L’interview d’actualité - Didier Pleux

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Julia Vignali


Didier Pleux est docteur en psychologie du développement. Il vient de publier « L'éducation bienveillante, ça suffit ! », chez Odile Jacob. « Ce type d'éducation, à la base, était positive », explique-t-il. Cependant, cette méthode anglo-saxonne a été trop francisée et est devenue une sorte de « Dolto New Age », c'est-à-dire, moins de parents et d'autorité avec plus de liberté.
Transcript
00:00 Bonjour Didier Pleu, merci d'avoir accepté notre invitation, merci d'avoir eu la bienveillance d'accepter notre invitation.
00:07 Alors justement, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu'est l'éducation bienveillante ?
00:12 L'éducation bienveillante à la base c'était l'éducation positive, c'est-à-dire des modèles anglo-saxons d'apprentissage
00:19 pour que les enfants puissent, dans leur zone d'inconfort, exceller.
00:23 Mais c'est devenu chez nous, j'ai appelé ça la French Touch, c'est-à-dire c'est devenu chez nous une sorte de "Dolto New Age",
00:29 c'est-à-dire on a repris exactement ce que proposait Dolto, c'est-à-dire beaucoup de liberté, beaucoup d'autonomie, moins de parents, moins de verticalité,
00:37 et ce qui fait que c'est ça qui a généré ma petite colère, c'est-à-dire qu'il n'y a rien de changé.
00:42 Avec la bienveillance, on est arrivé à affaiblir l'autorité parentale et on a des petits enfants qui deviennent de plus en plus tyranniques,
00:48 c'est ce que je vois en consultation.
00:50 Justement, qu'on soit bien précis, qu'est-ce que vous reprochez exactement à l'éducation bienveillante ?
00:55 C'est que les parents n'ont plus de place, c'est ça ?
00:58 L'éducation bienveillante, c'est-à-dire tout est fait pour l'enfant, tout est fait pour son développement personnel, tout est fait pour son respect,
01:04 et moi je suis d'accord, tout est fait pour accueillir ses émotions, je suis d'accord, mais il manque le principal,
01:08 c'est-à-dire il manque ce que j'appelle la tolérance aux frustrations, c'est-à-dire que ces programmes-là éducatifs n'incluent pas du tout
01:16 ce que j'appelle l'effort, le déplaisant, en fait tout ce qui concerne le principe de réalité.
01:22 On ne peut pas mettre un enfant tout le temps dans un principe de plaisir en communiquant, en étant dans l'empathie affective, etc.
01:28 Il faut aussi lui apprendre qu'il y a des côtés de la vie qui ne sont pas faciles et c'est un apprentissage,
01:33 mais dans ce cas-là, il faut une certaine conflictualité de la part des parents et non pas simplement de l'amour.
01:38 Il faut de l'amour, frustration sans amour, ça ne marche pas.
01:41 Il faut les deux. Vous n'êtes pas tout de même en train de nous dire, Didier Pleu, qu'il faut revenir aux années 50
01:45 où l'autoritarisme prédominait dans l'éducation.
01:48 À l'époque, l'épanouissement de l'enfant était loin d'être une priorité.
01:52 On est d'accord que ce n'est pas ce retour-là que vous préconisez ?
01:55 Ah non, non, non, je t'ai toujours dit, moi je suis né dans les années 50.
01:58 Si mes parents avaient lu Françoise Gaultot, j'aurais été satisfait de savoir qu'ils me respectaient.
02:03 Mais le problème, c'est que j'assiste en ce moment à une espèce de mouvement de balancier.
02:09 C'est-à-dire que quand j'entends maintenant « il faut y aller, reprenez l'autorité, file dans ta chambre »,
02:13 moi j'ai connu le « file dans ta chambre ».
02:15 C'est mieux que de continuer de tergiverser de communauté, de réexpliquer la règle, etc.
02:20 De dire « on arrête, on casse la relation, on interrompt ».
02:23 Là, je suis d'accord avec ça, mais c'est ce que j'appelle de l'autorité en aval.
02:27 C'est-à-dire, comment ça se fait qu'un enfant en arrive à piquer des colères, etc.,
02:32 et nous excède au point qu'on lui dise « va dans ta chambre, il faut reprendre tout en amont ».
02:36 Et c'est ça ma crainte, parce que les parents en ce moment me disent « oh ben, feu vert finalement,
02:40 on peut de toute façon piquer une petite colère, c'est bon pour l'enfant ».
02:43 Je dis « attention, attention, pourquoi votre enfant en est arrivé à ce genre de comportement ? ».
02:48 Et c'est là mon histoire de « il n'a sans doute pas appris qu'on ne peut pas répondre à toutes ces demandes,
02:53 il n'a pas appris qu'il y a des autres qui existent. »
02:56 On nous a dit que l'empathie était naturelle,
02:58 si vous allez dans une crèche, vous allez voir si les enfants prêtent leur meilleur jouet aux voisins.
03:03 Non, tout ça c'est du bisounours, c'est du rêve, il faut rapprendre,
03:06 avec beaucoup de respect de l'enfant, beaucoup d'amour,
03:09 il faut réapprendre ce que j'appelle simplement le principe de réalité,
03:12 c'est-à-dire que tu n'es pas le plus beau, tu es quelqu'un de formidable, de singulier,
03:16 les autres existent et surtout, ce n'est pas parce que tu as un haut potentiel que tu vas réussir à l'école,
03:21 il faudra que tu t'exerces tous les soirs, du solfège pour la musique,
03:24 des exercices pour les maths, des entraînements pour le sport, bref, du dès présent.
03:28 Et dites-moi, vous préconisez donc une éducation, vous dites, rationnelle, avec une autorité juste,
