Ludovic Vigogne journaliste politique à l'Opinion et auteur de "Les sans jours. Macron, les secrets d'un passage à vide" aux éditions Bouqins (2023) est l'invité de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-lundi-24-avril-2023-6735096
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00:00 Il est 6h20, il y a un an Emmanuel Macron a été réélu à l'Élysée, chose assez
00:03 rare sous la Ve République.
00:05 Mais aujourd'hui, sa cote de popularité est au plus bas.
00:08 Bonjour Ludovic Vigogne, vous êtes journaliste politique à l'Opinion et vous venez de
00:11 publier un livre qui raconte le passage à vide qu'a suivi la réélection d'Emmanuel
00:16 Macron.
00:17 Et votre thèse, c'est que si c'est compliqué pour le Président aujourd'hui, c'est parce
00:20 qu'il a raté les 100 premiers jours de son second mandat.
00:23 C'est si important que ça les 100 premiers jours ?
00:25 Oui, bien sûr.
00:26 C'est d'habitude une période où on marche sur l'eau, où on connaît un véritable
00:30 élan, où on connaît un état de grâce.
00:32 Et c'est pas du tout ce qu'a connu Emmanuel Macron.
00:35 Et c'est encore plus gênant pour lui parce que sa campagne n'avait déjà généré
00:39 aucun souffle.
00:40 Et donc aucun souffle pendant sa campagne, aucun élan au lendemain, et bien ça produit
00:44 beaucoup de dégâts qu'il va payer tout au long de son quinquennat.
00:46 Et il y a quelques jours, Emmanuel Macron a dit qu'il avait devant lui 100 jours d'action
00:49 et d'apaisement.
00:50 Le fait de reprendre cette formule, les 100 jours, c'est pour faire oublier ce faux départ ?
00:54 Il y a en tout cas sans doute quelque chose de cet ordre-là.
00:57 C'est l'idée de repartir de zéro.
00:59 Il n'a pas réussi à écrire le début de son mandat.
01:03 Il veut sans doute essayer maintenant de se donner une deuxième chance et d'ouvrir
01:07 vraiment celui-ci.
01:08 Alors on va rembobiner l'histoire.
01:09 Vous nous racontez tout, vraiment, depuis le soir de sa réélection à l'Elysée,
01:14 comment il a vécu ce moment.
01:15 Pas d'euphorie, il ne voulait pas apparaître arrogant comme il avait pu l'être cinq
01:19 ans auparavant.
01:20 Et vous dites qu'il a presque eu un success blues comme il existe, un baby blues.
01:25 Fatigue, déprime, ça ne l'amuse plus autant qu'avant ?
01:27 Oui, le success blues, c'est Jean-Pierre Affarin qui dit ça.
01:30 Il n'a pas retrouvé à ce moment-là le Macron inventif, disruptif qu'il avait connu
01:35 les années précédentes.
01:36 Oui, Emmanuel Macron traverse une drôle de période qui est faite de plein de choses.
01:40 Effectivement, il y a un peu de fatigue physique.
01:42 Il a été pendant cinq ans en première ligne.
01:46 Ça a été un omni-président.
01:48 Les dernières semaines durant la campagne ont été très dures avec la guerre en Ukraine
01:53 dans laquelle il s'est jeté à corps perdu.
01:55 Et donc, il arrive au lendemain de sa réélection avec un peu moins d'énergie.
01:58 Et ce n'est pas le cas des précédents présidents qui ont réussi à être réélus ?
02:01 C'était moins le cas parce que, par exemple, Jacques Chirac ou François Mitterrand étaient
02:06 en cohabitation.
02:07 Donc, c'était très différent.
02:08 Ils n'avaient pas les pleins pouvoirs comme Emmanuel Macron.
02:10 Et puis, il n'avait pas été en quinquennat avec un régime d'hyper-présidence comme
02:15 Emmanuel Macron l'a connu.
