Chroniqueuse : Julia Vignali
13 ans après la disparition de l'Abbé Pierre, Pierre Lunel lui consacre, une nouvelle fois, un ouvrage. L'historien en droit, essayiste et haut fonctionnaire a eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises, ce qui lui a permis de tisser un lien particulier avec l'homme qui a passé le grand appel de l'hiver 1954. « L'Abbé Pierre, intime », chez Plon, est déjà disponible dans les librairies.
13 ans après la disparition de l'Abbé Pierre, Pierre Lunel lui consacre, une nouvelle fois, un ouvrage. L'historien en droit, essayiste et haut fonctionnaire a eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises, ce qui lui a permis de tisser un lien particulier avec l'homme qui a passé le grand appel de l'hiver 1954. « L'Abbé Pierre, intime », chez Plon, est déjà disponible dans les librairies.
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00:00 Bonjour Pierre Lunel, merci d'avoir accepté l'invitation de Télé Matins.
00:04 Alors vous avez déjà consacré plusieurs livres à l'abbé Pierre.
00:07 Qu'on comprenne bien, quelle était votre relation avec lui ?
00:10 Une relation au fur et à mesure très particulière,
00:14 enfin une amitié qui se livre peu à peu,
00:17 mais qui devient ensuite une amitié profonde,
00:20 une amitié de confiance.
00:22 Est-ce que vous pouvez nous raconter votre première rencontre avec lui,
00:25 qui je crois a été bouleversante pour vous ?
00:27 Oui, vous savez quand on a 30-35 ans,
00:30 on se pose à ce moment-là beaucoup de questions.
00:33 À quoi je sers ? Ma vie ? Qu'est-ce que je dois en faire ?
00:37 Suis-je utile ?
00:39 Bon, moi ça avançait bien dans ma carrière,
00:42 mais il me manquait quelque chose, je ne savais pas quoi,
00:45 personne ne sait quoi.
00:47 Et puis je rencontre cet homme.
00:49 J'étais avec Edgar Ford à l'époque,
00:51 donc j'étais dans la politique.
00:53 Arrive ce monsieur, tout petit, avec son béret,
00:57 avec sa saharienne,
01:00 et puis je lui demande presque spontanément,
01:03 bêtement, à la fin, à l'ascenseur,
01:06 "Mon père, puis-je aller vous voir,
01:08 là où vous êtes à Saint-Vendrie,
01:10 une abbaye, il y a Médénictine ?"
01:12 Il me dit "Viens quand tu veux, tu es le bienvenu".
01:14 Alors petit à petit, j'ai compris peu à peu
01:18 le sens de ma vie, un peu du sens de ma vie.
01:21 - Et ça a commencé grâce à cette rencontre.
01:23 Avant de mourir, l'abbé Pierre vous a confié
01:25 ses carnets intimes, dont vous dévoilez
01:27 des passages dans ce livre.
01:29 On y découvre l'abbé Pierre sans tabou,
01:31 ses colères, ses souffrances, ses secrets également,
01:33 et notamment son premier amour,
01:35 alors qu'il n'a que 15 ans, pour un jeune camarade.
01:37 Est-ce que vous pouvez nous parler de cela ?
01:39 - Oui, alors c'est les carnets intimes,
01:41 plus toutes les conversations que j'ai eues avec lui,
01:44 dont je ne m'étais pas servi jusqu'à maintenant.
01:47 Et c'est une passion d'adolescent.
01:49 Tous les adolescents ont des passions
01:51 très très violentes.
01:53 Lui est quelqu'un d'excessif,
01:55 c'est quelqu'un de très intense.
01:57 Il éprouve une passion pour une voix.
02:00 Une voix d'adolescent qui, à la messe de minuit,
02:03 l'enchante.
02:05 Bon ben, il tombe amoureux de cette voix.
02:07 - Et cette voix, c'est celle de Yves, c'est bien ça ?
02:09 - Il s'appelle Yves.
02:10 - Et ça l'a beaucoup marqué, et comme cet amour
02:12 n'a pas été partagé, ça a été très difficile,
02:14 je crois pour lui, une véritable...
02:16 - Un déchirement.
02:17 - Un déchirement.
02:18 - Alors, à 19 ans, il rentre dans les ordres,
02:20 il est chez les Capucins, mais 8 ans plus tard,
02:23 il va quitter le couvent, et on apprend,
02:25 grâce à votre livre, que cette vie monacale,
02:27 finalement, n'était pas du tout faite pour lui.
02:29 Il n'aimait pas du tout ça.
02:30 - Oui et non.
02:31 C'est-à-dire qu'il a voulu prendre la branche
02:34 la plus dure de la vie monastique,
02:37 les Capucins, on dort 2 heures par nuit,
02:39 on prie tout le temps, on n'a pas de livres,
02:41 on mange très peu, bon bref, c'est assez...
02:43 très très dur.
02:45 Et il a présumé de ses forces, en quelque sorte.
02:47 Parce que ce n'était pas une grande santé.
02:49 Et en même temps, ça lui a servi, pendant ces temps,
02:52 à nourrir son approfondissement.
02:55 Ça lui a appris de l'adoration, comme il dit,
02:58 c'est-à-dire cet aspect mystique, qu'on connaît mal chez lui,
03:02 mais qui est la source de sa résilience permanente.
03:06 Parce que, aussi vite il tombe, aussi vite il renaît de ses cendres.
03:10 - Et puis la suite, on la connaît,
03:12 il fonde à partir de 1949 le mouvement Emmaüs,
03:14 au sein duquel il va donc lutter
03:16 contre la pauvreté.
03:18 A l'hiver 1954, il lance le mémorable appel aux Français.
03:21 Aider les autres était pour lui, évidemment, une urgence.
