutine,
14:30 alors que pendant des années, nous l'aurions sous-estimé ?
14:33 Nous aurions été naïfs ?
14:34 - On l'a sous-estimé et sur-estimé.
14:40 On a sous-estimé sa capacité de barbarie,
14:45 on a sous-estimé son pouvoir de dévastation,
14:49 et puis on a sur-estimé la terreur qu'elle devait inspirer,
14:54 aussi, les deux.
14:56 Et encore, il y a beaucoup de monde,
14:58 parmi vos confrères ou parmi mes pères,
15:01 qui sont terrifiés par la menace nucléaire russe,
15:06 qui se disent qu'il ne faut pas y aller trop fort,
15:10 il faut brider les armes qu'on donne aux Ukrainiens,
15:13 il ne faut surtout pas fâcher trop Poutine,
15:17 parce qu'il va devenir très méchant,
15:19 donc on le surestime aussi.
15:21 Le vrai sujet sur Poutine, c'est de régler,
15:24 de trouver la bonne distance,
15:26 et je pense en effet que Macron l'a trouvé
15:28 avec les déclarations auxquelles vous faites allusion
15:31 sur l'envoi possible,
15:33 à condition que les Ukrainiens le demandent.
15:36 Ces déclarations sont justes et bonnes.
15:38 - Quels autres pays en Europe sont menacés ?
15:41 On voit la Géorgie en ébullition,
15:43 on voit plusieurs pays terrorisés à l'idée que la Russie
15:46 s'intègre dans ces pays d'une façon ou d'une autre,
15:49 par la loi, par le biais de responsables politiques.
15:51 - Vous avez deux pays immédiatement menacés,
15:53 c'est la Géorgie, ça a d'ailleurs commencé en Géorgie.
15:57 N'oubliez pas qu'en 2008, la Géorgie a été envahie,
16:01 et que vous avez une sorte de Zénatski géorgien
16:05 qui est en train de mourir dans une prison géorgienne aujourd'hui,
16:08 qui s'appelle Mikhaïl Saakashvili, d'accord ?
16:11 Vous avez la Moldavie,
16:12 avec une très brillante et courageuse présidente
16:18 qui est également en première ligne,
16:20 et puis vous avez, si on écoute Poutine,
16:23 moi ça fait 15 ans que je le répète,
16:26 bien avant ce film,
16:28 quand on écoute Poutine, il dit clairement que pour lui,
16:30 l'indépendance des Pays-Baltes et l'indépendance de la Pologne,
16:34 ça va pas, que c'est pas gravé dans le marbre,
16:38 que c'est pas absolument légal
16:40 et qu'il voudrait reconsidérer l'affaire.
16:42 Pologne et Pays-Baltes, en clair, ça veut dire
16:45 que c'est des pays qui sont en première ligne et demie, mettons.
16:49 - Vous pensez qu'il ira jusqu'où, vous ?
16:51 - Je pense qu'il ira jusqu'où on lui permettra d'aller.
16:55 C'est-à-dire, ce genre d'homme,
16:58 c'est vrai de Poutine, c'est vrai des Iraniens,
17:01 c'est vrai des Chinois, c'est vrai de cette internationale du pire,
17:05 c'est vrai de la Turquie, dans une moindre mesure,
17:09 quand on les encourage, ils en profitent.
17:13 Voilà, en gros, quand l'Amérique a abandonné les Kurdes,
17:19 il y a quelques années,
17:20 quand l'Amérique a quitté sans raison
17:23 et de manière honteuse l'Afghanistan,
17:26 il y a trois ans et demi,
17:27 ça donne aujourd'hui ce que vous avez vu dans ce film,
17:32 ça donne l'horreur de cette guerre, ça donne Poutine.
17:35 Poutine n'aurait jamais envahi l'Ukraine,
17:38 si l'Amérique n'avait pas quitté l'Afghanistan,
17:41 si l'Amérique n'avait pas trahi ses ennemis kurdes.