02:16 Et ce qui est le plus surprenant, et qui surprend d'ailleurs son propre entourage,
02:19 c'est qu'il a semblé subir le début de son second mandat.
02:23 Vous dites même qu'il n'avait rien préparé, rien anticipé.
02:25 Oui, tout à fait.
02:26 Pendant tout son premier mandat, il a pensé à sa réélection.
02:28 Ça a été vraiment son obsession.
02:29 En revanche, à ce qu'il ferait au lendemain de celle-ci, il n'a pas du tout réfléchi.
02:33 Et donc, c'est vrai qu'au lendemain du 24 avril, il se retrouve face à une feuille
02:37 blanche quand on lui annonce qu'il a très largement emporté ses premiers mots.
02:41 Le plus dur commence et ça s'avéra très juste.
02:44 Et alors, on va rembobiner maintenant les faits les uns après les autres, parce que
02:47 vous nous racontez tout en détail ce qui s'est passé.
02:49 D'abord, le choix du Premier ministre, il ne l'avait pas anticipé et finalement,
02:53 il n'a pas eu celle qu'il voulait.
02:54 Non, tout à fait.
02:55 Ses proches ont réussi à lui tendre le bras.
02:56 Il avait d'abord pensé à Catherine Vautrin, la présidente de la communauté urbaine du
03:00 Grand Rhin, c'est une femme de droite qui a été ministre de Jacques Chirac, qui correspondait
03:03 à ce qu'il cherchait.
03:04 Une femme, une élue de terrain, issue de la droite.
03:07 Il cherchait un peu un profil à la Castex.
03:08 Il trouvait que leur duo avait été très complémentaire.
03:10 Il a voulu garder Jean Castex d'ailleurs.
03:11 Dans un premier temps, oui, mais celui-ci n'a pas voulu parce qu'il voulait se laisser
03:14 le temps justement de trouver la candidate idéale pour Matignon.
03:17 Et donc, il va proposer à Catherine Vautrin, il va l'avoir deux fois.
03:21 Une première fois pour faire un peu connaissance avec elle parce qu'il ne la connaît pas
03:24 et lui demander de réfléchir à ce que pourrait être son gouvernement.
03:28 Et une deuxième fois, le 12 mai, ils vont déjeuner ensemble pendant trois heures dans
03:34 le Jardin de l'Elysée.
03:35 Emmanuel Macron va lui dire que c'est elle qu'il va nommer quelques jours plus tard.
03:38 Ils vont discuter de l'architecture du gouvernement, de la manière dont ils vont travailler ensemble.
03:42 Brigitte Macron les rejoindra à la fin du déjeuner et son époux lui présentera sa
03:46 future première ministre.
03:47 Et pendant quatre jours, celle-ci va se préparer.
03:50 Elle va voir Jean Castex pour une pré-transition.
03:53 C'est vraiment ces quatre jours où elle s'y croit et elle l'apprend au dernier moment.
03:57 Oui, c'est un moment assez incroyable.
03:59 Effectivement, elle prépare son cabinet, elle prépare son discours sur l'opérant
04:05 de Matignon lors de la passation de pouvoir qu'elle doit avoir avec Jean Castex.
04:08 Et puis finalement, patatras, ce sera effectivement pas elle parce qu'Emmanuel Macron va se
04:12 faire tordre le bras et va se faire imposer Elisabeth Borne.
04:15 Et ça veut dire qu'il écoute les gens qui sont autour de lui parce qu'on a l'impression
04:18 de ce que vous dites aussi dans le livre, qu'il décide tout seul.
04:20 Donc finalement, il a écouté.
04:21 Non, c'est plus compliqué que ça.
04:22 C'est-à-dire qu'il a considéré qu'il n'avait pas les marges de manœuvre suffisantes,
04:25 ce qui est tout à fait surprenant pour quelqu'un qui vient de se faire éliser, pour imposer
04:28 Catherine Vautrin contre la volonté de la plupart des membres de son cercle rapproché.
