PLACE AUX FLAMMES - Emission du 19 avril 2023

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Mercredi 19 avril 2023, PLACE AUX FLAMMES reçoit Marguerite Graff (Professeur d'Histoire-Géographie)

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00:00 Parce que tout commence par le regard que l'on porte sur les élèves.
00:09 Marguerite Graff, bonjour.
00:10 Bonjour Denis.
00:11 Merci beaucoup de nous accueillir ici.
00:14 Tu connais la règle du jeu, tu as quatre flammes à ta disposition et tu m'as demandé
00:20 une mesure dérogatoire qui consiste à mettre la quatrième flamme en numéro 2.
00:25 Donc on va dérouler ce plan des quatre flammes.
00:28 Peut-être on peut commencer si tu veux bien par la première, qui est la flamme que tu
00:33 as reçue, qui te donnera l'occasion peut-être de te présenter, de raconter ton parcours
00:38 qui est tout à fait hors norme.
00:40 Au départ, on pourrait dire que je suis assez représentative du parcours à la française,
00:48 des bons élèves qui vont après le lycée aller en prépa et puis se retrouver.
00:52 Moi je me suis retrouvée à HEC et c'est le premier jour à HEC où je me suis dit,
00:56 j'ai vu la liste des cours qu'on allait avoir et puis surtout le discours du directeur
01:01 de l'époque qui nous a accueillis en nous disant "vous êtes les Jedi de la step managerial
01:05 du troisième millénaire".
01:06 Bon, je me suis dit "oula, je ne suis pas sûre que ce soit mon plan de vie en fait".
01:12 Incroyable.
01:13 Alors je n'ai pas de regret parce que c'était aussi une chance phénoménale de pouvoir
01:18 bénéficier des partenariats qu'avait HEC.
01:20 Donc j'ai fait toute la dernière année à l'étranger, je me suis fait des amis
01:23 pour la vie.
01:24 Et puis j'ai quitté après cette école pour continuer à me chercher un peu.
01:30 Je suis partie faire ce qu'on fait quand on ne sait pas encore très bien quoi faire.
01:34 Alors on part faire du conseil, c'était encore un non-choix, enfin en tout cas c'est
01:37 comme ça que je l'ai vécu.
01:38 Et puis après je suis partie faire l'événementiel, ça c'était beaucoup plus amusant.
01:42 Mais j'avais au fond de moi en permanence l'idée que je n'étais pas encore à
01:47 ma bonne place, que je n'avais pas trouvé la place que je cherchais.
01:51 Et puis c'est venu, à force de me poser des questions, et j'ai compris à 29 ans
01:56 qu'en fait je voulais retourner auprès des jeunes.
01:59 Ça a été d'abord ça, que je voulais être auprès de jeunes, si possible aussi
02:03 de jeunes des quartiers, pas de jeunes trop favorisés.
02:07 Il m'attirait beaucoup, je le trouvais très beau.
02:12 Et puis j'ai repris des études, j'avais la chance qu'il y ait des équivalences,
02:17 donc ça m'a fait gagner un petit peu de temps.
02:18 Et puis donc depuis 2000, j'enseigne l'histoire-géographie, l'éducation civique,
02:24 et j'y tiens beaucoup parce que j'aime beaucoup les cours d'éducation civique,
02:28 on en reparlera peut-être un peu plus tard sur la flamme à transmettre.
02:31 Et voilà, à partir du moment où j'ai changé de cap, là pour le coup, j'ai vraiment
02:36 eu l'impression que j'avais trouvé ma bonne place.
02:39 Alors c'est une chance, c'est une chance aussi.
02:41 À qui dois-tu cette bonne place que tu as trouvée ?
02:43 Est-ce que c'est une rencontre que tu as faite ?
02:45 Parce que tu dis aller vers les jeunes, mais est-ce qu'il y a quelqu'un qui t'a transmis
02:49 cette flamme, cette passion, cette vocation ?
02:51 Alors il y a eu, je pense, plein de personnes différentes, y compris des profs que j'ai
02:57 beaucoup aimé quand j'étais moi-même élève, au collège, au lycée, en classe prépa aussi.
03:03 Donc ce plaisir d'être à l'école, je pense que beaucoup de profs, enfin voilà,
03:08 les gens qui n'aiment pas l'école sont assez mal représentés parmi les profs.
03:12 C'est peut-être un travers d'ailleurs.
03:14 Donc il y avait ça.
