Chroniqueuse : Julia Vignali
Ce mardi 14 février est un jour de grosse colère et de manifestation pour les médecins libéraux. Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l'Union française pour une médecine libre, est reçu par Julia Vignali.
Ce mardi 14 février est un jour de grosse colère et de manifestation pour les médecins libéraux. Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l'Union française pour une médecine libre, est reçu par Julia Vignali.
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00:00 Bonjour docteur, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:02 Vous êtes aujourd'hui à Paris pour manifester aux côtés des médecins libéraux.
00:06 Vous vous opposez à la proposition de loi examinée au Sénat à partir d'aujourd'hui
00:10 qui pourrait permettre à certains infirmiers de prescrire des médicaments sur ordonnance.
00:15 Pourquoi vous êtes contre ?
00:17 D'abord on n'est pas contre les infirmières en pratique avancée.
00:19 Simplement on veut travailler avec elles de façon coordonnée, sous protocole.
00:23 Et on ne veut pas qu'on se serve de ce nouveau métier pour en quelque sorte
00:27 aller boucher les trous où il n'y a pas de médecins.
00:30 Parce qu'on ne veut pas d'installation par la loi d'une inégalité entre les Français d'une part
00:35 et que l'on mette face aux Français des gens qui ont une formation médicale parcellaire.
00:38 Donc vous voulez dire que ça pourrait être dangereux même pour nous, pour les patients,
00:41 d'avoir des infirmiers et pas des médecins ?
00:43 Ça peut, dans des conditions où il n'y a pas d'encadrement, créer de la perte de chance.
00:46 Et on ne le veut pas. C'est tout.
00:48 La médecine c'est 10 ans d'études, 7 ans et demi pour un interne en médecine
00:52 pour qu'il commence à avoir le droit de prescrire.
00:55 Ou une infirmière en pratique avancée, 3 ans de formation d'infirmière,
00:58 3 ans de pratique d'infirmière, 4 mois de cours et 6 mois de stage.
01:02 Donc il pourrait prescrire bien avant vous les médecins.
01:04 Bien avant nous.
01:05 Mais cette mesure elle vise également à lutter contre les déserts médicaux.
01:08 Pourquoi, vous vous êtes compte, ça peut être hyper pratique pour nous les patients
01:10 si ce n'est pas une grave maladie d'aller se faire prescrire une ordonnance par un infirmier ?
01:14 Parce que cette loi est soit un mensonge, soit une manipulation.
01:16 Pour la bonne raison que vous n'avez en tout et pour tout que 100 infirmières IPA en libéral.
01:20 Ça veut dire qu'il faut les former.
01:22 Il faudra donc 2 ans pour qu'on les ait sur le terrain.
01:24 Donc quand on nous dit qu'on n'a pas le temps d'attendre que les médecins s'installent, c'est faux.
01:28 Il y a plusieurs milliers de médecins qui attendent pour s'installer.
01:30 Simplement il faut rendre attractif leur métier.
01:32 Le gouvernement ne veut pas le faire et bricole.
01:34 On n'a pas le temps de bricolage.
01:35 Alors le projet de loi souhaite également ouvrir un accès direct aux kinésithérapeutes,
01:39 aux orthophonistes et certains autres soignants.
01:42 Ça, ça peut être aussi une bonne idée puisque vous êtes surchargé.
01:45 Est-ce que ce n'est pas chouette ça ?
01:47 Non mais très honnêtement on n'a rien contre l'accès direct
01:50 ou certains actes pour nos collègues orthophonistes, kinés.
01:54 Mais pour les IPA ce n'est pas la même chose.
01:56 Le prisme est beaucoup plus large et puis on voit bien que derrière cela,
01:59 il y a l'institutionnalisation du manque de médecins.
02:01 Ce gouvernement a fait le choix du manque de médecins
02:03 et nous nous leur disons pour sortir de la crise, il faut plus de médecins.
02:06 Et pour avoir plus de médecins, on va en parler sans doute, il faut rendre la profession attractive.
