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Dans la deuxième heure de son émission consacrée à la culture, Philippe Vandel reçoit chaque jour un invité.
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NewsTranscription
00:00 - Les comédiens de Charles Aznavour pour accueillir votre invité Philippe Vandel.
00:04 - Bonjour Laurent Stoker. - Bonjour Philippe Vandel.
00:06 - Vous êtes comédien en train de devenir un très très grand nom du théâtre sociétal,
00:10 de la comédie française, des incursions au cinéma qui vous ont par exemple valu un César,
00:13 Ensemble c'est tout de Claude Berry. On vous avait récemment dans la série Bardot,
00:17 vous incarniez Pierre Lazareff qui était le patron de François de l'époque,
00:21 il a fait beaucoup pour Bardot et sa notoriété naissante. Votre actus c'est au théâtre que
00:25 ça se passe, pas n'importe lequel, pas n'importe quelle pièce, pas n'importe quel théâtre,
00:28 c'est à la comédie française, Lavar, mise en scène de Lilo Borge, la cite parce que c'est très important,
00:33 et Lavar, donc Arpagon, c'est vous. Alors au siècle dernier, encore au siècle d'avant,
00:37 les comédiens étaient trop vieux pour les rôles, surtout pour jouer les jeunes premiers,
00:41 cette fois-ci c'est vous qui êtes trop jeune pour le rôle, vous êtes vieilli.
00:44 - Oui je me suis vieilli, enfin on m'a vieilli avec une perruque, mais il faut savoir que Molière
00:48 quand il le jouait il avait 45 ans, le rôle il a normalement 60 ans, Molière est mort à 51 ans,
00:53 donc il le jouait déjà jeune à l'époque aussi. - Alors il faut parler de la mise en scène,
00:58 on n'est pas du tout dans le grand siècle, on ne s'attend pas à ce qu'il y ait Louis XIV qui déboule,
01:03 je veux parler de la mise en scène de Lilo Borge, elle est suisse et cela a son importance.
01:07 - Et ça a son importance parce qu'elle a voulu le "transposer" en Suisse,
01:11 et que ce soit plutôt quelqu'un d'extrêmement riche, suisse, peut-être un banquier suisse,
01:16 et qui a beaucoup d'argent et qui est extrêmement avare.
01:20 - Un banquier suisse des années 50, plutôt 60, parce qu'on peut peut-être subodorer que sa famille
01:25 a fait fortune avec les nazis. - C'est possible, on peut tout imaginer,
01:29 après évidemment c'est en creux dans le texte, on ne sait pas ce qu'il en est exactement,
01:35 mais étant donné cette mise en scène-là, on peut s'imaginer que c'est de l'argent sale.
01:39 - C'est très très printanier comme décor, il y a de la pelouse, des transats, un terrain de golf,
01:43 il y a un bassin sur l'avant scène, il y a même des personnages qui s'y baignent,
01:46 des vêtements colorés, un écran panoramique, mais ça c'est plus connu, on voit des montagnes,
01:51 un lac, c'était quoi l'idée de mettre ce décor champêtre de sa part ?
01:55 - Lilo étant suisse, elle a toujours dans ses mises en scène une envie de voir la Suisse,
01:59 ça doit lui manquer, donc quelques fois il y a de la neige, quelques fois...
02:02 Alors là il n'y a pas de neige, mais c'est le lac. - Je souris, je souris,
02:05 parce que qu'est-ce que ça ajoute à la VAR ? - Ça ajoute son côté suisse.
02:10 - D'accord. - C'est pas moi qui ai mis en scène, c'est elle.
02:13 Donc elle est suisse. - Non, vous voulez peut-être poser la question.
02:15 - Ah bah oui, non mais elle... - Vous voulez une piscine.
02:17 - C'est pas une piscine, c'est en fait un lac, parce qu'on pêche dedans,
02:21 et en fait il y a beaucoup de gens qui pensent que c'est une piscine,
02:23 parce qu'il y a une espèce de... - De rebord.
02:26 - De rebord, mais c'est un lac en fait. Dans les lacs suisses, il y a un truc en inox,
02:31 donc les gens disent "ah bah pourquoi c'est une piscine ?"
02:34 Non, c'est plutôt un lac, mais bon voilà. - Un lac suisse.
02:37 - Alors effectivement, après, dans le monologue, quand on se voit dans le lac,
02:42 c'est pas la même chose que quand on attrape sa main,
02:46 quand il dit "ah c'est moi", alors là c'est un côté narcissique,
02:50 il se voit, il croit que c'est lui le voleur,
02:52 enfin voilà, il y a plein de jeux qu'on peut faire avec cette scénographie.
02:56 - D'autres libertés sont prises avec le texte de Molière,
02:58 Arpagon balance une somme, je sais pas si j'aurais bien fait d'enterrer
03:01 dans mon jardin 10 000 écus, et là vous ajoutez...
03:04 - 350 000 euros. - Très vite.
03:05 - Voilà, comme si on n'avait pas entendu. - Voilà, et le public est mort de rire.
03:09 - Oui, parce que 10 000 écus, on sait pas à quoi ça correspond.