03:16 Et puis l'attirance pour la jeunesse, c'est surtout en cherchant, donc dans ces années
03:20 où j'essayais de discerner un peu, je me suis souvenue, je pense que le lien, ça a
03:25 été le plaisir que j'avais eu à faire du scoutisme et à m'occuper de plus jeunes.
03:29 Donc voilà, ce que j'avais découvert, je me demandais finalement quels ont été les
03:32 moments dans ta vie où tu t'éclatais le plus ?
03:34 Et je me suis rendue compte que c'était en particulier quand je m'étais occupée
03:37 de jeunes.
03:38 Donc voilà, c'est venu par là.
03:40 Et puis après, les jeunes des quartiers, donc effectivement j'ai passé des concours.
03:43 J'ai fait le choix de venir dans les quartiers nord-dernières, donc pas très loin d'ici.
03:50 En fait, je suis restée assez fidèle à un territoire.
03:53 Donc j'ai passé 12 ans un peu plus au nord, dans un collège, je ne dirais plus ce qu'il
03:57 s'appelle, le collège André Malraux.
03:58 Et à l'époque, il fallait être volontaire.
04:00 Il y avait tout un système pour éviter un turnover trop fort.
04:04 Malheureusement, après ce système a sauté pendant un certain temps.
04:08 Donc, on est arrivé toute une cohorte de jeunes profs.
04:11 Moi, j'étais un peu plus âgée que les autres.
04:12 Je trouvais ça super d'être avec des plus jeunes.
04:14 C'est-à-dire quel âge ?
04:16 Moi, je suis arrivée, donc j'avais 29-30 ans à ce moment-là.
04:20 Et j'étais plutôt avec des profs qui avaient 5-6 ans de moi, des jeunes profs qui avaient
04:23 aussi choisi.
04:24 Ah oui, qui avaient 24-25.
04:25 Exactement.
04:26 Pas mal de provinciaux qui faisaient le pari qu'ils venaient passer, ils s'engagaient
04:29 pour passer 4 ou 5 ans.
04:31 Ça leur permettait d'avoir un bonus de points qui leur offrait la possibilité de retourner
04:38 dans leur région d'origine.
04:39 Donc, il y avait en particulier des Bretons et des gens du Sud-Ouest qui sont restés
04:43 des bons amis.
04:44 Et on a eu la chance de rencontrer dans ce collège la génération au-dessus de nous
04:49 de vieux militants qui étaient là depuis que le collège avait ouvert au milieu des
04:53 années 70.
04:54 Et cette rencontre entre les vieux militants, la fougue des jeunes profs qui étaient plein
04:59 d'allant, on a vécu des années extraordinaires qui m'ont complètement confirmée dans ce
05:04 choix de métier.
05:05 Et en particulier un monsieur qui a été un peu mon mentor, la flamme qu'on transmet,
05:11 je pense que lui, il a vraiment une place particulière pour ça.
05:14 Il nous a accueillis, c'était facile à retenir, parce que c'était la rentrée
05:18 2001.
05:19 Donc très vite, il y a eu le 11 septembre 2001, et en fait le jour de la rentrée.
05:23 Donc, on a été accueillis à ce moment-là par la direction du collège qui, la veille
05:29 de la rencontre avec les élèves, nous tient le discours suivant en nous disant "voilà,
05:34 alors à partir de demain, en tout cas, il y a vraiment une chose qui est très importante,
05:38 c'est vous ne les quittez jamais du regard, même quand vous écrivez au tableau".
05:42 Et donc là, le trouillomètre de tout le monde est monté au maximum en se disant "mais
05:46 en gros j'ai la nuit pour apprendre à écrire à l'envers au tableau, donc ça ne va pas
05:50 être possible".
05:51 Et ce monsieur nous a pris les 20 jeunes profs à part et nous a tenu un discours absolument
06:00 inverse en nous disant "vous avez choisi, c'est un choix.
06:04 Vous avez voulu être avec les jeunes avec lesquels vous allez travailler, donc c'est
06:10 que quelque part en vous, il y a quelque chose qui vous attire, donc intéressez-vous à
06:14 eux, intéressez-vous à l'histoire du quartier, intéressez-vous à l'histoire
06:19 de leur famille, en gros aimez-les".
06:21 Et là, ce jour-là, je me souviens très bien, même physiquement de l'impression
06:26 que j'ai eue, je me suis dit "ah ben, je suis à ma bonne place".
06:29 Et ça a commencé…
06:30 C'est merveilleux, on peut citer le nom de ce monsieur ?
06:31 Oui, il s'appelle Gérard Boyer.
06:33 Voilà, hommage à monsieur Boyer.
06:35 Exactement.
06:36 Formidable.
