Dr. Denis Labayle, ancien chef de service hospitalier, un des très rares médecins en France à défendre depuis plus de vingt ans le droit à choisir sa fin de vie, était vendredi 10 mars le Grand témoin de franceinfo.
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00:00 - Dr Denis Labelle, bonjour. - Bonjour.
00:02 - Ancien chef de service hospitalier, notamment à Clamart, près de Paris,
00:05 vous avez écrit "Le médecin, la liberté et la mort pour le droit de choisir sa fin de vie"
00:10 et vous avez donc dîné hier à l'Élysée avec des médecins, des philosophes, des religieux,
00:14 réunis autour d'Emmanuel Macron. Qu'est-ce que vous avez dit au président ?
00:19 - Alors j'ai dit au président... D'abord, il y a eu une grande écoute.
00:24 J'ai l'impression qu'il y a un président qui laissait parler.
00:27 Je crois que tout le monde a pu parler et parler même parfois longuement.
00:31 Alors moi j'ai dit que j'avais la chance d'être dans un pays où il y avait une république laïque.
00:37 Et laïque, pour moi, ça veut dire tolérance.
00:39 Et tolérance, ça veut dire écouter les autres, tolérer les autres dans des points de vue différents.
00:44 Les religieux ont une certaine position, ceux qui ne le sont pas ont une autre position.
00:49 Des positions qui ne sont pas forcément conciliables, mais il faut qu'on se tolère les uns et les autres.
00:53 Et donc on a retrouvé les groupes. Il y avait un très gros groupe majoritaire de gens du culte,
01:00 également des soins palliatifs qui voulaient que ça ne change pas, estimant que tout allait très bien.
01:05 Une petite minorité qui disait qu'il fallait une exception.
01:09 Et puis je me suis senti un peu seul parfois pour dire que c'est au malade le droit de choisir.
01:13 - Qu'est-ce que vous, vous réclamez ?
01:15 - Moi je réclame à ce que le malade puisse choisir sa fin de vie.
01:18 C'est-à-dire que s'il veut les soins palliatifs, il faut des soins palliatifs, mais des soins palliatifs ouverts.
01:23 Pas des soins palliatifs fermés comme c'est en France.
01:26 - C'est-à-dire, c'est quoi la différence ?
01:27 - La différence c'est qu'en Belgique, il n'y a pas de frontière entre les soins palliatifs et l'aide active à mourir.
01:33 En France, il y a un barrage. Vous avez pu voir la campagne très importante qui est faite par la Société Française de Soins Palliatifs.
01:38 Et il y a un barrage. Je pense que ce n'est pas bon pour le malade.
01:41 - C'est-à-dire que dit actuellement la loi Claes Leonetti ? Plutôt, comment est-elle appliquée ?
01:45 - Alors, le problème c'est que beaucoup de gens connaissent l'intitulé de la loi Claes Leonetti,
01:50 "Sédation profonde et continue jusqu'au décès",
01:52 mais ils ignorent totalement le texte d'application de la loi qui a été écrit par la Haute Autorité de Santé,
01:58 et qui est un texte hautement discutable, à la fois dans les indications, puisqu'elles sont extrêmement restrictives.
02:05 Il faut avoir des douleurs réfractaires. La définition n'est pas bien claire.
02:09 Il faut avoir une modalité d'application qui est hautement discutable, avec une déshydratation du corps et une sédation fluctuante.
02:15 Ce sont des propositions qui ne vont pas pour nombre de médecins.
02:19 - C'est-à-dire que dans l'état actuel de la loi, on meurt de déshydratation en fait ?
02:22 - Dans l'état actuel de la loi, non, on meurt de déshydratation, et l'agonie, puisque c'est le problème,
02:26 l'agonie dure parfois de façon inacceptable, une semaine, quinze jours, et voilà.
02:32 - Alors vous le disiez dans le dîner hier soir à l'Elysée, une grande majorité, si je vous entends, était pour le statu quo ?
02:38 - Oui, que la loi n'évolue pas. Il faut au contraire que la loi évolue, dit déjà la Convention citoyenne qui a été mise sur pied par Emmanuel Macron,
02:45 c'est aussi l'avis du comité d'éthique. Il faudrait aller jusqu'où, selon vous ?
02:50 - Moi je pense qu'il faut que j'aille jusqu'à une loi qui soit claire et nette, et qu'on ne remette pas tous les vingt ans le problème sur la table.
02:58 - Mais c'est-à-dire suicide assisté, euthanasie, et euthanasie ça veut dire qu'une personne tierce fait le geste de tuer, d'aider à mourir le patient ?
03:07 - C'est pas pareil. Tuer ça veut dire retirer l'avis de l'autre avec violence. Là on a à répondre à une demande.
03:13 C'est totalement différent justement... - Pour vous il faut aller jusque là ?
03:16 - Oui bien sûr, je pense que les Belges ont vingt ans d'avance sur nous, il n'y a pas eu de massacre à ma connaissance,
03:22 les Belges ne sont pas très différents de nous sur le plan, je dirais, des valeurs morales.
03:26 Et puis, personne n'a le monopole des valeurs morales. Moi je défends un humanisme vis-à-vis de la fin de vie,
03:32 et ce sont les malades qui m'ont appris cet humanisme, en me disant "nous avons des avis différents, écoutez-nous".
