"Les plaies d'Haïti" : les habitants piégés entre faim, insécurité et violences

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Transcription
00:00 Où va Haïti ? C'est une question qui revient sans cesse,
00:03 tant la situation paraît désespérée.
00:05 L'ambassadeur français parle de l'une des pires situations de pauvreté et de terreur au monde.
00:10 Nos équipes ont pu se rendre dans certains quartiers de Port-au-Prince, la capitale.
00:13 Bonjour, Margaux Loisillon.
00:15 Vous avez réalisé le reporter "Les plaies d'Haïti" avec Herminia Fernandez et Sandrine Exil,
00:20 un documentaire tourné la première semaine de février.
00:23 On va d'abord regarder un premier extrait.
00:27 Cette mère célibataire vit dans une pièce de 16 mètres carrés avec ses 3 enfants
00:31 et 2 autres membres de sa famille.
00:33 Elle est ce qu'on appelle une déplacée interne.
00:37 Elle a dû fuir son quartier en proie à la violence.
00:40 - Hier, je parlais avec mon frère aîné qui me disait que l'on vit dans l'angoisse,
00:47 qu'il dort angoissé à cause des coups de feu des gangs, du fait qu'ils entrent dans les maisons.
00:52 La nuit dernière, l'angoisse l'a empêché de dormir.
00:55 On ne vit pas réellement, on n'a pas de vie.
00:57 - Un autre témoin vous dira un peu plus tard, on est comme dans une prison.
01:05 En fait, les Haïtiens ne vivent pas, ils tentent de survivre.
01:08 - Exactement, Julien.
01:09 Et je pense qu'il y a quelques moments de ce reportage qui le montrent particulièrement,
01:14 notamment ces Haïtiens qui sont rapatriés au tout début du reportage,
01:18 qui tentent de migrer, dans ce cas-là, aux Etats-Unis, qui fait partie du Cap Haïtien.
01:24 Et puis, tous ces gens qui sont à la recherche d'un passeport, d'un visa,
01:29 notamment grâce au programme de Joe Biden pour pouvoir s'installer légalement aux Etats-Unis.
01:33 Donc voilà, les Haïtiens cherchent par tous les moyens à fuir ce pays.
01:37 On les retrouve sur de très grands nombres de routes migratoires, notamment en Amérique latine.
01:43 Je pense par exemple au Darien qui sépare la Colombie du Panama.
01:47 C'est une des routes les plus convoitées par des Haïtiens.
01:51 Également, les Haïtiens quittent leur île, quoi qu'il en coûte en fait.
01:55 - Parce qu'il n'y a aucune perspective ?
01:57 - Je crois que vraiment non.
01:58 Enfin, je suis vraiment moi-même très triste de le dire,
02:01 mais je ne vois pas vraiment vers quoi aujourd'hui ce pays peut aller.
02:06 Il y a un énorme problème politique, un vide politique tellement important
02:10 que pour le moment, il ne semble pas y avoir de solution.
02:14 Il faut quand même rappeler que le président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné
02:20 il y a un an et demi, enfin bientôt deux ans cette année.
02:23 Et il n'y a eu aucune élection organisée.
02:25 Il n'y a plus aucun élu aujourd'hui dans le pays, aucun élu national ni local.
02:31 Donc non, on peut vraiment se demander où va le pays.
02:34 - C'est quoi le quotidien aujourd'hui d'un Haïtien ?
02:36 C'est tenter de trouver à manger tout simplement ?
02:39 - Alors oui, en fait, il faut imaginer à Port-au-Prince en particulier.
02:43 Je tiens à préciser que nous ne nous sommes pas rendus en province, dans les provinces haïtiennes.
02:48 À Port-au-Prince, on dirait que c'est un petit peu au jour le jour,
02:51 il y a une tension calme permanente dans la ville.
02:54 On vit sa vie le plus normalement qu'on peut,
02:57 tout en sachant qu'elle peut basculer à chaque instant.
03:00 Et que quand les choses basculent en Haïti, c'est grave.
03:03 Mais voilà, chacun essaye.
