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00:00 Rendez-vous derrière l'image, notre rendez-vous pour prendre le temps de décrypter l'info à partir de photos qui font sens.
00:05 Dans le cadre de notre journée spéciale dédiée à Haïti, nous recevons sur ce plateau nos deux grands reporters,
00:10 Catherine Norestrent et Roméo Langlois. Bonjour à tous les deux, merci de passer par le plateau de Paris Direct.
00:16 Vous venez de rentrer de mission en Haïti, le genre de mission extrêmement rare en raison du risque sécuritaire.
00:22 On va en parler dans un instant. Vous y avez passé deux semaines, avez rencontré les différents acteurs sur l'île.
00:27 Et vous nous ramenez, c'est la tradition ici, un cliché, une photo, une image qui parle d'elle-même.
00:33 C'est Roméo qui va nous la décrypter, la détailler.
00:36 Alors on a choisi cette image parce qu'elle résume toute la situation à Port-au-Prince.
00:40 Qu'est-ce qu'on voit ? On voit un commissariat, le commissariat de Martis, qui est un quartier périphérique assez dangereux,
00:46 mais qui n'est pas si loin du centre, criblé d'un pack de balles. On voit la devise de la police sur le commissariat.
00:54 Et on voit devant ce commissariat criblé de balles, on voit un pick-up qui est plein d'hommes armés, les hommes d'un gang.
01:03 Voilà, ça résume ce qui se passe en Haïti. Voilà des mois, des années, même environ deux, trois ans,
01:07 que les gangs multiplient les attaques contre les commissariats afin d'en déloger la force publique et de prendre le contrôle de tout le territoire.
01:14 Aujourd'hui, ils ont réussi, notamment depuis mars, en s'alliant entre gangs,
01:19 à mettre l'échelle en déroute l'État haïtien et à faire tomber de plus en plus de commissariats.
01:27 Alors là, nous sommes sur cette image avec un chef de gang qui s'appelle Tilapi,
01:31 qui est l'un des plus gros chefs du sud de la capitale Port-au-Prince, qui est considéré comme l'un des rois du kidnapping.
01:39 Moi, je suis à l'intérieur dans la voiture avec cet homme, le caporal Tilapi,
01:44 pendant que Catherine Nouristrente nous suit sur une moto au milieu d'un cortège d'hommes en armes qui escortent leur chef sur des motos.
01:53 Et tout ça, je voulais ajouter, cette photo a été prise dans une rue passante où il y a énormément de civils qui vivent toujours dans la zone.
01:59 Donc il y a des marchés au milieu. Vous avez ces bâtiments, ces institutions détruites.
02:04 Parfois, il y a des commissariats qui ont été brûlés, saccagés entièrement et qui doivent vivre,
02:09 ces civils contraints au milieu des gangs armés, donc des conditions extrêmement difficiles pour eux.
02:17 Il y en a qui se sont déplacés, mais il y en a d'autres qui ne peuvent pas fuir.
02:20 Donc aujourd'hui, la capitale est dans un état habiteux.
02:25 Les gangs et cette violence, finalement, qui se sont inscrits dans le paysage, c'est un peu ce que résume cette photo aujourd'hui.
02:30 Oui, maintenant, les gens sont habitués dans une immense partie de...
02:33 Alors pas d'Haïti, on parle de Port-au-Prince, de la zone métropolitaine, dans 80 %,
02:38 à voir des hommes lourdement armés, parfois des gamins de 10 ans, 12 ans, faméliques,
02:43 avec des armes d'automatique qui font partie du paysage et qui, d'une certaine manière, sèment la terreur.
02:48 Alors avant d'aller plus loin, on va peut-être regarder tout de suite un extrait d'un des documents que vous nous avez ramenés.
02:53 Un document évidemment précieux, images rares.
02:55 Vous les avez tournés il y a un peu plus d'une semaine maintenant.
02:58 Je vous propose de regarder, on en reparle juste après.
03:00 Dans le sillage des gangs opèrent des hordes de pillards.
03:08 Même l'hôpital général a été mis à sac.
03:11 Certains, très rares, refusent de quitter leur foyer.
03:18 Sansan n'a nulle part où aller.
03:36 Au bout de la rue, un véhicule blindé les inquiète.