06:37 Merci beaucoup et peut-être… moi j'ai fait un petit sondage qui n'est pas très
06:41 représentatif puisqu'on a eu la chance de rencontrer tes élèves tout à l'heure.
06:44 Alors ils nous ont dit que t'étais super cool, ils nous ont dit que t'étais très
06:49 intéressante.
06:50 Et donc ça c'est quelques années après tes débuts.
06:52 Donc je voulais saluer d'abord la performance parce qu'ils ne savaient pas qu'on allait
06:56 leur poser des questions.
06:57 Et très naturellement, bravo parce qu'ils nous ont dit combien ils étaient enthousiastes
07:04 et encouragés dans leur volonté d'étudier.
07:09 Il y avait Bac blanc hier si j'ai bien compris.
07:12 Et il y a eu un thème de géopolitique, je ne sais pas si c'est toi qui es responsable
07:17 du sujet.
07:18 En partie, pas que.
07:19 Mais sur le Moyen-Orient.
07:20 Et j'ai été très impressionné par leur connaissance du Moyen-Orient.
07:24 Écoute, alors moi j'ai été très impressionnée quand je suis devenue prof et ça se confirme.
07:29 Je n'avais pas du tout d'enseignants dans mon environnement ni familial ni amical.
07:34 Et comme tout le monde, j'avais des images.
07:37 Alors ils sont tout le temps en vacances, ils ne font pas grand chose et compagnie.
07:40 Et sincèrement, mais vraiment je suis admirative de la qualité à la fois intellectuelle et
07:46 humaine.
07:47 C'est ce que tu as dit.
07:48 C'est-à-dire que la qualité des savoirs qui sont transmis, elle est quand même extraordinaire.
07:52 Dans notre école publique en France, il faut le redire, parce qu'on est toujours très
07:56 prompt à tenir des discours assez négatifs et on ne se rend pas compte.
07:59 Moi je suis impressionnée.
08:00 Il y a plein de mes collègues que j'aimerais aller m'asseoir dans leurs cours, écouter
08:04 leurs cours.
08:05 Et puis en même temps, c'est un métier qui est d'abord un métier humain.
08:09 C'est-à-dire que même si tu as plein de connaissances, si tu ne trouves pas la clé
08:14 ou la solution pour rejoindre les élèves à un moment ou à un autre, et puis tu t'adresses
08:19 à un collectif et à des individus.
08:21 Donc il faut trouver ces clés-là.
08:22 Elles sont différentes pour chacun.
08:23 Il y a plein de façons d'être prof différemment.
08:26 Mais voilà, ça demande aussi des vraies compétences humaines.
08:31 Et l'association des deux, c'est ça que je trouve passionnant.
08:34 Tu vois, le côté à la fois quand même assez exigeant intellectuellement, parce qu'on
08:38 s'appuie sur un certain nombre de choses qui évoluent tout le temps.
08:42 Alors en histoire géo, t'imagines en géopolitique aussi.
08:44 C'est-à-dire que les cours, on les change tous les ans.
08:47 Et c'est ça qui est intéressant.
08:49 Mais c'est exigeant.
08:50 Mais c'est exigeant aussi en termes de temps.
08:51 Je disais tout à l'heure l'image des profs toujours en vacances et qui ne font pas grand-chose.
08:55 Bon, voilà, il faut vivre à côté de prof au quotidien pour se rendre compte qu'il
09:00 ne faut pas devenir prof pour travailler moins.
09:02 Ce n'est pas une très bonne idée.
09:03 Oui, là, le formulaire est belle.
09:04 Je te propose qu'on passe à la deuxième flamme qui est particulière, puisque d'habitude
09:09 c'est la dernière question qu'on pose, mais qui est la flamme que tu transmets, puisque
09:12 finalement tu es enseignante et l'enseignant transmet.
09:15 Et donc je voudrais que tu nous dises comment tu vois les choses.
09:20 Tu es une prof engagée, tu as participé à des ouvrages collectifs que je vais citer,
09:24 que je vais montrer à la caméra.
09:26 Le premier que j'ai lu qui s'appelle "Territoires vivants de la République, ce que peut l'école
09:31 réussir au-delà des préjugés".
09:33 Donc il y a quelque chose qui est à l'inverse de l'image que l'on peut avoir, en particulier
09:37 de ces territoires.
09:38 Moi, j'aimerais que tu lèves le voile un peu et que tu nous donnes des éléments.
09:43 On va y revenir.
09:44 Le dernier né, toujours collectif, avec un certain nombre de tes collègues qui ont
09:48 toujours des contributions très intéressantes, parce que chaque élève compte.
