France à l’arrêt, opinion fracturée ?

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 23 Mars 2022)
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Transcription
00:00 Le billet politique Jean Lemarie face à l'inflation, le gouvernement a-t-il baissé les bras ?
00:05 Vous ne pouvez pas imaginer de sujet plus concret Guillaume.
00:08 En un an, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 15% environ.
00:13 Et après les négociations qui viennent de se terminer entre les grandes surfaces et leurs fournisseurs,
00:17 ces prix devraient encore grimper de 10%.
00:20 Le gouvernement le sait, il cherche une réponse politique et il n'y arrive pas.
00:24 Prenez le panier anti-inflation.
00:27 Il y a quelques mois, la ministre du commerce, Olivia Grégoire, avait imaginé un panier
00:31 avec une cinquantaine de produits de première nécessité à prix réduit, le même panier dans chaque enseigne.
00:37 Et bien discrètement, le gouvernement est en train d'y renoncer.
00:41 A priori, il n'y aura pas de panier unique aux distributeurs d'imaginer leur propre solution.
00:47 Les magasins U ont été les premiers le mois dernier, ils proposent 150 produits à prix coûtant.
00:52 Ce week-end, Carrefour, Intermarché et Monoprix ont annoncé qu'ils créent leur propre panier.
00:58 Et de son côté, Leclerc continue à clamer qu'il est le moins cher.
01:01 Entre les enseignes, la bataille d'images est brutale.
01:04 Mais politiquement, que fait le gouvernement ?
01:06 Finalement, il procède avec l'alimentation comme avec le carburant.
01:10 C'est-à-dire qu'il demande aux entreprises de faire un effort.
01:13 Au groupe Total Energy de baisser les prix à la pompe dans ses stations-service.
01:17 Aux grandes surfaces de réduire leurs marges.
01:19 L'Etat incite les entreprises, il n'agit pas directement, il renonce à intervenir.
01:24 Ce renoncement n'est pas le premier.
01:26 Non, rappelez-vous le chèque alimentation.
01:28 La Convention citoyenne pour le climat avait proposé que l'Etat verse de l'argent aux plus démunis
01:33 pour les aider à acheter des produits locaux ou des produits bio.
01:37 Emmanuel Macron avait repris l'idée.
01:39 Cette mesure figure même dans la loi Climat et Résilience.
01:42 Et à la dernière élection présidentielle, le chef de l'Etat avait renouvelé son engagement.
01:48 Avant de renoncer.
01:49 Écoutez Bruno Le Maire, c'était au mois de septembre dernier.
01:52 Nous avons fait une indemnité inflation à la rentrée.
01:55 Qui dans le fond se substitue à ce chèque alimentaire, je vais vous le dire, avec beaucoup d'humilité.
02:00 Nous ne sommes pas arrivés à construire un dispositif qui soit opérationnel, efficace, rapide.
02:05 Donc nous avons préféré cette solution.
02:07 Moi ce qui compte c'est que ça aille mieux pour nos compatriotes.
02:09 Le ministre de l'économie sur LCI.
02:11 C'est vrai que le gouvernement a mis en place une prime inflation à la rentrée
02:15 pour les bénéficiaires d'allocations. 100 euros par foyer, 50 euros supplémentaires par enfant à charge.
02:20 De la même façon, il y a quelques semaines, il a annoncé une indemnité carburant.
02:25 100 euros là encore, et puis il y a le chèque énergie.
02:27 Mais sur le chèque alimentation, il cale.
02:30 Et pas seulement pour des raisons techniques, comme le dit Bruno Le Maire.
02:33 Le coût de la mesure fait peur au gouvernement.
02:36 Ce coût est difficile à évaluer, mais selon un rapport administratif,
02:40 ce serait au moins 1,5 milliard d'euros par an.
02:43 Et sans doute beaucoup plus.
