Radio Al-Salam : faire entendre les voix de la paix en Irak

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00:00 Bonjour à tous, on part aujourd'hui au nord de l'Irak à la rencontre de journalistes
00:05 engagés pour la paix.
00:06 Au cœur du récit, une radio indépendante et multiconfessionnelle qui donne de la voix
00:11 à ceux qui n'en ont plus, à ceux qu'on n'entend plus.
00:14 Avec en toute liberté, en salle depuis mercredi dernier, le réalisateur Xavier De Lausanne.
00:18 Notre invité retourne sur un terrain qu'il connaît bien, l'Irak et la Syrie, mais
00:22 surtout dans un espace-temps, celui de l'après-conflit, de la reconstruction.
00:27 Un an après 9 jours à Raqqa, premier film, premier volet de la trilogie La vie après
00:32 Daesh, Xavier De Lausanne continue à filmer le réel, un réel qu'il veut rendre universel.
00:38 Radio Salam, d'un guéirassakini awarokot berupanabaranow, t'yedekoshé bonheeshni jiawazyakan, 924.3.
01:04 Radio Salam, akhbar takarir likaad baramij wa aghani munawwa, tubathulakum arbaa wa
01:11 aishreen saa7a ayaamin fil esbou'
01:15 Une émission programmée par Henri Leblanc, préparée par Laura Dutèche-Pérez, réalisation
01:25 Félicie Fogère avec Élise Le, à la technique.
01:28 Salam alaikum Xavier De Lausanne.
01:30 Bonjour.
01:31 Alors bonjour à vous, 20 ans après le début de l'intervention militaire de la coalition
01:35 en Irak, suivie de destructions massives, de l'entrée des américains dans Bagdad,
01:39 de la fuite de Saddam Hussein, une guerre qui visait officiellement à instaurer la
01:43 démocratie, 20 ans après on y est, et où en est-on justement en Irak ?
01:48 Que dire, s'il faut revenir un peu en arrière, à partir de 2003 cette intervention américaine
01:56 a créé le chaos, et c'est difficile aujourd'hui de sortir le chaos.
01:59 Alors le chaos il n'existe pas que depuis cette période de l'invasion américaine,
02:05 mais disons que ça a créé des telles gouffres, des telles distorsions dans la société irakienne
02:12 qu'aujourd'hui c'est difficile, mais ce n'est pas le chaos, aujourd'hui.
02:17 Aujourd'hui c'est un pays qui se reconstruit, c'est un pays qui espère, c'est un pays
02:21 qui jeûne, avec une jeunesse qui se veut dynamique, et qui regarde vers l'avenir quand même.
02:28 Et la démocratie ?
02:29 La démocratie, il y a toujours des tensions très fortes, aujourd'hui c'est un pouvoir
02:35 qui est majoritairement chiite, il y a toujours des tensions très fortes entre les sunnites
02:41 et les chiites, les milices sont toujours très actives là-bas, donc la démocratie
02:47 elle est toujours plus ou moins en danger, mais disons qu'elle tente d'exister, et je
02:52 vais vous dire, elle tente d'exister par la société civile.
02:54 Et c'est ce qu'on entend, c'est ce qu'on voit dans votre documentaire, votre film,
02:58 "En toute liberté", en salle depuis mercredi dernier.
03:02 La guerre, plutôt que de les unir, a-t-elle réveillé les tensions selon vous entre arabes,
03:08 kurdes, persans, chiites, sunnites, yézidis, derniers chrétiens, entre toutes ces ethnies
03:13 et toutes ces confessions ? On se souvient que la fin du Parti Basse c'était le retour
03:17 promis des conflits interethniques, des guerres interconfessionnelles, disait la propagande
03:22 officielle de Saddam Hussein pour se maintenir au pouvoir.
03:25 C'était cette menace d'un effondrement et surtout d'un retour des conflits entre
03:29 les ethnies et entre les confessions.
03:31 Est-ce que c'est ce qui s'est passé ?
