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La productrice et animatrice Mireille Dumas est l’une des signataires du « manifeste des 109 » publié dans L’Obs ces jours-ci. Elle a accompagné sa maman, Anne, jusqu’à son dernier souffle. Mireille Dumas est l’invitée de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

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Transcription
00:00 Il est 9h09, Sonia De Villers, votre invitée, faites ses 40 ans de télévision !
00:04 Bonjour Mireille Dumas ! 40 ans de télévision, ça a été des émissions qui ont marqué
00:10 les Français, vie privée, vie publique, les masques, évidemment, ça a été aussi
00:15 de très nombreux reportages et documentaires.
00:18 On va en reparler, mais c'est à travers la télévision que la conscience est venue,
00:23 petit à petit, qu'il vous fallait militer, parce que oui, ça a été du militantisme,
00:29 pour le droit à choisir sa manière de mourir, pour le droit à mourir dans la dignité.
00:35 C'est venu par la télévision ? Oui, tout à fait, c'est venu par les témoignages
00:40 qui m'ont bouleversée, par des choix terribles, douloureux, des cas de conscience, parce
00:45 que c'est un problème philosophique, éthique aussi, et un choix douloureux quand on vous
00:53 demande, quand quelqu'un souffre et vous demande à mourir, et donc ces témoignages
00:58 m'ont bouleversée, de familles qui ont été confrontées à ce choix, d'une personne
01:03 dans les années 80 qui refusait, c'est à l'époque déjà où le docteur Schwarzenberg,
01:09 Léon Schwarzenberg qui était cancérologue, avait eu d'ailleurs beaucoup de problèmes,
01:13 il avait écrit un livre sur "Changer sa mort", il avait pris partie, lui aussi en
01:18 disant d'ailleurs que le thénasie c'était peut-être quelque chose de pas très joli,
01:22 mais de laisser mourir quelqu'un à Moribond, laisser partir à Moribond dans la souffrance,
01:27 c'est ignoble.
01:28 Donc il avait eu aussi des...
01:29 - Et il avait mis la lumière Léon Schwarzenberg à l'époque sur ce qui se passait dans les
01:33 services de cancérologie, parce que la fin en cancérologie c'est une fin qui est...
01:37 - Voilà, avec l'acharnement thérapeutique etc.
01:39 Mais aujourd'hui avec l'allongement de la vie, les progrès aussi de la chirurgie, de
01:44 la médecine, on peut garder longtemps quelqu'un en vie.
01:47 Donc se pose la question effectivement de la longévité de la vie ou la qualité de
01:52 la vie.
01:53 Alors moi je choisis, mais c'est un choix personnel.
01:55 Donc à travers tous ces témoignages, effectivement, il y a une prise de conscience qui s'est
01:59 faite, j'ai eu envie de faire des émissions, j'ai moi-même milité.
02:02 Et je me suis, en faisant tout ce chemin, je me suis rappelée qu'en fait ça m'a ramenée
02:08 à ma propre enfance et à la façon dont j'ai été éduquée.
02:11 C'est que moi j'ai été éduquée par une mère, une maman institutrice, qui était
02:15 mon institutrice et qui à la maison comme à l'école, nous a éduquées avec "notre
02:20 corps, votre corps vous appartient".
02:22 Et en fait, cette phrase qui aujourd'hui semble assez banale, je m'aperçois…
02:29 Parce qu'elle le disait déjà comme ça.
02:31 Elle le disait comme ça, "votre corps vous appartient".
02:33 Donc elle était évidemment en faveur, et je vais faire le rapprochement direct de l'avortement,
02:38 pour que chaque femme puisse choisir.
02:40 Ce qui veut dire d'ailleurs, l'avortement, on n'a pas, toutes n'ont pas recours à
02:42 l'avortement.
02:43 C'est un choix, c'est une possibilité que vous avez, une liberté très personnelle.
02:50 Un droit.
02:51 Un droit qui fait que ça n'entrave pas de toute façon la liberté de l'autre.
02:55 Il y avait ça, ça recoupe aussi après, quand j'ai vu le mouvement #MeToo etc.
03:00 Oui, votre corps vous appartient, on n'a pas le droit de vous toucher.
03:03 Et puis vous choisissez votre mort.
