Jacques Weber, acteur

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Dans la deuxième heure de son émission consacrée à la culture, Philippe Vandel reçoit chaque jour un invité.
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Transcript
00:00 Vous écoutez Culture Média et Philippe Bandel place à votre invité culture jusqu'à 11h.
00:04 Bonjour Jacques Weber, comédien prolixe prolifique au cinéma,
00:08 vous avez tourné sous la direction de Costa Gavras, Luiz Buñuel, Molinaro,
00:11 Gragné de Fer et même Alain Chabat au théâtre, c'est tout aussi impressionnant.
00:14 Vous avez joué avec Blanchon, Savary et Jean-Louis Barraud.
00:17 Après avoir refusé d'entrer à la Comédie Française, vous étiez venu nous parler il y a trois saisons
00:21 d'une pièce hors normes, ça s'appelait "Architecture", c'était au Bouffes du Nord déjà,
00:25 avec Emmanuel Béart, Anne Brochet, Denis Podalides, Stanislas Nordé.
00:29 Pourquoi j'en parle ? Car c'était une pièce signée Pascal Rambert qui est l'auteur francophone
00:34 le plus joué dans le monde et là vous récidivez avec un texte du même Pascal Rambert,
00:39 ça s'appelle "Ranger", seul en scène, qu'il a écrit pour vous.
00:43 Ce spectacle a une histoire à raconter, comment ça s'est fait ce projet ?
00:46 - Oui, c'était un désir mutuel qui venait de très loin,
00:49 puisque j'ai connu Pascal tout débutant, tout jeune,
00:54 et puis après je l'ai retrouvé bien longtemps après, comme ça se passe souvent dans notre métier,
00:57 avec des grands abandons, des grands oublis,
01:00 et puis on s'est retrouvé dans "Architecture", il y avait un désir mutuel de retravailler ensemble,
01:04 et donc il m'a dit "je vais t'écrire une pièce pour toi",
01:07 ce qu'il fait d'ailleurs la plupart du temps lorsqu'il aime les acteurs,
01:11 c'est comme ça qu'il travaille.
01:13 Mais je ne savais pas du tout de quoi il retournerait, donc on a commencé à discuter,
01:16 on discutait, on discutait, on discutait,
01:18 et puis un jour, ce qui était très amusant, c'est une anecdote autour de Federer,
01:24 en tout cas moi j'estime que c'est à peu près là,
01:27 où quelque chose est né, puisque je racontais que Federer était un type naturellement surdoué,
01:32 on s'en doute, mais qui était parfaitement colérique,
01:37 absolument hyper nerveux, enfin il cassait des raquettes comme un fou, quand il était jeune,
01:42 et qu'un jour il a décidé de, c'est l'histoire qui raconte ça, ranger sa chambre.
01:47 Et je trouve que cette expression "ranger sa chambre" pourrait exprimer que d'un seul coup on va dire bon,
01:52 on va commencer par le plus petit pour aller vers le plus grand,
01:55 se calmer, bien régir, tout ça.
01:57 Je raconte ça à Pascal, il me dit "tiens, ranger, ça sera le titre de ta pièce, un type,
02:02 arrivé à ton âge, 73 ans, décide de ranger sa vie à la suite d'un drame qui est la perte de sa femme".
02:08 - Mais attendez, c'est parti de là, moi j'ai cru qu'il avait écrit un texte pour vous,
02:12 et qu'ensuite est arrivée cette anecdote,
02:15 qui a donné le titre à la pièce, ou est-ce qu'il s'est dit "tiens, je vais faire l'histoire d'un écrivain
02:19 qui au soir de sa vie range ses affaires".
02:21 - Il y avait de toute façon un vrai désir de faire quelque chose ensemble,
02:25 de faire une pièce ensemble, d'ailleurs j'étais un petit peu apeuré par le fait du monologue,
02:30 ça me faisait un peu peur, je me disais "ce serait peut-être mieux de partager ça avec une actrice ou un autre acteur".
02:37 Et puis il m'a dit "non, non, non, j'ai une idée, tu vas parler à une photo, à une présence,
02:42 ça évitera le côté monologue, ça serait le 104ème mur".
02:46 Et bon, on a commencé comme ça, mais je ne savais pas où il voulait aller.
02:51 Et c'est ça qui est merveilleux, c'est que, naturellement c'est écrit pour moi,
02:54 mais quand j'ai découvert le texte, ça avait tout autant, ça avait peut-être même plus à voir avec lui qu'avec moi.