03:33 Écoutez, il y a quelque chose qui est terrible, qui est de l'ordre de l'universel, qui
03:39 est la façon dont on assoit son pouvoir.
03:41 La façon d'asseoir son pouvoir, elle est très simple, c'est la même partout, c'est
03:45 de diviser.
03:46 Donc on divise, on nomme les ennemis, et après on se déclare le défenseur face aux ennemis.
03:52 Donc c'est ce qui se passe dans beaucoup de pays, c'est ce qui se passe aujourd'hui
03:56 en Ukraine, c'est ce qui s'est passé en Irak.
03:59 En Irak, ce qui est malheureux, c'est que c'est une société qui est, vous l'avez
04:04 dit, c'est une mosaïque de peuples.
04:06 C'est une société qui est multiculturelle, pluriethnique.
04:10 Cette mixité existait depuis bien longtemps, et elle était complètement naturelle.
04:15 Avec la succession des guerres, cette mixité existe, mais elle est beaucoup plus compliquée.
04:23 Le côtoiement des minorités, des ethnies, des cultures est plus compliqué, c'est
04:30 un peuple qui s'est renfermé sur lui-même et qui se méfie des autres.
04:34 Alors que cette mixité faisait vraiment, fait partie véritablement de l'ADN de la
04:41 culture irakienne.
04:42 Et quand on est là-bas, ce qui est surprenant, et qu'on va interviewer, interroger les
04:47 gens, c'est qu'ils sont conscients de cet ADN et ils veulent le retrouver parce
04:52 que ça fait partie de leur équilibre.
04:53 Et c'est pour ça qu'il faut des outils, et la radio peut être un outil, justement,
05:00 de reconstruction, de réconciliation, pour essayer de recréer du lien entre les communautés
05:06 qui est absolument nécessaire aujourd'hui.
05:08 - Voilà, parce que la communauté protège et en même temps la communauté isole aussi.
05:12 - Bien sûr.
05:13 - Dix ans plus tard, dix ans après 2003, il y a les années 2013, 2003-2013, 2023-2023,
05:22 c'est Daesh qui s'implante en Irak et ouvre une nouvelle ère de peur avec des déplacements
05:27 massifs de populations et des camps de réfugiés qui vont se créer.
05:31 C'est véritablement là l'acte de naissance de Radio Al-Salam, cette radio que vous avez
05:35 filmée et que vous montrez dans votre film ?
05:37 - Oui, parce qu'avec l'arrivée de Daesh, qui a pris possession de toute la plaine de
05:43 Ninive et de tout le nord de l'Irak et le nord-est de la Syrie, vous aviez beaucoup
05:48 beaucoup de déplacés, de réfugiés qui passaient la frontière irakocyrienne, et
05:54 puis beaucoup de déplacés, notamment de la région de Mossoul et de toute la région
06:00 où se trouvait la communauté des Yezidis.
06:03 Et vous aviez une multitude de camps qui se créaient dans tout le nord de l'Irak, avec
06:08 des familles qui fuyaient par moments dans des conditions terribles, brutales, et régulièrement
06:15 étaient séparées les uns des autres, les fratrices séparées, les parents séparés
06:18 de leurs enfants, et se retrouvaient dans des camps différents.
06:22 Et il fallait essayer de reconnecter les uns aux autres.
06:26 Et donc c'était l'idée de cette radio en 2015, qui a été créée par un collectif
06:31 d'organisations françaises, Airbil, Airbil qui n'était pas sous domination de Daech,
06:35 qui est la capitale du Kurdistan irakien, pour pouvoir justement essayer par l'intermédiaire
06:40 des ondes de créer du lien et de recréer des connexions entre les différentes personnes
06:46 situées dans les différents camps.
06:47 Airbil, c'est la ville presque fortifiée, effectivement cette radio Al-Salam, elle
06:51 est basée dans cette ville, la troisième je crois la plus peuplée d'Irak, au nord
06:56 du pays, capitale de la région dite fédérale du Kurdistan, avec sa citadelle, inclassable,
07:03 et classée à l'UNESCO.