17:44 Il y a là une relation de cause à effet.
17:47 Et si jamais nous baissions la garde en Ukraine,
17:50 et ça, les Ukrainiens le répètent, à qui veut les entendre,
17:54 si nous baissions la garde en Ukraine,
17:57 alors bonjour, en effet, Pays-Bas, et puis bonjour, Taïwan,
18:01 parce que vous avez le meilleur allié de Poutine,
18:03 il y a les yeux fixés sur les positions,
18:06 ces micro-positions de rien du tout, c'est la Chine,
18:09 les positions que j'ai filmées, ils ont l'œil rivé.
18:13 Si ces positions cèdent, si Macron, si Biden baissent les bras
18:18 ou décident de faire à Poutine le cadeau d'un compromis,
18:21 ils diront que c'est bon, la voie est libre pour Taïwan.
18:24 Vous parliez des derniers mots de votre film,
18:26 effectivement, je les ai notés aussi, on les a même préparés,
18:29 "La Russie doit être défaite, ni compromis, ni délai,
18:33 des canons, des avions pour gagner et la guerre et la paix."
18:36 Est-ce que les Ukrainiens se projettent vers un avenir meilleur ?
18:41 Sont-ils optimistes ? Êtes-vous optimistes ?
18:43 C'est difficile d'être optimiste quand on sort de ça,
18:49 encore plus quand on vit là,
18:51 parce que moi, je suis un passant,
18:54 j'y ai passé deux mois, deux mois et demi.
18:56 Vous dites que vous souffrez quand vous quittez ces positions,
18:58 parce que c'est difficile de les laisser dans des situations.
19:00 Je suis malade quand je passe quelques jours
19:03 sur telle ou telle position.
19:05 Ça se corse et vous êtes obligé de partir.
19:06 Je suis obligé de partir,
19:08 c'est un privilège...
19:11 insupportable, moralement.
19:16 Mais c'est difficile d'être optimiste après ça.
19:20 Néanmoins, c'est nous les maîtres des horloges.
19:24 C'est nous, la France, les États-Unis, l'Allemagne, l'Europe,
19:29 nous sommes les maîtres des horloges.
19:32 Si nous décidons que ça doit aller vite,
19:36 et ça ira vite, la victoire de l'Ukraine.
19:40 Si on donne ce que je dis dans les derniers mots du film,
19:43 des avions, des canons, plus de César,
19:45 et enfin, les F-16,
19:48 qui permettront, c'est la demande du président Zelensky
19:51 depuis le premier jour,
19:52 cette formule d'ailleurs magnifique, de fermer le ciel.
19:55 Depuis le premier jour, Zelensky adjure l'Occident
19:58 de l'aider à fermer le ciel.
20:00 Fermer le ciel, ça veut dire empêcher les avions russes
20:03 de venir bombarder...
20:05 - Mais est-ce qu'il y croit ? Est-ce qu'ils y croient tous ?
20:08 - Écoutez... - Est-ce qu'il y a une forme d'optimisme ?
20:09 - Je ne l'ai pas vu depuis quelque temps,
20:12 depuis la fin du film, président Zelensky,
20:16 mais je suis...
20:18 Oui, je crois qu'il y croit, et je suis même frappé
20:21 par cette indomptable détermination
20:26 qui est la sienne et celle de son entourage.
20:28 Vous savez, ils vivent...
20:30 Ils vivent une vie étrange, hein ?
20:33 Zelensky, ses généraux,
20:35 Andrei Yermak, qui est son principal conseiller,
20:39 menacés en permanence,
20:41 des tentatives d'assassinats déjouées fréquemment.
20:46 Présence au front,
20:48 à la grande différence de Poutine.
20:51 Poutine, il va sur le pont de la Crimée et la Russie.
20:54 On a l'impression qu'il est en train de passer son permis
20:56 de conduire au volant de la grosse blindée.