03:05 Donc il y a des vendeurs de rues, il y a des enfants qui vont parfois à l'école.
03:09 Certaines écoles ouvrent puis se referment parce qu'il y a des problèmes de sécurité dans le quartier.
03:14 On essaye, mais on ne sait pas quand est-ce qu'on rentrera en fait.
03:18 Qu'est-ce qui peut se passer ?
03:18 Car Port-au-Prince est contrôlé à 60% par des gangs.
03:22 60% c'était le cas lors du tournage.
03:25 On va regarder un autre extrait avec un membre de Médecins sans frontières.
03:27 La violence de ces gangs semble n'avoir aucune limite.
03:33 Ils contrôlent aujourd'hui plus de 60% du territoire de la capitale.
03:39 Depuis le siège de l'ONG, le chef de mission de Médecins sans frontières
03:43 reconnaît que cette expansion rapide des groupes armés
03:46 perturbe les opérations de ces hôpitaux.
03:48 Raoul Pierre-Louis, c'est la clinique dont on a interrompu le support la semaine dernière
03:55 suite à l'intrusion d'hommes armés qui sont venus se saisir d'un patient
04:02 pour l'exécuter à l'extérieur de l'hôpital.
04:05 Sur cette carte, en rouge, les zones de la ville entièrement contrôlées par les gangs.
04:11 En blanc, les seules dans lesquelles nous avons pu nous déplacer pour la réalisation de ce reportage.
04:18 Et la carte a évolué, mais dans le mauvais sens, avec une expansion du rouge.
04:22 Depuis que nous nous sommes rendus à Port-au-Prince, je dirais qu'aujourd'hui,
04:26 c'est encore plus compliqué de se déplacer dans les zones que vous venez de voir en blanc sur cette carte,
04:31 parce que ce sont les zones en dispute dans la ville.
04:35 Aujourd'hui, par exemple, je pense à la zone de Pétionville, certains quartiers de Delmas,
04:39 dans lesquels nous avons pu parfois beaucoup tourner.
04:42 Aujourd'hui, les gangs se disputent ces zones.
04:45 Ce sont de nouveaux terrains d'attaque.
04:47 C'est une guerre de territoire.
04:48 Exactement, c'est une guerre de territoire.
04:50 Et elle se joue à travers la séquestration, essentiellement les enlèvements,
04:57 qui permettent aux gangs de se financer en échange de rançons.
05:04 Donc des séquestrations, des balles perdues, des guerres entre gangs qui peuvent s'attaquer mutuellement,
05:12 et qui entraînent des conflits au sein de ces zones en dispute.
05:17 Haïti est très habituée par ces gangs qui sont montés en puissance,
05:21 mais vous me disiez qu'elles étaient liées à la classe politique depuis des années.
05:25 Oui, en effet, à la fin des années 60, les tontons Makout, mis en place par Martelly,
05:30 ont marqué le début de cette association entre les hommes politiques et les gangs.
05:37 Les gangs, les milices, on parlait plutôt de milices, ont été le bras armé de nombreux partis politiques en Haïti.
05:46 Ce n'est pas une nouveauté, le gang haïtien.
05:49 Sauf qu'aujourd'hui, ce à quoi on assiste, c'est à une déliquescence de la vie politique haïtienne,
05:53 de la classe politique, des partis politiques, et donc, parallèlement,
05:57 une montée en puissance de ces gangs qui, aujourd'hui, ne sont plus bridés ou tenus ou contrôlés par qui que ce soit.
06:04 Et donc, ils font ce qu'ils veulent. Il n'y a plus cette association entre la politique et ces milices devenues gangs.
06:10 Ils ont pris le dessus de la politique, en quelque sorte.
06:14 Est-ce que l'assassinat de Jovenel Moïse a aggravé la situation ?
06:18 Oui, sans aucun doute.
06:20 Et l'assassinat de Jovenel Moïse a vraiment marqué la fin, en tout cas, de toute légitimité politique.
06:25 Il faut savoir que Ariel Henry, qui était le premier ministre de Jovenel Moïse, a pris le pouvoir...
06:31 Nommé deux jours, je crois, avant l'assassinat.