07:05 Airbil, dans l'imaginaire collectif, c'est vraiment la ville convoitée, la ville convoitée
07:10 par tous, et qui arrive à se maintenir.
07:12 Oui, parce que Airbil est la capitale du Kurdistan irakien, le Kurdistan irakien qui bénéficie
07:18 d'une autonomie administrative par rapport au gouvernement central de Bagdad, donc elle
07:23 a un statut un petit peu, enfin assez à part, elle est défendue par une armée qui
07:27 s'appelle les Peshmerga, et c'est cette armée qui s'est associée à la coalition
07:32 internationale pour faire front à Daesh, et les empêcher notamment de rentrer au Kurdistan.
07:38 Et c'est pour ça que Daesh a pris possession de Mossoul, qui est pas loin, qui est à une
07:42 soixantaine de kilomètres de Airbil, mais n'est pas entrée au Kurdistan.
07:46 Et aujourd'hui, Airbil n'a pas subi cette domination là, et permet un certain nombre
07:52 de libertés, et donc permet notamment à une radio comme la radio Al-Salam d'exister.
07:56 Et Kirkouk, pour se situer, c'est environ 90 kilomètres, un peu moins de 100 kilomètres
08:01 d'Airbil.
08:02 Oui, alors c'est effectivement plus à l'est.
08:03 Voilà, pour remettre un peu ces villes qui est charie, autant d'imaginaire pour nous
08:07 aujourd'hui depuis le temps, qu'aux informations, on en entend parler beaucoup moins aujourd'hui.
08:12 Et c'est dans ce beaucoup moins que vous avez choisi vous d'introduire aussi votre
08:17 caméra, c'est-à-dire de comprendre ce qui se passe dans l'après, et souvent les
08:21 regards se détournent à ce moment-là.
08:24 Comprendre, regard, mais aussi voix, et c'est l'importance de cette radio Al-Salam.
08:29 Quelle mission s'est-elle donnée, ou quel sens a-t-elle donné à son existence ? En
08:35 gros, elle s'adresse à qui cette radio ? Elle fonctionne comment ?
08:37 Alors, elle avait démarré donc essentiellement pour la population des réfugiés et des déplacés
08:42 dans les camps.
08:43 Aujourd'hui, elle émet bien plus largement que dans les camps, parce qu'elle émet dans
08:47 tout le nord de l'Irak, c'est-à-dire au Kurdistan, mais aussi dans toute la plaine
08:51 de l'Iniv.
08:52 Il y a une antenne à Mossoul, il y a une antenne à Ndohouk.
08:55 Et la mission de la radio aujourd'hui, on peut la préciser par un mot, c'est l'apaisement
09:05 de la parole.
09:06 Voilà.
09:07 Aujourd'hui, les médias n'ont pas forcément tendance à apaiser la parole, et plutôt
09:12 à la tiser, et malheureusement, même après la guerre, ils continuent de la tiser.
09:16 Or, les gens, la population n'a pas besoin de ça.
09:20 Ils ont besoin d'une parole qui s'apaise, et ils ont besoin de s'entendre les uns et
09:24 les autres.
09:25 Et la mission de la radio, c'est de donner la parole à tous, quelles que soient les convictions
09:29 de chacun, politiques, religieuses, sachant que c'est le seul média en Irak qui est
09:35 complètement libre de toute pression politique ou religieuse.
09:38 Donc ils sont libres, en fait, de leur reportage, et de donner la parole à qui veut.
09:43 Et la population, ils émettent assez largement aujourd'hui, il y a de plus en plus de gens
09:49 qui l'écoutent, qui sont très attentionnés vis-à-vis de cette radio, parce qu'elle
09:54 est neutre, et donc ils peuvent faire confiance.
