L'interview d'actualité - Docteur Agnès Giannotti

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Maud Deschamps


Maud Deschamps reçoit le docteur Agnès Giannotti, présidente du syndicat de médecins généralistes MG France, alors que les médecins libéraux sont plus qu'en colère. En effet, ces derniers ont refusé la convention médicale qui a été proposée par l'Assurance Maladie. Le texte prévoyait de faire payer un peu plus cher les consultations en travaillant plus. 

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Transcript
00:00 Bonjour Anastasia Notti, merci d'avoir accepté l'invitation de TéléMatin.
00:03 Vous êtes donc à la tête du premier syndicat des médecins à Généralise de France.
00:06 Les syndicats de médecins ont refusé cette convention médicale
00:10 qui était proposée par l'assurance maladie.
00:12 En quelques mots, le texte prévoyait de permettre aux médecins
00:15 de faire payer un peu plus cher la consultation en échange de certains efforts
00:20 comme des gardes par exemple, d'ouvrir le cabinet médical le week-end.
00:24 On vous a demandé en gros de travailler plus et vous avez dit non. Pourquoi ?
00:29 Parce qu'on est déjà au bout du rouleau, parce qu'on travaille 55 heures par semaine en moyenne,
00:33 parce qu'on n'en peut plus et qu'on a tous augmenté notre patientèle.
00:36 Donc en gros on veut qu'on voit plus de patients,
00:38 ça voudrait dire quoi ? Diminuer le temps de consultation ?
00:41 Parce que plus de 55 heures ça veut dire quoi ? Travailler 65 heures, 75 heures, enfin...
00:46 Il y a un moment où il faut dire stop et la revalorisation avec l'inflation,
00:50 on va accepter ça en échange de quelque chose ?
00:52 Attendez, ça ne veut rien dire.
00:55 Et surtout cette convention, elle ne répond pas à la question principale
00:58 "qui va soigner les Français demain ?"
00:59 Oui parce que le problème c'est qu'il y a un gros manque de médecins aujourd'hui en France
01:03 et pour vous ça n'est pas la solution pour pallier ce manque de médecins ?
01:05 Ah ben non, parce qu'on va faire fuir les médecins, donc les jeunes ne viendront pas.
01:08 On a 6 500 médecins de plus de 65 ans qui peuvent du jour au lendemain prendre leur retraite,
01:13 ça veut dire 6 millions et demi de patients qui perdent leur médecin traitant.
01:17 Donc avec des contraintes en plus, en étant toujours la profession médicale la moins valorisée de toutes,
01:23 qui va venir travailler ? On n'est pas fous,
01:25 on va aller se faire salarier et on aura bien raison,
01:28 pour travailler 35 heures, aller chercher les enfants à la sortie de l'école
01:32 et pas se casser la tête, il y a un moment ça suffit,
01:34 donc travailler plus ça n'a aucun sens pour une profession dont plus de 40% sont au bord du burn-out,
01:40 parce qu'on fait notre maximum pour les patients.
01:42 Hier le ministre de la Santé François Brune a estimé bien que ce refus des médecins n'était pas responsable.
01:49 Quelle va être la suite maintenant ?
01:51 Est-ce qu'il faut s'attendre à une nouvelle grève des généralistes ?
01:55 La suite on va se protéger,
01:56 on va se protéger parce que pour être bien soigné, il faut déjà que votre médecin aille bien,
02:00 donc les horaires à rallonge, les samedis matin, les gardes, le SAS,
02:04 tout ce qu'on veut nous rajouter, il y a un moment c'est stop.
02:08 Donc ce qu'il faut c'est attirer des nouveaux médecins
02:11 et que le ministre de la Santé ose parler de responsabilité alors que c'est les politiques
02:14 qui n'ont pas pris leur responsabilité, qui ne nous ont pas écoutés,
02:17 il y a un moment ça suffit, il nous demande de faire un pas vers les Français,
02:21 franchement ce n'est pas des pas, c'est des kilomètres qu'on fait chaque jour.
02:24 On sait qu'il y a une mobilisation par exemple la semaine prochaine contre la réforme des retraites,
02:27 est-ce que les médecins pourraient également aboiter le pas à ce mouvement
02:30 pour protester contre ce texte ?