03:04 - Ça veut dire que cette maman qui était d'origine italienne, donc forcément elle
03:07 avait reçu une éducation catholique.
03:10 - Religieuse, elle était d'ailleurs dans des écoles religieuses en Italie, puisqu'elle
03:14 est arrivée en France à l'âge de 15 ans.
03:16 - Oui, c'est ça.
03:17 - Elle élevait des petites filles et elle disait aux petites filles, ce corps vous
03:22 appartient, protégez votre corps.
03:24 - Tout à fait.
03:25 - Ce droit à décider par vous-même.
03:26 - Tout à fait.
03:27 - Ça veut dire qu'elle parlait de sexualité.
03:29 - Oui, elle en parlait sans en parler.
03:31 C'était comme ça, de cette manière-là.
03:33 Mais elle pouvait en parler.
03:35 Et on en a parlé à travers, puisqu'elle était institutrice.
03:38 Moi je me rappelle que dans le village, il y a une petite fille qui était régulièrement
03:42 violée par son père.
03:43 Et les gendarmes sont arrivés à l'école pour venir la chercher, parce que le père
03:48 était incarcéré, etc.
03:50 On l'emmenait pour la mettre à l'abri, même si à l'époque c'était assez…
03:53 - A l'époque, c'est quelle période ?
03:55 - C'est écouté, c'est vraiment le début des années 60.
03:59 Et à ce moment-là, ma mère qui était institutrice, donc moi j'étais dans la classe, nous a
04:05 parlé, nous a fait un cours.
04:06 Elle nous a expliqué pourquoi cette petite fille partait, pourquoi les gendarmes venaient
04:10 la chercher, ce qui se passait, etc.
04:12 Elle a trouvé les mots, en tout cas, pour nous alerter.
04:15 - C'est très fort, parce que dans le numéro de L'Obs, qui est en kiosque cette semaine,
04:19 avec le manifeste des 109, 109 personnalités publiques qui interpellent Emmanuel Macron,
04:25 le président de la République, et qui l'appellent à réformer la loi sur la fin de vie.
04:30 Il y a aussi François de Closet, qui a été un de vos confrères à la télévision, qui
04:34 a une formation, lui, journalistique et scientifique, et qui fait le parallèle dans L'Obs, aujourd'hui,
04:40 entre ces femmes qui ont eu recours à des avortements clandestins pendant des années,
04:46 de manière extrêmement injuste, entre les riches, entre les pauvres, entre ceux qui
04:49 avaient des relations, entre ceux qui n'en avaient pas, et aujourd'hui, ces familles
04:54 qui sont livrées à elles-mêmes, face à la volonté d'abréger la vie de quelqu'un
04:59 et d'abréger ses souffrances, entre ceux qui ont des relations, ceux qui n'en ont pas,
05:03 ceux qui habitent à Paris, ceux qui habitent dans...
05:05 - Tout à fait, tout à fait.
05:06 C'est toujours comme ça.
05:08 C'est-à-dire que ceux qui ont moins de relations, moins de moyens, moins d'argent, etc., vont
05:12 se retrouver, évidemment, défavorisés.
05:15 Regardez ce qui se passe aux États-Unis, aujourd'hui, avec certains États où vous
05:20 n'avez plus le droit d'avorter, des femmes qui n'ont pas d'argent se retrouvent au Moyen-Âge.
05:24 C'est-à-dire qu'elles ont recours, de façon clandestine, à l'avortement parce qu'elles
05:29 n'ont pas les moyens de quitter les États, d'aller ailleurs.
05:31 Mais c'est la même chose pour, effectivement, pour ce droit ultime, cette ultime liberté,
05:36 quand on ne peut pas, quand on n'a pas les moyens, parce qu'il n'y a pas de...
05:40 Justement, comme il n'y a pas de loi, il faut le faire de façon clandestine.
05:44 Et quand on fait de façon clandestine, on sait très bien que si on n'a pas les réseaux,
05:48 ça devient très très compliqué.
05:49 Et encore, quand je dis les réseaux, ce n'est pas si simple que ça.
05:52 Il n'y a pas de réseau de médecins qui va venir vous administrer la mort.
05:57 - Pas en France.
05:58 - Justement, pas en France.
05:59 - Et c'est bien ce que vous dénoncez.
06:00 - Bien sûr.