02:44 L'association Familles Rurales réclame par exemple un chèque mensuel de 65 euros
02:48 pour les familles les plus démunies, pour les aider à se nourrir correctement.
02:51 La mesure coûterait alors plus de 7 milliards d'euros.
02:54 Le gouvernement s'y refuse. Trop cher.
02:57 L'Etat a largement soutenu le pouvoir d'achat, quoi qu'il en coûte.
03:00 Maintenant, il veut tourner la page.
03:02 Mais ce choix a aussi un coût politique.
03:04 Face à l'inflation, les politiques ont-ils la solution ?
03:07 Voilà la question.
03:09 Le gouvernement risque d'apparaître sourd à ce qui préoccupe des millions de Français.
03:13 Comment se nourrir ? Et comment se nourrir correctement ?
03:16 C'est vrai que la réponse politique est difficile.
03:18 Intervenir sur les prix peut être totalement contre-productif.
03:21 Et distribuer des chèques n'est pas non plus une solution magique.
03:24 Les subventions ne remplacent pas les hausses de salaire.
03:27 Mais alors pourquoi le gouvernement annonce-t-il des mesures auxquelles il renonce ensuite ?
03:31 Il hésite, il tergiverse, alors qu'au même moment, sur la réforme des retraites,
03:36 il avance comme un bulldozer.
03:37 Le contraste est saisissant.
03:39 Pour adopter une réforme impopulaire, le gouvernement est résolu.
03:42 Pour résoudre un problème immédiat, il est timoré.
03:45 Politiquement et sans mauvais jeu de mots, Guillaume, ça pourrait lui coûter cher.
03:49 Merci Jean Lemarie pour ce billet politique.
03:51 On le retrouve sur le site de France Culture, sur l'appli Radio France.
03:54 Et on va faire immédiatement réagir notre invité à ce que vous venez de dire,
03:58 Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégie de l'IFOP.
04:02 7h-9h
04:03 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
04:09 De l'Assemblée Nationale à la rue, la réforme des retraites n'en finit pas de diviser.
04:13 Quelle ligne de fracture le projet du gouvernement fait-il apparaître au sein de l'opinion publique
04:18 alors qu'une nouvelle journée de mobilisation doit se tenir demain, mardi 7 mars ?
04:23 Comment expliquer la longévité d'un mouvement qui traverse toutes les couches de la société ?
04:29 Nous sommes en votre compagnie, Jérôme Fourquet.
04:32 Vous êtes donc le directeur du département Opinion et Stratégie de l'IFOP.
04:36 Et l'on vous doit la France sous nos yeux.
04:39 Et l'archipel français de livres publiés aux éditions du Seuil.
04:42 Mon camarade Jean Lémarie vient d'évoquer le panier anti-inflation
04:47 que le gouvernement voulait mettre en place et qui finalement a été abandonné,
04:51 mais qui va être fait par certaines grandes surfaces,
04:56 avec là aussi un problème supplémentaire pour le gouvernement.
05:00 Non seulement la question des retraites, mais cette question de la hausse des prix.
05:06 Votre analyse ?
05:07 Quand on regarde les enquêtes d'opinion, on constate que la question de l'inflation et du pouvoir d'achat
05:14 s'est invitée depuis plus d'un an maintenant comme priorité numéro un des français,
05:19 avec un retournement historique qui est assez spectaculaire.
05:23 C'est le fait que la préoccupation autour du chômage est quasiment disparue.
05:27 Elle n'a pas été rétrogradée en deuxième position, elle a quasiment disparu.
05:30 Et donc cette question du pouvoir d'achat est centrale pour une large majorité de nos concitoyens.
05:36 Je vais donner quelques chiffres également pour rendre les choses un peu plus concrètes.
05:40 En 2010, la France était déjà en crise économique, c'était la crise des dettes souveraines, la crise de l'euro.
05:46 Quand l'IFOP interrogeait les français, 54% d'entre eux nous disaient qu'ils avaient les moyens
05:51 de mettre un peu d'argent de côté à la fin du mois, une fois qu'ils avaient assuré toutes leurs dépenses.
