Chroniqueuse : Julia Vignali
Julia Vignali reçoit le sociologue Jean Viard pour parler notamment du travail et plus précisément du rapport que les Français ont au travail en ce temps de crise et de réforme des retraites.
Julia Vignali reçoit le sociologue Jean Viard pour parler notamment du travail et plus précisément du rapport que les Français ont au travail en ce temps de crise et de réforme des retraites.
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00:00 Bonjour Jean-Viard, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:03 Avec le projet de réforme des retraits que nous vivons actuellement,
00:06 se pose forcément la question des Français et leur rapport au travail.
00:10 Est-ce que déjà vous pourriez nous dire si les Français aiment travailler ?
00:14 On est un des pays où on est très attaché au travail.
00:16 Et on est un pays où on est très productif.
00:18 Donc il faut avoir ça dans la tête si vous voulez.
00:20 Mais c'est vrai que la grande pandémie a complètement bousculé.
00:23 C'est-à-dire modifié le rapport au travail, le rapport du couple, le rapport à la ville.
00:27 On a tellement réfléchi, on a eu peur, etc.
00:29 C'est pour ça qu'il y a un million de couples qui ont explosé,
00:30 deux ou trois millions qui ont changé de boulot, etc.
00:33 Aux États-Unis, c'est 30% des gens qui ont changé de boulot.
00:35 Mais qu'est-ce qui se passe dans le monde du travail ?
00:36 Une chose simple, chaque époque a une culture du temps, si vous voulez.
00:40 Il y a eu les périodes où c'était religieux et agricole.
00:42 On travaillait beaucoup à la récolte des saisons, etc.
00:44 Après, on a inventé le monde industriel.
00:47 Et avec, on va dire, le Fordis en casse.
00:48 Là aussi, on travaillait beaucoup.
00:49 On travaillait beaucoup avec une structure très hiérarchique,
00:52 des horaires très précis, on comptait les minutes, etc.
00:54 Mais c'était un modèle de toute la société.
00:56 C'est-à-dire le modèle du travail, il devait être, j'allais dire, le modèle du couple,
00:59 où la femme obéissait à l'homme, c'est caractéristique un peu.
01:01 Et pareil, la politique.
01:03 Nous, on est dans une autre société.
01:04 Notre espérance de vie aujourd'hui, elle est de 700 000 heures.
01:06 En 45, elle était de 500 000 heures.
01:08 La durée légale du travail en France, par ordre à la retraite,
01:11 c'est 70 000 heures aujourd'hui.
01:13 - Donc on passe un dixième de notre temps au travail.
01:16 - Donc ça veut dire quoi ?
01:16 Alors qu'après-guerre, la durée du travail, c'était 120 000 heures,
01:19 essentiellement masculine, sur une vie de 500 000 heures.
01:21 Quand vous aviez dormi 200 000 heures,
01:23 en gros, une fois que vous aviez fini de dormir et de travailler,
01:25 vous restez pas énormément de temps.
01:26 Nous, quand on a fait 30 000 heures d'études, 70 000 heures de travail,
01:29 200 000 heures de sommeil, 300 000 heures.
01:32 Comme on vit 700 000 heures, il en reste 400 000.
01:34 - Donc c'est quoi ? C'est une société de loisirs ?
01:36 - Bien sûr que c'est une société de loisirs, d'études, de voyages, de télévision.
01:40 La télévision, c'est 100 000 heures, par exemple.
01:42 Depuis qu'on a inventé la télévision, la vie a augmenté de 100 000 heures.
01:45 On les passe entièrement dans la télévision.
01:47 Moi, je trouve que c'est une bonne nouvelle,
01:48 parce que ces 100 000 heures prises sur le cimetière,
01:49 vous voyez, il faut le regarder comme ça.
01:51 - Il faut le prendre du bon côté, déjà.
01:52 - Non, mais ça veut dire une chose,
01:52 c'est que les codes sociaux se construisent dans le hors-travail.
01:55 Le rapport aux autres, le rapport aux vêtements et surtout…
01:58 - C'est pour ça que les gens sont dans la rue actuellement ?
01:59 C'est parce qu'ils veulent plus…
02:01 Pourquoi ils ne veulent pas de cette réforme ?
02:02 - Il y a deux choses.
02:03 Il y a d'une part qu'elle est très mal présentée.
02:05 On parle de justice, personne n'a vu où il y avait de la justice.