04:32 Alors après, il y a l'épisode de la composition du gouvernement qui est aussi compliqué qu'il
04:35 ne l'amuse pas.
04:36 Vous dites que c'est le genre de tambouille qui le…
04:37 Non, c'est quelque chose qu'il a déjà fait.
04:39 Au-delà des ministères très importants avec qui il sera au contact permanent, les
04:43 autres, ça n'a peu d'importance pour lui.
04:45 Tout le monde est un peu interchangeable.
04:46 Voilà.
04:47 Et après, il y a les législatives, il y a son projet de partie unique qui va être
04:49 enterré.
04:50 Pareil, il ne réussit pas à l'imposer.
04:51 François Bayrou, Richard Ferrand et Edouard Philippe font une réunion secrète.
04:55 Ça, vous avez été au courant.
04:56 Vous nous le révélez dans le livre.
04:58 Et ils réussissent, là encore, à lui tordre le bras.
05:00 Oui, tout à fait.
05:01 C'est vraiment quelque chose dont il ne voulait pas.
05:04 Et étonnamment, Emmanuel Macron ne va pas jusqu'au bout pour l'imposer.
05:07 Là aussi, il s'en détache assez vite, finalement.
05:11 Il n'a pas envie de mettre autant que ça les mains dans le cambouis.
05:14 Et c'est ce qui se passe régulièrement tout au long de ses premiers jours de manière
05:17 assez surprenante.
05:18 Oui, parce que pareil pour le père Chouard, le poste de président de l'Assemblée nationale.
05:22 Il voulait Roland Lescure.
05:23 Il voulait Roland Lescure, c'est Yael Braun-Pivet.
05:26 Pareil pour la présidence des macronistes, des députés.
05:29 Il n'aura pas celle qu'il voulait.
05:30 Il s'était hors-bergé, mais de toute façon, il n'y avait personne d'autre.
05:34 Et là, l'Elysée ne pouvait pas faire autrement.
05:35 Voilà, il n'a pas réussi à contrôler le casting.
05:37 Non, vraiment pas.
05:38 Il se fait imposer ses choix.
05:39 Et c'est en plus quelque chose qui le terrorisait un peu.
05:42 C'est-à-dire qu'il avait vraiment en tête le précédent de François Mitterrand en 1988,
05:46 qui six jours après sa réélection, s'était fait imposer le premier secrétaire du Parti
05:49 Socialiste.
05:50 Mitterrand soutenait Laurent Fabius.
05:52 Ça avait été Pierre Mauroy qui avait été élu.
05:54 Emmanuel Macron a vraiment ce précédent en tête.
05:56 Et pourtant, il se fait imposer lui aussi ses choix, notamment à la présidence de
06:02 l'Assemblée Nationale.
06:03 Les législatives, il les rate.
06:04 Pas de programme, pas de leader, pas de campagne.
06:07 Il apparaît 15 jours avant le premier tour sur le tarmac, on s'en souvient, juste avant
06:11 de prendre un vol pour aller en Roumanie.
06:13 Pour aller en Roumanie et après à Kiev, oui, parce qu'il pense les gagner.
06:17 Pour lui, il y a quelque chose qui est automatique.
06:19 Les Français lui ont donné une très large majorité le 24 avril.
06:22 Ils ne pensent pas qu'ils vont se déjuger cette semaine plus tard.
06:24 Et finalement, il dit « Bon, on a perdu ». Cette petite phrase toute simple.
06:28 « Bon, on a perdu au soir du second tour des législatives ». Il n'a rien réussi
06:32 durant ces 100 jours ?
06:33 Je ne vois pas ce qu'il a vraiment réussi, non.
06:36 Et c'est quelque chose qu'il va payer tout au long de son mandat.
06:38 C'est parce qu'il n'a pas réussi son entame qu'il est aujourd'hui dans une
06:43 situation aussi difficile.
06:44 C'est très difficile un second mandat.