06:01 Parce qu'il s'agit de légaliser, il ne s'agit pas de faire quelque chose de sauvage.
06:04 Il s'agit juste de faire comme les pays, vous avez vu, aux alentours, en Suisse, en Belgique,
06:11 depuis le début des années 2000, en Espagne maintenant, dans beaucoup de pays aux alentours.
06:17 - Alors, c'est une chose, Mireille Dumas, d'avoir été élevée par une mère qui vous
06:22 a au fond donné une conscience de citoyenne, de femme presque politisée au fond, parce
06:28 que tout ça est très politique.
06:29 - Oui, c'est très politique.
06:30 C'est la vraie politique, je dirais.
06:32 Non politicienne.
06:33 - Vous vous trouvez face à la mort de ceux qu'on aime.
06:36 D'abord, la mort, vous l'avez connue très jeune, parce que votre père est mort, vous
06:40 aviez trois ans et demi.
06:42 - Et c'est quelque chose qui m'a totalement échappée.
06:44 Vous avez trois ans et demi, vous ne savez pas ce qui se passe.
06:47 Donc il a disparu, je sais.
06:48 Je me revois petite fille, enfin un peu plus âgée, je devais avoir cinq, six ans, le
06:52 chercher, vous voyez, dans le grenier.
06:53 Je l'appelais.
06:54 Je l'appelais, je le cherchais dans l'horloge, la vieille horloge qui était au grenier.
06:57 Je pensais qu'il était là quelque part, etc.
06:59 Donc c'était quelque chose qui m'a totalement échappée.
07:02 - Mais parce qu'à cette époque-là, on ne disait pas aux enfants...
07:05 - On ne disait pas.
07:06 Trois ans et demi, vous ne pouvez pas imaginer.
07:07 De toute façon, même si on m'avait dit, je pense que c'est quelque chose qu'on ne
07:10 peut pas...
07:11 Il faut au moins avoir sept, huit ans.
07:12 Parce qu'en revanche, quand ma grand-mère est morte à la maison, elle était à la
07:18 maison avec mon grand-père.
07:19 Elle est morte là, j'avais sept ans, sept ans et demi.
07:23 Là, j'ai compris.
07:24 J'ai compris ce qu'était la mort.
07:27 Mais pour autant, c'est vrai qu'on n'en parlait pas trop.
07:30 - On va y venir, forcément, à la mort de votre propre mère.
07:34 Cette femme qui disait "je vais être maître de mon corps", donc maître de son corps jusqu'au
07:38 bout.
07:39 Et la question que ça vous a posé à vous, Mireille Dumas, c'est que vous venez de dire
07:42 que votre grand-mère est morte à la maison.
07:44 C'est-à-dire que dans cette famille d'origine italienne, vous avez été aussi élevée
07:48 avec l'idée que les anciens vieillissent avec nous et pas loin de nous.
07:54 Ça, c'est important.
07:55 - C'est très important.
07:56 Il y avait un pacte passé avec ma mère, on en parlait souvent.
08:00 Elle me disait "mais jamais, je ne veux me retrouver dans une maison abandonnée, à
08:07 l'hôpital, dans une maison de retraite, à l'EHPAD, etc."
08:10 Et je lui avais promis, à l'époque où je ne savais même pas ce que serait ma vie,
08:15 on en parlait alors que j'étais déjà jeune, je lui avais dit "ne t'inquiète pas, maman,
08:21 je serai là jusqu'au bout".
08:22 - Comme elle l'a fait avec ses propres parents.
08:23 - Comme elle l'a fait avec ses propres parents.
08:25 - Cette femme qui s'est retrouvée seule avec cinq enfants.
08:27 - Oui, avec six enfants.
08:28 - Six enfants.
08:29 - Oui, oui, oui.
08:30 Seule avec eux.
08:31 Et ma petite sœur avait un an et demi.
08:34 Donc, vous voyez, des enfants entre 14 et un an et demi, six, institutrices, avec très
08:40 peu de moyens.
08:41 À l'époque, on était pauvre.
08:44 Moi, je n'ai jamais ressenti la pauvreté parce que ma mère était assez intelligente
08:49 pour faire en sorte qu'on ne le ressente pas.
08:52 - Et pourquoi de cette nombreuse fratrie, pourquoi c'est vous qui avez accompagné votre
08:57 mère ? Pourquoi c'est vous qui l'avez eue à la maison ?