09:52 Je faisais une citation de cet ouvrage tout à l'heure.
09:54 Alors, pourquoi es-tu associée à ces travaux collectifs ? Qu'est-ce que tu apportes et
10:00 finalement quelle flamme tu transmets ?
10:01 Les ouvrages en fait proviennent du même collectif qui s'appelle, qui a repris le
10:06 nom du premier, "Territoires vivants de la République".
10:10 Autour en particulier de Benoît Fallez.
10:14 Le premier est sorti en 2018 et l'idée c'était un peu d'inverser le discours.
10:20 Évidemment, ça ne t'a peut-être pas échappé, le titre c'est un clin d'œil, en tout cas
10:27 une réponse à une expression qui malheureusement s'est un petit peu installée, on va dire,
10:32 dans l'imaginaire collectif qui est que nos territoires seraient perdus pour la République.
10:36 Parce qu'il y avait eu, il y avait eu une dizaine d'années auparavant, un ouvrage qui
10:40 s'appelait "Territoires perdus de la République".
10:41 Et en fait, nous sur le terrain, on était très attristés de voir justement comment
10:45 ce discours peut être récupéré par des gens qui ne sont jamais sur le terrain ou
10:49 qui finalement vont avoir que partie...
10:51 Oui, vous êtes assez sévère d'ailleurs par rapport à ces personnes dont vous dites
10:55 qu'ils s'expriment mais ils ne connaissent pas le terrain, ils ne vont pas dans ces quartiers,
10:59 ils ne pratiquent pas.
11:00 Mais ils ne le pratiquent pas.
11:01 Voilà, tu vois, tu as vu en quelques minutes là, dans le hall du lycée, tu échanges
11:04 avec quelques gamins et qu'est-ce que tu me dis ?
11:06 C'est réjouissant.
11:07 C'est réjouissant et ils sont formidables.
11:09 Ils sont lumineux.
11:10 Voilà, c'est le grand privilège aussi du métier de prof, c'est que la jeunesse est
11:14 belle et la jeunesse de nos quartiers, elle est largement aussi belle et aussi intéressante.
11:18 Tu as peut-être même un petit supplément d'âme, une énergie, une faim en plus ou
11:23 un, voilà, quelque chose à prouver ou des comptes à régler qui peut la rendre aussi
11:26 parfois un peu brouillonne, mais plus belle aussi, souvent.
11:30 Oui, je me permets de t'interrompre parce que quand on t'écoute, on peut...
11:34 Je ne voudrais pas que les gens qui vont nous écouter et t'entendre se disent bon, elle
11:39 est un peu ravie, un peu enthousiaste, c'est too much, ce n'est pas tout à fait la réalité.
11:43 En fait, c'est la réalité.
11:44 C'est-à-dire que tu es la réalité, tu dis la réalité.
11:47 C'est-à-dire que tu n'es pas une illuminée avec une exception parce que tu as des élèves
11:51 triés sur le volet.
11:52 Moi, je t'ai vu déambuler, je t'ai vu leur parler.
11:54 D'ailleurs, tu as une autorité naturelle, ils te respectent.
11:57 Et donc, c'est très à l'encontre effectivement de tout ce qu'on a pu lire, de tout ce qu'on
12:03 a pu entendre, d'un discours très pessimiste sur ces jeunes.
12:07 Mais en fait, tout n'est pas facile.
12:10 Il y a des jours où je suis en pétard.
12:12 Ils sont comme tous les jeunes, comme mes enfants.
12:15 C'est-à-dire que j'ai aussi des grands adolescents à la maison et parfois, je leur demande d'éteindre
12:21 leur portable, de se mettre au travail.
12:22 Ça ne marche pas toujours à la maison.
12:24 Tu me rassures.
12:26 Donc, ça ne marche pas non plus avec les élèves qu'on a ici dans ce lycée.
12:32 Alors, parfois, quand les difficultés sont trop concentrées, quand il y a quand même
12:37 des difficultés sociales dans certains territoires qui sont plus concentrées, qui rend les choses
12:41 plus difficiles pour les élèves d'abord.
12:44 C'est-à-dire que c'est eux qui en sont les premières victimes.
12:45 Et c'est vrai que tous les cours ne sont pas extraordinaires.
12:49 On n'arrive pas non plus à faire des miracles tous les jours.
12:51 Mais ce qui est extraordinaire, c'est de voir que le désir d'école, il est toujours
12:54 là.
12:55 L'envie que le futur soit désirable, ça ne change pas de génération en génération.
