Dominique Simonnot : "Les enfants enfermés ont cinq fois moins d'heures de cours que les autres"

  • il y a 7 mois
Le CGLPL publie ce mercredi un avis au Journal Officiel sur l’accès des mineurs enfermés à l’enseignement : Dominique Simonnot contrôleur générale des lieux de privation de liberté est l'invitée de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-31-janvier-2024-9847214
Transcript
00:00 Bonjour Dominique Simonot, vous êtes la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.
00:05 Et ce matin vous publiez un avis qui concerne les mineurs privés de liberté, ceux qui
00:09 sont en prison, en hôpital psychiatrique ou en centre éducatif fermé.
00:12 Des enfants qui n'ont que très peu d'heures de cours, en tout cas pas l'enseignement
00:16 auquel ils ont droit.
00:17 On va y revenir longuement.
00:18 D'abord j'aimerais juste qu'on revienne rapidement sur certaines mesures annoncées
00:22 hier par Gabriel Attal dans sa déclaration de politique générale.
00:25 Les mesures qui concernent justement les mineurs délinquants.
00:27 Le Premier ministre veut mettre en place des travaux d'intérêt éducatif.
00:31 Dès le plus jeune âge, il faut en revenir à un principe clair.
00:35 Tu casses, tu répares, tu salies, tu nettoies, tu défies l'autorité, on t'apprend à
00:40 la respecter.
00:41 Comme il existe des travaux d'intérêt général pour les adultes, il veut créer
00:44 donc des travaux d'intérêt éducatif pour les moins de 16 ans.
00:48 Bonne idée ?
00:49 Moi je ne vais pas dire si c'est une bonne ou une mauvaise idée.
00:52 Certainement si le Premier ministre l'a eu, c'est que c'est une très bonne idée.
00:55 Mais je préférerais qu'il commence par réarmer le sens civique des enfants enfermés
01:01 en leur apprenant quelque chose, en leur donnant les cours, en leur donnant les moyens, en
01:07 leur donnant aux professeurs les moyens de leur apprendre quelque chose.
01:10 Or, les enfants enfermés ont 4 à 5 fois moins d'heures d'enseignement que leurs camarades
01:16 de dehors.
01:17 Et c'est totalement anormal quand on y pense.
01:20 Mais la simple logique veut ça.
01:22 Des enfants qui sont déjà abîmés par la vie, qui ont déjà des parcours de vie totalement
01:28 chaotiques, pour la plupart déjà relève de placement à l'aide sociale à l'enfance.
01:33 Donc ils sont passés par toutes les vicissitudes d'une vie un peu triste.
01:38 Des parcours familiaux compliqués, déjà souvent rupture scolaire.
01:41 Exactement.
01:42 Et ils arrivent dans ces centres ou en prison, et là ils n'ont pas les heures de cours
01:45 adéquates.
01:46 Ils ont 5 fois moins d'heures de cours que les autres.
01:49 Et j'ajoute que les professeurs qui leur enseignent ont les vacances scolaires, alors
01:54 que les vacances scolaires n'existent pas dans les lieux de privation de liberté.
01:57 Il n'y a pas de vacances en prison.
01:59 Alors justement, sur ces deux aspects, il y a le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti,
02:03 qui dit qu'il y a du mieux depuis 3 ans.
02:05 Parce que vous aviez déjà fait un rapport en ce sens il y a 3 ans.
02:07 Il dit qu'il y a du mieux, le suivi scolaire a augmenté de 3 heures hebdomadaires, donc
02:11 en 3 ans.
02:12 Et puis sur les vacances, il dit que les professeurs sont comme tout le monde, comme les autres
02:15 professeurs, ils ont droit aux vacances scolaires.
02:17 Ils ont des vacances, y compris quand ils enseignent dans des lieux fermés.
02:21 Et pourquoi on ne ré-armerait pas ça justement, puisque c'est le grand mot à la mode ? Pourquoi
02:25 on ne crée pas un statut du professeur ? Je ne sais pas, ça me paraît tomber un peu
02:29 sous le sens.
02:30 Spécial pour les enfants enfermés, sans les vacances scolaires.
02:33 Ou alors, là vous voyez, vous avez peut-être lu dans notre rapport, quand un prof est absent,
02:40 il n'est pas remplacé.
02:41 Mais que n'entend-on quand c'est à l'école, dite normale ?
02:45 Je n'insisterai pas plus.
02:48 Mais enfin, il y a un gap énorme entre l'école de dehors et l'école de l'intérieur.
02:53 Et pourquoi il y a si peu d'heures de cours ? C'est parce qu'il n'y a pas assez de
02:55 profs ?