09:57 Et moi je l'ai vu parce qu'en suivant les journalistes dans les différents endroits
10:01 où on a été, sur les différents terrains, ils sont toujours accueillis, vraiment les
10:05 bras ouverts, je peux vous dire, ce qui n'est pas forcément le cas de tous les médias,
10:09 parce que les gens là-bas se méfient terriblement après avoir vécu tant de traumatismes, après
10:14 avoir vu leur guerre couverte par tous les médias, mais pas leur paix, enfin en tout
10:18 cas pas leur espoir de paix, ils sont aujourd'hui très méfiants de cette instrumentalisation.
10:23 Donc à certains ils n'ouvrent pas les bras, mais à la radio Al-Salam, ils les accueillent.
10:27 Oui, pour une raison peut-être simple, compliquée pour eux, mais simple à comprendre pour nous,
10:32 c'est qu'ils ne sont pas des étrangers, ils font partie des leurs, ils sont l'un
10:37 ou l'un des leurs, et ça vaut pour les 7 journalistes que vous avez suivis et rencontrés,
10:43 hommes et femmes, ils ne sont pas de simples observateurs, on le voit bien, le groupe c'est
10:47 presque un petit laboratoire de cette réconciliation, parce qu'ils sont tous d'origines différentes.
10:52 Vous pouvez nous en présenter, je ne sais pas, 2-3, Fabien, Samir, Annie, Ronza, pour
10:56 nous montrer la différence qu'il peut y avoir aussi à l'origine entre eux et comment
11:00 ils se retrouvent dans ce projet.
11:02 Oui, ils sont tous issus, ils ont tous des histoires différentes, mais qui sont tous
11:09 connectés par la guerre.
11:10 Je voudrais revenir sur une chose que vous avez dit, c'est qu'ils font partie des leurs,
11:15 c'est-à-dire que ce qui est spécifique dans ce projet, c'est que moi en tant que réalisateur,
11:21 je voulais porter un regard notamment sur la question du vivre ensemble, de la coexistence,
11:28 de la réconciliation, mais en tant qu'étranger, c'est facile d'aller plaquer ses obsessions,
11:33 d'aller plaquer ses fantasmes de réconciliation sur le conflit des autres, même si on a un
11:38 lien quand même avec ce conflit.
11:39 Et donc, je voulais vraiment le faire à travers le regard de ces journalistes, être derrière
11:46 eux et les suivre en reportage et leur poser, leur laisser poser des questions, en leur
11:52 disant "moi je vous suis, vous êtes libre de poser les questions que vous voulez".
11:57 Et donc effectivement, ce sont des Irakiens qui interrogent d'autres Irakiens et qui ont
12:02 vécu sensiblement la même chose, d'où ce lien de proximité et d'authenticité.
12:06 En ce qui concerne les journalistes, ils ont des profils qui sont tous plus marquants et
12:12 touchants les uns des autres.
12:14 Ramza, elle est yézidi, donc elle a fui de façon terrible l'arrivée de Daesh, qui voulait
12:24 exterminer les yézidis.
12:25 Samir, lui, il est kurde, il est né en Iran, il a grandi au nord de l'Irak.
12:32 Vous avez Hani, qui lui est syrien, et qui avait une formation d'avocat et qui est parti
12:38 de la Syrie parce qu'il ne voulait pas être engagé dans les troupes syriennes et faire
12:42 son service militaire dans les troupes de Bachar el-Assad parce qu'il avait plein d'amis qui
12:46 revenaient complètement traumatisés.
12:48 Alors on va les écouter, on va les regarder travailler, parce que le défi est de taille.
12:54 Vous l'évoquiez, Xavier de Lausanne.
12:56 Ramza, vous venez de nous la présenter, elle est l'une des journalistes de Radio Al-Salam,
12:59 elle est yézidi, elle parle un dialecte arabe et elle rencontre ici un sinistré de Mossoul
13:04 devant votre caméra.
13:05 Quel est votre message ?
13:10 Si j'avais un message, ce serait aux responsables.