06:46 On l'a vu avec les précédents de Gaulle, Mitterrand, Chirac.
06:48 Ils sont sortis en guenille de leur second bail élysien.
06:51 Et face à cette malédiction, Emmanuel Macron lui a un boulet supplémentaire.
06:57 C'est cette absence de majorité absolue qui entrave son action au quotidien et qui
07:00 menace l'épaisseur de son bilan en 2027.
07:03 Et pour relancer son mandat, c'est pour ça qu'il décide de s'attaquer à la
07:05 réforme des retraites ?
07:06 Oui, c'est ça.
07:07 Il décide d'en faire la preuve qu'il a des marges de manœuvre, que sa détermination
07:10 est intacte malgré les conditions politiques qu'il connaît.
07:13 Il décide de prendre ce dossier-là.
07:15 Il sait très bien que ça va être très difficile.
07:17 Ça se révélera encore plus difficile qu'il ne l'imaginait.
07:20 Est-ce que ces 100 jours ont changé sa façon d'exercer le pouvoir ?
07:22 Est-ce qu'il en a tiré un enseignement ?
07:24 Ça, je ne sais pas s'il en a tiré un enseignement.
07:26 En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il a subi les conséquences.
07:31 Je ne sais pas si quand on est comme ça dans l'action au quotidien et qu'on doit
07:34 gérer au jour le jour des dossiers plus cruciaux les uns que les autres, on est à même de
07:39 tirer déjà des conclusions.
07:40 En tout cas, il va en payer les conséquences tout au long des quatre années encore qui
07:43 viennent.
07:44 Et ce qui apparaît aussi dans votre livre, c'est que c'est un homme vraiment très
07:46 seul, isolé à l'Elysée.
07:48 Alors, on le savait déjà un petit peu, mais vraiment là, c'est flagrant dans ce
07:52 livre.
07:53 Son équipe est de plus en plus restreinte.
07:54 Il y a plein de gens qui sont partis.
07:55 Et je me demande si ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui a la meilleure analyse.
07:58 Vous rapportez des propos de l'ancien président qui lui dit « vous n'avez pas plus d'ennemis
08:02 que moi, mais vous avez moins d'amis ».
08:04 Oui, c'est assez juste.
08:05 C'est vrai qu'ils ont tous les deux, ils suscitent tous les deux une vraie détestation.
08:09 Mais c'est vrai qu'Emmanuel Macron, lui, est particulièrement seul.
08:13 Il y a deux personnes qui comptent essentiellement.
08:15 C'est son épouche Brigitte.
08:16 C'est le secrétaire général ultra puissant de l'Elysée à l'Elysée Colère.
08:20 Et pour le reste, les autres n'ont pas vraiment d'influence.
08:23 Il peut les écouter, mais est-ce qu'il les entend ? C'est rarement le cas.
08:26 Est-ce qu'une dernière question, est-ce que les gens vous ont parlé facilement pour
08:29 faire ce livre ? Parce qu'on sait qu'Emmanuel Macron déteste montrer les coulisses de son
08:32 pouvoir.
08:33 Il n'a pas du aimer votre livre d'ailleurs, j'imagine.
08:35 Alors oui, je pense qu'effectivement, il y a des épisodes comme celui sur Catherine
08:37 Vautrin qui ne lui a pas beaucoup plu.
08:39 Après, oui, on m'a parlé assez facilement parce que ça fait longtemps que je fais ce
08:42 métier.
08:43 Je suis un peu un partain depuis très longtemps.
08:45 Et puis je pense que dans un moment comme ça, qui s'est si mal passé, chacun veut
08:48 remettre un peu les pendules à l'heure et montrer quelle est sa part de responsabilité
08:51 et quelle n'est pas sa part de responsabilité.
08:53 Les 100 jours, mais ça s'écrit S.A.N.S.
08:55 C'est le titre de votre livre, Ludovic Vigogne.
08:58 Merci beaucoup d'être venu ce matin sur France Inter.