Chiara est paraplégique depuis ses 10 ans. Longtemps, elle ne s’est pas reconnue dans les représentations qui sont faites des personnes handicapées : celles qui les réduisent à leur condition physique et renient leur identité.
https://zep.media/textes/handicap-definit-pas-qui-suis/
Journalistes vidéo : Salomé Dionisi et Paul Ricaud
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00:00 Je me lève pas le matin en me disant "Putain de merde, je suis handicapée", pas du tout.
00:03 Par contre, je me balade dans la rue et là, il y a un mec qui vient me voir et qui me demande ce qui m'est arrivé,
00:06 et là je me dis "Putain de merde, je suis handicapée".
00:08 Donc c'était aussi ce truc de dire "Franchement, ça va, tout va bien".
00:12 Je m'appelle Chiara, j'ai 23 ans,
00:21 je suis étudiante en Master 2 de Communication Média à Sciences Po
00:25 et je milite pour une meilleure inclusion des personnes handicapées en France.
00:29 Moi, j'ai eu un accident de la route, je suis devenue une personne handicapée du jour au lendemain.
00:33 Donc pour moi, ça a été aussi tout un processus d'acceptation qui n'a pas forcément été toujours facile.
00:38 Le problème qui s'est posé, c'est que j'avais une image totalement erronée de ce que c'était
00:43 et une image assez péjorative d'ailleurs, à laquelle je n'avais pas du tout envie d'être associée.
00:48 En 2008, les personnes handicapées étaient encore totalement invisibilisées dans les médias,
00:52 donc il y avait très peu de contenu.
00:54 Les seules images que j'avais, c'était peut-être le téléthon à la télé
00:58 ou des documentaires absolument tristes.
01:02 J'en ai beaucoup souffert de cette manière, en fait, qu'on avait me regardé soit avec de la pitié,
01:10 parce qu'on s'imagine que tout de suite, c'est une situation qui est triste,
01:13 soit où on me héroïsait et vraiment c'était "mais tu es tellement forte,
01:18 c'est tellement incroyable tout ce que tu arrives à faire dans ta vie,
01:20 mais tu es là avec nous, tu partages des moments alors que tu es une personne handicapée".
01:24 Ils n'ont jamais vu dans les médias ou dans la vie des personnes handicapées faire des choses ordinaires,
01:30 donc forcément que pour eux c'était quelque chose d'assez exceptionnel.
01:33 De base, on ne voyait absolument pas les personnes handicapées dans les contenus médiatiques.
01:37 Ensuite, on a commencé à les voir jouer par des personnes valides
01:42 et à aucun moment, on incluait juste une personne handicapée dans un film,
01:45 en faisant comme si c'était normal en fait, parce que dans la société, c'est le cas.
01:48 Il y a quand même presque 20% des personnes en France qui sont en situation de handicap
01:53 et ces gens-là, ils ne sont pas en train de parler de ça toute la journée.
01:55 Quand j'ai vu "Intouchables", je ne me suis absolument pas reconnue dans quoi que ce soit,
01:58 je n'ai pas trouvé ça très marrant pour être honnête.
02:00 Le premier contact que j'ai eu avec une représentation respectueuse, je pense,
02:04 ça a été avec Elisa Rojas, qui est un peu ma militante favorite.
02:10 Elle a sorti un livre en 2020, pendant le confinement, qui s'appelle "Mr. T et moi".
02:14 Et c'est là que vraiment je me suis dit "enfin, il y a quelqu'un, il y a une femme handicapée
02:20 qui parle, qu'on écoute, et qui a publié un livre, et qui a ensuite fait en plus la couverture de Marie Claire".
02:26 Enfin, je veux dire, pour moi, quand j'ai vu cette couv', j'ai cru que j'allais pleurer en fait.
02:30 Ça a été une avancée énorme.
02:32 Je me suis vraiment sentie énormément soulagée, je pense.
02:36 Sex Education, franchement, l'acteur déjà, il est vraiment tétraplégique,
02:40 donc ça, c'est une avancée énorme.
02:43 Et en plus, ça parle de sexualité, qui n'est pas forcément le sujet privilégié quand on parle du handicap.
02:47 On ne va pas du tout parler du fait qu'une personne handicapée puisse être amoureuse,
02:51 être en couple, ou ne pas être amoureuse, ne pas être en couple, mais juste avoir une vie sexuelle.
02:56 Pendant très longtemps, j'ai essayé de me calquer sur les personnes valides,
02:59 parce que c'était le seul modèle que j'avais.
03:01 Là, je me sens enfin représentée, je ressemble à ces personnes-là.
03:05 Et je peux assumer mon handicap aussi.
03:08 Je peux plus assumer mon corps, je peux plus assumer ma condition.
03:12 Je peux arrêter d'avoir honte, je ne sais pas, d'une manière dont je vais agir,
03:16 ou de l'aide dont je vais avoir besoin, etc.
03:20 Parce qu'il y a d'autres personnes qui le montrent, ça, c'était énorme.
03:25 Donc voilà, pour moi, petit à petit, quand même, on commence à visibiliser ces gens-là.
03:29 Mais ce n'est pas que dû aux médias traditionnels, c'est aussi grâce aux réseaux sociaux.
03:32 Parce que ce sont des personnes qui, d'elles-mêmes, ont décidé de se montrer,
03:36 et ça a été un engrenage qui a permis aussi aux médias traditionnels de s'y mettre.
03:40 J'ai ouvert un compte Instagram militant en 2020, qui s'appelle "Compassion".
03:45 Je partage des témoignages de personnes concernées par le handicap ou par la maladie,
03:50 qui racontent des phrases qu'elles ont entendues au cours de leur vie,
03:53 des phrases qui viennent de la part de personnes qui ne sont pas du tout confrontées au handicap.
03:57 J'essaye d'y répondre avec une pointe d'ironie, simplement parce que
04:00 je n'ai pas non plus envie que le sujet soit trop dramatique.
04:02 Il faut aussi apporter parfois une pointe de légèreté.
04:05 Et voilà, le but, c'est vraiment de sensibiliser les gens,
04:09 de peut-être donner la parole à des personnes qui ne vont pas souvent dans les médias.
04:13 Et de faire avancer les choses, je l'espère.
04:17 [Musique]
04:22 Merci à tous.
04:23 Au revoir.
04:23 [SILENCE]