02:34 Pourquoi pas, mais ce n'est pas à l'ordre du jour,
02:37 ce sont des sujets différents mais qui se rejoignent,
02:40 c'est-à-dire que tous les gens qui ont 64, 65 ans,
02:43 qui sont âgés, qui ont des maladies chroniques, le projet de convention ne répondait pas à ça.
02:48 Comment on va soigner cette population vieillissante qui a des maladies ?
02:53 Ça ne répond pas à ça, c'est-à-dire qu'on a des besoins de soins qui augmentent,
02:57 on a des budgets de santé qui diminuent et c'est l'ensemble du système qui se casse la figure.
03:01 C'est pour ça qu'on n'a pas signé la convention, ce n'est pas pour nos porte-monnaies,
03:05 les gens n'ont rien compris s'ils pensent que c'est ça.
03:07 Oui parce que pour certains Français, c'est compliqué de comprendre que des généralistes
03:11 qui gagnent plutôt bien leur vie réclament à être payés encore plus.
03:14 Voilà, mais le jour où ils n'auront plus de médecins traitants,
03:16 parce qu'il n'y en aura plus du tout, quasiment plus,
03:18 parce que les gens n'auront pas tenu le coup,
03:20 on a vidé l'hôpital des professionnels de santé,
03:23 on a vidé l'éducation des enseignants
03:26 et on est en train de vider la ville des médecins généralistes.
03:28 S'il n'y a plus de médecins généralistes, il n'y a plus de système de santé.
03:31 Nous ne voulons pas d'un système à l'américaine à deux vitesses,
03:33 ça c'est hors de question.
03:35 Alors il y a certains syndicats et certains médecins qui menacent de se déconventionner,
03:39 c'est-à-dire d'appliquer des tarifs plus élevés
03:40 et le patient ne pourra plus se faire rembourser.
03:43 Est-ce que vous êtes d'accord avec cela ?
03:44 Pas du tout, nous c'est l'inverse.
03:46 On veut absolument préserver le système solidaire d'assurance maladie,
03:50 on veut que la sécurité sociale perdure
03:52 et c'est pour ça que le rôle du médecin traitant est fondamental
03:54 et c'est pour ça qu'on le défend,
03:56 parce que sans quelqu'un pour vérifier la qualité des soins,
03:59 la pertinence des soins, la sécurité des soins,
04:01 c'est l'ensemble du système qui va à volo
04:04 et le déconventionnement c'est le système à l'américaine qui arrive.
04:07 C'est-à-dire une santé à deux vitesses, c'est ça ?
04:09 Celui qui est riche il peut se soigner,
04:11 celui qui est pauvre il ne peut pas se soigner,
04:13 donc non, il est hors de question qu'AMG France soutienne ça.
04:16 Comment on fait pour faire venir de nouveaux médecins,
04:18 notamment dans ce qu'on appelle les déserts médicaux ?
04:20 Qu'est-ce que vous proposez vous concrètement ?
04:22 La France est un désert médical,
04:23 donc il faut arrêter de raisonner en désert médical.
04:25 Même à Paris, même à Paris.
04:26 C'est très conçu qu'il y ait trop d'amédecins.
04:27 Vous rigolez, je vais au travail tout à l'heure,
04:29 j'aurais 20 personnes devant ma porte, je le sais.
04:31 Donc les déserts médicaux c'est partout,
04:33 il y a peut-être quelques rares endroits où c'est moins désertique,
04:36 mais il faut arrêter ce raisonnement-là,
04:37 on a une pénurie globale.
04:39 Donc il va falloir travailler pour ça,
04:41 nous on a toujours proposé des solutions.
04:43 Mais pour ça il faut nous écouter,
04:44 et cette convention ne nous écoutez pas.
04:46 Concrètement, comment on fait pour qu'il y ait plus de médecins ?
04:49 Il y a le numerus clausus qui disparaît,
04:51 mais ça ne va pas être effectif avant plusieurs années.
04:53 Donc en attendant on fait quoi ?
04:54 Même avec le numerus clausus,
04:56 si la profession n'est pas revalorisée,
04:58 les gens feront autre chose.
04:59 Il y a toujours un différentiel avec les autres spécialités
05:02 et qui était encore inclus dans cette convention.
