Pôle cold cases, des dossiers relancés mais des doutes : c’est le titre à la une du journal de Saône-et-Loire. Pour obtenir des réponses, il faut lire le livre de Jacques Dallest. Ce procureur honoraire publie « Cold cases, un magistrat enquête » aux éditions Mareuil. Anciennement juge d’instruction, il a tenu à partager plusieurs années au cœur des enquêtes criminelles les plus sombres. Aujourd’hui, il invite les lecteurs à se questionner et à réfléchir sur l’amélioration du traitement judiciaire de ces affaires complexes et non élucidées. Cela fait un an qu’un pôle dédié aux cold cases a été ouvert à l’initiative de ce magistrat. Sur le terrain, qu’en est-il ? « L’intérêt c’est d’avoir un groupe de magistrats du parquet de l’instruction spécialisés dont le temps est consacré uniquement à ces dossiers dont certains sont très anciens et donc d’avoir une nouvelle lecture et d’essayer d’apporter une solution des années plus tard notamment pour montrer aux familles des victimes que la justice ne cède pas » explique notre invité.
Zoom sur ces cold cases déterrés par Jacques Dallest.
Zoom sur ces cold cases déterrés par Jacques Dallest.
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00:00 Et c'est l'heure d'une interview d'actualité de 8h15.
00:02 Regardez la une du journal de Soneloir, Cold Case, des dossiers relancés, mais des doutes.
00:06 Vous avez des questions, si vous voulez des réponses, il faut lire le livre que publie Jacques Daleste, procureur honoraire.
00:11 Ça s'appelle Cold Case, un magistrat enquête aux éditions Mareuil.
00:14 Jacques Daleste qui est votre invité, Maud. Bonjour et bienvenue à vous.
00:17 Bonjour Jacques Daleste, merci d'avoir accepté l'invitation de Télématin.
00:20 Donc en effet, vous êtes ancien juge d'instruction, ancien procureur de la République et vous publiez ce livre.
00:26 Pourquoi vous avez eu envie de le publier ce livre ?
00:30 C'est un peu la résultante d'une expérience que j'ai eue de fréquentation du crime et des criminels.
00:37 Vous l'avez dit, j'ai été magistrat, mais aussi d'une réflexion à la fois personnelle et collective
00:42 qui m'a amené à proposer avec d'autres de réfléchir à l'amélioration du traitement judiciaire de ces crimes complexes non élucidés.
00:50 Alors justement, l'amélioration, elle passe notamment par un pôle dédié au Cold Case
00:55 que vous avez aidé à créer. Il est né il y a tout juste un an.
00:58 Qu'est-ce que ça a changé la création de ce pôle à Nanterre ?
01:02 Alors l'intérêt c'est d'avoir un groupe de magistrats du parquet de l'instruction spécialisée
01:07 dont le temps est consacré uniquement au travail sur ces dossiers dont certains sont très anciens.
01:12 Et donc d'avoir une nouvelle lecture que les premiers juges ont pu avoir du dossier
01:16 et d'essayer d'apporter une solution des années plus tard, notamment de montrer aux familles des victimes
01:22 que la justice ne cède pas et qu'elle reste convaincue qu'elle peut apporter une réponse à ces affaires anciennes.
01:27 Donc on rouvre des dossiers. Un Cold Case en bon français c'est une affaire non élucidée.
01:32 C'est quoi concrètement ? Il y a des critères pour dire ça c'est un Cold Case ?
01:36 Alors ça peut être une affaire malheureusement définitivement non résolue, qui est ancienne, qui est classée,
01:42 ou une affaire qui est provisoirement non résolue et même des années plus tard on peut espérer grâce au progrès scientifique
01:47 notamment que l'affaire puisse trouver une solution, qu'on puisse arrêter l'auteur, notamment grâce à l'ADN.
01:52 Et c'est tout le travail que fait ce pôle avec maintenant ces technologies nouvelles.
01:56 Il y en a combien des affaires non élucidées en France ?
01:58 Alors le chiffre il est incertain. Pour l'instant j'ai noté qu'il y a 77 dossiers qui sont confiés au pôle,
02:04 mais tous les juges d'instruction de France, la plupart comptent des affaires anciennes.
02:08 Donc ce sont des centaines d'affaires.
02:10 Aux crimes non élucidés, il faut rajouter aussi malheureusement des disparitions inquiétantes
02:15 qui peuvent dissimuler des vrais homicides et ça c'est un nombre qu'on ne connaît pas précisément.
