Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Retrouvez "Voyage en absurdie" sur : http://www.europe1.fr/emissions/chronique-en-absurdie
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00:00 8h39 sur Europe 1.
00:02 Place à vous Emmanuel Ducroix.
00:05 Je cherchais ma petite feuille du journal L'Opinion.
00:07 Emmanuel, la France pourra-t-elle continuer à exporter ses céréales vers l'Afrique et le bassin méditerranéen ?
00:13 Passé le 25 avril, c'est bientôt, c'est dans deux semaines.
00:16 Ça paraît incroyable, mais des cargaisons entières de grains sont menacées de rester au port, de ne pas pouvoir partir.
00:22 Alors pour l'instant, on est un peu dans une zone de flou.
00:24 Mais tout est parti d'une décision de l'ANSES, l'Agence de sécurité sanitaire française, en octobre dernier.
00:29 Elle a décidé d'interdire une technique de fumigation des céréales dans les cales de bateaux avec un produit qu'on appelle la phosphine.
00:35 Il sert à détruire les insectes, les larves dans les grains,
00:39 mais il entre en contact avec les céréales et il peut présenter des risques en cas d'inhalation.
00:43 L'ANSES veut donc bannir cette technique de fumigation dès le 25 avril.
00:47 Une décision donc administrative, alors que la phosphine n'est pas interdite par ailleurs.
00:50 Et l'Europe, elle, permet l'usage de ce traitement.
00:54 Et tout ça, ça pourrait avoir des conséquences très très lourdes sur notre commerce extérieur.
00:57 - Effectivement, la moitié des exportations françaises de céréales sont potentiellement compromises,
01:02 dans le sens où elles pourraient ne pas avoir le droit de quitter les ports français.
01:05 - Alors là, on parle des céréales qui voyagent hors d'Europe, soit en année pleine, 11,5 millions de tonnes,
01:10 3,8 milliards d'euros pour notre balance commerciale, c'est un quart de la production française.
01:14 Alors ces céréales, elles prennent d'habitude la mer pour l'Algérie, qui est le premier client de la France pour les céréales,
01:19 pour la Tunisie, la Côte d'Ivoire, le Sénégal,
01:21 et elles pourraient ne plus y être commercialisées, faute de traitement,
01:24 parce que ces pays exigent une fumigation, c'est pas une vue de l'esprit, ils la demandent.
01:29 D'abord pour éviter que les cargaisons ne transportent des insectes qui sont potentiellement invasifs
01:33 pour les écosystèmes de destination,
01:35 et puis ensuite parce que consommer des grains contaminés par des insectes, ça présente des risques pour les humains.
01:40 - Donc en fait, cette histoire est quand même assez ubuesque.
01:43 Une décision administrative qui vient mettre en l'air un pantier du commerce extérieur français ?
01:47 - Eh oui, des pays qui ont besoin de céréales françaises pour garantir leur sécurité alimentaire
01:51 ne pourront plus les acheter ou ne pourraient plus les acheter
01:53 parce qu'une décision administrative dans le pays fournisseur
01:56 rend impossible de respecter leurs normes de destination.
02:00 Ça paraît absolument fou.
02:02 L'alternative qu'ils ont, c'est d'acheter des céréales sur les marchés russes,
02:05 seul acteur avec des surplus en ce moment, dans le contexte géopolitique actuel,
02:09 vous avouerez que c'est quand même absolument délirant.
02:11 - Mais cette affaire pose quand même une drôle de question.
02:13 On a donné à l'ANSES, alors rappelons ce qu'est l'ANSES,
02:16 l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire,
02:18 celle qui évalue les substances chimiques notamment,
02:20 elle a le pouvoir d'interdire comme ça pratiquement du jour au lendemain
02:24 l'utilisation d'un herbicide qui est homologué par ailleurs, vous l'avez dit, dans l'Union Européenne ?
02:28 - Eh oui, en 2015, François Hollande, via son ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll,
02:32 tétanisé par des dossiers qui concernaient les pesticides,
02:34 notamment le cruzer, qui était un néonicotinoïde,
02:37 avait décidé de déléguer tous les choix à l'ANSES.
02:40 Ils se sont désengagés, ils voulaient des décisions basées sur la science.
02:44 Et en fait, ils ont laissé les scientifiques, dont ce n'est pas le métier,
02:48 assumer des décisions qui affectent, on le voit, la souveraineté nationale, notre économie,
02:52 et puis notre géopolitique.
02:54 - Des décisions politiques en plus ?
02:55 - Voilà, des décisions qu'eux-mêmes, les politiques, n'avaient plus le courage de prendre,
02:58 des décisions qui demandent une évasion des bénéfices et des risques.
03:01 On le voit bien, on ne peut pas se contenter de cette décision de l'ANSES
03:03 quand ça met en jeu autant de temps de notre économie.
03:06 Alors le politique qui est piégé est désormais en train de ramer pour reprendre la main.
03:09 Les ministres actuels de l'Agriculture, du Commerce extérieur,
03:12 ont engagé un bras de fer avec l'ANSES.
03:14 Ils tentent de faire valoir que le droit européen, qui autorise lui ses traitements,
03:18 s'impose face aux décisions réglementaires d'une agence indépendante et nationale.
03:23 - Mais hier, justement, devant l'Assemblée nationale,
03:25 on a deux ministres, Olivier Becht au Commerce extérieur,
03:27 Marc Fesneau pour l'Agriculture, qui nous ont garanti
03:30 qu'il n'y a aucun souci, passé le 25 avril,
03:33 les exportateurs de cérales pourront exporter, circuler, il n'y a rien à voir. C'est vrai donc ?
03:37 - Alors, le diable est dans les détails.
03:38 Olivier Becht dit qu'on est à la recherche d'un cadre légal
03:42 pour imposer cette décision à l'ANSES.
03:45 Tout ça, ça donne quand même une impression de fragilité, de pagaille,
03:48 d'une administration toute puissante qui échappe à tout contre-pouvoir.
03:51 C'est ça que révèle l'affaire de la phosphine,
03:54 une question de démocratie, une question de philosophie, du pouvoir,
03:57 qui, en fin de fin, doit prendre des décisions aussi importantes.
04:01 - C'est intéressant. Merci beaucoup Emmanuel Ducroix.
04:03 Cette affaire de phosphine n'est donc pas terminée.
04:05 Merci à vous.