13:16 Ce sont les partis qui ont créé le communautarisme entre nous.
13:21 Le peuple est innocent.
13:22 Le communautarisme vient des partis politiques.
13:25 Comment ça ?
13:26 C'est à cause des partis et du gouvernement.
13:31 Ils ont créé le communautarisme.
13:33 La population n'y est pour rien.
13:34 Pas de différence entre un kurde, un chiite et un sunnite.
13:37 Ça vient des partis et du gouvernement.
13:40 Vous vivez tous ensemble ?
13:41 Oui, on vit tous ensemble.
13:44 Les Mossouliots vont à Karbala, à Bagdad, à Erbil, partout.
13:50 Alors voilà, ils vivent tous ensemble.
13:53 Mais est-ce qu'ils pensent tous ensemble ?
13:55 Est-ce qu'ils pensent ensemble ?
13:57 Je pense qu'il faut relativiser toujours les choses.
14:04 C'est-à-dire que là, on interroge des gens qui ont été traumatisés par la guerre
14:09 et ils parlent de quelque chose qu'ils ont perdu.
14:12 Donc quand on parle de quelque chose qu'on a perdu, on a tendance forcément à l'idéaliser un peu.
14:18 Mais ça ne veut pas dire que ça n'existait pas et que ce n'est pas authentique.
14:24 Donc cette population qui se retrouve dans les camps,
14:28 effectivement, ils sont mélangés entre différentes communautés.
14:34 Et donc ils se parlent dans les camps.
14:36 Et vous avez un dialogue dans les camps qui est assez extraordinaire entre les gens.
14:41 Parce qu'ils sont ensemble.
14:43 Aujourd'hui, ces camps fonctionnent comme des petites villes.
14:46 Les gens n'ont nulle part où aller ailleurs.
14:48 Avec de l'entraide, avec de la solidarité.
14:50 Exactement, voilà.
14:51 En dehors de ces camps, dans la population irakienne,
14:54 les communautés se sont vraiment renfermées sur elles-mêmes.
14:59 Le dialogue entre les communautés, il n'est pas facile.
15:02 Si on interroge les gens, les individus,
15:06 ils sont toujours pour ce dialogue, en fait.
15:09 Et ils l'espèrent, toujours.
15:11 Mais quand ça passe par le prisme des institutions et de la politique,
15:15 là ça devient beaucoup plus compliqué.
15:17 Vous parlez presque de ce passé comme d'un passé fantasmé,
15:21 d'un rêve de vivre ensemble,
15:24 qui a été idéalisé, cette paix-là,
15:27 à reconstruire aujourd'hui.
15:29 Est-ce qu'elle a réellement existé ?
15:31 À quel moment ?
15:32 Alors, il faut remonter très très loin, je pense.
15:35 Pareil, relativisons sur la question de la paix.
15:39 Une paix réelle n'existe jamais vraiment.
15:42 Parlons plutôt du côtoiement des communautés,
15:46 qui a toujours été naturel.
15:48 Elle a été avant la création du mouvement bassiste.
15:53 Naturel, c'est-à-dire avant d'être instrumentalisé ?
15:56 Avant d'être instrumentalisé.
15:58 Mais vous aviez, enfin, je veux dire, les chrétiens, les musulmans, les juifs,
16:03 faisaient partie de la société irakienne.
16:06 Aujourd'hui, vous n'avez plus un juif.
16:08 Mais comme les juifs faisaient partie de la société de l'Afrique du Nord, avant,
16:12 et c'était complètement naturel.
16:14 Donc si vous parlez de paix dans le sens,
16:17 le côtoiement, la proximité de ces communautés,
16:20 qui était naturelle, je vous réponds, oui, bien sûr, elle l'était.
16:25 Et dans le film, on peut voir un homme arabe,
16:29 que Ronza, justement, a interviewé dans un camp,
16:33 et il parle de ses amis, lui il est arabe musulman, originaire de Mossoul,
16:38 et il parle de ses amis chrétiens.