13:01 Oui, il y a des choses qui changent.
13:03 Ils ont dans la main des portables.
13:04 Nous aussi, on les utilise.
13:07 Peut-être qu'ils maîtrisent moins bien l'orthographe, mais ils savent faire d'autres choses.
13:11 Si on fantasme, en fait, l'école, les gens imaginent toujours que c'est l'école qu'ils
13:17 ont connue, qu'ils fantasment largement.
13:18 Qu'ils ont quitté il y a 30 ans.
13:19 Qu'ils ont quitté et souvent, ils n'ont pas non plus forcément été très heureux.
13:22 Ou alors, ils fantasment une école encore plus ancienne qu'ils n'ont pas connue, qui
13:24 serait quand même quelque chose qui est très présent sur le fantasme de l'école de la
13:27 Troisième République.
13:28 Mais cette école de la Troisième République, elle a sauté des.
13:34 Elle a été aussi une école qui a pris à le bras le corps des difficultés.
13:39 Justement, Benoît me racontait, il travaillait sur des archives de l'inspection nationale
13:44 et il voyait au tout début, je pense que c'était même fin 19e, des rapports d'inspecteurs
13:49 qui allaient en province et en particulier en Vendée.
13:52 Un inspecteur qui racontait que le prof qu'il inspectait commençait son cours sur la Révolution
13:58 et tous les élèves se sont retournés par refus d'enseignement.
14:04 Et le rapport de l'inspecteur raconte que le prof a laissé tomber ce cours, a dit "bon
14:09 c'est pas grave, aujourd'hui on va faire de la grammaire, on y reviendra".
14:12 Et l'inspecteur dit "il a bien fait".
14:14 C'est-à-dire qu'il les a pas pris de façon frontale.
14:16 Donc, on fantasme un peu une école dans laquelle il n'y aurait jamais eu de difficultés avant,
14:21 mais il y en aura toujours et elles sont différentes.
14:24 Voilà, à force quand même, on arrive à mettre au point un peu des stratégies pédagogiques
14:28 et c'est pas un gros mot, la pédagogie c'est quelque chose de passionnant, c'est-à-dire
14:31 se dire "là j'ai tel sujet, le conflit israélo-arabe ou les mémoires de la guerre
14:37 d'Algérie ou la laïcité, comment je vais m'y prendre pour qu'ils comprennent des
14:43 choses ?" Et donc faire ce détour, prendre un peu de temps en fait, en lisant par exemple
14:49 le texte, enfin un extrait de texte des identités meurtrières d'Amin Mahalouf, ça permet
14:54 en particulier de désamorcer des conflits qui peuvent être des conflits de loyauté,
14:59 d'être les jeunes, comme certains, on peut avoir parfois l'impression que certaines
15:05 de nos appartenances rentrent en conflit ou les unes avec les autres et quand on est adolescent
15:09 c'est particulièrement vif.
15:12 J'ai eu la chance d'être formée d'ailleurs par une association de profs d'histoire américain
15:17 qui s'appelle Facing History and House Health.
15:19 Oui, dont tu parles dans le ouvrage.
15:20 J'essaie de prononcer bien.
15:21 Absolument, absolument.
15:22 Et en fait c'est des historiens américains qui se sont dit il faut que les cours, alors
15:28 pour eux c'est effectivement l'histoire un peu au sens large, donc ça comprendrait
15:31 l'éducation civique pour nous, les humanités on va dire de façon un peu plus large, comment
15:36 faire pour que ces cours-là les aident à devenir des citoyens en pleine possession
15:41 de leurs moyens, responsables, capables de poser des choix.
15:44 Donc c'est un peu ce qu'on cherche aussi nous.
15:47 Et leur idée ça a été de dire il faut qu'on leur laisse du temps pour qu'ils puissent
15:54 exprimer de temps en temps, ça veut pas dire à chaque cours, mais leurs aspirations, leurs
15:59 idées, leur avis.
16:00 C'est-à-dire que si on est tout le temps dans le descendant, on peut pas leur dire
16:04 après "alors vous avez pas compris ce que c'est que la démocratie, il faut qu'elle
16:07 se vive aussi, ça ça s'apprend".
16:09 Alors on progresse un peu, le grand oral peut-être va aider cette nouvelle épreuve du bac parce
16:14 qu'on se dit qu'il faut les entraîner plus à l'oral, donc ça ça aide aussi à
16:18 laisser un peu plus de temps pour cette expression.
16:19 Mais c'est aussi de pas hésiter parfois à aller un peu plus loin, y compris avec
16:26 je trouve leurs aspirations.