05:04 Donc non, il faut d'abord arrêter le différentiel
05:06 et que les gens aient envie de venir.
05:08 Il faut faire revenir les gens dans la profession.
05:10 Il y a 40% des généralistes
05:12 qui font autre chose que d'être médecin traitant.
05:14 Il faut leur donner envie de revenir
05:15 et non pas leur donner envie de partir.
05:17 Et donc c'est ça que faisait cette convention,
05:18 c'est pour ça qu'on ne l'a pas signée.
05:19 Pourquoi est-ce que c'est compliqué aujourd'hui pour les généralistes ?
05:21 Parce qu'il y a trop de patients,
05:22 il y a trop de paperasses,
05:23 c'est un quotidien qui est trop compliqué ?
05:25 Il y a trop de travail,
05:27 il y a trop de patients,
05:28 on n'est pas assez nombreux,
05:29 et ce n'est pas reconnu.
05:31 Voilà, donc on est les moins payés
05:33 et les plus de contraintes.
05:35 Et là, ça continue encore en nous rajoutant des contraintes
05:38 et en nous revalorisant pas à hauteur
05:40 des autres professions médicales.
05:41 Il faudrait payer combien la consultation selon vous ?
05:43 La consultation de base sans condition particulière à 30 euros.
05:47 Parce qu'on n'a pas été revalorisés depuis 7 ans
05:49 et c'est pour les 5 prochaines années.
05:50 Donc c'est l'équivalent de l'inflation.
05:53 Vous, vous gagnez combien par mois à NesDioniti ?
05:55 Autour de 7000 euros.
05:57 On est bien payés pour les 55 heures,
05:58 mais rapporter ça aux 55 heures,
06:00 on n'a pas de congés payés, rappelez-le vous,
06:03 parce qu'on paye nos vacances,
06:05 on paye les charges,
06:06 on paye les remplaçants quand on en trouve un.
06:08 Donc il ne faut pas oublier tout ça,
06:09 on a les conditions de travail vraiment les plus difficiles.
06:11 Donc on gagne bien notre vie,
06:13 mais on le mérite après toutes les études qu'on a faites
06:15 et la responsabilité qu'on prend.
06:17 Donc il ne faut pas oublier tout ça.
06:18 Et donc si on veut des médecins traitants demain
06:20 pour que le système solidaire perdure,
06:22 il faut vraiment y mettre les moyens, il n'y a pas de doute.
06:24 On n'a jamais eu les moyens sur les soins primaires.
06:26 Les autres professions sont aussi en difficulté.
06:29 Il ne faut pas opposer les professions,
06:30 on est tous en difficulté.
06:31 Rapidement, est-ce qu'une des solutions,
06:33 ça pourrait être par exemple de demander aux étudiants de médecine
06:35 de travailler un certain nombre d'années
06:37 dans un désert médical, à la campagne par exemple,
06:40 en se disant voilà, les études ne coûtent pas très cher,
06:42 en échange, un peu comme à l'ENA par exemple,
06:44 où on fait un certain nombre d'années au service de l'État.
06:47 Les étudiants en médecine rapportent beaucoup d'argent à l'État
06:50 parce qu'ils travaillent presque gratuitement à l'hôpital.
06:52 Donc il faut arrêter avec ces histoires d'études
06:54 qui ne coûtent pas très cher, d'accord ?
06:56 C'est des économies pour le pays d'avoir des étudiants en médecine.
06:59 Et plus vous allez mettre des contraintes,
07:01 et moins vous aurez de généralistes.
07:03 Ça c'est très clair, donc il faut arrêter ça.
07:05 Il faut leur donner envie de venir.
07:07 Donc nous, on est prêts à faire vraiment des efforts.
07:09 Dans le Covid, on ne nous a rien demandé,
07:11 on ne nous a pas mis le pistolet sur la tente,
07:13 et on a tous été là.
07:15 D'accord ?
07:15 Donc on est prêts à faire des efforts,
07:17 on est là au maximum pour nos patients tous les jours.
07:20 Donc il faut au moins le reconnaître.
07:22 Merci beaucoup Aness Dianotti d'être venue nous voir sur le plateau Télématin.
07:25 Je rappelle que vous êtes la présidente du syndicat MgFrance,
07:28 principal syndicat des médecins généralistes.

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