Campagne électorale en Turquie : l’opposition qui défie Erdogan

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Transcription
00:00 On retrouve Marc Pierrini, chercheur à Carnegie Europe
00:03 et ancien ambassadeur de l'UE en Turquie.
00:05 Bonjour. Dans quel climat va se dérouler
00:07 cette campagne, près de 2 mois après le tremblement de terre ?
00:11 Comment va-t-elle se dérouler techniquement ?
00:14 -La 1re observation, c'est que, pour la 1re fois en 20 ans,
00:17 nous avons une vraie campagne
00:20 avec une alternance plausible,
00:22 à défaut d'être probable.
00:24 On ne va pas faire de pronostics en tant qu'étranger,
00:28 mais il y a une véritable campagne
00:30 et, de la part de l'opposition, une véritable ambition
00:33 de, comme ils disent, se débarrasser
00:37 du président sortant. Pourquoi ?
00:39 Parce qu'il y a une vraie contestation.
00:41 C'est une contestation qui est liée
00:44 à l'autocratie et à ses excès.
00:47 On l'a bien vu pendant la phase immédiatement
00:50 après le tremblement de terre,
00:52 qui est liée à une politique économique qui appauvrit les gens,
00:55 qui est liée à des opérations militaires extérieures,
00:58 en Syrie, en Libye et ailleurs,
01:00 qui, en quelque sorte,
01:02 effraient à la fois les citoyens,
01:05 mais aussi les investisseurs étrangers.
01:08 Donc il y a beaucoup de raisons
01:10 pour avoir une campagne dynamique
01:16 et, comme on vient de le dire dans votre reportage,
01:20 l'opposition est unie, ce qui est nouveau.
01:22 Alors, maintenant, reste à voir
01:24 quels seront les moyens par lesquels le pouvoir sortant
01:28 va se défendre.
01:29 Il y a déjà un certain harcèlement judiciaire
01:33 des candidats,
01:35 des figures politiques du CHP,
01:38 comme le maire d'Istanbul,
01:40 qui, comme vous le savez, était le mieux placé
01:43 pour représenter l'opposition,
01:46 mais qui est sous le coup d'un jugement
01:48 qui n'est pas arrivé au bout de son processus,
01:51 mais c'est une entrave,
01:52 c'est alors le particulier de l'HDP,
01:54 qui est sous le coup d'une procédure d'interdiction.
01:58 Donc il y a beaucoup de moyens
02:01 pour le pouvoir en place
02:02 de ralentir, si vous voulez,
02:06 la campagne de l'opposition,
02:08 ne serait-ce qu'avec l'utilisation,
02:10 comme ça a été le cas en 2018,
02:12 pour la précédente présidentielle législative,
02:15 de tous les moyens de l'Etat
02:17 au bénéfice de la campagne du président sortant.
02:19 -Et où est-ce qu'on en a,
02:21 peut-être, contre les promoteurs véreux
02:23 et les accusations de collusion avec le pouvoir
02:25 après le tremblement de terre ?
02:27 -Le président a récemment dit
02:30 qu'on ne me parle plus d'exemption, d'amnistie, etc.
02:34 Il a bien vu que la politique de construction à tout va,
02:39 c'est-à-dire d'aéroports, de routes,
02:43 d'hôpitaux et de tunnels par les pouvoirs publics
02:46 et de logements par le secteur privé,
02:49 mais tout ceci avec un très vaste système de rétrocommissions,
02:54 tout ceci a abouti à un désastre.
02:56 Votre reportage vient de montrer un hôpital
02:59 construit avec les fonds de l'Union européenne
03:02 il y a très peu d'années.
03:04 Il y a eu deux de ces hôpitaux et aussi 300 classes d'école.
03:08 Aucune de ces structures ne s'est effondrée.
03:11 Pourquoi ? Parce que la Commission européenne
03:14 a été très soucieuse de mettre en place
03:17 et de faire respecter les normes antisismiques
03:20 et les normes de contrôle des matériaux.
03:22 Bien.
03:24 Ce que mes anciens collègues à la Commission européenne
03:26 me disaient pendant toute la durée de l'opération,
03:29 c'est-à-dire les quelques années passées,
03:30 c'est que l'administration turque n'était pas très heureuse
03:34 avec cette lenteur imposée par le respect des normes.
03:38 Maintenant, on voit le résultat.
03:39 Le résultat, c'est que ces structures ont tenu...
03:45 Il y a un très grand ressentiment, je crois, dans la population,
03:49 mais nous ne sommes pas certains que ceci soit un facteur quantitatif
03:55 tout à fait décisif pour l'élection.
04:00 Il y a, je crois, plutôt des raisons économiques
04:05 et de politique interne, d'autocratie, de justice interne,
04:09 qui sont les déterminants essentiels.
04:13 -Du coup, quelles sont les chances du candidat de l'opposition
04:16 unique et mâle, Kili Daro Oulu ?
04:19 Qu'est-ce qui changerait s'il était élu ?