03:38 - Vous l'avez vécu personnellement, dans votre famille ? - Bien sûr, mais je l'ai vécu personnellement, je dirais,
03:42 dans mon expérience de médecin, parce que j'avais la philosophie de répondre à la demande des malades, dans leur diversité,
03:48 et puis je l'ai vécu avec mon frère, qui a eu des soins palliatifs pendant un mois, une agonie d'un mois, je sais pas si vous vous rendez compte,
03:55 aucune raison de ma tir, et quand je demandais qu'on augmente les sédatifs, on me disait "ah bah non, c'est de l'euthanasie,
04:01 et je crois qu'il faut que ça cesse, ça". - Vous parlez de l'exemple belge, il y a aussi l'exemple des Pays-Bas,
04:06 où l'euthanasie est légale depuis plus de 20 ans, mais avec le recul, l'ancien contrôleur des cas d'euthanasie dans le pays,
04:12 Théobourg, a pris la plume dans le journal Le Monde il y a quelques mois, il dit "j'étais convaincu que les néerlandais
04:17 avaient trouvé le bon équilibre, mais il s'inquiète maintenant que l'euthanasie s'applique aux personnes handicapées,
04:22 aux personnes souffrant de problèmes psychiatriques, ainsi qu'aux jeunes enfants". Est-ce que vous entendez cette mise en garde ?
04:28 - Oui, elle a fait beaucoup de bruit, sa mise en garde, mais enfin bon, il a aussi des croyances protestantes, il faut le savoir,
04:35 il a donc un point de vue religieux sur la situation, c'est pas parce qu'il fait partie d'une commission qu'il est neutre.
04:41 Alors, ce qu'il dit aussi, c'est qu'il y a une augmentation du nombre de personnes qui demandent l'aide médicale à mourir,
04:46 et je dirais tant mieux ! Ça veut dire qu'il y a une prise de conscience, et ça reste de toute façon minoritaire.
04:51 Vous savez, le problème c'est aussi de désangoisser les malades, il y a beaucoup de patients qui ne demanderont jamais
04:55 l'aide médicale à mourir, mais rien que le fait de le savoir que ça existe, ils sont désangoissés.
05:00 Alors, il ne faut pas non plus dramatiser sur les situations, le nombre du problème d'enfants est extrêmement minoritaire,
05:06 il y a quelques cas qui ont été de cas très particuliers, très compliqués, les gens ne sont pas fous, il faut arrêter de faire croire
05:13 que c'est une liberté absolue dans ce domaine. Non, on réfléchit, c'est compliqué. Et donc, dans le domaine psychiatrique,
05:20 c'est encore plus compliqué. Donc, les gens ne vont pas avoir le souci d'assister systématiquement dès qu'ils seront déprimés,
05:27 il faut arrêter avec ce discours. - Et il y aura des garde-fous dans votre idée. - Bien sûr.
05:30 - Il faudrait par exemple une clause de conscience pour les médecins, comme le suggère l'Ordre des médecins ?
05:34 - Il y aura une clause de conscience, c'est évident. Néanmoins, j'estime qu'il y a une absence de formation des médecins
05:40 à la fin de vie, et que c'est un vrai problème, parce que les médecins ont tendance à se dégager de cette période-là.
05:46 Et moi, je maintiens, contrairement à nombre de mes confrères, que soigner les malades, ça va jusqu'au bout.
05:52 C'est-à-dire, on les soigne, agonie comprise, et qu'on fait en sorte que ça soit humain.
05:57 - Hier, donc, vous avez pu vous exprimer ainsi, vous le disiez, que tous les participants à ce dîner à l'Élysée,
06:03 notamment les religieux, qui ne sont pas du tout du même point de vue que vous, on a bien compris.
06:07 Quelle réponse vous a donnée Emmanuel Macron ? Est-ce qu'il s'est exprimé ? Et comment vous l'avez senti ?
06:13 - Écoutez, je crois que le repas n'était pas destiné pour le président à prendre une position finale.
06:18 - Il était à l'écoute. - À l'écoute.
06:20 Moi, j'ai eu une discussion intéressante de couloir, vous savez, c'est intéressant les discussions de couloir,
06:24 avec les gens qui le conseillent, au niveau de la présidence. Et j'ai trouvé qu'il y avait des gens très ouverts.
06:29 - Très ouverts, ça veut dire ouverts à l'idée d'un suicide assisté ? - Oui, d'un changement, d'un suicide assisté.
06:34 - Ou même d'une euthanasie ? - Oui, oui. Ou d'une aide médicale à mourir, oui absolument.
06:38 Alors, je pense qu'il n'était pas en position de prendre une décision comme ça à la fin d'un repas.
06:43 L'impression que j'ai eue, c'est qu'il était à l'écoute, qu'il va encore écouter.
06:48 Alors j'espère qu'il ne va pas être contenté trop longtemps, parce qu'à chaque fois on dit il faut faire une grande campagne.
06:52 Vous savez, il y a déjà eu une grande campagne en 2013, on ne va pas recommencer à zéro.
06:56 Et il faudra bien un jour se décider.
06:58 - Pour vous, la loi évoluera ? - Pour moi, la loi évoluera, oui j'en suis certain. J'en suis persuadé.
07:03 Le problème, c'est que ma crainte, c'est qu'il y ait une annoncée médiatique, et qu'ensuite il y ait un texte d'application extrêmement rigide,
07:09 comme pour la loi Klessel-Nettie.
07:11 - Docteur Denis Labelle, on verra ce que l'avenir nous réserve avec la fin des travaux,
07:15 notamment de la Convention citoyenne d'ici quelques semaines seulement, qui réfléchit à ce sujet.
07:19 Merci beaucoup, vous qui êtes ancien chef de service hospitalier et auteur notamment de "Le médecin, la liberté et la mort, pour le droit de choisir sa fin de vie".
07:27 Vous étiez ce matin le grand témoin de France Info.