08:59 - Alors ça, c'est toujours la question.
09:02 À un moment donné, on est désigné comme ça.
09:06 Je pense qu'on est désigné.
09:07 Il y a quelque chose qui fait que c'est vous.
09:10 Vous ne pouvez rien y faire.
09:12 Et puis, en même temps, c'est moi qui avais effectivement les moyens aussi de le faire.
09:17 C'est important justement qu'on parle des moyens financiers, de le faire, de l'avoir
09:21 chez moi.
09:22 - Parce qu'il y avait de la place.
09:24 - Il y avait de la place.
09:25 Parce qu'il faut de l'argent pour avoir de la place, pour s'organiser, pour avoir des
09:28 sociétés, pour se faire aider, etc.
09:30 C'est très très important d'y revenir parce que j'ai beaucoup d'amis autour de moi qui
09:34 aimeraient pouvoir le faire, qui ne peuvent pas parce que c'est compliqué.
09:38 Mais de toute façon, il y a quelque chose de l'ordre.
09:41 Vous vous sentez désigné et vous restez jusqu'à la fin.
09:45 Il y a quelque chose qui fait que vous êtes la fille de votre mère jusqu'à la fin.
09:49 C'est quelque chose de fort, mais de lourd aussi.
09:53 - Alors, il est 9h18.
09:55 Vous écoutez France Inter.
09:57 Mireille Dumas est mon invitée et on va parler de la mort de votre mère.
10:00 Elle avait 100 ans.
10:01 - Et un mois.
10:02 - Et un mois.
10:03 - Et un mois.
10:24 - Et un mois.
10:51 - Et un mois.
11:17 - Et un mois.
11:44 - Et un mois.
12:04 - Je voulais dire un petit mot.
12:06 Je voulais dire que ce nouveau rendez-vous du 9/10 de France Inter où chaque jour, l'époque
12:11 se raconte à la première personne, où on entend des médecins de famille, où on entend
12:15 des profs, des éboueurs, des femmes qui ont fait de la prison, des gardiennes d'immeubles,
12:21 comme on écoute avec attention des académiciens ou des chanteurs superstars.
12:25 Eh bien, je voulais dire que ce rendez-vous, il vous doit beaucoup, Mireille Dumas, et
12:29 que moi, je vous dois beaucoup dans mon métier.
12:32 - C'est ce qui me touche le plus.
12:34 - C'est d'avoir servi en courroie de transmission.
12:36 - Et quand on est une maman, où est-ce qu'on va chercher la force de commettre ce geste
12:48 ultime ?
12:49 - Je crois qu'on ne va pas le chercher.
12:51 On se le crée jour après jour dans sa tête et on se dit, ça ne pourra pas être pire
12:55 de le savoir quelque part heureux que de le savoir à le regarder tous les jours à
13:01 être impuissant, à le voir souffrir.
13:02 Il était tellement heureux de savoir qu'il allait mourir.
13:07 C'est fou.
13:08 Il était tellement heureux, mais il débordait d'envie, de choses.
13:14 Il m'a fait acheter des tas de cadeaux pour untel, untel, qu'il ne fallait pas que je
13:18 me trompe.
13:19 Il m'a fait mener une vie pendant 15 jours d'enfer.
13:22 - C'était à la télévision française, c'était il y a 20 ans.
13:26 C'était le témoignage de Marie Imbert dans « Vie privée, vie publique », votre célèbre
13:30 émission Mireille Dumas.
13:32 Marie Imbert qui se retrouve face à la demande éplorée de son fils tétraplégique et aveugle
13:40 qui a recours à Jacques Chirac, qui écrit à Jacques Chirac pour lui demander à mourir.
13:46 - Voilà, le droit de mourir.
13:48 Il était plongé dans le coma pendant 9 mois après son accident et ensuite s'en est suivi
13:55 quelques années épouvantables où il suppliait, il suppliait tout le monde, les médecins,
14:01 sa mère.
14:02 D'ailleurs, ce qui était très, très, très émouvant, c'est que tout se passait aussi
14:07 par la main parce qu'il avait perdu aussi l'usage de la parole.