02:09 Exactement, là vous avez l'impression que c'est du colmatage et que...
02:12 C'est du bricolage.
02:13 Du bricolage.
02:14 Alors aujourd'hui, est-ce que vous pouvez nous expliquer à quoi ressemble le quotidien d'un médecin libéral ?
02:18 Combien de patients par jour ? Qu'est-ce que vous touchez sur les consultations ?
02:21 Le quotidien d'un médecin libéral aujourd'hui, il est terrible.
02:24 Il est terrible parce qu'on n'arrive pas à faire face à la demande de soins.
02:27 On se retrouve avec des consultations où on voit entre 35 à 50 patients par jour, voire plus parfois.
02:33 Mais ça fait combien de temps par patient ?
02:35 On n'a pas de temps, c'est 10 minutes à 15 minutes par patient.
02:38 Le soir quand on rentre chez nous, on sait qu'on a laissé 10-15 patients au bord de la route sans avoir pu les voir.
02:43 On a des temps de non-soins qui sont explosifs.
02:45 On a une perte de sens et on a au fond une profession qui engendre de la peine.
02:51 Et vous avez besoin de médecins heureux.
02:52 Aujourd'hui, on n'a pas de médecins heureux.
02:53 Vous voulez dire que les médecins sont quasiment burn-out pour la plupart ?
02:55 Ils sont 1 sur 2 aujourd'hui.
02:57 50% des médecins qui vous soignent ont au moins un critère de burn-out.
03:00 Ça veut dire que vous êtes soigné par des gens qui sont malades.
03:03 C'est effectivement pas du tout rassurant.
03:05 La consultation est à 25 euros actuellement depuis 2017.
03:08 Vous demandez une hausse de la consultation à 50 euros.
03:11 On en parlait tout à l'heure avec Olivier Véran.
03:15 Il n'a pas du tout l'air d'aller dans ce sens-là.
03:18 Le gouvernement n'a pas l'air de céder.
03:20 C'est le double.
03:21 Vous comprenez que ça peut nous paraître énorme comme augmentation ?
03:24 Je comprends que ça puisse paraître énorme.
03:26 La seule chose c'est que nous sommes fort heureusement dans un système socialisé.
03:30 Il faut le protéger.
03:31 Nous avons 14 millions de Français aujourd'hui qui ne font pas l'avance de frais.
03:36 Cela ne changera rien pour eux.
03:37 Pour les autres, il faut que l'État soit en capacité de rembourser ses actes.
03:41 Ce que nous disons, c'est qu'au cours de la convention, c'est-à-dire des 5 ans qui viennent,
03:46 il faut aller progressivement vers ce 50 euros.
03:48 Ce 50 euros est un investissement qui va rapporter à l'État.
03:51 Nous on le fait sous engagement à mieux soigner à la fois les maladies chroniques
03:55 et puis les gens atteints d'addiction.
03:57 Vous voulez dire que ça va rapporter de l'argent parce que finalement il y aura moins de malades ?
04:00 144 milliards de coûts des maladies chroniques et des addictions.
04:03 Si vous gagnez 1% par an, pour 1 euro investi, l'État en gagne 5.
04:07 Donc c'est un vrai investissement bénéficiaire.
04:09 Il n'y a pas de placement plus bénéficiaire que la santé.
04:12 Le seul truc, c'est que ce gouvernement pense qu'il faut que nous,
04:15 le peu de médecins qu'il y a, voyons plus de patients.
04:17 C'est-à-dire au fond, une consultation, une 5 minutes douche comprise.
04:20 Ça ce n'est pas possible, ce n'est pas de la qualité.
04:21 Nous on leur dit l'inverse.
04:22 On veut avoir du temps à consacrer à nos patients.
04:24 Et pour avoir du temps, il faut rendre la profession attractive
04:26 et donc que les médecins s'installent et donc qu'il y ait plus de médecins.
04:28 Et pour ça, il faut augmenter le prix de la consultation ?
