Flore Guattari-Michaux, psychologue et membre de l'association 3-6-9-12 qui agit pour une éducation et une utilisation raisonnée des écrans en famille vient nous parler de la Publication d'une étude de la cohorte Elfe sur le temps d’écran des enfants de 2 à 5 ans et demi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-12-avril-2023-2813981
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00:00 Combien de temps les enfants passent-ils devant des écrans et avec quelles conséquences
00:03 sur leur santé ? Il y a déjà eu de très nombreuses études sur le sujet, pas toujours
00:07 très scientifiques, mais celle dont nous allons parler est totalement inédite de par
00:11 sa méthodologie.
00:12 Près de 12 000 enfants ont été suivis de l'âge de 2 ans jusqu'à leur 5 ans et demi.
00:18 Études coordonnées par plusieurs centres de recherche et dont les conclusions sont
00:20 publiées aujourd'hui par Santé publique France.
00:23 Bonjour Flore Guattari Michaud.
00:24 Oui bonjour.
00:25 Vous êtes psychologue du développement et de l'éducation et membre de l'association
00:28 36912 qui plaide justement pour une utilisation raisonnée des écrans.
00:33 Je résume les résultats de cette étude.
00:35 Le temps d'exposition aux écrans augmente régulièrement avec l'âge.
00:38 Grosso modo c'est un peu moins d'une heure, 56 minutes à 2 ans et ça grimpe pour les
00:44 enfants de 5 ans et demi jusqu'à plus d'une heure et demi.
00:47 Donc les recommandations en termes d'usage des écrans ne sont pas respectées et on observe
00:50 aussi des différences importantes en fonction de critères géographiques ou socio-culturels.
00:55 Est-ce que ces chiffres, est-ce que ces conclusions vous surprennent ?
00:58 Non pas du tout puisqu'on est dans une révolution numérique.
01:01 Tout va tellement vite que forcément les expositions vont augmenter également.
01:07 Après, heureusement, on commence à faire une prévention qui est de plus en plus efficace
01:12 aussi.
01:13 Je pense que par la suite ça ne va pas continuer éternellement à grimper.
01:17 Mais sachant qu'en plus ces durées là elles sont certainement plus importantes aujourd'hui
01:20 parce que l'étude d'ailleurs le précise, elle le fait de manière très honnête, elle
01:23 dit qu'elle a été réalisée entre 2013 et 2017.
01:25 C'est déjà vieux, entre temps il y a le Covid qui est passé et on sait que ça a
01:28 boosté la consommation d'écran pour les adultes comme pour les enfants.
01:32 Vous l'avez constaté vous ?
01:33 Oui, oui, exactement.
01:34 Après, on a constaté également que les personnes commençaient à se poser plus de
01:37 questions par rapport à leur rapport aux écrans et les cadres sont apparus, chose
01:41 qu'il n'y avait pas forcément eu avant.
01:43 Donc on commence aussi à plus se poser des questions et on commence aussi à mettre en
01:49 place des choses alors qu'avant ce n'était pas forcément un sujet.
01:51 Alors ce qui m'intéresse c'est votre expérience de psychologue puisque vous, vous travaillez
01:54 sur les conséquences que peut avoir la consommation d'écran chez les plus petits.
01:58 Quels effets observez-vous ?
01:59 Alors les effets, ils sont corrélés avec d'autres choses autour de l'éducation.
02:04 Ça va être un retard de langage, ça va être un manque d'appétence dans les apprentissages
02:11 en règle générale, des difficultés autour de la concentration.
02:14 Après, c'est important aussi de toujours garder en tête que c'est corrélé avec
02:18 un système éducatif qui est quelquefois fait défaut.
02:22 C'est-à-dire que ce sont des familles qui peuvent être en difficulté pour créer un
02:25 lien avec l'enfant, pour être auprès de lui et donc les écrans vont eux prendre beaucoup
02:30 plus de place.
02:31 Donc il va y avoir un déséquilibre.
02:32 Oui, c'est ce que j'allais vous demander.
02:33 Est-ce qu'on est sûr du lien de cause à effet ? Est-ce que les enfants rencontrent
02:35 des problèmes parce qu'ils ont trop regardé les écrans ?
02:37 Exactement.