16:41 Et il se met à pleurer.
16:43 Alors pour que vous ayez devant la caméra un homme arabe qui pleure,
16:47 je vous garantis que ce n'est pas très fréquent.
16:49 Et là, il n'a pas pu retenir ses larmes en parlant de ses amis chrétiens de Mossoul.
16:55 Donc, oui, en fait, il y avait une coexistence qui était réelle,
17:00 et il nous parlait aussi du fait que sa maman, à chaque fois qu'elle faisait un goûter, un anniversaire,
17:05 elle invitait toujours des amis de la communauté d'à côté.
17:09 Donc ils ne vivaient pas ensemble dans la même maison,
17:12 mais ils vivaient les uns à côté des autres, et c'était naturel.
17:16 Pour chacun de ces sept journalistes que vous suivez dans ce film,
17:20 on peut parler de destin, des destins percutés par la guerre.
17:24 Ça, ce sont les mots de la journaliste Sophia Aram,
17:26 qui associe sa voix au leurre dans votre film documentaire.
17:29 Leurs histoires personnelles, elles rencontrent aussi celles des personnes qu'ils interviewent.
17:33 Et c'est là que souvent l'émotion se crée, dans cette proximité des vécus et des ressentis.
17:39 Ils sont convertis, les sept, au vivre ensemble.
17:43 Et en même temps, ils ne prêchent pas seulement des convaincus.
17:46 Loin de là, ils vont à la rencontre des gens,
17:49 et ils essayent d'entendre ce qu'ils ont à dire,
17:51 de comprendre aussi quels sont les barrages, les réticences.
17:54 Pour inverser la tendance, changer les mentalités, pour reprendre leur mot,
17:58 comment s'y prennent-ils ?
18:00 On va écouter Ani, il est syrien, de père musulman et de mère chrétienne,
18:04 et il travaille à Radio Al Salam.
18:07 Tout le monde sait que la guerre est horrible, vraiment horrible.
18:15 Malheureusement, nous vivons dans une époque où les armes sont plus puissantes que la parole, que la pensée.
18:24 C'est à nous d'inverser la tendance.
18:28 Si j'arrive à changer ne serait-ce qu'une personne, à travers les médias, la presse ou la radio, pour moi, c'est un succès.
18:36 Nous pouvons changer les mentalités et faire entendre les gens que personne n'entend.
18:43 Alors Ani, c'est aussi un mélomane, et ça rappelle un autre de vos films,
18:50 justement, Xavier de Lausanne, qui était d'une seule voix, où la musique créait des ponts entre des populations,
18:57 entre des frères ennemis aussi, avec ce projet que lui peut avoir,
19:02 parce qu'il diffuse de la musique sur les ondes irakiennes, et pas que de la musique d'Irak,
19:09 il va chercher ailleurs.
19:11 - Oui, c'est un fan de Bowie et de John John. - Oui, exactement, c'est un grand fan de David Bowie.
19:16 Lui, son travail, c'est de s'appuyer sur la culture, pour réussir à faire passer ce message, à changer les mentalités.
19:24 - Oui, alors, vous parlez de la musique, mais c'est une radio qui fonctionne normalement, avec tout un ensemble de programmes.
19:31 - 24 heures sur 24. - Il y a des bulletins d'information, il y a des programmes pour la jeunesse, il y a des programmes sur la musique,
19:38 il y a des jeux, il y a des programmes pour aider les universitaires à trouver des bourses, notamment,
19:46 il y a des programmes sur la médecine, enfin voilà, il y a tout un ensemble de programmes
19:52 qui permettent, en tout cas, d'essayer de connecter les uns les autres, et de leur donner des clés pour l'avenir.
20:02 - Quand on vous pose la question de l'incarnation, qu'est-ce que c'est cette journaliste incarne ?
20:08 Ce que vous avez suivi, vous répondez "un espoir". Un espoir dans les ruines, une sorte d'humanité rescapée de la guerre.