20:59 Lui, Zelensky, il met l'uniforme
21:03 et il va saluer les soldats dans les lignes les plus exposées.
21:06 Donc, bien sûr qu'il y croit,
21:07 et il a cet optimisme inébranlable.
21:10 - Malgré l'élection.
21:12 - Modestement, et à mon humble mesure,
21:17 je partage cet optimisme.
21:18 - Même malgré l'élection américaine qui se profile
21:21 et qui pourrait faire réélire un Donald Trump ?
21:23 - Ça, évidemment, c'est la grande inquiétude.
21:27 C'est pour ça aussi qu'il faut que ça aille vite.
21:30 C'est pour ça qu'il faut que ces armes...
21:34 C'est ce que disent, encore une fois,
21:36 comme je vous le disais au début de notre conversation,
21:39 je n'ai lâché aucun de ses camarades.
21:42 On est en contact, on se parle, etc.
21:44 Ce qu'ils me disent tous,
21:46 c'est que les 61 milliards d'aides votées par l'Amérique,
21:50 maintenant, allez-y, exécutez.
21:52 Pareil pour la France, les promesses, que ça arrive.
21:54 Parce que c'est vrai qu'en novembre, il y a cette inconnue énorme,
21:58 cette catastrophe suspendue
22:01 qui serait l'élection d'un homme dont chacun sait
22:04 qu'il est l'allié de Poutine, mettons, qui est Donald Trump.
22:09 - Il lâcherait complètement l'Ukraine ?
22:12 - Je ne sais pas, mais...
22:14 Je ne sais pas.
22:17 En tout cas, aujourd'hui, c'est ce qu'il dit.
22:19 Et puis, quand il était président,
22:25 c'est ce qu'il disait.
22:26 Il y a des éloges de Vladimir Poutine,
22:29 par Trump, qui sont incroyables.
22:32 Il mérite un triple A,
22:34 il est meilleur que tous les présidents américains,
22:37 à part moi, dit Trump, etc.
22:39 Donc, bien sûr, il y a une alliance...
22:42 Je ne sais pas sur quoi elle est basée,
22:45 alliance de mâles alphas,
22:46 alliance de gros...
22:50 - Dirigeants autoritaires ? - Autoritaires, je ne sais pas.
22:53 Peut-être... Voilà.
22:55 Il y a une alliance organique entre les deux hommes.
22:58 - Vous allez y retourner en Ukraine ?
23:00 - Je vais y retourner assez prochainement
23:02 parce que, contrairement à mes deux films précédents,
23:06 celui-ci n'a pas encore été vu.
23:08 Enfin, il a été montré à la télévision,
23:10 mais je voudrais le montrer à ceux qui l'ont fait.
23:13 Ceux qui l'ont fait, ce n'est pas seulement Marc Roussel et moi
23:16 ou Sarah Roussel,
23:17 ceux qui l'ont fait, c'est les personnages du film.
23:20 Donc, il y a un événement prévu bientôt,
23:23 je ne peux pas vous le dire, pour des tas de raisons,
23:26 mais il y a un événement prévu.
23:28 Ça ne sera pas à Kiev,
23:29 ça sera dans une des zones
23:32 que vous avez découvertes dans le film,
23:34 où nous irons le montrer, ce film,
23:37 aux gens qui y paraissent,
23:42 qui en sont les protagonistes et qui en sont les auteurs,
23:45 qui en sont les auteurs avec nous, avec Marc Roussel, avec moi.
23:48 - Et ça s'appelle "L'Ukraine au cœur".
23:51 Merci d'avoir été notre invité,
23:52 d'être revenu sur ce documentaire très fort
23:55 qui documente l'histoire.
23:56 Documentaire à revoir, évidemment,
23:58 sur notre plateforme publicsena.fr
24:00 ainsi que l'échange que nous venons d'avoir.
24:02 Merci beaucoup et merci à vous de nous avoir suivis.
24:05 (Générique)
24:08 ---

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