05:56 En novembre dernier, il n'y avait plus que 37% des français qui disaient être dans une telle situation.
06:02 Donc on était passé de 54%, la majorité large, à à peine un français sur trois.
06:08 Alors encore une fois que le point de comparaison était 2010, une période qui était déjà économiquement difficile.
06:14 Et alors qui sont ces 37% de français qui réussissent à mettre de l'argent de côté ?
06:18 On a quand même en France toujours une France qui va bien dans les déciles de revenus les plus élevés.
06:26 Alors ce n'est pas forcément des grosses sommes qui sont économisées tous les mois, mais une possibilité d'arbitrage.
06:32 Autre élément qui est important pour notre débat, quand on regarde et quand on étudie un peu en profondeur
06:41 comment les choses se nouent du côté des français, ce qu'ils regardent eux, ce n'est pas le taux d'inflation
06:48 qui est publié par l'INSEE et le ministère de l'économie, c'est le prix du panier de course.
06:54 Et c'est là-dessus qu'on se forge son idée sur l'évolution de l'inflation.
06:59 Alors même que la part de l'alimentation a considérablement diminué dans le budget des ménages depuis 40 ans,
07:05 c'est toujours ce poste de dépense-là qui constitue le thermomètre qui est utilisé de manière empirique par nos concitoyens
07:12 pour jauger de l'évaluation de l'évolution de l'inflation.
07:16 Et donc la hausse des 15% a été très bien, très clairement...
07:22 On l'a vu.
07:23 On l'a senti passer et les hausses à venir vont l'être également.
07:28 D'autant que l'alimentation c'est évidemment une dépense contrainte, que cela s'additionne à d'autres dépenses contraintes
07:34 Sur les carburants par exemple.
07:36 Voilà, et justement, puisqu'il y a eu, je crois en France, une crise déclenchée par la hausse du coût de la vie,
07:44 la crise évidemment des gilets jaunes, que la situation ne s'est pas améliorée, elle s'est même au contraire détériorée.
07:51 Comment analysez-vous le fait qu'une partie plus importante encore de Français, si l'on suit cette logique,
07:58 se retrouve aujourd'hui avec des dépenses contraintes qui n'ont fait qu'augmenter ?
08:05 Oui, alors effectivement le paradoxe, la comparaison nous questionne avec le mouvement des gilets jaunes
08:12 puisque à l'époque le prix du carburant, du diesel, était à 1,40€ en moyenne
08:17 quand le mouvement des gilets jaunes a débuté.
08:20 Et on est aujourd'hui autour de 2€.
08:22 Il y a quand même des différences majeures.
08:24 La première, c'est que ce qui a mis le feu aux poudres à l'époque, c'était l'annonce d'une taxe supplémentaire.
08:28 C'était ça qui était paru comme étant insupportable.
08:31 Aujourd'hui, même si les niveaux de prix sont très élevés,
08:34 une majorité de Français considère qu'une bonne partie de cette inflation provient du contexte international.
08:42 On a parlé de la guerre en Ukraine, les tensions sur les prix.
08:45 On a aussi dans l'opinion l'idée que le gouvernement a fait ce qu'il a pu à un certain moment,
08:51 entre la crise des gilets jaunes et maintenant, le Covid est passé par là
08:55 et le fameux "quoi qu'il en coûte" a aussi été très bien identifié et diagnostiqué par nos concitoyens.
09:02 C'est peut-être ce qui explique le fait que la marmite ne déborde pas encore aujourd'hui,
09:08 même si, comme on l'a dit tout à l'heure, une partie de la mobilisation contre la réforme des retraites
09:13 se nourrit aussi de revendications autour de la vie chère,
09:17 qui est de plus en plus difficile à supporter pour une part importante de nos concitoyens.