02:20 Pourquoi est-ce qu'on n'arrive pas à les résoudre ? Est-ce qu'il y a un point commun entre ces affaires ?
02:24 Certaines affaires sont difficiles à résoudre, on trouve un corps dans une forêt,
02:28 on n'a pas de scène de crime, on n'a pas de traces, d'indices.
02:30 D'autres peuvent être aussi le résultat peut-être d'erreurs, d'oubli, de maladresse.
02:36 Donc des considérations à la fois matérielles mais aussi humaines
02:39 qui peuvent faire en sorte que le dossier ne sorte pas.
02:42 Et puis il ne faut pas oublier qu'un criminel il fait tout pour ne pas être confondu,
02:45 c'est aussi ça la réalité.
02:46 Alors justement dans votre livre, à un moment vous dites
02:48 "le cold case naît de l'erreur, de l'insuffisance et de la désinvolture".
02:52 Pourquoi ?
02:53 Oui, ça peut être aussi le fait que quand on inscrive d'autres affaires,
02:56 qu'on s'occupe de beaucoup d'affaires dont certaines sont urgentes,
02:59 ces affaires anciennes, on les laisse de côté.
03:01 On est moins motivé et on l'explique d'ailleurs quelques fois aux proches,
03:05 votre affaire elle est trop ancienne, on a très peu de chances de succès
03:08 et ça on ne peut pas en rester à cette forme de défaitisme judiciaire.
03:11 Il faut une conviction, une résolution et c'est ce qu'a le pôle de Nanterre en particulier.
03:16 Alors justement, ce pôle de Nanterre, c'est saisi de 77 affaires, c'est bien ça ?
03:21 Est-ce qu'il y en a qu'on connaît ?
03:23 Certains nombres sont connus, la tuerie de Chevaline par exemple,
03:26 les affaires qu'un crime fournirait et d'autres, la petite Marion.
03:33 Et donc c'est des affaires qui sont des énigmes pour certaines très anciennes
03:37 et on espère qu'un jour elles sortent judiciairement.
03:39 Et concrètement, comment ils vont s'y prendre ces juges d'instruction ?
03:42 Une fois qu'on rouvre le dossier, on commence par quoi ?
03:44 On monte une équipe, on est tout seul ?
03:45 Alors ils ont une méthodologie qui leur est propre,
03:48 qui suppose d'abord du temps, d'une disponibilité,
03:51 leur temps est consacré à ça, des nouvelles approches du dossier,
03:54 l'usage de supports informatiques qui permet de retravailler le dossier de façon éclatée
04:01 et puis une vraie résolution, une vraie volonté en y associant aussi,
04:04 en donnant au courant les proches qui ont besoin de savoir ce que fait la justice.
04:08 Il y a une vraie responsabilité du coup pour celui ou celle
04:10 qui décide de rouvrir un dossier vis-à-vis de la famille ?
04:13 Il y a d'énormes attentes, une grande souffrance aussi ?
04:15 Bien sûr, c'est ça.
04:16 Il y a une souffrance de longue durée, quelquefois même une forme de désespoir
04:20 en disant que plus personne ne croit à notre affaire.
04:22 Et donc montrer que la justice ne désespère pas, qu'elle peut les aider,
04:26 c'est quand même une grande satisfaction pour elle,
04:28 même si finalement le dossier ne sera peut-être pas élucidé.
04:31 Alors vous parliez tout à l'heure de la science qui évolue,
04:33 ça a été une révolution quand même dans votre domaine ?
04:36 Oui, c'est l'apparition de l'ADN dans les années 90 en France
04:39 qui a permis de confondre un certain nombre de meurtriers
04:41 qui laissent des traces biologiques sur leurs crimes.
04:44 Et aujourd'hui, avec très peu de cellules, on peut identifier un ADN.
04:47 Et on peut aller assez loin maintenant, on parle du portrait robot génétique,
04:50 de l'ADN de parentèle, autant de moyens qui peuvent élargir le domaine d'investigation
04:55 et d'identifier peut-être l'auteur des faits.
04:58 Est-ce qu'il y a des affaires qui vous hantent quand vous vous plongez comme ça ?
05:02 Vous y pensez 24 heures sur 24, c'est difficile de s'en détacher ?
05:06 C'est un petit peu ce que j'explique dans le livre.
05:08 J'ai connu comme juge d'instruction des affaires non élucidées,
05:10 j'ai connu le meurtre et le viol d'une jeune fille à Lyon,
05:13 dossier qui a été rouvert il y a quelques années
05:16 et je suis resté sur un sentiment d'échec.