03:34 c'est quoi une autorité juste ? Comment on sait qu'on est dans la justesse de cette autorité en tant que parent ?
03:39 – Bien sûr, c'est dur, il n'y a pas de définition, mais une autorité juste,
03:43 ça veut dire qu'il faut que l'enfant accepte qu'il y a quelqu'un en-dessus de lui.
03:47 Moi, je me souviens de débats avec des collègues psy qui n'étaient pas de mon obédience,
03:51 ils me disaient toujours, "peu pas d'hierarchie dans la famille",
03:53 je suis désolé, l'adulte c'est à la verticale, donc il sait plus de choses que l'enfant,
03:58 donc c'est lui qui transmet, c'est lui qui parfois est conflictuel, qui déséquilibre,
04:02 on l'a dit, qui gratifie, l'autorité juste, c'est quelqu'un qui sait justement,
04:07 comment dire, harmoniser la gratification, le sympathique, le partage,
04:12 il n'est pas question de retourner au blues, mais qui sait aussi être déséquilibrant
04:17 et parfois pas très agréable, c'est ça l'autorité juste,
04:20 mais c'est faire avec, mais en exigeant beaucoup de choses,
04:23 et puis comme vous parliez d'éducation rationnelle,
04:26 une autorité juste c'est quelqu'un de très réaliste, qui a beaucoup de bon sens,
04:30 et nous on travaille surtout sur l'acceptation,
04:32 est-ce que l'enfant va s'accepter dans ses talents et ses inconforts, ses déficits,
04:36 ou est-ce qu'il va accepter les autres ? Acceptation.
04:38 Alors nous sommes en période de vacances scolaires,
04:40 beaucoup de grands-parents nous regardent et ont justement la garde de leurs petits-enfants,
04:44 certains sont des petits-enfants rois, comme vous le disiez,
04:47 est-ce qu'ils sont condamnés ces grands-parents justement,
04:50 à poursuivre cette éducation bienveillante qui aurait été donnée par les parents ?
04:54 J'imagine qu'on ne peut pas refaire une éducation en 15 jours, non ?
04:57 Non, c'est un petit peu difficile, mais c'est vrai qu'il ne faut pas non plus baisser la garde,
05:03 je vois beaucoup de grands-parents qui me disent "écoutez, si c'est pour avoir des histoires avec nos enfants,
05:07 parce qu'on n'est pas d'accord sur l'éducation, autant tout laisser tomber".
05:10 Non, je ne pense pas, même si c'est des petits moments où ça va être différent de l'éducation de leurs parents,
05:15 ils vont voir que les enfants sont très sécurisés, qu'ils apprécient ça,
05:19 moi j'ai eu mes petites-filles pendant les vacances de Pâques,
05:21 c'est évident que je ne fais pas exactement la même chose que mon fils,
05:24 oui, j'ai tondu la pelouse, il faut qu'elle m'aide à ramasser l'herbe,
05:27 et on en fait un jeu, et puis le soir on va jouer à un guignol,
05:30 mais ce n'est pas elle qui décide du moment du guignol, c'est moi qui les aide,
05:33 elles ont 11 ans et 7 ans, c'est moi qui vais les aider pour transcrire le scénario,
05:38 enfin je suis là présent, mais elles m'aident à la table, elles m'aident etc.
05:42 Alors bien sûr il y a un petit côté, sans doute, bâille de temps en temps,
05:44 elles me regardent d'un air de délire, "eh bien non, il n'est pas marrant le papy là",
05:47 mais elles savent que j'écris des bouquins pas marrants,
05:49 mais c'est quand même la fête ensemble, et puis ensuite,
05:52 quand les parents reviennent, elles me disent "mais qu'est-ce qu'elles sont calmes",
05:55 je ne dis rien, je dis "revoir mes livres".
05:58 - Dites-moi Didier, vous ne vous êtes jamais laissé tyranniser par vos petits-enfants, sérieux ?
06:03 - Ah bah si, au début, parce qu'il y avait un gap entre ce que enseignait mon fils,
06:08 malheureusement, nous ne les profètes en ce pays, ce que je proposais,
06:11 mais ça se rattrape très très vite, je répète, quand elles arrivent en disant
06:14 "je veux voir ça sur l'écran", les écrans on les supprime,
06:17 quand elles disent "on veut faire ci, on veut faire ça", on attend, je ne fais rien,
06:20 je suis en train de lire un bouquin, excuse-moi, je ne suis pas à ta disposition,
06:23 je ne suis pas animateur de Club Med, donc il y a un petit choc frontal au début,
06:26 mais après ça se passe bien, parce qu'il n'y a pas que ramasser l'herbe,
06:29 on rigole, je vous dis, on fait du guignol, et moi je suis le grand dragon dans le guignol.
06:33 - Eh bien écoutez, vous avez l'air drôlement sympa, papy Didier,
06:36 en tout cas merci Didier Pleu pour cet éclairage ce matin,
06:39 je rappelle, la sortie de votre livre, juste "L'éducation bienveillante",
06:42 ça suffit, parue chez Odile Jacob, vous avez une question Thomas ?
06:45 - On peut quand même être un peu papagateau de temps en temps,
06:48 on peut quand même céder un peu à leur caprice, un petit peu quand même.
06:51 - Oui Thomas, oui, mon histoire c'est amour et frustration,
06:54 si vous me voyez en train de nager à la piscine avec mes petits-enfants,
06:57 vous me diriez "mais c'est pas du full gas qu'on allume", non, non, on rigole,
07:00 mais on remet sur les rails des choses après, les deux.
07:04 - Voilà, frustration et amour, c'est ça la clé.
07:06 - Moi je vais le lire ce livre.
07:07 - Oui, oui.
07:08 - Je crois que votre fils veut vous appeler en revanche, je crois que vous allez avoir un coup de fil.

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