03:11 - Si c'est beaucoup, si c'est peu. - On imagine que c'est une grosse somme,
03:14 mais quand on fait vraiment avec un historien ce qu'on a fait,
03:16 la transposition, 350 000 euros, si on les a chez soi,
03:20 on a de quoi ne plus dormir, il faut savoir où les mettre.
03:23 Et il dit "je ne veux pas faire confiance au coffre-fort,
03:26 parce que c'est le premier endroit qu'on va attaquer,
03:27 donc je les mets dans mon jardin".
03:29 - Évidemment, on va lui voler.
03:31 Et ce qui est très plaisant justement, c'est de faire exactement ce qu'il faut faire,
03:34 et de faire ce qui ne se fait jamais, genre donner les prix en euros,
03:37 dans un texte classique, Laurent Stoker est notre invité,
03:39 on continue de parler de Molière, de Lavar et de beaucoup d'autres choses,
03:42 Culture Média continue à tout dire.
03:44 - Culture Média sur Europe 1, Philippe Vandel avec votre invitée Laurent Stoker.
03:48 - Laurent Stoker qui joue Lavar, qui est Lavar, qui est Arpagon,
03:51 c'est jusqu'au 24 juillet à la Comédie-Française.
03:53 Pendant toute la pièce, le public rit énormément,
03:56 je ne suis pas le premier à vous le dire que votre potentiel comique est intense, immense.
04:00 Expliquez-moi ce mystère.
04:02 Le texte et l'esprit de Molière sont respectés à la lettre.
04:05 Tout le monde connaît ce texte, tout le monde connaît la fin,
04:07 tout le monde connaît les gags, s'il s'en est.
04:10 Comment on fait rire avec quelque chose que tout le monde connaît ?
04:13 C'est une question que vous devez vous poser évidemment, en tant que comédien.
04:15 - Oui, on se la pose tout le temps parce que les ressorts du comique sont étranges.
04:20 C'est quelque chose, la vis comica, on l'a ou on ne l'a pas.
04:22 Mais après, je pense que c'est dans la façon de mettre en scène qu'a eu Lilo aussi,
04:26 c'est-à-dire que c'est une course contre la montre aussi.
04:30 Et le fait de devoir tout le temps plaquer de la mécanique sur du vivant,
04:35 comme faisait Dufunes, si on a la mécanique et qu'on n'a pas le vivant, ça ne marche pas,
04:38 si on a le vivant et qu'on n'a pas la mécanique, ça ne marche pas.
04:40 - Ça c'est la grande phrase, je dis comme ça pour les puristes, c'est la grande phrase de Bergson.
04:43 - Oui, Bergson, exactement.
04:44 - Le rire c'est une mécanique sur du vivant.
04:45 - C'est le rire, c'est que ça.
04:48 Donc il faut être aussi mélancolique et triste dans une vivacité pour que ce soit drôle.
04:56 Enfin moi je pense.
04:57 Et c'est comme ça que Dufunes réussissait si bien,
05:00 parce que c'est pas un clin d'œil au public, c'est juste une situation intense.
05:05 S'il a perdu sa cassette et que vraiment ça lui manque tellement
05:08 et qu'il dit "il faut pour me donner conseil que je vois ma cassette en pleurant",
05:12 les gens sont morts de rire.
05:13 Mais moi de l'intérieur, je le joue comme une tragédie.
05:16 Voilà, c'est ça qui fait le ressort comique, bizarrement.
05:21 - Vous jouiez avant, hier soir, on avait des espions parmi les spectateurs.
05:27 Un grand journaliste culture, c'est le rédacteur en chef du Point,
05:30 et aussi romancier, c'est Christophe Honodibio.
05:34 Et je vais demander ce qu'il avait pensé de votre jeu, Laurent Stoker.
05:36 On écoute Christophe Honodibio.
05:38 - Je l'ai trouvé absolument formidable, Laurent Stoker, en arpagon.
05:41 Il y a un côté Michel Aumont, mais sous amphétamine,
05:45 une touche de Charlie Chaplin, et même un petit côté Logan Roy,
05:49 vous savez, le patriarche de la série Succession,
05:51 avec la relation impossible qui se déploie entre le père et le fils.
05:55 En plus, le style old Monet, années 50, avec chaussures bicolores,
06:00 lui va comme un gant.
06:01 Et il a une coupe de cheveux aérienne à souhaits,
06:04 qui lui donne un petit côté Donald Trump en beaucoup plus sympa.
06:08 Parce qu'en plus, il arrive à déclencher l'empathie.
06:11 Alors, il y a eu bien des versions d'arpagon,
06:13 mais je pense qu'avec cet arpagon version Laurent Stoker,
06:17 on tient vraiment un truc du tonnerre.
06:19 - On tient un truc du tonnerre, il parle aussi comme dans les années 60.
06:22 - Oui ? - Oui.
06:23 - Je t'aime bien son expression.
06:25 - Bah, c'est-à-dire que...
06:28 - Oui, tout le...
06:29 - Michel Aumont sous amphétamine, c'est pas mal.
06:31 - Bah, ouais, Michel Aumont, moi je le connaissais.