05:19 Je me disais que c'est des choses qu'on ne peut pas accepter.
05:21 Ce sont les affaires les plus graves que traite la justice,
05:23 les crimes de sang, les viols, et on doit y mettre toute l'énergie nécessaire.
05:27 À part celle-ci, il y a une autre affaire que vous avez laissée derrière vous
05:30 au moment où vous avez pris votre retraite ?
05:31 Beaucoup trop, beaucoup trop.
05:33 Des affaires que j'ai connues comme procureurs,
05:35 je pense à le corps d'une femme retrouvée dans une valise,
05:37 coupée en morceaux à Marseille.
05:39 On n'a même pas pu identifier cette victime,
05:41 on n'a pas l'auteur mais on n'a même pas l'identité de la victime.
05:44 Je crois que je suis comme d'autres magistrats,
05:46 on a connu des échecs et il faut essayer de les minimiser
05:49 et de laisser un espoir, peut-être que l'affaire sortira un jour.
05:52 Est-ce qu'il faut enquêter, rouvrir les dossiers coûte que coûte ?
05:55 Est-ce qu'à un moment, au contraire, on arrive à dire stop ?
05:59 Je crois qu'il faut laisser le temps.
06:01 Le temps est un espoir, la science va évoluer,
06:03 dans 20 ans, 30 ans, ce sera meilleur qu'aujourd'hui.
06:05 Puis un jour, il faudra sans doute refermer un dossier.
06:08 Tout simplement, l'auteur des faits aura peut-être disparu,
06:10 sera peut-être décédé d'un mort naturelle,
06:12 mais il ne faut pas clôturer comme on l'a trop fait dans le passé,
06:14 comme moi je l'ai fait dans le passé lointain.
06:17 Au bout de deux ans, clôturer un dossier.
06:18 Aujourd'hui, ce n'est pas acceptable.
06:20 Il ne faut pas détruire les scellés, je l'explique dans le livre.
06:22 Ne détruisez pas les scellés, les pièces à conviction.
06:25 Peut-être que dans 10 ans, elles parleront, ces pièces à conviction.
06:27 Et garder cette volonté, cette résolution, on doit ça aux familles.
06:31 On voit que le pôle de Nanterre, qui a été créé il y a un an,
06:34 est déjà saturé de demandes, de dossiers.
06:37 Est-ce que c'est représentatif de l'état de la justice aujourd'hui ensemble,
06:40 qu'il y a une grande souffrance également de la part des magistrats ?
06:43 Les dossiers sont très nombreux.
06:44 Le pôle de Nanterre peut-être verra ses effectifs augmenter,
06:48 puisque je pense qu'à un moment, quand ils auront une centaine de dossiers,
06:50 ils ne pourront pas prendre de nouvelles affaires.
06:52 Ça, c'est une décision qui appartient au ministre de la Justice.
06:56 Moi, je note qu'il a eu la bonne idée de créer ce pôle, d'y donner les moyens.
06:59 Mais il faut aussi que les juges d'instruction, les procureurs,
07:02 dans leur tribunal ordinaire, travaillent sur ces dossiers,
07:04 qu'ils y consacrent du temps, un peu.
07:07 Rapidement, on parle beaucoup de l'affaire Palma.
07:09 Dans ce moment, on ne va pas revenir sur le fond de l'affaire, évidemment,
07:11 mais on voit qu'il y a un traitement médiatique assez important.
07:15 Quel regard vous portez sur le traitement médiatique ?
07:17 Et est-ce que ce traitement peut influencer la justice ?
07:20 Oui, malheureusement, c'est une affaire qui défrait la chronique.
07:23 Alors, bien sûr, ça concerne une personnalité.
07:25 Je trouve que beaucoup trop de personnes parlent sans connaître le dossier.
07:28 Laissons l'instruction se mener.
07:29 Ça doit se faire en toute sérénité.
07:32 C'est un peu la difficulté.
07:33 C'est que tout le monde apporte sa voix à ce concert médiatique, tonitruant.
07:36 Est-ce que c'est une bonne chose ?
07:37 Je n'en suis pas si sûr.
07:38 Merci beaucoup, Jacques Dalleste, d'être venu nous voir sur le plateau Télématin.
07:41 Je rappelle le titre de votre livre, "Colcaïs, un magistrat en quête".
07:45 Merci à vous.
07:45 Et c'est aux éditions Mareuil.