09:22 Alors, les journalistes sont peut-être tords, parfois les journalistes sont tords, Jérôme Fourquet,
09:27 mais ils aimeraient voir de nouveaux signes d'une répétition de l'histoire.
09:34 C'est par exemple ce que fait le Figaro ce matin avec les zones à faible émission.
09:38 On peut être rappelé en un mot en quoi elles consistent,
09:41 ces zones qui vont interdire certains véhicules polluants dans les villes,
09:47 avec là aussi des situations très différentes en fonction des voitures que possèdent les Français.
09:54 Oui, effectivement. On a dans les principales agglomérations françaises la mise en place de ce dispositif
10:03 qui va filtrer ou conditionner l'accès à l'intérieur d'un périmètre donné, un périmètre géographique,
10:11 aux véhicules qui sont réputés comme étant, ou qui ont été classés comme étant les moins émetteurs de CO2,
10:18 donc les véhicules électriques, et pour faire vite, les véhicules les plus récents.
10:23 Et donc, à la question des prix des carburants vient s'ajouter cette réglementation
10:31 qui va contraindre toute une partie des Français à changer de véhicule
10:37 s'ils veulent pouvoir se rendre dans le cœur des grandes métropoles.
10:42 Et donc, effectivement, c'est un sujet potentiellement explosif, sans jeu de mots,
10:47 dans la mesure où on a, y compris parfois dans le cœur des métropoles,
10:52 je pense à la Seine-Saint-Denis par exemple pour l'Île-de-France,
10:56 une part très importante du parc automobile privé qui n'est pas aux normes et qui n'est pas éligible.
11:03 Et donc, ça peut potentiellement, effectivement, créer, voire faire démarrer, débuter,
11:10 d'autres mouvements de protestation.
11:12 Alors, tout dépendra néanmoins de la façon dont cette réglementation est appliquée.
11:19 Est-ce qu'elle l'est de manière très drastique ? Est-ce qu'on laisse du temps au temps ?
11:23 On voit dans les statistiques qu'une partie du public a anticipé,
11:28 quand il a pu le faire, la mise en place de ces zones à faible émission
11:31 et que la part des véhicules éligibles, en deux ans,
11:34 la part des véhicules éligibles ou qui pourraient accéder au cœur des métropoles,
11:38 a augmenté.
11:39 Une partie des Français changeant de véhicule pour en acheter un plus récent.
11:44 Sauf que, on le sait, toute une partie de la population n'aura pas les moyens,
11:49 actuellement, de changer son véhicule.
11:53 Et donc, cette entorse à la mobilité pourrait générer des tensions sociales importantes.
12:01 D'autant que ça s'additionne avec d'autres mesures qui devraient,
12:06 du fait de la transition énergétique, peser aussi sur le budget des ménages.
12:10 Je pense, par exemple, à l'abandon des chaudières au fioul, puis au gaz,
12:15 à la question de l'isolation énergétique des bâtiments.
12:20 Il y a un certain nombre de dépenses contraintes qui devraient avoir un effet ciseau,
12:25 avec d'un côté la question de l'inflation dont parlaient Jean Lemarie,
12:29 de l'autre la question de l'écologie qui va obliger à des dépenses supplémentaires.
12:34 Qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
12:35 Est-ce qu'il y a, là aussi, des choix, des priorités, selon vous, Jérôme Fourquay ?
12:41 Il n'y en a, hélas, pas de recette miracle.
12:43 Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'une partie importante de la population
12:48 ne pourra pas faire face à cet effet de ciseau.
12:51 Donc, il faut soit décaler un certain nombre de mesures dans le temps,
12:55 soit accompagner financièrement davantage.
12:58 Mais on entend également Bercy, M. Le Maire, qui dit que la cagnotte n'est pas inépuisable
13:04 et qu'on a déjà énormément puisé dedans.
13:06 Et c'est là aussi que se noue, sans doute, une partie du problème,
13:10 c'est que la crise Covid et la réponse gouvernementale
13:14 ont énormément fait bouger les curseurs.