04:30 C'est un des leviers qui permet de faire ça.
04:33 Et puis ensuite, il faut faciliter, simplifier, nettoyer cette profession.
04:37 Faciliter, c'est-à-dire qu'on puisse installer cabine et multisites,
04:40 c'est interdit aujourd'hui.
04:41 Que quand je vais, moi, dans un désert, je puisse être remplacé, c'est interdit aussi.
04:45 Qu'on enlève des actes administratifs, qu'on enlève des actes
04:48 qui n'ont plus rien à faire dans notre profession.
04:50 Parce que vous passez apparemment un tiers de votre temps,
04:52 non pas à soigner les gens, mais à faire de l'administratif.
04:54 À faire de la paperasse, bien sûr.
04:55 Alors François Braun s'est un peu attaqué, il n'est pas allé assez loin.
04:58 Je vous donne un exemple très simple.
05:00 On fait encore des ordonnances pour des toilettes,
05:02 pour que les infirmières puissent faire des toilettes.
05:04 Je veux dire, au 21e siècle, une infirmière peut décider toute seule
05:07 si elle doit faire des toilettes.
05:08 On prescrit à une infirmière de faire des insulines.
05:10 C'est-à-dire, je fais une ordonnance pour prescrire l'insuline,
05:12 je fais une ordonnance pour l'infirmière pour qu'elle puisse injecter l'insuline.
05:15 Vous passez votre temps à faire des ordonnances et pas forcément...
05:17 À faire du papier.
05:18 À faire du papier.
05:19 Alors vous parlez d'un effondrement de l'hôpital public et de la médecine de ville.
05:22 Vous craignez la destruction, les mots sont forts, du système de soins.
05:25 Comment ça se fait à votre avis que la société ne bouge pas plus pour ses soignants ?
05:29 Parce qu'on est tous d'accord pour dire que les infirmières,
05:32 notamment celles qu'on a applaudies pendant le confinement,
05:34 ont une qualité de professionnel déplorable.
05:37 Mais comment ça se fait que ça ne bouge pas ?
05:39 Là vous êtes augmenté à 26,50€ éventuellement, c'est ça pour la consultation ?
05:42 Non, c'est un gag.
05:43 C'est un gag, les 26,50€.
05:44 On va tous le refuser, c'est une évidence.
05:47 On a une inflation à 10% sur deux ans, c'est-à-dire autant que les dix dernières années.
05:51 Si on nous augmente même le 30€, en 2028 on sera revenu à 26,50€ en euros constants.
05:55 Donc on n'aura rien résolu.
05:56 Il faut investir dans la santé.
05:58 Quant aux Français, ils ne sont pas au courant de la chose parce que les politiques n'en parlent pas.
06:01 Depuis des années, ils ont complètement ignoré la médecine de ville.
06:04 Et ils l'ont tellement ignorée qu'ils ont fini par l'oublier.
06:06 Et là c'est grave.
06:07 On a investi dans l'hôpital public, pas assez, on le voit tous les jours.
06:10 Mais on n'a rien fait pour la médecine de ville.
06:11 Et depuis 30 ans, elle s'effondre.
06:13 Aujourd'hui, il n'y a pas un seul Français, pas un seul, qui ne connaisse pas des difficultés d'accès aux soins.
06:17 Pas un.
06:18 Voilà où on en est aujourd'hui.
06:19 J'entendais Olivier Véran qui parlait des autres pays européens en prenant exemple sur eux.
06:22 Mais nous sommes la France.
06:24 L'exemple c'est nous.
06:25 C'est nous qui donnons le lien en matière de santé.
06:27 Quand je vois des politiques qui prennent exemple sur d'autres pays,
06:29 mais ils ont tout oublié.
06:30 Nous étions leaders.
06:31 Nous devons redevenir leaders.
06:32 On n'a pas à regarder les autres.
06:33 Merci beaucoup.
06:34 Merci Jérôme Marti.
06:35 Merci.