16:28 Ce que je trouve merveilleux chez les jeunes c'est que dès qu'on gratte un peu l'envie
16:33 de justice, que leur vie ait un sens plus tard, que les choses aient un sens, que de
16:39 se sentir utile, c'est quand même très accessible rapidement.
16:44 Et en fait il y a une attente aussi de ça, donc il faut pas se priver, nous, adultes,
16:49 de leur offrir des opportunités pour qu'ils puissent vivre ces choses-là.
16:53 Je te propose qu'on passe au troisième chapitre, qui est peut-être la flamme qui
17:20 éclaire, ce que tu as envie d'éclairer particulièrement.
17:24 Et peut-être j'ai une question à te poser parce que je discutais avec Ryan qui est
17:28 l'un de tes élèves, qui a une révélation incroyable, il m'a parlé du théâtre,
17:32 parce que tu l'as dit au début, mais je voudrais qu'on y revienne, c'est qu'on
17:35 est dans un lycée un peu particulier, parce qu'il y a des spécialités, théâtre
17:38 et musique en particulier, et j'aimerais bien que tu nous dises le rôle spécifique
17:43 de ces spécialités.
17:44 On a des profs de théâtre et de musique qui sont extraordinaires, vraiment extraordinaires.
17:49 Avec des sorties aux amendiers, au théâtre du Rond-Point ?
17:51 20 fois par an, voire des spectacles.
17:53 Mais nous on n'a jamais eu ça nous.
17:54 Ben non, non, non.
17:55 Enfin je ne sais pas où tu étais Denis.
17:59 Et puis pareil en musique, il y a ceux qui le choisissent en spécialité, donc là
18:03 avec le nouveau bac, un peu comme s'ils vont faire 4 heures par semaine en première,
18:09 et puis ensuite ceux qui le gardent en terminale ils en feront 6 heures par semaine.
18:11 Donc ça veut dire que vraiment ça prend une part importante.
18:14 Je t'invite Denis à venir le 15 février écouter la chorale du lycée de Renoir.
18:19 C'est la jeunesse de France ensemble en train de chanter des chants de la musique sacrée,
18:26 de la musique contemporaine, du rock, de la pop, de tout.
18:32 Tous les styles.
18:33 Et pour moi qui ne suis prof ni en musique ni en théâtre, de voir les élèves que
18:40 je peux voir d'une façon, d'avoir un regard de la prof d'histoire-géo ou de géopolitique,
18:45 de voir les mêmes élèves se révéler en général dans une de ses spécialités,
18:52 c'est aussi un énorme enrichissement.
18:53 J'adore aller voir, assister aux représentations ou aux concerts parce que tu les vois vraiment
18:57 différemment.
18:58 Donc c'est chouette.
18:59 Je ne t'ai pas posé la question tout à l'heure, pourquoi tu as choisi l'histoire-géo
19:03 et pas les mathématiques ? Parce qu'après tout si tu as fait HEC tu as fait des mathématiques.
19:06 Pourquoi l'histoire-géo et même la géopolitique ?
19:09 Alors en fait je pense que c'était ce qui me paraissait à l'époque le moins rébarbatif.
19:14 Et je n'ai absolument aucun regret, je trouve ça passionnant.
19:18 La géographie, j'avais l'impression que j'allais donner le goût du voyage à mes
19:23 élèves.
19:24 J'avais adoré voyager quand j'étais étudiante, je t'avais dit que la dernière année je
19:27 l'avais fait en partie aux Etats-Unis et l'autre partie au Brésil.
19:30 Donc il y avait cette soif du monde, de découvrir du monde, donc ça c'était la géographie.
19:34 Et puis l'histoire, c'était par goût, je me dis si j'arrive à les intéresser,
19:44 l'histoire est une porte dentée pour comprendre le monde et pour comprendre nos histoires,
19:48 leurs histoires à eux, se réconcilier sur toutes ces mémoires qui peuvent finalement
19:55 nous ramener tous ensemble, c'était un petit peu le choix.
19:57 Ça me paraissait aussi vraiment moins rébarbatif que des sciences dures on va dire.
20:03 Est-ce que tu veux éclairer d'autres choses ou d'autres points de ta flamme avant de
20:08 conclure ?
20:09 Je crois que j'ai dit à peu près, dans les flammes que je voulais reprendre pour
20:14 éclairer c'était à la fois éclairer la beauté de ce que fait l'école sans nier
20:20 les difficultés, parce qu'elles existent, sans nier parfois aussi l'épuisement que
20:25 peuvent ressentir les gens sur le terrain.