03:39 Ce jeune homme voulait traverser le quartier pour vendre son pain au marché.
03:51 Le voilà pris au piège.
03:52 - Les balles perdues, on ne sait pas d'où elles peuvent arriver.
03:56 - On a sorti.
03:57 - On a sorti.
03:58 - Hé, regarde, tu as pris mon motard.
04:08 - Fais attention.
04:09 - Tous les jours, tous les jours comme ça.
04:17 - Tous les jours comme ça.
04:19 - Mon motard, mon motard, mon motard.
04:21 - Allez, au revoir.
04:25 - Merci.
04:26 Tous les jours, Sansan et ses voisins observent les pillards
04:40 qui passent en courant, chargés de leur butin.
04:44 - Il a fait traverser et le blindé a tiré.
04:46 - Mais il a causé un truc, une victime, un moteur, une machine.
04:50 - Une machine, un moteur, une victime.
04:52 - Une victime.
05:11 - On va tomber dans ce pays qui t'a marqué, Victor.
05:15 - Voilà, je disais en introduction, document rare,
05:22 parce que mission, effectivement, très compliquée à mettre sur pied.
05:25 On le comprend en quelques instants en voyant ces images.
05:28 Parlez-nous de comment on travaille là-bas
05:30 et comment une mission comme celle-ci s'organise.
05:32 - Évidemment, en termes sécuritaires, c'est extrêmement dangereux,
05:35 non seulement pour les civils qu'on voit dans ce reportage,
05:37 mais pour nous, en tant que reporteurs,
05:39 c'était déjà très compliqué de se rendre sur place.
05:41 À l'époque, l'aéroport international n'était pas encore réouvert,
05:45 donc il fallait prendre un hélicoptère avec l'ONU, plusieurs vols.
05:49 Et puis, pour se déplacer, c'est extrêmement difficile,
05:52 donc on se déplaçait plutôt en moto, passagers.
05:56 Et après, on tournait.
05:57 Donc parfois, ici, dans ces images que j'ai tournées par téléphone,
06:00 on suivait...
06:01 - Ça, c'est vous qui êtes en train de filmer avec votre téléphone portable,
06:03 escorté par les gangs, pour l'expliquer,
06:05 parce que c'est pas si évident.
06:06 - Pour cette séquence-là, oui, c'est ça.
06:07 On voulait tourner avec cet homme dont parlait Roméo Tillaply,
06:10 qui est un chef de gang sous sanction de l'ONU,
06:13 des États-Unis, de Canada, etc.
06:16 Et lui, il est dans son quartier, dans son fief,
06:18 là, juste au sud de Port-au-Prince,
06:20 et il se promène avec ses hommes armés à côté, en moto,
06:23 qui le suivent, vous le voyez, au milieu des civils.
06:26 Donc il y avait des séquences où il fallait se coordonner
06:29 pour signaler notre présence auprès du chef de gang,
06:32 sinon c'est extrêmement dangereux,
06:33 il y a le risque d'enlèvement, etc.
06:35 - Ça se passe comment ? C'est eux qui vous donnent l'autorisation ?
06:37 Là, tu peux filmer, là, tu peux pas ?
06:39 - Là, comme on était avec le grand chef, il a dit
06:42 "Vous pouvez filmer ce que vous voulez à peu près."
06:44 Donc ça dépend vraiment de chaque zone, c'est sectorisé.
06:47 - Mais de manière générale, juste pour préciser,
06:49 ce sont des tournages très encadrés,
06:52 il est très difficile d'aller parler à la population
06:54 sur ces moments-là, personne va oser,
06:56 devant les gens du gang, critiquer le gang,
06:59 tout le monde regarde ce qu'on fait,
07:01 donc voilà, c'est vrai qu'il faut avoir une...
07:03 - Ils veulent montrer qu'ils contrôlent,
07:05 ils veulent montrer un image plutôt positive,
07:07 ils veulent montrer qu'ils font de leurs choses pour leur zone,
07:09 même si on voit là qu'il y a beaucoup d'insalubrité,
07:11 il y a beaucoup de choses...
07:12 - C'est ce que j'allais vous demander,
07:13 c'est facile de les approcher et répondre facilement
07:15 à la presse internationale ?