14:11 Donc, c'était une discussion comme ça par geste et Marie Imbert s'est retrouvée confrontée
14:18 à cette demande épouvantable puisque c'est son fils.
14:22 Elle lui a donné la vie et il lui demande par amour de lui donner la mort.
14:27 - Voilà, vous vous retrouvez au fond dans la même situation, sauf qu'on parle là d'une
14:34 mère qui a atteint sa centième année.
14:37 Elle vous a donné la vie.
14:39 Vous ne lui avez pas donné la vie, elle vous a donné la vie.
14:43 Quoique peut-être dans cette fin de vie, les rôles s'inversent.
14:46 - Oui, bien sûr.
14:47 J'avais le sentiment qu'elle devenait, c'est banal de le dire, mais effectivement un peu
14:52 ma fille, même si elle n'a jamais...
14:54 Vous voyez, j'étais sa fille et en même temps, elle gardait toute sa place de mère.
15:00 - Son autorité maternelle.
15:02 - Son autorité maternelle.
15:03 - Alors, elle vient vivre chez vous à la toute fin, les 4, 5 dernières années de sa vie.
15:10 - Elle est paralysée des jambes.
15:12 - Elle est paralysée des jambes et c'est une discussion que l'on a très régulièrement.
15:16 On parle de la mort parce que je pense que plutôt que de dire pour ou contre la fin
15:22 de vie, le droit de mourir dans la dignité, bien sûr que c'est pour ou contre, mais je
15:27 pense que ce qui est important, c'est de remettre aussi la vieillesse, de remettre la mort au
15:33 milieu de la vie.
15:34 Ça fait partie de la vie.
15:36 Il faut partir de là.
15:37 C'est que déjà les vieux, on a tendance à...
15:40 Je dis les vieux avec beaucoup de...
15:43 Parce que personne du troisième âge sait tellement le bruntin comme expression.
15:47 - Non mais Laura Adler nous a précédés à ce micro et on en a beaucoup parlé ensemble.
15:52 - De ce regard sur la vieillesse qui doit changer.
15:55 Si on veut penser dignement la mort, il faut d'abord repenser la vieillesse.
15:59 - Voilà, même si la mort là, il s'agissait d'un jeune.
16:02 Ce n'est pas qu'une histoire d'âge aussi.
16:05 Mais pour autant là, puisqu'on parle de ma mère, c'est replacer la vieillesse au centre
16:10 de la vie et la mort, de pouvoir en parler.
16:12 Et ce n'était pas un sujet tabou, comme j'ai pu vous le dire avec ma mère.
16:16 On en parlait souvent.
16:17 On arrivait à en plaisanter, à même parler de l'après, etc.
16:22 Et donc, très régulièrement, elle me répétait ce qu'elle voulait, évidemment.
16:28 Qu'elle ne voulait pas que je la laisse souffrir.
16:32 Qu'elle voulait choisir le moment de partir quand elle en aurait vraiment assez.
16:37 - C'est ce qu'on appelle une demande consciente.
16:40 - Consciente.
16:41 Jusqu'à la veille de sa mort, elle était consciente.
16:43 Moi, je n'ai pas eu de maman qui a perdu la mémoire, etc.
16:48 Elle était très consciente.
16:50 Elle a réitéré.
16:51 Et à un moment donné, quand vous savez que c'est la fin, qu'il n'y a plus rien à faire
16:57 et que vous voyez votre mère souffrir au point d'hurler, c'est-à-dire des grosses souffrances
17:02 où les médicaments peinent à la calmer et qu'elle vous le demande, vous savez que vous
17:08 devez le faire.
17:09 C'est le moment.
17:10 Il n'y a plus de question.
17:12 Je sais que pour mes frères et sœurs, c'était plus compliqué puisque moi, j'avais un accompagnement
17:16 journalier.
17:17 J'étais prête.
17:18 Ce n'est pas aussi une chose qui se déficite du jour au lendemain.
17:23 Vous dites, on y va, etc.
17:27 Ce que je veux dire, c'est que la demande de mourir peut-être aussi, moi, elle l'a
17:32 demandé à d'autres au départ quand elle était paralysée.
17:35 Elle disait, je veux mourir.
17:37 Mais vous voyez, c'est une expression.
17:38 Il y a une différence entre je veux mourir, j'en ai assez.