02:08 Qu'il y ait de la nécessité financière, on peut très bien l'accepter.
02:11 Et la deuxième chose, c'est que dans le hors-travail,
02:13 on a le pouvoir sur son emploi du temps.
02:16 Et donc, petit à petit, on a intégré ce pouvoir.
02:18 Je travaille quand je veux, je m'habille quand je veux, etc.
02:21 C'était l'idée des 35 heures, c'est l'idée du télétravail.
02:23 C'est d'ailleurs la question de la semaine de quatre jours
02:25 pour ceux qui n'ont pas de télétravail.
02:26 Et d'un coup, on vous dit 64 ans.
02:28 Non, on ne veut pas d'âge.
02:29 - C'est trop rigide, vous voulez dire.
02:30 - C'est parce que ça vous angoisse.
02:32 Vous avez d'un coup l'idée qu'il y a un âge.
02:33 Pour vous dire, vous allez mourir à 84 ans,
02:35 on pourrait aussi vous dire, après 84 ans, on vous supprime la vie.
02:37 Non, il faut se dire qu'il y a des gens qui ont envie de travailler plus longtemps,
02:40 moins longtemps, il y a des gens qui peuvent.
02:42 44 % des Français veuillent s'arrêter plus tôt
02:45 parce qu'on hérite à 63 ans.
02:47 60 % des gens héritent la maison de leurs parents.
02:49 Donc, peut-être qu'ils vont la louer après tout, la retraite, c'est un cas de complément.
02:52 On est une société d'extraordinaire liberté.
02:55 Il y a un chiffre que je donne toujours, 63 % des bébés naissent hors mariage.
02:58 Ça veut dire qu'on n'a plus envie de passer dans les codes,
03:00 le mariage, le vote obligatoire, etc.
03:02 Mais ça ne veut pas dire qu'on travaille moins.
03:04 Simplement, on travaille, j'allais dire, à sa main.
03:06 Autrement. Et avec plus, effectivement, de maîtrise de notre part.
03:10 Dimanche dernier, dans les colonnes du Parisien,
03:12 le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a dénoncé
03:15 le mépris profond de la valeur travail d'une partie de la gauche.
03:18 Qu'est-ce qu'il veut dire ?
03:18 En fait, travailler, c'est une valeur de droite ?
03:21 C'est quoi le propos ?
03:22 Oui, c'est ça, mais si vous voulez, c'est un jeu avec Mme Brousseau.
03:25 Alors justement, parce que Mme Brousseau, c'est autre chose.
03:28 Elle parle... Vous savez quoi ? On va l'écouter.
03:30 On va écouter Mme Brousseau.
03:31 Vous lui faites une vidéo.
03:32 Moi, je vous dis qu'on a un droit à l'appareil,
03:33 je vous dis qu'on a un droit à la transition des métiers.
03:36 C'est-à-dire que quand on a un métier dans une industrie polluante,
03:39 eh bien, on a le droit à changer.
03:40 On a le droit aussi de faire des pauses dans sa vie.
03:42 Et surtout, il nous faut retrouver du temps,
03:45 le sens du partage et la semaine de quatre jours.
03:48 Alors, elle parle aussi du droit à l'appareil.
03:50 C'est alors que Fabien Roussel, lui, explique qu'au contraire,
03:53 c'est la gauche du travail.
03:54 Pourquoi autant de visions différentes du travail au sein de la gauche ?
03:59 Si vous voulez, Marx disait toujours,
04:01 on mesure la qualité d'une société à la qualité du hors-travail.
04:04 C'est-à-dire que ce qui fait la qualité d'une société,
04:06 c'est comment les gens vivent en travail,
04:08 leur vie amoureuse, leurs enfants, etc.
04:10 C'est toujours la même question.
04:11 Et je crois que, si vous voulez, là, c'est des batailles politiques et sémantiques
04:14 parce qu'ils n'ont pas compris qu'on passe d'un code culturel,
04:16 celui du fordisme, à un autre code culturel.
04:18 Ce n'est pas qu'on travaille moins, c'est ce que je disais tout à l'heure.
04:20 Donc, le débat, pour moi, il est complètement biaisé.
04:22 On n'a jamais eu autant de temps libre.
04:24 Vous voyez, il faut bien voir la durée de la retraite.
04:26 Pour les hommes, c'est actuellement 19 ans, en moyenne.