07:16 - Alors ça dépend de lesquels,
07:17 il y en a qui veulent communiquer en ce moment,
07:19 on a l'impression qu'ils veulent se montrer
07:22 un peu d'une image positive si possible,
07:25 évidemment, nous avons aussi parlé longuement
07:28 avec plusieurs victimes de gangs,
07:30 parfois sous couverte d'anonymats,
07:32 évidemment pour protection de leur identité,
07:35 mais en tout cas les gangs,
07:36 parfois ils veulent avoir la parole,
07:39 ils veulent avoir presque une plateforme politique,
07:42 donc là, tout le travail de journaliste qu'on va faire,
07:44 c'est de décrypter là-dessus,
07:46 et aussi raconter la réalité de cette vie
07:48 sous l'emprise des gangs.
07:50 - Voilà, sur l'aspect politique, c'est important,
07:52 ce sont des gens qui ont commis pendant des années
07:54 des crimes de droit commun,
07:55 on sent qu'ils cherchent à essayer de donner
07:58 à ce qu'ils appellent leur lutte,
08:00 un petit semblant politique,
08:02 ils se disent révolutionnaires, pourquoi ?
08:03 Parce qu'en fait, ce qu'expèrent en tout cas
08:05 les chefs des gangs,
08:06 c'est évidemment une forme d'amnistie
08:08 pour des crimes de droit commun,
08:10 mais une amnistie qu'ils ne pourraient avoir
08:11 que dans le cadre d'un accord politique
08:13 avec un gouvernement,
08:14 d'où cette tentative un petit peu d'essayer
08:16 de polisser, de changer le discours.
08:18 - Voilà, des gangs qui voudraient aussi
08:19 se faire une place au sein du futur gouvernement,
08:22 un mot peut-être des civils,
08:23 la situation humanitaire,
08:24 on en a déjà parlé avec notre invité tout à l'heure,
08:26 elle est dramatique,
08:27 vous avez d'ailleurs tourné à l'hôpital de la paix,
08:29 le service de la paix, le service pédiatrie,
08:32 des images très dures de malnutrition infantile,
08:35 ça c'est la réalité, c'est le quotidien.
08:36 - Oui tout à fait,
08:37 on a tourné là,
08:39 c'est le seul grand hôpital de Port-au-Prince
08:41 aujourd'hui qui fonctionne.
08:43 Donc là, c'est vraiment la drame
08:45 en termes de...
08:47 on voit les effets concrets de la malnutrition,
08:50 surtout chez les enfants,
08:52 et on a un petit extrait d'un reportage
08:54 à venir à vous jouer.
08:57 - C'est un enfant malnutrit
08:59 et qui est arrivé dans un tableau
09:02 de déshydratation et de choc,
09:04 et en fait qui est anébié en plus,
09:07 donc il y a 18 mois,
09:08 mais qui a le poids d'un enfant
09:10 de 3 mois à 5 mois on va dire.
09:12 Maintenant on a démarré,
09:13 on l'a transfusé,
09:14 il est sous antibiotiques,
09:16 on a démarré l'alimentation perlevine,
09:19 donc on espère que là,
09:21 qu'il va récupérer,
09:23 je pense qu'il va récupérer.
09:26 - Voilà, ces images dramatiques
09:28 ne sont en fait que le reflet
09:30 d'une situation plus générale
09:32 de pénurie alimentaire,
09:34 de catastrophe alimentaire.
09:36 Une grande partie des haïtiens,
09:38 et en tout cas surtout dans la zone de Port-au-Prince,
09:41 mais aussi dans les campagnes,
09:42 sont en état de malnutrition assez grave.
09:45 Et cette malnutrition à Port-au-Prince,
09:47 elle est directement liée à plusieurs choses.
09:49 D'abord au péché original du pays,
09:51 qui en fait ne produit pas grand chose
09:53 et importe une grande partie des denrées
09:56 dont il a besoin.
09:58 Une importation qui d'ailleurs génère énormément de corruption,
10:01 mais aussi à la situation militaire actuelle,
10:03 puisque les gangs encerclent la capitale,
10:06 ils contrôlent les axes stratégiques
10:08 qui permettent d'aller à la capitale,
10:10 ils contrôlent l'axe qui permet de revenir,
10:12 d'aller de l'aéroport au centre de Port-au-Prince,
10:15 ils contrôlent également les principales zones
10:18 où il y a des terminaux portuaires.