06:34 Michel, il a joué 20 ans la vare.
06:36 Il me disait "si un jour tu joues ça",
06:37 je savais pas que j'allais encore le jouer.
06:39 Il m'a dit "tu peux le jouer 20 ans et tu trouveras encore des choses à faire différentes d'un soir sur l'autre".
06:44 Par exemple, il n'y a pas si longtemps, dans le monologue, je dis
06:47 "mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami",
06:49 je me suis rendu compte que tout à coup,
06:51 Molière a utilisé "pauvre" pour parler d'argent,
06:53 et ensuite "cher" pour parler d'argent.
06:56 Donc voilà, il utilisait des mots sur l'argent qui sont...
07:00 Et donc si on peut faire entendre "hélas, mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami",
07:05 voilà, ça redonne encore quelque chose qu'on n'avait pas entendu avant.
07:08 - Vous en avez vu beaucoup d'arpagons, vous allez en voir beaucoup.
07:11 Est-ce que vous avez des références ?
07:12 Godard disait que quand il filmait par exemple quelqu'un qui prend une cigarette,
07:15 il se posait pas la question de savoir comment on prend une cigarette,
07:18 mais comment Fritz Lang ou Howard Zooks l'auraient filmé.
07:21 - Bah, j'en ai vu...
07:23 J'ai vu, moi le premier, quand j'étais enfant, j'ai vu celui de De Funès, justement,
07:27 qu'il a fait pour le cinéma.
07:28 Ensuite j'ai vu Gérard Giroudon, ensuite j'ai vu Denis Podalides,
07:32 voilà, j'en ai vu trois différents.
07:34 Mais je voulais faire quelque chose qui soit encore différent de ces trois-là que j'avais vus.
07:38 - Je vais vous faire un compliment, je l'ai trouvé dans la Provence,
07:41 "Stoker rend le personnage d'arpagon multiple et totalement imprévisible",
07:45 c'est un vrai compliment, de rendre imprévisible un texte qu'on a étudié depuis le collège.
07:49 - Oui, parce qu'en fait, chaque soir, je veux dire, c'est encore différent,
07:53 je vais faire une chose qui ne sera pas tout à fait la même chose que la fois d'avant.
07:57 Ça dépendra du public, ça dépendra des partenaires,
08:00 j'ai toujours envie de surprendre mes partenaires et de ne pas faire exactement la même chose.
08:04 - Vous avez dit "oui" tout de suite, comment ça se passe à la Comédie-Française ?
08:08 Comment est-ce qu'on distribue les rôles ?
08:10 - Alors c'est la metteuse en scène qui avait envie de travailler avec moi depuis pas mal de temps,
08:15 et puis un jour elle m'a dit "voilà, je viens de voir Éric Ruff,
08:18 on a parlé de toi pour La Var, est-ce que tu es OK ?"
08:21 J'ai dit "bah oui, La Var, elle ne se refuse pas".
08:24 - C'est comme ça que ça se passe ?
08:25 - Oui, et puis après on m'a parlé de date, etc.
08:29 - Pourquoi c'est aussi agréable de jouer les méchants ?
08:31 - Parce qu'ils sont difficilement défendables,
08:36 et moi j'aime bien défendre ce qui n'est pas trop "défendable"
08:39 parce que c'est comme un avocat, un acteur,
08:41 il faut toujours trouver l'humanité de quelqu'un qui n'en a pas.
08:44 La Varisse, elle n'est pas que dans l'argent, il est avare aussi de sentiments,
08:48 il est avare de gentillesse, de tout.
08:52 - Il y a des mots qu'il n'arrive pas à prononcer.
08:54 - "Donner", donc là on le fait, il fait "d-d-d-d" et on me tape dans le dos, "DONNER !"
08:59 Il n'arrive pas à dire "donner".
09:01 D'ailleurs, La Flèche le dit, il a tant d'aversion pour donner
09:05 qu'il ne dit pas "je vous donne" mais "je vous prête le bonjour".
09:08 Voilà, c'est tout ça qui est intéressant,
09:12 parce qu'un personnage, c'est très complexe,
09:17 donc il ne faut pas lui donner que le côté méchant.
09:20 Les gens qui sont méchants, moi je suis persuadé de ça,
09:23 c'est des gens qui sont en grande souffrance intérieure.
09:25 Quelqu'un ne devient pas méchant du jour au lendemain,
09:27 c'est quelqu'un qui a vécu des atrocités peut-être, des choses terribles,
09:30 et cette épine qu'il a dans le dos, quand on lui enlève, il devient peut-être quelqu'un de gentil.
09:35 Donc je ne sais pas comment on va faire en sorte que La Var soit gentil,
09:37 mais en tout cas il faut qu'on ait de l'empathie pour le personnage.
09:39 - Laurent Stoker avec nous, il joue La Var Arpagon,
09:42 c'est jusqu'au 24 juillet à la Comédie-Française,
09:44 et c'est jusqu'à 11h dans Culture Média sur Europe 1.
09:47 - Dans un instant, les indispensables avec Stéphanie Loire et Frédéric Le Ternier,
09:51 il sera question de musées et de musiques.