04:22 -Alors, la plateforme de l'opposition,
04:26 le programme commun, pour utiliser un terme de politique française,
04:29 est très précise sur le retour à l'état de droit,
04:33 c'est-à-dire la justice redevient indépendante,
04:36 la nomination des juges et des magistrats
04:39 redevient indépendante,
04:40 la presse redevient libre, la société civile
04:42 est libre de s'exprimer,
04:44 et il y a des libérations de nombreux prisonniers d'opinion.
04:48 Donc, là, c'est la véritable ambition.
04:50 Il y a aussi une ambition économique,
04:52 qui est de remettre sur pied l'économie turque,
04:55 parce qu'elle est au bord du désastre.
04:57 On ne le voit pas trop, on parle beaucoup de tremblements de terre,
05:00 mais il y a une politique monétaire tout à fait irrationnelle,
05:04 il y a une dépendance accrue envers la Russie,
05:07 du point de vue énergétique et du point de vue financier,
05:10 et donc, il y aura une remise à niveau.
05:12 Maintenant, on peut aussi regarder
05:14 une victoire de Kéliç Maralou sous l'angle extérieur.
05:19 Qu'est-ce que ça représenterait pour nous, nous, Européens,
05:21 ou les pays occidentaux, les membres de l'OTAN ?
05:24 D'abord, ça représenterait une reprise du dialogue,
05:28 d'un dialogue digne, professionnel,
05:31 qui n'existe plus aujourd'hui,
05:33 et ça aussi amènerait,
05:36 toujours d'après le programme commun,
05:38 un rapprochement de la Turquie avec l'OTAN,
05:42 ce qui n'est pas insignifiant, comme vous l'imaginez,
05:45 avec l'invasion russe de l'Ukraine.
05:48 La Turquie a certes voté,
05:52 avec l'Occident, aux Nations unies ou à l'OTAN,
05:55 mais elle n'a déployé aucune force,
05:58 à part un unique avion ravitailleur,
06:02 avec l'OTAN, sur le flanc est de l'Europe,
06:04 et elle n'a passé aucune sanction.
06:07 Bien au contraire, il y a de nombreux soupçons
06:09 qu'elle facilite l'évasion par la Russie.
06:12 Donc une élection, une alternance politique en Turquie
06:17 serait extrêmement significative pour l'Occident,
06:20 et pour l'Europe en particulier,
06:22 sans toutefois amener
06:24 à une situation parfaitement harmonieuse
06:27 du jour au lendemain.
06:28 -Hormis la question internationale,
06:30 notamment avec la guerre en Ukraine,
06:32 quels seront les thèmes essentiels des deux candidats ?
06:35 La question économique et sociale sera au premier plan ?
06:38 -Elle sera certainement au premier plan.
06:41 Le président sortant a un thème récurrent,
06:45 qui est "Ce pays, il a besoin d'un leader fort,
06:49 "c'est moi, les autres sont incompétents."
06:52 Je résume, je caricature,
06:54 mais essentiellement, c'est là le discours,
06:57 et ce discours s'applique aussi
06:59 à l'opération de reconstruction post-tremblement de terre.
07:03 L'opposition a deux atouts.
07:06 Le premier, comme je l'ai dit, c'est le retour à l'état de droit,
07:11 parce que vous avez quand même
07:13 50 000 à 60 000 prisonniers d'opinion actuellement.
07:16 C'est incompréhensible
07:19 pour la plupart des libéraux urbains, si je puis dire.
07:23 Et par ailleurs,
07:25 vous avez dans la coalition d'opposition,
07:27 dans ce qu'on appelle la table des six,
07:30 un poids lourd économique, qui est Ali Babacan,
07:33 ancien vice-premier ministre,
07:35 qui a fait le succès initial
07:38 des 10 premières années d'Erdogan au pouvoir,
07:40 qui ensuite s'en est séparé,
07:42 vous l'avez indiqué dans le reportage.
07:44 Et donc...
07:46 C'est là un apport, si vous voulez,
07:50 qui redonnerait de la crédibilité internationale à la Turquie.
07:54 Parce qu'au fond, aujourd'hui...
07:56 La Turquie, elle souffre de deux maux.
08:01 Un, c'est que la politique monétaire
08:04 a créé une inflation redoutable
08:06 et donc un approbrissement de la classe moyenne.
08:09 Ça, c'est un premier point.
08:10 Et deuxièmement, l'absence de justice,
08:13 l'absence de règles de l'Etat de droit
08:16 a amené les investisseurs étrangers,
08:18 dont la Turquie a besoin depuis toujours,
08:20 que ce soit en fonds de court terme
08:22 ou en investissement direct,
08:24 ils se sont éloignés.
08:26 Donc il n'y a pas d'alternative à ça.
08:28 C'est pas la Russie qui va investir,
08:30 c'est pas l'Arabie saoudite qui va investir.
08:33 C'est l'Europe qui apporte la technologie, l'innovation
08:36 et les fonds nécessaires.
08:38 Merci beaucoup Marc Pierrini pour votre décryptage en direct sur France 24.

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