20:26 Il y a eu beaucoup de réformes successives, on ne se rend pas compte, mais en fait les
20:33 profs sont des bons exécutants, ils finissent par faire le dos rond, par exécuter les choses
20:38 et puis hop, cinq ans après on leur redit qu'il faut tout changer.
20:40 Donc moi je trouve qu'en 20 ans d'enseignement, j'ai déjà vu un certain nombre de réformes,
20:46 on m'a déjà dit un certain nombre de fois "non mais non là ce que vous avez fait
20:48 là en fait ça ne sert à rien, on va tout refaire".
20:50 Donc en fait il y a une sorte d'épuisement et je trouve qu'il faut qu'on se rende
20:56 compte qu'une vraie réforme ça devrait se faire dans un temps long et pas en deux
20:59 ans pour répondre à un agent d'un politique.
21:01 - Combien de temps ? Un temps long ? - Un temps long c'est une réflexion de
21:04 je ne sais pas peut-être au moins cinq ans collective en se demandant mais qu'est-ce
21:07 qu'on veut vraiment avec les enjeux d'aujourd'hui du 21e siècle, avec les nouvelles façons
21:11 de s'informer, de réfléchir, l'intelligence artificielle, qu'est-ce qu'on veut que notre
21:17 jeunesse acquiert comme compétences et je pense qu'on est allé trop vite à chaque
21:24 fois et donc ça produit de l'épuisement mais en même temps les profs sont des bons
21:33 soldats qui font avancer les choses.
21:35 - Alors peut-être tu pourrais nous dire un petit mot des fake news ou des théories
21:43 complotistes etc. parce que quand on est prof d'histoire on touche à ces sujets qui
21:46 est où est la vérité, la vérité historique, tu en parles dans l'ouvrage collectif, comment
21:52 traites-tu cette question qui est quand même très dans l'actualité ?
21:57 - La bonne nouvelle c'est que ça fait partie des programmes maintenant justement de l'EMC
22:02 donc de l'éducation aux médias, ça fait partie des programmes d'essayer de décortiquer
22:06 avec eux déjà le fonctionnement.
22:07 Quand on a commencé à y réfléchir sur les théories du complot donc il y a effectivement
22:12 un des chapitres dans le premier des livres, on l'a fait un petit peu de façon empirique
22:16 parce qu'on se rendait compte que par exemple sur des choses qui nous paraissaient assez
22:21 simples comme le 11 septembre, il y a quelques années les deux tiers des élèves de certaines
22:26 classes étaient convaincus qu'en fait ça avait été un complot du gouvernement américain
22:31 donc voilà quand on se retrouvait face à des croyances de cet ordre là de nos élèves
22:36 on s'est dit bon il faut bien qu'on travaille dessus.
22:38 Alors moi ça va dépendre des années parce que j'aime pas toujours être dans la répétition
22:44 donc pendant plusieurs années j'avais fait faire des fausses théories du complot aux
22:50 élèves après qu'on en ait décortiqué des vrais.
22:52 C'est vrai que je passe pas mal de temps par exemple à expliquer les protocoles des
22:57 sages de Sion parce que ça fait encore des dégâts aujourd'hui y compris.
23:01 Tu peux expliquer ça ? Alors les protocoles des sages de Sion c'est
23:03 un faux texte qui a été fabriqué de toute pièce au tout début du XXe siècle dans
23:07 l'entourage du tsar pour discréditer en fait les juifs russes.
23:11 Il y avait autour de Nicolas II une volonté de se dire si on les discrédite on va "sauver"
23:18 les difficultés et Nicolas II après avoir donné son accord pour la fabrication de ces
23:23 protocoles, un certain Golovine a fabriqué ces protocoles qui sont un écrit qui s'est
23:29 inspiré d'un pamphlet qui était contre Napoléon III.
23:32 Il a quasiment transposé en changeant.
23:34 Et finalement Nicolas II a décidé de ne pas utiliser ce faux document mais entre temps
23:41 il avait fuité et il a fuité, il a nourri le nazisme.
23:46 Ce qui était une manipulation.
23:47 C'était complètement une manipulation et encore aujourd'hui alors que ça a été
23:52 prouvé de façon très scientifique que le document est absolument faux, on sait complètement
23:57 comment il a été fabriqué mais il s'est répandu dans les années 1920 et 1930 et puis
24:03 même malheureusement après la deuxième guerre mondiale il a ressurgi et on peut le
24:06 retrouver encore en tête de gondole aujourd'hui dans un certain nombre de pays arabes.