02:38 Ou parce qu'ils passent trop de temps devant les écrans parce qu'il y a d'autres problèmes
02:41 familiaux peut-être ?
02:42 C'est ça.
02:43 Et cette étude justement, on est dans des corrélations.
02:44 On n'est pas dans de la cause à effet.
02:45 Et c'est là où il faut vraiment tout prendre en compte et ne pas se dire « ah ben tout
02:50 est à cause des écrans ». A savoir que l'écran finalement, c'est juste un support.
02:53 Il fait écran à la relation entre l'enfant et son univers.
02:56 Donc c'est plus ça qu'il faut bien garder en tête.
03:00 Et est-ce que tous les écrans sont pareillement nocifs ?
03:02 Eh bien non.
03:03 Heureusement.
03:04 Sinon nous aussi on serait en grande difficulté puisque nous aussi on en consomme beaucoup.
03:07 Et l'idée c'est justement de se poser les bonnes questions.
03:09 Qu'est-ce qu'un bon écran ? Un bon écran c'est lorsque l'on l'utilise pour faire
03:13 des choses, pour comprendre son univers, interagir et lorsque c'est fait dans une durée qui
03:19 est raisonnée.
03:20 Pour le tout petit, ça doit être une durée qui correspond à une activité qu'il est
03:22 supposé faire de la même manière.
03:25 Par exemple s'il va faire de la peinture, en général ça dure 5-10 minutes en fonction
03:29 de son âge.
03:30 L'écran ça devrait être la même chose.
03:31 On devrait à chaque fois essayer de comparer comme ça les choses.
03:33 Et pas tout seul.
03:34 Et pas tout seul.
03:35 Un enfant de moins de 2 ans qui fait de la peinture, franchement, tout seul pendant une
03:39 heure, ça risque de faire des dégâts.
03:41 Et est-ce que vous avez déjà eu, parmi les personnes qui viennent vous consulter,
03:44 des enfants qui vous semblent carrément accros ?
03:46 Alors oui et non.
03:48 En fait c'est parce qu'ils n'ont pas d'autre chose à faire.
03:50 Et vu qu'ils n'ont eu que ça, quand on leur dit qu'on va arrêter, ça va être
03:54 très difficile pour eux parce qu'ils ne savent pas quoi faire d'autre.
03:56 Donc l'idée n'est pas de leur dire "il faut arrêter".
03:58 L'idée c'est d'essayer de comprendre qu'est-ce qu'ils aiment faire, qu'on en
04:02 discute et aussi qu'on trouve des alternatives qui soient possibles pour eux comme pour les
04:06 parents.
04:07 Parce que les parents qui quelques fois utilisent beaucoup les écrans, malheureusement c'est
04:09 des parents qui n'ont pas la possibilité de les amener dehors, qui sont souvent seuls.
04:13 Et du coup l'écran représente l'activité la plus simple à proposer à ce moment-là
04:17 à l'enfant.
04:18 Donc on va être dans de la guidance et on va être plus dans cet accompagnement-là
04:22 plutôt que dire "arrêtons les écrans" où là quelquefois ça risque d'être
04:25 encore plus violent pour tout le monde et risque de créer encore plus de tensions
04:28 dans la famille.
04:29 Alors en France la recommandation c'est pas d'écran pour les moins de 3 ans, c'est
04:32 ce que dit l'Académie de médecine et le Haut conseil de santé publique.
04:34 Mais j'ai vu que l'OMS et l'Académie américaine de pédiatrie par exemple disaient
04:38 2 ans.
04:39 Alors pourquoi en France ces 3 ans ? Est-ce que ça correspond à une réalité physiologique,
04:43 biologique ?
04:44 Non, disons que c'est parce que c'est des repères que l'on a par rapport à toutes
04:49 les passades que l'on va avoir dans la vie.
04:51 C'est-à-dire qu'à 3 ans on rentre à l'école donc c'est surtout avec ce repère-là.
04:54 Mais c'est vrai qu'aux Etats-Unis ils vont signaler à partir de 2 ans mais eux
04:59 ils n'ont pas le même système scolaire que nous et eux ils le signalent déjà
05:03 depuis 1999.
05:04 Donc c'est quand même quelque chose qui existe depuis très longtemps et nous on
05:08 commence à en parler là.
