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Euphorie, désinhibition et, pour certains, addiction... Mis en lumière par l'affaire Pierre Palmade mais scruté depuis longtemps par les associations LGBT, le chemsex consiste à avoir des rapports sexuels sous l'emprise de produits psychoactifs. Boris (le prénom a été modifié) est un ancien chemsexeur. Il a accepté de témoigner pour BFMTV.com. Philippe Batel, addictologue, nous apporte son éclairage, et Jean-Luc Roméro-Michel témoigne de la perte de son mari, mort d'un coma après une soirée chemsex.


Pour se faire aider, il est possible de contacter le numéro d'appel "chemsex urgences" de Aides au 01 77 93 97 77 (numéro non surtaxé) ou Drogues info service au 0 800 23 13 13 (service et appel anonymes et gratuit, 7j/7 de 8h à 2h).

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Transcription
00:00 plus on va faire des soirées camés, plus on va consommer, plus on va en acheter.
00:05 Donc moi j'ai préféré acheter du produit que de m'alimenter.
00:09 Le chemsex, c'est la contraction en anglais de "chemical", les produits chimiques, et de "sexe".
00:14 Le terme désigne le fait d'avoir des relations sexuelles sous l'emprise de drogue.
00:18 Il est difficile d'avoir une estimation précise du nombre de pratiquants en France,
00:21 mais selon une étude de 2019, au moins un tiers des hommes gays d'Europe de l'Ouest et des États-Unis
00:27 ont eu ou ont des relations sexuelles sous l'emprise de drogue.
00:30 Les produits les plus utilisés dans le chemsex sont le GHB et les catinones.
00:35 Ce sont des drogues de synthèse qui ont parfois des noms un peu barbares, comme la 3-MMC.
00:40 Le GHB, il est à la fois un produit relaxant, anxiolytique,
00:45 mais il va modifier un tout petit peu les choses.
00:47 Et il a un effet qui est très très proche de l'alcool.
00:51 Donc il va donner à faible dose, plutôt le fait qu'on va se sentir bien,
00:56 on va sentir une désinhibition, et puis on va avoir quelque chose qui va augmenter terriblement la libido.
01:07 La deuxième catégorie sont les catinones.
01:09 Les catinones sont des drogues dites de synthèse.
01:11 Depuis 2009, il y a des biochimistes qui ont travaillé ces molécules
01:18 pour essayer d'avoir deux types d'effets.
01:20 Le fait d'être assertif, d'avoir une assurance en soi, d'être beaucoup plus rapide,
01:26 d'être plutôt un psychostimulant, et surtout d'avoir un effet empathogène.
01:30 Le fait d'être empathique, c'est le fait de se sentir proche des autres.
01:33 Ils ont rajouté un autre effet, qui joue un rôle majeur dans le chemsex,
01:38 qui est un effet entactogène.
01:40 L'enfet entactogène, c'est un effet qui va modifier les perceptions,
01:44 et qui va faire que chaque zone du corps va devenir érogène.
01:48 Ces substances ont chacune leur danger.
01:49 Pour le GHB, le principal risque quand il est surdosé est ce qu'on appelle les géoles,
01:54 une forme de coma.
01:56 Pour la 3-MMC, les principaux risques sont des troubles psychiatriques.
01:59 Mélangés à de l'alcool ou à du Viagra, ces produits peuvent avoir des conséquences désastreuses.
02:04 Boris est un ancien chemsexeur, c'est comme ça qu'on appelle les pratiquants du chemsex.
02:08 Pendant 5 ans, il va s'injecter de la 3-MMC pendant ses rapports sexuels.
02:12 Ça a commencé en 2016, après une séparation avec mon ex-ex-ami.
02:19 J'avais davantage confiance en moi, suite à cette séparation-là.
02:25 Je m'étais mis sur des sites de rencontres.
02:27 J'ai vu pas mal de personnes qui pratiquaient le chemsex,
02:30 mais je me suis fait renseigner sur internet.
02:32 Il n'y avait pas trop d'informations sur la pratique ni sur les produits
02:35 qui pouvaient être consommés durant ces soirées-là.
02:39 Ça a éveillé ma curiosité.
02:40 J'ai vu qu'il y avait une partouze qui était à 200 km de chez moi.
02:47 J'ai contacté la personne en question.
02:49 Du coup, j'y suis allé sur place.
02:51 Arrivée sur place, il y avait beaucoup d'hommes qui étaient présents.
02:55 Il y avait beaucoup de produits aussi.
02:57 J'étais un peu bloqué, fermé, de me dire si j'en prends ou pas.
03:02 Pendant 3 heures, il m'a expliqué que c'était l'effet du poppers,
03:06 que je ne deviendrais pas addict.
03:09 Pour un lâcher prise total, il fallait que je me fasse une injection.
03:13 Du coup, lui procéderait à l'injection d'encore un savinneuse.
03:17 Ça a duré durant tout le week-end.
03:19 Il y a eu plusieurs "slams", la consommation à la savinneuse.