17:42 Et vous savez qu'il y a des moments de vie absolument formidables d'ailleurs qu'elle
17:48 a vécu où moi, je lui avais dit à un moment donné, maman, si tu veux mourir, il suffit
17:53 que tu ne prennes pas tes médicaments, certains médicaments.
17:55 Il y a plein de façons.
17:57 En fait, elle n'avait pas envie de mourir.
18:00 Mais arrive un moment, vous savez que c'est le moment, qu'il le faut, que si vous aimez
18:04 la personne qui est en face de vous, vous respectez ce pacte qu'il y a eu entre vous,
18:10 il faut y aller.
18:11 - Ça a fait de vous quelqu'un de hors-la-loi ?
18:14 - Oui, bien sûr.
18:15 - Et le médecin qui vous a aidé ?
18:18 - Oui, le médecin qui m'a aidé, c'est épouvantable.
18:23 C'est pour ça que moi, vraiment, je milite fort parce que c'est très dur pour une personne,
18:29 pour vous parce que vous vous retrouvez hors-la-loi, surtout dans une espèce de clandestinité
18:34 insupportable.
18:35 Et le médecin, le médecin qui prend un risque considérable, il était déjà venu la voir,
18:41 il avait parlé, tout ça s'est fait, c'était anticipé.
18:45 Mais il m'a avoué, après, le médecin, que quand il est parti, il a pleuré pendant
18:51 une demi-heure.
18:52 Parce qu'un médecin, au départ, il est là aussi pour soigner, pour aider, mais en même
19:00 temps, j'allais dire pour administrer la mort, il l'a aidé à mourir.
19:03 Moi, je le vois comme on l'a accompagné.
19:05 Vous avez été pendant très longtemps la marraine de l'ADMD, c'est-à-dire l'association
19:11 pour le droit à mourir dans la dignité.
19:12 Il y en a d'autres, d'ailleurs, il y a l'Ultime Liberté, le choix, il y a beaucoup d'associations.
19:16 Et le fils du fondateur, vous l'interviewez à la télévision dans les années 90 et il
19:22 disait à ce moment-là, à la télévision française, ce n'est pas contre le corps
19:26 médical, c'est pour aider les médecins.
19:28 Oui, lui, il avait accompagné son père qui avait 54 ans, qui avait demandé à mourir,
19:33 qui n'en pouvait plus et qui racontait à quel point ça avait été épouvantable pour
19:38 lui.
19:39 Parce qu'en fait, ça s'était fait, mais après, il y avait un enterrement clandestin
19:43 de peur de partir en prison.
19:44 Tout ça a été absolument épouvantable.
19:47 Et il reste quelque chose.
19:49 Enfin, moi, c'est à refaire.
19:52 Je referai exactement la même chose avec la même conviction.
19:58 Mais il faut savoir que c'est quelque chose de très lourd à porter.
20:00 C'est quelque chose de… Vous voyez, c'est déjà l'acte suffisamment difficile, douloureux.
20:06 Mais si vous pouvez accompagner votre mère, la personne que vous aimez, être ses enfants,
20:12 être à côté d'elle pour qu'elle parte dans les meilleures conditions, ben oui, il
20:17 n'y a pas d'hésitation.
20:19 Déjà, c'est long.
20:21 Quand vous voyez quelqu'un souffrir déjà plusieurs jours, c'est long.
20:24 Mais il faut savoir que la loi Leonetti actuellement, on peut plonger quelqu'un dans une sédation,
20:30 une vie profonde, etc.
20:31 Mais une sédation profonde, ça dure, l'agonie, excusez-moi d'employer ce mot, dure entre
20:35 4 jours et 14 jours.
20:37 Et personne n'est jamais revenu de ça.
20:39 On ne sait pas.
20:40 Comme on arrête d'hydrater quelqu'un, on arrête de lui donner à manger, vous vous
20:44 rendez compte ? Ça doit être épouvantable à vivre.
20:46 - Merci beaucoup.
20:48 - À vivre.
20:49 - À vivre.
20:50 - À vivre.
20:51 - À vivre.
20:52 - Ça sera le mot de la fin.
20:53 - Exactement.
20:54 - Merci beaucoup Mireille Dumas.
20:55 Le manifeste des 109, la Couve de Lopes, en kiosque cette semaine.
20:58 - Merci Sonia.

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