05:09 Et l'association, on a commencé à dire 3 ans mais finalement des choses réellement
05:15 posées c'est que très très récent.
05:17 Alors on va être un peu honnête, 3 ans, pas d'écran, c'est pas franchement réaliste.
05:22 Et puis on parle de diététique des écrans.
05:25 C'est-à-dire qu'on dit qu'il faut manger 5 fruits et légumes par jour mais personne
05:28 n'y arrive réellement.
05:29 Par contre on sait que c'est l'objectif, on sait qu'on va tendre vers.
05:32 Donc l'idée quand on dit pas d'écran avant 3 ans c'est pas "il n'en faut jamais",
05:35 c'est "il en faut le moins possible".
05:37 C'est vraiment ça qu'il faut essayer de se dire.
05:38 Et cette étude, ce qui est intéressant aussi c'est qu'elle met en avant des facteurs
05:42 socio-culturels.
05:43 L'exposition aux écrans dans la petite enfance, elle n'est pas la même selon le
05:47 niveau d'étude des parents, leur revenu, l'endroit où l'on habite.
05:50 Ça aussi c'est quelque chose que vous constatez ?
05:51 Oui, oui, oui, clairement.
05:53 Quand on va aller dans des lieux très ruraux, ça va être beaucoup plus complexe que lorsqu'on
05:58 va être dans des grandes villes où les échanges vont se faire autrement.
06:03 Oui, donc il y a plein de facteurs.
06:04 Beaucoup, beaucoup, beaucoup.
06:05 Début mars, il y a un projet de loi qui a été voté à l'Assemblée, projet de loi
06:09 à ce sujet, qui est destiné à prévenir la surexposition des enfants aux écrans.
06:13 Et il y a une mesure notamment, en tout cas ce projet de loi veut développer des formations
06:21 spécifiques aux risques liés aux écrans, aux professionnels de santé et de la petite
06:25 enfance.
06:26 Ça c'est ce que vous faites avec votre association 36912 ?
06:28 Exactement.
06:29 On propose des formations et ce pour tout public qui va travailler avec les enfants.
06:33 Et c'est des formations qui ont vraiment pour but de les outiller, à savoir être
06:38 dans une relation aux autres sur du bon écran.
06:41 L'idée n'est pas de l'interdire, parce qu'aujourd'hui on ne peut pas vivre sans,
06:44 mais par contre d'en avoir un usage raisonné avec des outils aussi faciles à mettre en
06:49 place.
06:50 Parce que trop de théorie tue la théorie.
06:51 L'idée c'est aussi d'apporter des situations concrètes et faciles à mettre en place.
06:54 C'est-à-dire ?
06:55 C'est-à-dire qu'on va avoir un discours auprès des familles, on ne va pas leur dire
07:00 "on arrête les écrans" mais plutôt "qu'est-ce que vous faites avec les écrans ?"
07:03 On va leur donner des petits exercices à mettre en place et aussi de les amener à
07:09 échanger, échanger et encore échanger.
07:11 À partir du moment où on parle des écrans, déjà ça change énormément les choses.
07:15 Parce que quand on va dire à une famille où la télé est allumée toute la journée,
07:19 on sait que ce n'est pas forcément ce qu'il y a de meilleur.
07:21 Mais si cette famille-là ne sait pas faire autrement, c'est encore plus violent de leur
07:24 dire de l'éteindre que finalement de leur dire "parlez de ce que vous voyez".
07:28 Et puis il arrive un moment quand ils vont voir qu'en parlant entre eux c'est compliqué
07:31 de s'entendre, ils vont peut-être l'éteindre mais ça viendra d'eux-mêmes et ça donnera
07:33 plus sens.
07:34 Donc l'idée c'est ça.
07:35 C'est la passivité qui est nocive.
07:36 C'est la passivité qui est nocive et puis aussi de développer l'esprit critique et
07:40 que les gens prennent conscience par eux-mêmes de tout ça.
07:44 Merci beaucoup pour vos explications.
07:46 Flore Guattari-Michaud, psychologue du développement et de l'éducation et je rappelle le nom
07:50 de l'association dont vous êtes membre, 36912.
07:52 [Musique]