24:10 Donc voilà quand on leur raconte toutes ces choses là on vient mettre de la connaissance
24:15 à la place de la croyance et donc ça aide.
24:18 Et donc quand ils avaient compris comment ça fonctionnait on essayait de voir aussi
24:23 toutes les caractéristiques, faire une sorte de portrait robot de ce que c'est qu'une
24:26 théorie du complot.
24:28 Et ça peut faire des cours assez amusants parce que quand même on trouve sur les réseaux
24:31 sociaux des trucs assez énormes donc qui comprennent au bout de plusieurs exemples
24:37 pas aussi lourds que les protocoles, on peut venir sur des choses plus légères.
24:40 Ils en fabriquent eux-mêmes et ils s'amusent beaucoup.
24:43 Donc j'ai eu des choses extraordinaires donc voilà avec beaucoup beaucoup d'humour.
24:47 Il y a peut-être une dernière phrase que tu prononces dans un des ouvrages auxquels
24:53 tu as participé c'est "notre sujet c'est de construire du nous avec des jeux".
24:58 Il y a quelque chose de très collectif dans ton travail.
25:01 Quand on parlait de faire du nous avec du jeu c'était je pense plutôt avec des jeux
25:07 c'était plutôt avec les élèves, se dire que là on les a tous ensemble et s'ils
25:12 vivent des choses qui vont faire qu'ils vont mieux se comprendre, ne pas être enfermés
25:17 dans des stéréotypes.
25:18 Le contrôle continu fait qu'on est un tout petit peu moins le nez sur les programmes
25:23 parce que c'était quand même un petit peu avant la course, il faut que j'avance
25:29 dans mes programmes donc je ne m'autorise pas à faire des choses qui seront peut-être
25:32 plus marquantes pour les élèves.
25:33 Maintenant qu'il y a le contrôle continu peut-être qu'on s'autorise un peu plus
25:37 et puis les profs de langue sont assez en avance pour ça, sur les jeux de rôle, sur
25:46 les mises en situation, les tâches finales comme ils disent et donc nous on commence
25:49 à le faire aussi en histoire géo.
25:50 Moi je me souviens qu'au collège justement je commençais le cours de 6ème sur la population
25:55 mondiale en ayant enlevé les chaises et les tables et puis je mettais au mur les continents
26:00 et je leur demandais d'aller se répartir comme ils pensaient qu'était répartie
26:04 la population mondiale.
26:05 Alors ils allaient tous en Afrique parce qu'ils entendaient quel est pour vous le
26:11 continent qui vous tient à cœur donc c'était intéressant et puis après on mettait des
26:14 tables qui représentaient où il y avait des chaises et puis c'était les richesses,
26:18 comment on les représente et puis après ils montaient sur les tables, c'était le
26:21 PIB par habitant donc ça faisait un peu de bruit donc on ne le fait pas tout le temps
26:24 mais voilà on le fait de temps en temps.
26:27 Ce qui est assez plaisant c'est de se dire qu'il peut y avoir des surprises dans les
26:31 cours, c'est à dire que les élèves arrivent sans forcément savoir, ce matin par exemple
26:36 j'ai fait un cours sur les transitions démocratiques en Espagne et au Portugal et en fait j'avais
26:41 accroché au mur toutes sortes de documents, j'avais bougé les tables et en fait les
26:45 élèves devaient aller chercher les documents, non pas en restant assis, en cherchant assis
26:51 à leur table mais en bougeant dans la salle.
26:52 Voilà et ça je le fais cette fois là.
26:55 Un jeu de poste mural.
26:56 Voilà c'est juste pour bouger un peu, c'est pas vraiment un jeu mais c'est un petit
27:00 peu une petite rupture de l'équipe.
27:03 Un grand merci Marguerite, est-ce qu'il y a un point que tu veux ajouter peut-être
27:07 à notre conversation ? Non tout va bien merci.
27:11 Un très grand merci, merci grâce à toi on est revenu à l'école, on aurait très
27:16 envie d'aller dans ta classe pour écouter tes cours.
27:18 J'invite tous ceux qui nous ont regardé, qui nous regardent à consulter ces deux livres
27:24 donc "Territoires vivants de la République" et non pas perdus de la République et puis
27:29 "Parce que chaque élève compte" tous nos voeux, un grand bravo, un grand merci aussi
27:34 à tes élèves et puis on leur souhaite le meilleur pour l'avenir et j'espère qu'on
27:38 va revenir dans ce bel établissement.
27:40 Vous êtes les très bienvenus.
27:41 Merci Marguerite.
27:42 Merci Denis.
27:43 [Musique]

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