20:14 La presse, on en parle, en Irak, aujourd'hui, elle n'est pas libre, si on en croit le classement de Reporters sans frontières,
20:22 qui classe la liberté de la presse en Irak parmi les bonnes dernières.
20:28 Quelles sont les conditions de travail pour eux aujourd'hui ? Est-ce que les autorités les laissent faire,
20:32 laissent travailler, protégés par des instances intergouvernementales ?
20:37 - Alors, la liberté de la presse, elle peut être conditionnée par deux choses, par la politique et par les finances.
20:48 Or, la presse, aujourd'hui, là-bas en Irak, est financée essentiellement par des groupes religieux ou des groupes politiques.
20:58 Voilà. Donc, du coup, c'est difficile de sortir de l'idéologie de l'un ou de l'autre.
21:04 Alors que la radio Al-Salam, elle, elle est financée par des organismes français.
21:13 Donc, du coup, elle bénéficie, de fait, d'une autonomie où elle ne doit pas rendre compte à des organismes partisans qui la financent.
21:26 Et ça fait une différence, ce qui fait qu'aujourd'hui, elle est assez libre.
21:31 Et même de la part du gouvernement kurde, il les laisse très libres.
21:37 - Alors, comment, je reviens sur le "assez libre", parce que c'est forcément aussi, comme tout média, un outil de soft power,
21:44 y compris pour les français qui mettent des sous dans ce projet.
21:49 Comment ne pas tomber dans le travers, dans le reproche qui peut, on l'imagine, leur revenir aux oreilles,
21:57 d'être la voix des occidentaux, la voix des français, la voix de la diplomatie française dans cette région ?
22:02 - Déjà, tous les journalistes sont irakiens, avec Rani qui est d'origine syrienne.
22:08 Donc, je pense que les gens qui les écoutent ne se posent pas la question.
22:11 En fait, ils ne se posent pas la question de qui finance.
22:14 - Est-ce qu'ils ont raison de ne pas se la poser, Xavier Lezan ?
22:19 - Oui, je pense que les auditeurs ont raison, en fait, de ne pas se la poser à partir du moment où les programmes qui sont diffusés leur correspondent.
22:31 Et leur apportent quelque chose.
22:33 Donc, dans ce cas-là, je veux dire que la radio, elle trouve sa légitimité sur place par les gens qui l'animent.
22:43 Le reste, c'est annexe, en fait.
22:46 Ce qui est important, et on pourrait faire une petite leçon aux autres médias, c'est de créer une proximité avec les gens qui vous suivent.
22:55 À partir du moment où vous arrivez à créer cette proximité, et comme je disais tout à l'heure, en apaisant la parole,
23:03 en donnant la possibilité aux gens de s'écouter les uns les autres, en donnant la parole à tous,
23:09 alors, quel peut être le problème de légitimité dans ce cas-là ?
23:13 - Alors, quelles difficultés, surtout, vont-ils rencontrer ?
23:18 À quelles difficultés sont-ils confrontés au quotidien dans l'exercice de leur métier de journaliste ?
23:25 Et comme tous ceux, d'ailleurs, qui veulent reconstruire, jalousie, envie, rivalité ?
23:30 Rien que ça. Puis la question des moyens. On écoute un dernier témoignage, celui de l'un de vos journalistes, Fabien Noël.
23:35 Il est, lui, chrétien assyrien, né au sud de l'Irak.
23:38 - Younes, nous continuons notre visite à Mossoul. Les gens viennent à nous, ils veulent parler aux journalistes.
23:45 Nous sentons une certaine frustration, ils veulent raconter leurs difficultés.
23:50 - Dans la vieille ville, le nombre d'habitations détruites à 100% est d'environ 6 300 maisons.
23:55 Je vous parle des maisons totalement détruites.
23:58 Pour les autres habitations, partiellement détruites, les aides ne suffisent pas pour tout le monde.