02:59 Si ce n'est qu'il y avait une réalité prégnante, ô combien, c'est que j'ai 73 ans,
03:04 et je jouais un homme de 73 ans, donc on a une vision commune de l'existence.
03:10 - Au moins vous êtes dans le personnage, je vais le résumer à grands traits avant qu'on entende,
03:13 il y a un teaser qui a été fait, c'est un écrivain au crépuscule de sa vie,
03:17 il est dans un très bel hôtel à Hong Kong, vue sublime, mais personne n'avait qui partagé cette vue,
03:22 il s'adresse à une femme décédée il y a un an, on écoute le teaser et on en parle.
03:25 - C'est fou d'avoir tant vécu dans l'autre et découvrir quand il s'en va qu'on n'est rien.
03:33 Je n'ai pas pleuré depuis que tu es morte, j'y rêve pas.
03:38 J'aimerais bien y arriver ce soir, que je sois délivré de ma peine, que mon chagrin sorte.
03:44 Pourquoi je n'arrive pas à pleurer ?
03:47 Dans le café il y avait cette chanson sur laquelle nous avons tellement dansé dans les années 80,
03:55 souvent ivre, défoncé et nu.
04:00 - Ça fait toujours bizarre de s'entendre.
04:04 Il y a des notes extrêmement tristes et nostalgiques,
04:09 alors même que je crois que ce qui est important c'est que c'est d'abord et avant tout un chant d'amour pour une femme,
04:14 et que ça a quelque chose de profondément vivant, gay.
04:17 - Oui, on n'est pas dans le pathos.
04:18 - Non, jamais.
04:20 En plus, comme il a décidé de mettre fin à ses jours, il a trouvé la solution, comme dirait l'autre.
04:24 D'ailleurs, très souvent, vous le savez, les suicidés sont des gens que vous les voyez la veille,
04:29 vous trouvez qu'ils vont très bien.
04:31 - Vous savez quoi ? Alors non, je ne sais pas du tout.
04:33 Je n'ai jamais rencontré de suicidé.
04:36 - C'est très intéressant ce que vous dites.
04:38 - Je les ai rencontrés la veille et tout allait bien,
04:41 parce que comme s'ils avaient trouvé la solution qui était inéluctable,
04:45 voilà, ils ont précédé l'appel.
04:48 - Retirer le poids qui était au-dessus de leur tête et de leurs épaules.
04:51 Oui, parce que je dis, vous avez 73 ans, vous vous adressez à une morte,
04:54 mais on n'est pas dans la tristesse, on n'est pas dans le ressentiment.
04:57 Vous racontez avoir dansé défoncé et nu.
05:00 - Je ne danse pas nu,
05:02 mais je danse sur les Stranglers.
05:06 - Vous savez quoi ? On peut l'entendre maintenant.
05:08 Je voulais qu'on l'entende dans l'extrême,
05:10 on va entendre les Stranglers.
05:12 Si on peut entendre les Stranglers.
05:15 J'ai réveillé un bon jour
05:18 Et le monde était merveilleux
05:22 Un rêve de midi-été
05:25 J'ai dormi et j'ai tombé
05:29 J'ai rêvé d'un vieil homme
05:32 Il s'est assis et a regardé la pluie toute la nuit
05:35 Il n'a pas pu dormir une semaine
05:37 Car tous les coups ont tombé
05:42 - Évidemment, on oublie que les gens de 70 ans, 30 ans, dans les années 80,
05:46 vous écoutiez les Stranglers à l'époque ?
05:48 - Non, franchement non.
05:49 Moi j'étais plutôt Barbara, Jacques Brel, Georges Brassas, etc.
05:54 Je n'étais pas très, je ne connaissais, je n'étais pas branché ou chébran comme on dit à l'époque.
05:58 - Vous avez aimé boire, vous avez aimé vous droguer ensemble,
06:02 on en parle juste après ça, on marque une courte pause.
06:04 Jacques Weber, évidemment, ce n'est pas vous, c'est le personnage.
06:07 C'est ça qui est intéressant dans les pièces de théâtre.
06:09 - Boire, ça peut être moi.
06:10 - Culture Média continue, à tout de suite.
06:12 - Jusqu'à 11h, Culture Média avec Philippe Bandel et votre invité,
06:15 Philippe, le grand comédien, Jacques Weber à l'affiche de la pièce "Ranger".
06:19 - C'est un seul en scène, ça sera en tournée dans toute la France,
06:22 après avoir triomphé d'abord au théâtre à Paris.
06:25 Vous vous adressez à une femme, vous regardez une photographie, vous lui dites
06:28 "Nous avons adoré boire ensemble, nous avons adoré nous droguer ensemble,
06:31 mais à chaque verre de whisky, à chaque ligne d'héroïne,
06:34 j'ai toujours senti la revanche en toi."