06:33 Alors là, on peut croire à des complots, on peut imaginer toutes sortes de scénarios aussi.
06:38 Il a été nommé deux jours avant l'assassinat de Jovenel Moïse.
06:41 Et aujourd'hui, il dirige ce pays, mais il n'a aucune légitimité au niveau des urnes.
06:45 Il n'a pas été élu, il n'y a pas eu d'élection. Donc, beaucoup d'haïtiens critiquent sa présence.
06:51 Et puis, voilà, je... Aujourd'hui, Ariel Henry, par exemple, est un homme politique qui appuie l'intervention étrangère dans le pays.
07:01 Et beaucoup disent qu'en fait, il ne l'appuie que pour pouvoir se maintenir au pouvoir.
07:06 C'est une question qui revient maintenant avec force.
07:08 Faut-il envoyer à Haïti une force de maintien de la paix ? Force extérieure, bien sûr.
07:14 On écoute à ce sujet le romancier Lionel Trujillo, que vous avez rencontré.
07:17 C'est fondamental qu'on ait ce genre d'émission parce que là, circule véritablement le discours haïtien sur ce que nous voulons faire de ce pays.
07:28 Il y a ce gouvernement qu'on a du mal à appeler un gouvernement qui, n'ayant aucune légitimité et ne pouvant convaincre personne en Haïti, a besoin d'une force étrangère pour venir légitimer son existence.
07:43 Les haïtiens, ils se divisent sur cette question de l'aide internationale ?
07:47 Oui, tout à fait.
07:48 J'ai entendu plusieurs positions par rapport à l'intervention internationale.
07:53 Il y en a quelques-uns, il ne faut pas nier, qui voudraient une intervention telle qu'elles ont déjà eu lieu, type Minustah.
08:00 Une force étrangère en présence sur le territoire.
08:04 De maintien de la paix ?
08:05 Exactement.
08:06 Et de lutte contre les gangs à l'heure actuelle.
08:09 Ce n'est par exemple pas du tout la position de Lionel Trujillo.
08:12 J'ai aussi entendu plusieurs personnes parler d'aide matérielle.
08:17 Je crois que les haïtiens n'ont pas du tout envie, dans leur grande majorité, qu'une force étrangère vienne sur leur territoire.
08:23 Ce sont des choses qui ont déjà été vécues, qui ont été traumatisantes, qui ont laissé des stigmates et de très mauvais souvenirs au sein de la population.
08:30 Des accusations de viol ?
08:33 Exactement.
08:34 Le choléra ?
08:35 Le choléra, voilà.
08:36 Donc ça, ce n'est quand même pas la majorité qui va vers cette décision-là.
08:40 Par contre, une aide militaire, de l'aide militaire, de l'aide pour l'armée, pour la police, essentiellement,
08:47 qui sont aujourd'hui face à des gangs surarmés, qui sont de véritables petites armées à l'intérieur,
08:54 et eux ont des voitures, comme on peut le voir, pas forcément en très bon état, pas blindées, pas d'armes, etc.
09:00 Le problème, c'est qu'évidemment, parallèlement à ça, on a une corruption de la police.
09:03 Donc comment faire ce genre de gestion ?
09:07 C'est évidemment très compliqué.
09:09 Je pense aussi qu'autre chose qui a été souvent évoquée, c'est une aide régionale.
09:14 Je crois que les Haïtiens n'ont pas du tout envie de voir ni des Américains, ni des Canadiens, ni des Français arriver sur leur territoire.
09:20 Est-ce qu'il ne peut pas y avoir une réflexion latino-américaine ?
09:23 Moi, je pense que c'est important aussi.
09:25 Haïti fait partie de la Carribe, de l'Amérique latine.
09:28 On parle du Mexique, on parle de la Jamaïque.
09:30 Peut-être que la solution tiendrait aussi de quelque chose de plus régional.
09:34 Merci infiniment, Margot.
09:35 Margot Loisillon, les plaies d'Haïti, c'est à retrouver, à revoir peut-être sur notre site France24.com.
09:41 Merci encore pour votre regard.
09:42 pour votre regard.

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