03:24 J'ai dû en avoir 5 ou 6.
03:26 Après, je me suis reposé, j'ai repris la route,
03:29 j'ai refait 200 km pour rentrer chez moi.
03:31 Entre la première prise, ce qu'on appelle le rapport du cancer,
03:36 il y avait une année qui s'est découée.
03:37 Je me suis dit qu'il n'y avait pas d'addiction,
03:41 que je pouvais gérer ma consommation.
03:43 Puis, 2018, la consommation devenait beaucoup plus régulière.
03:46 C'était environ tous les 2 ou 3 mois.
03:49 Et à partir de 2019, la même chose.
03:51 Là où j'ai perdu le contrôle sur ma consommation,
03:56 c'était en 2020.
03:57 Il y a eu le confinement, un isolement social.
04:00 Du coup, je me suis enfermé avec moi-même et le produit.
04:03 Je n'arrivais plus à avoir des relations sexuelles normales,
04:06 sans produit.
04:07 Mais je me suis rendu compte que j'allais sur les partouts,
04:14 juste pour consommer.
04:15 Même pas pour avoir des relations sexuelles,
04:16 c'était consommer pour mon propre plaisir.
04:19 Les conséquences pour Boris sont graves.
04:21 Il va être contaminé au VIH, perdre son emploi
04:24 et développer des troubles psychiatriques,
04:26 comme la bipolarité et la paranoïa.
04:28 Autre élément inquiétant, c'est la facilité pour obtenir la drogue.
04:31 Ici, pas de dealer, tout se passe en ligne
04:33 et arrive dans la boîte aux lettres.
04:35 Je ne pensais pas à Toxicoman.
04:36 Mon dealer était mon facteur d'enfance
04:38 où j'allais faire un service officiel.
04:41 Je commandais le produit.
04:43 Ils sont très malins, ils ont notre date de naissance.
04:45 La semaine de notre anniversaire,
04:49 ils nous offrent quelques grammes de plus gratuitement.
04:53 Pour les facilités, pour Halloween, pour Noël,
04:59 pour Premier Lent, pour la Saint-Valentin,
05:02 pour avant l'été.
05:04 Des fois, je pouvais commander 5 grammes
05:06 et j'avais 10 grammes qui arrivaient chez moi.
05:07 Mais une fois que l'on a perdu le contrôle
05:09 et que l'on souhaite sortir du camsex, comment faire ?
05:11 Au-delà de la réduction des risques
05:13 qui permet d'apprendre aux personnes très dépendantes
05:15 à comment s'injecter ou à espacer les prises,
05:18 la dictologue Philippe Battel souhaite aller encore plus loin.
05:21 Je pense qu'un camsexeur,
05:23 une fois qu'il a accumulé des dommages très importants,
05:26 qu'il a tout fait pour réduire les risques,
05:28 mais qu'il n'a plus de veines
05:29 parce qu'il s'est complètement bousillé des bras,
05:32 qu'il n'y a plus rien autour de lui,
05:35 on doit lui proposer une abstinence double
05:39 à la fois de sexualité et à la fois de produits
05:43 pendant au moins 6 mois.
05:45 L'idée, c'est qu'il va falloir remettre
05:49 et la sexualité et les produits à leur place respective.
05:53 Boris n'a plus pratiqué le camsex depuis plusieurs mois.
05:56 Quand il se rend compte qu'il cherche des relations sexuelles
05:58 uniquement pour pouvoir prendre de la drogue,
06:00 il décide d'entamer une démarche d'arrêt.
06:02 J'ai commencé à en parler autour de moi,
06:04 notamment à mes parents.
06:06 Eux m'ont écouté, m'ont soutenu, ne m'ont pas jugé.
06:08 J'ai commencé à en parler autour de moi.
06:10 Il y a des personnes qui m'ont parlé de ma situation.
06:12 J'y suis allé et dans un cadre de non-jugement,
06:17 de confidentialité et en plus de bienveillance,
06:20 bien sûr, il y a eu des rechutes,
06:21 mais les rechutes font partie du soin
06:24 parce que ce n'est pas une satanie.
06:26 L'addiction reste une addiction,
06:27 donc c'est un combat au quotidien
06:29 pour pouvoir s'en sortir, si on veut s'en sortir.
06:31 Et donc, je n'ai plus peur d'aller d'abord.
06:33 J'arrive même à me projeter dans 10 ans.
06:35 J'ai des projets,
06:38 mais en tout cas, il faut en produire.
06:39 Malheureusement, l'issue est parfois dramatique.
06:42 En 2018, Jean-Luc Romero-Michel perd son mari
06:45 qui meurt d'un coma après une soirée camsex.
06:47 Dans un livre, il raconte la vie de son compagnon
06:50 et pousse un cri d'alerte sur le manque de politique publique sur le sujet.
06:53 Il a accepté de revenir sur ce moment
06:55 où il apprend la mort de son mari.