24:03 Celui qui en bénéficie est content de nous. Et l'autre nous accuse de ne donner qu'au riche.
24:09 Il faut faire comprendre ça aux gens.
24:15 C'est difficile. Ils ont donné l'ordre de livrer 2500 réfrigérateurs ainsi que 250 paniers alimentaires fournis par le ministère.
24:23 On a pu les distribuer ici à 250 personnes. Les gens qui sont venus ici étaient au nombre de 3000.
24:30 J'en ai satisfait 250 et j'en ai mis en colère 2750.
24:38 - Voilà, il y a ceux qui ont satisfait et ceux qui deviennent insatisfaits par la même.
24:42 Est-ce que vous avez entendu trouver les mêmes échos chez la mère de Raka que vous avez rencontré,
24:47 Xavier Lozanne, pour le premier volet de cette trilogie ? Est-ce qu'elle témoignait des mêmes difficultés ?
24:52 - Oui. Alors, vous parlez de la trilogie, je voudrais justement replacer un petit peu le contexte de cette trilogie.
24:57 Ce sont trois films qui parlent de la reconstruction du lien social à travers trois expériences.
25:02 Une politique, une médiatique, une culturelle.
25:04 - Ça sera le troisième volet.
25:06 - Ça sera le troisième volet. Pourquoi ? Parce que ce sont trois piliers de la réconciliation et de la réconciliation.
25:12 Donc, vous parlez de Leïla Moustafa.
25:15 Pour le coup, c'est une femme qui est dans le monde politique de Raka,
25:22 qui est devenue maire juste après la chute de l'État islamique, qui aurait pu imaginer ça.
25:29 Et oui, elle se trouve confrontée aux mêmes difficultés qui sont de recréer des ponts,
25:35 recréer des liens entre les communautés pour essayer de, encore une fois, apaiser la parole
25:42 et faire en sorte que les uns et les autres se parlent.
25:44 - Cette guerre n'était pas la vôtre, mais de film en film, elle semble quand même le devenir.
25:49 Quelle cause vous défendez-vous avec votre caméra, Xavier Lozanne ?
25:52 Est-ce que vous avez quand même le sentiment de porter une caméra militante, idéaliste ?
25:56 Comment vous vous positionnez vous par rapport à ce sujet qui semble de plus en plus vous habiter ?
26:01 - Alors, militant d'une certaine façon, idéaliste, non, pas du tout.
26:06 En fait, je filme la réalité, une réalité pure et dure, en fait, qui existe,
26:13 qui est que les gens qui ont vécu des conflits espèrent, en fait.
26:17 Et malheureusement, dans le monde médiatique, on se focalise toujours sur la question de la guerre.
26:23 On a le cas en ce moment d'Ukraine, et moi je ne suis pas du tout contre qu'on informe.
26:28 Il faut évidemment informer la guerre, il faut dénoncer la guerre.
26:31 Mais qui est au service de qui ? Est-ce que c'est l'information qui est au service de la guerre pour mieux la dénoncer ?
26:37 Ou est-ce que c'est la guerre qui est au service de l'information pour mieux la financer ?
26:40 Moi, je pose la question, et donc je m'engouffre dans ce qu'on ne montre pas, c'est-à-dire l'après-guerre.
26:45 On filme pendant des années des conflits, je pense que c'est la moindre des choses,
26:50 qu'on s'intéresse un peu à ces populations dont on a tant profité, dont on a tant instrumentalisé
26:56 les traumatismes et la violence, pour essayer de s'intéresser à comment eux espèrent, voient
27:06 et peuvent construire la paix après des temps de traumatisme.
27:10 "En toute liberté", c'est le titre de votre film en salle depuis mercredi dernier.
27:15 Il est signé donc du réalisateur Xavier Lozanne, qui était notre invité aujourd'hui.
27:20 A réécouter, à podcaster sur radiofrance.fr. Merci beaucoup à vous.
27:24 Merci Olivia.

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