13:16 C'est-à-dire que le concept du « quoi qu'il en coûte »
13:20 est aujourd'hui très fortement ancré dans les têtes,
13:23 avec l'idée que quand le gouvernement veut, il peut,
13:28 et qu'on a bien été capable de sortir des centaines de milliards d'euros
13:32 pendant la crise Covid.
13:33 Et pourquoi ne pourrait-on pas, par exemple, en sortir une douzaine
13:38 pour boucher le trou annoncé du régime des retraites ?
13:43 Et pourquoi ne pourrait-on pas également continuer d'utiliser ce levier-là
13:50 pour faire face aux difficultés qui s'annonçaient ?
13:53 Donc, c'est toute la difficulté pour le gouvernement
13:56 d'expliquer que c'était un moment très particulier,
13:59 qu'un effort énorme a été accompli,
14:02 et que maintenant, il faut qu'on retourne aux recettes habituelles ou historiques,
14:07 ce que beaucoup de Français ne parviennent pas à comprendre.
14:12 Monsieur François Langlais avait signé une tribune dans le Figaro
14:17 dont le titre était « Les Français ne croient plus aux milliards ».
14:20 Donc, c'est un peu cette idée.
14:21 C'est-à-dire qu'il y a l'idée qui s'est fortement inscrite dans le paysage,
14:26 que des marges de manœuvre budgétaires existaient,
14:28 qu'on pouvait, en cas de situation exceptionnelle, les utiliser.
14:33 Alors, le gouvernement essaye de trouver des alliés du côté des entreprises privées.
14:38 Vous avez mentionné Total Energy tout à l'heure.
14:41 Et on renoue un pacte historique, actuellement,
14:45 entre la grande distribution et les pouvoirs publics,
14:48 pour essayer de casser l'inflation.
14:49 Ça a été quand même la vocation historique de la grande distribution en France,
14:53 dans les années 70 et 80,
14:56 de faire accéder à la consommation de masse le plus de Français possible,
14:59 mais aussi de casser les prix, de limiter les prix.
15:03 Alors, le tournant de la rigueur y a été pour beaucoup,
15:07 mais vous vous souvenez des slogans détournés d'ailleurs par Coluche,
15:12 « Mammouth écrase les prix », « Les mousquetaires de la distribution », etc.
15:17 Michel-Édouard Leclerc reprend les anciennes de son père,
15:21 en disant « Nous, on n'a pas besoin de paniers anti-inflation,
15:24 parce qu'on est historiquement les moins chers », etc.
15:26 Donc, la grande distribution, aujourd'hui,
15:29 est mise aussi à contribution par le gouvernement,
15:32 pour essayer d'apporter son écho à la lutte contre l'inflation.
15:36 Là où le gouvernement est pris parfois dans des contradictions,
15:38 c'est qu'une partie de cette lutte contre la vie chère,
15:41 la grande distribution la fait payer aux fabricants agroalimentaires,
15:46 aux agriculteurs, et donc il y a aussi aujourd'hui la prise de conscience.
15:49 - Ce qui sera un déplacement du problème pour les agriculteurs.
15:53 Jean Lemarie ?
15:54 - Précisément là-dessus, comment écraser les prix sans écraser les producteurs ?
15:59 Je reprends effectivement ce slogan.
16:01 - Vous ne vouliez pas reprendre « Mammouth écrase les prix » ?
16:04 - Non, je ne fais pas de publicité, même pour les enseignes qui n'existent plus aujourd'hui.
16:08 - Et les contre-pétrilles de Coluche.
16:10 Jérôme Fourquet ?
16:11 - Dans le message même politique, à la fois répondre,
16:14 et c'est extrêmement difficile à la question de l'inflation,
16:17 et en même temps continuer à promouvoir un modèle qu'on voudrait plus vertueux,
16:21 plus respectueux de l'environnement, plus respectueux des producteurs,
16:24 de ceux qui produisent à côté de chez nous.