06:56 J'étais en province
06:59 puisque je faisais une session sur le VIH auprès de lycéens
07:05 et je n'avais pas de nouvelles depuis la veille au soir de mon mari.
07:11 Mon téléphone qui était retourné n'arrêtait pas de vibrer.
07:13 Et au bout d'un moment, je l'ai retourné.
07:16 J'ai vu que c'était un ami qui m'appelait.
07:19 Je savais que s'il m'appelait et qu'il appelait comme ça sans arrêt,
07:21 c'est qu'il se passait quelque chose.
07:22 J'ai appris qu'il avait disparu.
07:24 Et j'ai essayé évidemment encore de le joindre,
07:26 comme tout le monde essayait.
07:27 On est allé voir chez moi, on est allé partout.
07:30 Et puis, il n'était nulle part.
07:31 J'ai un commissaire de police qui m'a appelé
07:35 pour me demander où j'étais
07:37 et pour me dire qu'il voulait me parler.
07:39 Et donc, je me retrouve au commissariat.
07:41 Et puis là, d'une manière un peu brutale,
07:44 un commissaire du Val-de-Marne me dit
07:47 « Voilà, votre mari a pris des drogues avec un autre garçon.
07:53 Ils ont eu des relations sexuelles et il est mort. »
07:57 Voilà, sans plus d'infos.
07:58 Après, vous avez une perquisition tout de suite chez vous.
08:00 Donc, c'est quand même d'une brutalité très forte.
08:04 Et pendant plusieurs mois, j'étais dans une espèce de doute
08:07 parce que moi, je n'avais aucune idée.
08:09 Honnêtement, je n'avais absolument rien vu.
08:12 Donc, je ne sais pas s'il avait une pratique longue.
08:16 Je ne saurais jamais.
08:17 J'ai seulement appris quelques mois plus tard
08:19 que par des analyses qui ont été faites par la justice,
08:23 qu'il avait pris d'autres produits des trois mois précédents
08:27 et que donc, ce n'était pas la première fois qu'il prenait des produits.
08:29 Donc, ça a été quelque chose de difficile à vivre.
08:33 Vous avez une forme de culpabilité en même temps,
08:36 de vous dire « mais comment tu as fait pour ne pas te rendre compte de ce qui se passait ? »
08:41 Et puis, voilà, de surprise totale parce qu'on a vécu 11 ans ensemble.
08:46 On était vraiment…
08:47 Enfin, voilà, ça se passait très, très bien.
08:49 Moi, j'étais très heureux et je pense qu'il l'était aussi, a priori.
08:53 Il a agonisé a priori un long moment.
08:55 Donc, c'est-à-dire que le garçon l'a laissé comme ça par terre
08:59 et il a dû se rendre compte quand même de choses qui se passaient.
09:02 Et ça, c'est terrible parce que vous ne savez pas.
09:04 Vous savez qu'il a au moins agonisé pendant deux heures
09:06 et vous vous dites « mais c'est horrible,
09:08 qu'est-ce qu'il a dû lui passer par la tête pendant ces deux heures ?
09:11 Comment cette personne qui n'était pas un jeune,
09:13 qui avait quand même plus de 50 ans, a pu le laisser comme ça et n'a pas appelé les secours ? »
09:17 L'élu parisien, militant de la lutte contre le VIH depuis plusieurs années,
09:20 appelle désormais les pouvoirs publics à se positionner sur le sujet.
09:24 Avec le Chemsex et avec ces produits qui sont utilisés,
09:27 aujourd'hui, on a atteint les limites de la loi pénalisant.
09:30 Je dirais même que c'est cette loi qui cause des morts, d'une certaine manière.
09:34 Est-ce qu'on préfère que les gens meurent ?
09:36 Parce que c'est quand même ça où on pousse.
09:38 Mon mari, il est mort parce qu'on n'a pas appelé les secours.
09:41 On l'aurait appelé avant, il serait peut-être encore aujourd'hui
09:44 et c'est peut-être lui qui va raconter son histoire de vie avec le Chemsex.
09:48 Ou de sortie, je l'espère.
09:50 Ça concerne énormément de monde et que les moyens ne sont pas là.
09:53 Il faut donc qu'il y ait une mobilisation.
09:55 On ne peut pas laisser à l'association Aide, à Plessef, aux Narcotic Anonyme
10:00 de faire tout un boulot de santé publique.
10:03 Ou à Paris, ou aux villes.
10:05 Il faut qu'aujourd'hui l'État fasse cet état des lieux
10:09 et donne les moyens parce qu'aujourd'hui, il faut des moyens
10:12 à la fois pour l'information et la prévention, et puis surtout pour le soin
10:16 parce qu'aujourd'hui, les centres qui reçoivent les Chemsexeurs
10:20 sont totalement débordés et ne peuvent plus répondre à la demande.
10:25 Si vous pratiquez le Chemsex et que vous souhaitez vous faire aider,
10:28 il existe des solutions.
10:29 Il est possible d'appeler le numéro Chemsex Urgence de Aide ou Drogue Info Service.
10:34 [Musique]

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