04:29 Beaucoup plus pour les dames.
04:30 On n'a jamais eu autant de temps libre.
04:31 On travaille en France 38 heures par semaine, à peu près.
04:34 Donc, il faut arrêter ce discours.
04:36 On dit, le travail est la mort.
04:38 Ça, c'était peut-être vrai chez Zola, mais on n'est pas chez Zola.
04:40 Après, qu'il y a des métiers difficiles.
04:42 Que depuis la retraite à 60 ans, en 1981,
04:45 les forces sociales n'ont fait aucune proposition pour après.
04:48 La bataille, logiquement, après, c'était l'égalité de vie.
04:51 Comment on modifie les conditions de travail, les métiers difficiles ?
04:53 Comment on leur offre tout ?
04:54 Je ne sais pas, mettons, tous les 10 ans,
04:55 une année de formation pour qu'ils fassent autre chose.
04:57 - Oui, parce que le loisir, c'est bien, - Il y a des métiers de plus que l'autre.
04:59 mais tout le monde n'a pas aussi l'argent pour se payer les loisirs dont on parle.
05:03 Dans les loisirs, il y a les 100 000 heures de télévision.
05:05 Je vous rappelle quand même que 60 % de France ont un jardin.
05:08 Dans les milieux populaires, on a un potager, à peu près 40 %.
05:11 Donc, il faut faire attention à la carte postale, si vous voulez.
05:13 Après, il y a des gens en grande difficulté.
05:15 Il y a des gens qui habitent dans des immeubles où il n'y a pas d'extérieur.
05:18 On l'a bien vu pendant la pandémie, etc.
05:20 Il ne s'agit pas de faire une société, mais tout le monde a les mêmes horaires, si vous voulez.
05:23 Après, la qualité du temps libre, c'est un enjeu majeur.
05:26 Il y a des gens pour qui le temps libre, excusez-moi, c'est la télé,
05:28 ce n'est pas forcément toujours négatif, mais quand même, et la bière,
05:31 et d'autres, ça va être de voyager, etc.
05:33 Donc, un vrai débat, c'est comment on donne du contenu positif au temps libre,
05:36 comment on favorise dans les quartiers populaires,
05:38 des sorties, des activités, la lecture, la culture.
05:41 Il faut plutôt se baser sur ça que sur des discours du Moyen-Âge
05:44 qui ne correspondent plus à la masse de la société.
05:46 – Jean-Viar, est-ce que quand on aime son travail, il est difficile de le quitter ?
05:49 Je vous dis ça parce que vous avez 74 ans.
05:52 – Oui, mais si vous voulez, vous savez, il y a deux types de métiers.
05:54 Il y a des métiers qui s'affrontent à la technique.
05:56 Donc, la technique se renouvelle sans cesse.
05:58 Donc, plus vous vieillissez, plus vous êtes déconnecté, j'allais dire.
06:01 Et puis, il y a des métiers où l'expérience accumule.
06:03 Prenons le pape, par exemple, vous voyez ?
06:05 Personne ne veut mettre un pape de 25 ans.
06:07 Bon, mais je parle pas pour…
06:08 Et donc, les métiers intellectuels, les métiers artistiques,
06:10 mais les politiques, l'essentiel des élus locaux sont des retraités.
06:13 Parce que là, on accumule de l'expérience, des réseaux, du savoir.
06:16 Donc, ne mélangeons pas les gens qui s'affrontent à la technique
06:19 et qui ont besoin d'être reformés, voire de changer de métier,
06:22 parce qu'effectivement, les nouvelles technologies,
06:24 c'est difficile à apprendre à 60 ans, même si on sait les servir.
06:26 Moi, je sais me servir, j'en ai un ordinateur, je m'en sers toute la journée.
06:28 Mais quand il est en panne, je vais voir une de mes assistantes,
06:31 je lui ai dit "tu ne veux pas me le remettre en route ?"
06:32 Bon, elle, elle sait le faire.
06:33 Bon, donc, il faut savoir, la question de la technique est importante
06:36 pour certains métiers.
06:37 D'autres métiers, l'expérience est importante.
06:39 N'ayons pas une carte postale, on n'est pas tous dans la même situation.
06:41 – Eh bien, merci beaucoup Jean-Pierre,
06:43 ça fait du bien de prendre un peu de hauteur avec vous.
06:45 Merci pour votre… – Merci beaucoup.