16:26 Comment s'en sortir ?
16:28 - On voit que la grande distribution,
16:32 et en partie le gouvernement, cible un certain nombre de responsabilités.
16:38 Et en disant, typiquement dans les rounds de négociations qu'il y a eu
16:42 entre les fournisseurs et les producteurs agroalimentaires,
16:45 et la grande distribution,
16:47 les PME, notamment tricolore, ont été relativement raisonnables,
16:52 alors qu'une grande partie des majors de la grande distribution,
16:58 des entreprises internationalisées, françaises ou autres,
17:04 elles ont beaucoup plus appuyé sur le crayon en termes de hausse.
17:08 Et donc, aujourd'hui la grande distribution, comme le gouvernement,
17:12 tente à sanctuariser les producteurs locaux, les PME,
17:17 les entreprises que les français apprécient,
17:21 et demande ou concentre le tir sur la World Company,
17:25 qui est accusée d'avoir très fortement joué sur cette tension inflationniste.
17:33 Donc là où on peut le faire, le gouvernement demande des efforts,
17:36 y compris des grands groupes français comme Total sur l'essence,
17:39 et puis je pense qu'on va avoir une pression sur un certain nombre de grandes entreprises
17:44 internationalisées, mais qui ne représentent pas forcément l'intégralité du panier de la ménagère.
17:50 Il y a aussi une autre proposition qui vient de la gauche, Jérôme Fourquet,
17:54 qui serait une adaptation de la fiscalité,
17:57 alors adaptation momentanée, permanente, restructuration, bref,
18:01 l'idée qu'il y a un certain nombre de réserves financières
18:07 qu'elles sont à chercher, ou bien auprès des entreprises,
18:10 ou bien auprès des personnes les plus aisées.
18:14 - Oui, effectivement, on est là-dessus, c'est-à-dire qu'on a le premier levier actionnier,
18:21 c'est le "quoi qu'il en coûte".
18:23 - Celui-ci, on l'a évoqué, et on voit les limites.
18:28 - Les limites, mais une partie des français considère qu'il n'y a pas de limites,
18:32 donc on doit pouvoir continuer à aller là-dessus,
18:34 on voit que la crise alimentaire est au moins aussi grave que la crise Covid,
18:40 pour une partie des français, et donc il faut à situation exceptionnelle,
18:43 moyen exceptionnel, et si tant est que la cagnotte de Bercy ne soit pas suffisante,
18:48 effectivement, on a vu remonter à la surface un discours qui est assez ancré en France,
18:57 et il est remonté à l'occasion de la publication des résultats
19:01 d'un certain nombre de grands groupes du CAC 40,
19:04 l'idée selon laquelle il faudrait mettre à contribution les plus riches
19:09 ou les entreprises les plus prospères et les plus florissantes.
19:13 Et donc ça, on retrouve des clivages politiques autour de ces questions-là.
19:18 - Vous comprenez d'ailleurs pourquoi le gouvernement le refuse ?
19:21 Est-ce que c'est une question de clivage politique, comme vous venez de le dire ?
19:24 Est-ce que c'est une autre raison qui expliquerait cette hostilité ?
19:30 - Sur la mise à contribution des plus grands groupes,
19:33 je pense que de la part du gouvernement, la fin de nos recevoirs s'explique
19:39 à la fois pour des raisons idéologiques et pour aussi, sans doute les deux sont liés,
19:44 des questions de cohérence en termes de politique économique,
19:47 en disant on a pratiqué ce qu'on appelle une politique de l'offre,
19:50 sous le précédent quinquennat, on a fait baisser les impôts de production,
19:53 on s'est démené pour rendre la France davantage attractive aux investissements étrangers
20:01 et donc c'est pas le moment d'envoyer un signal inverse en ajoutant
20:06 ou en inventant une nouvelle taxe sur les surprofits.