06:36 Quelle revanche ?
06:38 - D'après ce qu'il dit après, c'est qu'elle a eu tout simplement
06:42 une enfance extraordinairement difficile, où visiblement elle a été battue
06:46 par un de ses proches, venu de son père, ou peut-être...
06:50 Mais de toute façon, je pense qu'il y a toujours,
06:54 quitte que nous soyons, une revanche, entre guillemets,
06:58 entre grosses ou petites guillemets,
07:00 sur ce qu'a été l'enfance, sur ce qu'a été notre enfance,
07:03 il y a toujours des douleurs inexplicables ou inexpliquées sur l'enfance.
07:08 - Vous prenez une revanche ?
07:10 - Je prends une revanche.
07:11 - Sur votre enfance, en faisant ce métier ?
07:13 - Je prends une revanche en faisant ce métier,
07:15 alors elle est d'un ordre...
07:17 Elle est peut-être le fait qu'on ne me considérait pas,
07:19 j'étais très mauvais élève,
07:21 j'avais pas trouvé ma voie, comme on dit bêtement,
07:25 et puis une fois que je l'ai trouvée, j'ai été accepté, adopté,
07:29 mais ça reste là, ça reste là, ce truc qui grince
07:34 entre vos parents, votre milieu et vous-même.
07:37 - C'est drôle parce que justement, le comédien que vous incarnez,
07:41 l'écrivain que vous incarnez, il a des honneurs, il a un prix.
07:44 En même temps, il se met à distance de ce prix,
07:46 il sait ce que valent ces choses-là,
07:48 c'est une mise en scène de Pascal Rombert,
07:50 qui lui-même a écrit le texte,
07:52 comment décrire le plateau, qui est absolument magnifique,
07:54 c'est une chambre d'hôtel, mais c'est en même temps une capsule spatiale,
07:57 on ne pouvait pas en personne...
07:59 - Il s'est directement inspiré de nombreux voyages qu'il a fait,
08:03 il a été joué dans le monde entier,
08:05 et c'est vrai que quand vous allez à Séoul, ça m'est arrivé à Hong Kong,
08:08 vous avez souvent des espèces d'hôtels comme ça,
08:10 absolument nickel, mais glacial, mais glacial.
08:13 Mais ce qu'il y a de très important sur le plan du théâtre,
08:16 dans ce décor, c'est qu'on ne peut pas jouer ce qu'on appelle nous
08:20 le quatrième mur, c'est-à-dire qu'on ne peut pas jouer à la face,
08:22 on ne peut pas jouer vers le public.
08:24 On est littéralement enfermé dans cette boîte,
08:26 d'ailleurs il y a des espèces de colonnes en métal,
08:30 sur le devant, sur le quatrième mur,
08:32 ce qui fait qu'on a l'impression...
08:33 - J'ai vu, c'est comme si on était à l'extérieur,
08:35 je vais décrire pour les gens qui ne l'ont pas vu,
08:37 c'est comme si on était à l'extérieur sur un drone,
08:39 en train de voir un type dans une chambre d'hôtel,
08:41 mais tout en voyant la vitre.
08:43 On voit les vitres, on voit l'huisserie.
08:45 - Voilà, exactement ça, et ça c'est assez peu fréquent au théâtre,
08:50 et c'est très très agréable pour l'interprétation.
08:53 - Pascal Rambert l'a écrit pour vous, le texte on l'a dit,
08:55 qu'est-ce qu'il y a de vous dans ce personnage d'écrivain ?
08:57 D'abord votre femme est toujours de ce monde.
08:59 - Oui, ça c'est très très important, heureusement !
09:02 - Oui, ça a pu être une inspiration,
09:04 on va le dire que les gens ne s'inquiètent pas pour vous.
09:06 - La chose, c'est ce que je vous ai dit,
09:09 c'est qu'à 73 ans, on a quand même une façon,
09:12 on a quand même une tentation de faire le point,
09:15 à peu près tous les jours d'ailleurs.
09:16 - Est-ce que vous avez rangé votre chambre,
09:18 pour en prendre la légorue ?
09:19 - J'essaie, j'essaie toujours autant le bordel,
09:22 même peut-être de plus en plus.
09:23 - Non mais dans votre tête, est-ce que vous avez mis les affaires en ordre, Jacques Weber ?