02:56 Il n'y a pas assez de profs pour faire ça.
02:58 Ils ne veulent pas ? Ça ne les intéresse pas ?
03:02 En tout cas, il faudrait trouver… Je sais, le ministre de la Justice m'a très gentiment
03:05 répondu.
03:06 Il m'a dit qu'il m'a fait un état de salaire assez énorme, qu'on ne retrouve
03:11 pas sur le terrain.
03:12 Ils sont mieux payés les enseignants qui enseignent à ces enfants ?
03:16 Ils ont des primes, mais ils n'ont pas toujours les moyens d'enseigner bien.
03:21 Vous dites qu'il n'y a pas assez d'équipement, que les salles sont trop petites, que parfois
03:25 il n'y a même pas accès à Internet ?
03:26 Il n'y a pas accès à Internet, vous vous rendez compte ? Pour des gamins.
03:30 Je trouve que quand on parle de réarmer, vous voyez, ça c'est des très jolis mots.
03:38 Là, il y a une réalité à laquelle on est confronté, et qui veut dire que ces enfants
03:44 qui sont plus difficiles que les autres, qui ont moins de chance que les autres, on leur
03:47 donne moins de chance qu'à d'autres.
03:49 Mais ça veut dire que ces enfants, ils passent quand même des examens ? Le brevet, le bac
03:52 ou autre ?
03:53 Vous savez, il y a même des prisons dans lesquelles on encence, on crée des événements
03:57 autour de chaque diplôme qui est obtenu.
03:59 Mais encore, faut-il l'obtenir ? Moi, j'ai eu un enfant au téléphone, enfin un enfant,
04:04 un gamin de 17-18 ans, au téléphone un jour au standard du contrôle, il pleurait, il
04:09 sanglotait parce que ses cahiers du CNET, vous savez, l'enseignement par correspondance,
04:14 lui arrivaient pas dans l'ordre.
04:17 D'abord le livret 4, ensuite le 2, ensuite le 1.
04:20 Il pleurait, il disait « j'ai fait tant d'efforts pour avoir le bac et je l'aurai
04:25 pas, je vais me tuer ».
04:26 On parle de combien d'enfants au total ? Est-ce qu'on a le chiffre ?
04:29 Oui, on a environ 900 enfants dans les centres éducatifs fermés, 700 dans les prisons et
04:37 énormément dans les hôpitaux psychiatriques, plus de 20 000.
04:40 Plus de 20 000 dans les hôpitaux psychiatriques, ça fait 24 000 à la louche, 24 000 enfants
04:46 concernés par ce manque de cours.
04:47 Or, ces enfants, c'est notre avenir.
04:50 Et si on leur apprend rien, comment voulez-vous que ça se passe ?
04:53 Généralement, il reste combien de temps dans ces lieux fermés ?
04:55 Pas très longtemps.
04:57 Et après, ils peuvent retourner dans le cursus scolaire classique ?
05:00 Oui, mais c'est très compliqué justement, puisqu'ils n'ont pas eu, pendant qu'ils
05:05 étaient enfermés, ni même avant souvent, l'enseignement qui leur était dû.
05:10 D'autre part…
05:11 La sortie n'est pas gérée, c'est ça ce que vous nous dites ?
05:15 Elle est gérée très difficilement, très difficilement.
05:18 Parce qu'il y a un gros problème, c'est que les éducateurs, quand ces enfants arrivent,
05:24 c'est souvent dans l'urgence.
05:25 Ils ne savent rien de leur parcours antérieur, et sûrement pas de leur parcours éducatif.
05:31 Ils ne savent pas non plus ce qu'ils deviendront après.
05:33 Donc, il y a un manque d'évaluation totale.
05:36 Au deux bouts de la chaîne, c'est comme une parenthèse.
05:40 Exactement.
05:41 On n'a pas les antécédents, et on ne les aide pas pour la suite.
05:43 Oui.
05:44 Ce qui fait que c'est très parcellaire ce qu'on peut savoir d'eux.
05:48 Et c'est très dommage, parce que tant qu'on ne sait pas tout d'eux, comment voulez-vous
05:52 qu'on fasse pour s'adapter à eux ?
05:54 Du coup, le retour dans les établissements classiques, c'est compliqué.
05:56 C'est très compliqué.
05:57 Merci beaucoup Dominique Simono, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.
06:02 Je le redis à vous publié ce matin.
06:04 Vous venez d'ailleurs de le publier et de dévoiler sur France Inter cet avis qui concerne
06:08 la scolarisation des mineurs privés de liberté.

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