20:09 Donc c'est au nom de la cohérence de la politique d'ensemble
20:13 que le gouvernement tient à garder sa ligne.
20:17 Il avance comme argument de l'efficacité de la politique qui a été menée,
20:22 plusieurs paramètres, d'abord le fait que, on l'a dit tout à l'heure,
20:27 le chômage a quand même pas mal diminué en France et que tout ça n'est pas tombé du ciel,
20:32 que sans doute voit-il les effets de la politique économique qui a été menée.
20:36 Et puis un autre indicateur qui est important, c'est le fait que les investissements étrangers en France
20:41 demeurent élevés et que pour la première fois depuis 40 ans,
20:46 au cours du dernier quinquennat, la balance qui est faite entre le nombre de sites industriels
20:51 qui sont fermés et le nombre de sites industriels qui sont ouverts ou agrandis
20:56 était repassée en positif.
20:59 Nous avons une dynamique qui est relativement vertueuse, dit le gouvernement,
21:04 et donc ce n'est pas le moment d'envoyer par ce message un signal qui viendrait brouiller l'équation.
21:11 Mais si l'inquiétude des Français, parce que l'inflation alimentaire, c'est quelque chose qui fait particulièrement peur,
21:17 les famines jadis s'étaient appelées des chertées,
21:20 donc on voit bien là aussi ce que ça véhicule comme ambiance et comme crainte.
21:26 Jérôme Fourquet, si l'idée c'est que désormais on a de plus en plus de difficultés à vivre de son travail,
21:32 c'était déjà une angoisse qui était présente lors de la crise des Gilets jaunes,
21:35 elle s'est accrue avec l'inflation alimentaire qui est un phénomène plus récent.
21:40 Est-ce que les efforts de lutte contre le chômage ne vont pas être anéantis par une situation nouvelle,
21:47 l'idée qu'on pourrait basculer à la fois dans le plein emploi,
21:51 ce n'est pas encore du tout le cas,
21:53 mais une situation où les emplois ne permettraient pas de vivre de manière raisonnable ?
21:59 Alors on retombe sur le sujet initial, on parlait des retraites et du rapport au travail,
22:05 avec cette question des travailleurs pauvres,
22:07 et de la question aussi du fait de savoir si le travail qui est fourni est suffisamment rémunéré,
22:14 et donc ça se ressent en termes de reconnaissance,
22:21 mais également suffisamment rémunéré tout simplement pour permettre aux salariés et à sa famille de vivre un minimum dignement.
22:30 Encore une fois on raisonne là à chaque fois par des moyennes,
22:33 mais on entend ce qui se passe du côté des banques alimentaires, du côté des restos du cœur,
22:38 avec une augmentation sans précédent du nombre de bénéficiaires,
22:42 et donc effectivement il y a ce cri d'alarme qui est posé,
22:48 et le gouvernement essaye de trouver des alliés, notamment du côté de la grande distribution,
22:54 pour essayer de maintenir autant que faire se peut, de contenir la hausse des prix alimentaires.
23:00 - Jérôme Fourquet, on vous doit une vision d'une France archipélisée,
23:05 selon le titre de votre ouvrage "L'archipel français".
23:09 Est-ce que finalement on a toujours affaire à un archipel,
23:12 ou bien a-t-on affaire à un clivage bloc contre bloc ?
23:16 Alors ensuite chacun évoquera, s'il le souhaite, classe contre classe,
23:21 les différentes métaphores que l'on peut utiliser, puisqu'on voit qu'on a affaire à deux Frances.
23:26 Pour la réforme des retraites.
23:28 - Sur la réforme des retraites, il y a des lignes de clivage qui fédèrent encore assez largement,
23:33 des grands continuum, ça c'est clair.
23:35 Ensuite quand on rentre dans le détail, vous voyez par exemple que toute une partie des Français
23:40 qui sont opposés au recul de l'âge de départ à la retraite,
23:43 qui est la mesure phare de ce projet de réforme,
23:46 sont favorables à la fin des régimes spéciaux, par exemple.