10:20 Donc il est très difficile de faire venir
10:22 des denrées.
10:24 Et pour les agriculteurs, il est quasiment impossible
10:26 d'entrer, ou en tout cas très difficile d'entrer
10:28 pour aller vendre les biens au marché.
10:30 D'autant que sur ces routes,
10:32 les gangs prélèvent des péages,
10:34 donc ils taxent, ils arraquent systématiquement
10:36 tous les passagers, et surtout le transport de marchandises,
10:39 ce qui génère une inflation
10:41 à l'intérieur de la ville de Port-au-Prince,
10:43 et qui donc aggrave encore plus la situation.
10:45 Donc la faim aujourd'hui à Port-au-Prince
10:47 est un problème réel.
10:49 Et j'ajoute juste rapidement que tout ça,
10:51 sous un contexte de fendres, de longues dates
10:53 de corruption systémique.
10:55 Les haïtiens partout nous parlaient
10:57 de corruption chez les hommes politiques,
10:59 chez les hommes d'affaires, ceux qui contrôlent
11:01 les ports, etc. Donc il y a vraiment
11:03 une sensation d'être coupé du monde
11:05 à Port-au-Prince, et coupé des vivres
11:07 dont on a besoin.
11:08 Voilà, beaucoup de difficultés, de drames aussi,
11:10 ça vous le résume bien.
11:12 C'est pas ça que vous retenez de cette mission,
11:14 je crois que c'est le courage et la force
11:16 des habitants de Port-au-Prince,
11:18 c'est ce qui vous a le plus marqués en somme.
11:20 Tout à fait, avec tous ces drames
11:22 qu'on a vus, c'est impressionnant, certes,
11:24 mais vraiment le courage des personnes
11:26 qu'on a rencontrées dans des quartiers
11:28 parfois très difficiles, et qui restent,
11:30 et qui font des actions pour essayer
11:32 d'améliorer la vie des haïtiens.
11:35 Parce qu'ils n'ont plus confiance
11:37 dans leur classe politique, ils n'ont plus confiance
11:39 en grand chose, donc ils prennent les choses en main,
11:41 ils disent "nous on va faire quelque chose".
11:43 Donc on a plusieurs séquences
11:45 très sympas avec des artistes,
11:47 mais aussi on a pu tourner
11:49 avec une organisation qui font
11:51 du capoeira, danse brésilienne,
11:53 avec les jeunes
11:55 des quartiers difficiles,
11:57 pour les éloigner des gangs,
11:59 et pour leur donner une mentalité positive.
12:01 Et franchement, là, on les voit en action,
12:03 on a assisté à ces ateliers,
12:05 c'est franchement épatant,
12:07 ça donne un sourire
12:09 à tout le monde, et quelque chose de positif
12:11 qu'on ramène avec nous.
12:13 Voilà, effectivement, c'est des gens,
12:15 Jean-Marc, par exemple,
12:17 est un personnage incroyable, il vit dans un quartier
12:19 qui est en guerre, en soirée on était avec lui,
12:21 il n'a pas pu rentrer dans son quartier parce que ça tirait
12:23 de partout, donc il a dû dormir chez une amie.
12:25 Et ces gens-là, en fait, ils travaillent
12:29 avec très souvent la faim au ventre,
12:31 et ils font tout pour essayer de sortir
12:33 un petit peu, de tirer vers l'avant
12:35 leur quartier, on a vu des artistes aussi,
12:37 des artistes qui vivent une situation dramatique,
12:39 Haïti est très connu
12:41 pour l'art haïtien, la peinture, la sculpture notamment,
12:43 on a rencontré des artistes
12:45 qui ont été chassés de chez eux,
12:47 on a fait le portrait d'un artiste
12:49 dont une grande partie des œuvres
12:51 est bloquée dans une zone tenue par les gangs,
12:53 mais qui continue dans l'endroit
12:55 où il s'est réfugié, à essayer
12:57 de créer, et qui a caché ses œuvres
12:59 chez un autre artiste.
13:01 Bref, il y a toute une communauté,
13:03 toute une solidarité qui est absolument admirable,
13:05 qui se met en place et qui nous a beaucoup impressionné.