09:26 - Je crois, sur le plan du jeu,
09:30 si voilà, je pense que je joue mieux
09:32 que lorsque j'étais plus jeune,
09:34 c'est marrant, j'ai entendu l'immense Jean-Louis Tratignan dire la même chose,
09:37 dire "je n'étais pas très bien étant jeune,
09:40 et puis ça s'est amélioré avec le temps, ça m'a beaucoup touché",
09:42 et je pense oui, dans ce sens-là,
09:44 j'ai, comment oui, j'ai rangé un petit peu le fait d'interpréter.
09:49 Il y a quelque chose qui s'est assagi, qui va mieux,
09:52 il y a une sorte de sérénité, de calme sur scène
09:54 que je n'avais pas avant, mais ça c'est
09:56 comme les gens qui font du cheval,
09:58 c'est les heures de sel qui comptent, moi c'est les heures de scène qui comptent.
10:01 Voilà, mais sinon, je reste dans un bordel absolument formidable
10:05 que je revendique, c'est très très bien.
10:07 - C'était ma question, il y a un moment très fort,
10:09 quand vous expliquez que vous êtes devenu invisible
10:11 aux yeux des jeunes et jolies femmes.
10:13 - Ah ça, c'est un moment, ça m'a rappelé une lecture
10:16 qui m'avait foudroyé
10:18 quand j'avais 60-65 ans,
10:21 c'était au-delà de cette limite.
10:24 - Votre ticket n'est plus valable, Romain Garry ?
10:26 - C'est ça le sujet, et c'est tout à fait,
10:28 et la façon dont l'écrit
10:30 Pascal Rambert, c'est vraiment tout à fait bouleversant
10:33 car c'est vrai, du jour au lendemain,
10:35 vous êtes habitué au regard féminin,
10:39 cette espèce de séduction qui rôde,
10:41 qui frôle, qui s'ouvrira ou non,
10:44 ou se refermera très vite, mais toujours est-il que c'est là,
10:46 c'est palpitant, et puis d'un seul coup
10:48 vous voyez qu'il y a un regard,
10:50 mais que rien ne se passe,
10:52 tout est fini, tout est passé ailleurs.
10:54 Et ça c'est quelque chose de,
10:56 bon, qui au début est très difficile à accepter,
10:59 ça marque le troisième temps d'existence,
11:02 et pour les femmes, puisque je regarde Madame,
11:05 pour les femmes c'est presque encore plus terrible,
11:08 parce que hélas, pour plein de raisons,
11:09 conjoncturelles, culturelles, sociales, etc.,
11:12 ça se passe plus tôt, et c'est assez redoutable,
11:15 c'est absolument, comment on dit, injuste.
11:18 - Il y a une blague absolument horrible,
11:21 plutôt un mot d'esprit, qui n'est pas vraiment de l'esprit,
11:23 qu'on dit sur le cinéma français, vous connaissez,
11:25 que deviennent les actrices françaises après 50 ans ?
11:28 Quel tour de magie font les actrices françaises après 50 ans ?
11:32 - Je ne sais pas. - Elles disparaissent.
11:34 - Oh là, c'est terrible. - Mais c'est horrible.
11:36 Et c'est ce qui se raconte dans le milieu du cinéma,
11:38 et c'est l'illustration de ce que vous dit Jacques Weber.
11:40 C'est écrit comme ceci par Ambert,
11:42 un gouffre infranchissable qui s'appelle "L'âge",
11:45 "J'étais devenu une chose invisible, un corps âgé,
11:50 sur lequel on pouvait au mieux porter un regard attendri,
11:52 comme on le fait aux enfants."
11:54 - Ben voilà, exactement.
11:56 - Il dit aussi "Je quitte un monde pire que celui dans lequel je suis né."
12:00 Vous pensez la même chose ?
12:02 - Ah oui, totalement.
12:04 Quoiqu'on était moins informé sur le monde dans lequel on était,
12:07 lorsque j'étais plus jeune, là il y a une surinformation,
12:10 mais qui participe au grand désordre.
12:12 Comment voulez-vous être rangé dans un monde qui l'est de moins en moins ?
12:17 Oui, c'est catastrophique.
12:21 On est dans quelque chose d'absolument gravissime.
12:23 - On va rester sur cette belle note d'espoir.
12:25 Est-ce que tu as envie de continuer à lire ça ?
12:27 Jacques Weber, vous allez partir en tournée avec ce seul ensemble rangé,
12:30 mais vous avez joué aux Bouffes du Nord.
12:32 Les Bouffes du Nord, c'est pas très loin de Pigalle,
12:34 et justement, Pigalle il en sera question dans le premier "Indispensable"
12:37 de Stéphanie Loire avec un hommage musical à "Tout de suite sur Europe".