03:24 On va écouter, si vous voulez bien, ce discours prononcé en 1984,
03:27 qui fait encore écho aujourd'hui.
03:30 - Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette,
03:34 laissant les assiettes des autres vides,
03:36 et qui ayant tout, disent avec une bonne figure,
03:40 une bonne conscience, nous, nous, qui avons tout,
03:44 on est pour la paix.
03:46 Je sais que je dois leur crier à ceux-là,
03:48 les premiers violents,
03:50 les provocateurs de toute violence, c'est vous.
03:53 - Quel regard porterait-il aujourd'hui
03:56 sur l'actualité sociale de notre pays ?
03:58 - Aujourd'hui, je pense que sa voix résonnerait.
04:01 Elle retentirait partout, elle retentirait en France,
04:04 elle retentirait avec les dissidentes de Biélorussie,
04:09 de Russie, d'Iran.
04:12 Il défendait avec une véhémence incroyable les petits,
04:19 ceux dont il estimait qu'ils n'avaient pas suffisamment la voix.
04:23 Donc il les défendait de toute son âme,
04:26 toutes ses forces, il serait à côté d'eux aujourd'hui.
04:28 Et à côté de ça, il avait cette tendresse,
04:31 mais infinie, et là, il n'y avait pas de caméra,
04:34 il n'y avait pas de micro.
04:36 - Mais parlons de cette tendresse intime,
04:38 puisque vous en parlez dans ce livre,
04:40 "Les relations aux femmes que je ne connaissais pas".
04:43 Ses propos, c'est "oui, j'aime l'amour sexuel,
04:46 bien que l'ayant rarement pratiqué".
04:49 Il parlait des femmes à ce moment-là.
04:51 Vous comprenez que ses propos puissent interpeller,
04:54 voire choquer, venant d'un homme d'église ?
04:57 - Choquer la morale, peut-être, mais enfin,
04:59 je vais vous dire la perfection.
05:01 La perfection, c'est la dimension humaine
05:03 dans ce qu'elle est vraiment,
05:05 et l'acceptation de cette dimension humaine.
05:07 Il était très seul, c'était une icône,
05:10 c'était devenu un mythe vivant.
05:12 On n'a pas idée, dans les années qui ont suivi 54,
05:15 mais vraiment, on l'avait déjà canonisé.
05:18 Et par conséquent, il avait des moments
05:21 de solitude abominables, des nuits de l'âme,
05:24 comme a dit une grande sainte mère Thérésa,
05:27 et par conséquent, c'est vrai qu'il avait besoin de tendresse.
05:30 Mais moi, je ne pensais pas à cette tendresse-là, voyez-vous.
05:33 Je pensais à la tendresse qu'il avait
05:36 pour les petits, pour ceux qui étaient par terre.
05:39 Et ça, cette tendresse, j'ai des centaines d'exemples
05:43 que j'ai vécus, et encore une fois, il n'y avait personne.
05:46 Il était capable d'interrompre une conversation
05:49 avec le président Mitterrand.
05:51 J'étais assis là, en face de lui, dans son bureau d'Esteville,
05:54 et le président, vous le savez, Mitterrand,
05:56 était très soucieux des fins dernières.
05:59 Bon, et alors il appelait l'abbé Pierre,
06:01 parce que pour la mort, ça pouvait être utile.
06:03 Et brusquement, il a coupé la conversation avec Mitterrand
06:07 en lui disant "Excusez-moi, monsieur le président",
06:10 parce qu'il y avait un bonhomme qui faisait "toc toc" à la vitre.
06:13 - À la fête, oui.
06:14 - Et il y avait téléphoné la veille en disant "Je suis à bout,
06:16 je veux me flinguer, j'en peux plus".
06:18 Il l'avait fait venir.
06:20 - Et bien voilà.
06:21 Et vous dites aussi dans votre livre qu'il y a de grandes similitudes
06:24 entre l'abbé Pierre et le pape François, que vous connaissez bien.
06:27 Est-ce qu'à l'heure actuelle, on peut imaginer
06:29 qu'un jour l'abbé Pierre soit canonisé ?
06:31 Pourquoi ça n'est pas déjà fait ?
06:34 - Eh bien écoutez, ça pour moi, c'est une question
06:37 pour laquelle je n'ai pas de réponse.
06:39 Je dis à tous mes amis de la haute hiérarchie d'Église,
06:43 mais qu'est-ce que vous attendez ?
06:46 Moi, je suis prêt à aller voir le pape François pour lui dire
06:49 "Mais enfin..." parce que parfois, il a le pouvoir d'accélérer
06:51 les procédures chez les évêques.
06:53 Mais enfin, qu'est-ce que vous attendez ?
06:55 La France entière l'a canonisée.
06:57 Et l'État ? Qu'est-ce que vous attendez pour le mettre au Panthéon ?
07:02 Les Français, c'est une icône pour la France.
07:05 - Eh bien voilà. - Donc qu'est-ce qu'on attend ?
07:07 - Qu'est-ce qu'on attend ? Votre passage en télématin,
07:09 peut-être qu'on sera entendu, Pierre Lunel.
07:11 Je vous remercie vraiment d'avoir été avec nous.
07:13 - Mais c'est vous que je remercie vraiment de me permettre de...
07:15 - Je vous conseille la lecture de ce livre.
07:17 Vous publiez donc "L'abbé Pierre intime".
07:19 C'est aux éditions Plon.
07:20 Et je rajoute d'ailleurs qu'à partir du 12 mai prochain,
07:22 la Fondation Abbé Pierre organise une exposition inédite
07:24 sur la vie de l'abbé Pierre au musée Citeco.
07:27 Et c'est à Paris. Merci Pierre Lunel.