23:49 Et donc je ne suis pas convaincu que les cheminots que vous avez interrogés à la gare de Lyon,
23:54 soient sur cette position là.
23:55 Donc vous voyez que quand on rentre dans le détail, derrière des mots d'ordre qui peuvent être fédérateurs,
23:59 parce que la réforme des retraites s'appliquerait à tout le monde,
24:02 dès qu'on commence à regarder un peu les choses dans le détail, on voit des lignes de faille se dessiner.
24:06 - Mais alors c'est quand même étrange parce qu'on disait que nous étions dans un pays majoritairement de droite,
24:13 avec donc une prééminence de ces idées là, on voit que c'est une droite qui est une droite un peu étrange, je vous vois sourire.
24:21 - Alors tout dépend de ce qu'on met derrière le terme de droite, quand on dit une France de droite.
24:26 On a toujours pensé que sur les questions économiques et sociétales, la France n'était pas à droite.
24:32 Vous voyez qu'il y a une grande majorité de français qui étaient favorables à la PMA,
24:41 pour les couples de femmes ou les femmes seules, sur ces avancées sociétales.
24:45 On le voit aujourd'hui sur la question du pouvoir d'achat, sur la question de la taxation des grands groupes.
24:53 Il y a un très large consensus pour soutenir des propositions qui émanent plutôt de la gauche.
24:59 Là où la France est sans doute majoritairement à droite, c'est sur les questions régaliennes,
25:05 sur les questions de sécurité, sur les questions de l'insuffisante sévérité perçue des peines prononcées par la justice.
25:14 Sur les questions d'immigration.
25:17 Là, sur tous ces sujets-là, c'est la droite et l'extrême droite qui aujourd'hui donnent le "là" en France.
25:23 Sur les questions sociétales, économiques et sociales, on n'est pas sur une France qui serait soit traditionnaliste,
25:29 soit en plan économique libéral. Pas du tout.
25:32 - L'une des valeurs qui est considérée comme étant de droite, c'est l'émancipation par le travail.
25:37 S'il y a divorce entre les français et le monde du travail, une partie d'entre eux,
25:41 est-ce que ça veut dire que cette perspective-là de l'émancipation par le travail s'évanouit aujourd'hui sous nos yeux ?
25:48 - En partie, notamment parce que beaucoup considèrent que le travail ne paye pas assez.
25:53 Et que bien qu'en respectant sa part du contrat, en faisant partie de cette France qui se lève tôt,
25:59 on ne parvient plus à assurer à sa famille un train de vie décent.
26:04 Et la promesse de l'émancipation n'étant pas aussi évidente ou remplie que l'a pu l'être par le passé,
26:11 une partie des français reconsidèrent leur rapport au travail.
26:14 - Une conclusion, Jérôme Fourquet, si cette réforme politiquement passe, si elle est votée, qu'est-ce qui pourrait se produire ?
26:23 - On verra. On n'a pas l'impression que le mouvement social soit en capacité de s'engager dans une lutte prolongée.
26:33 Pour autant, tout ça laissera bien évidemment énormément de rancœur, de colère,
26:38 notamment dans la France qui est la plus en difficulté.
26:42 Tout ça pourra s'exprimer soit peut-être un jour électoralement, soit lors d'autres mobilisations sur d'autres sujets.
26:48 Typiquement, par exemple, sur la question du coût de la vie dans les mois et les années qui viennent.
26:54 En tout cas, ça contribuera à rendre le climat encore un peu plus électrique et délétère.
26:59 - Merci, Jérôme Fourquet. Je rappelle que l'on vous doit la France.
27:02 Sous nos yeux, aux éditions du Seuil avec Jean-Laurent Casselli et l'archipel français.
27:08 Dans quelques secondes, le point sur l'actualité.

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