C’est une opération coup de poing lancée par Gérald Darmanin. Une opération au nom exotique : Wuambushu. En gros, il s’agit de lancer dès aujourd’hui des manœuvres policières dont l’objectif est de démolir les bidonvilles dans lesquels vivent en majorité des immigrés sans-papiers originaires en grande partie de la partie indépendante de l’archipel des Comores. Un archipel dont fait partie Mayotte, le 101ème département français. Détruire les bidonvilles mais aussi expulser celles et ceux qu’on appelle les “clandestins”. Avant même le début de cette opération, les organisations de défense des droits de l’homme se sont insurgées contre une opération d’expulsion massive qui ne respecterait pas les conventions internationales signées par la France. Et sur le terrain, l’atmosphère est déjà explosive. L’Union des Comores a déjà refusé l’accostage de bateaux transportant des migrants. En gros, elle s’oppose au rapatriement manu militari de ses ressortissants. De quoi faire capoter l’opération dès son début ? En tout cas, la France ne compte pas renoncer. Et surtout pas Gérald Darmanin, qui mise beaucoup dessus pour asseoir sa “crédibilité” politique dans tout le spectre de la droite et se préparer pour Matignon, voire pour la course à l’Elysée en 2027. Et il peut compter sur des alliés : les députés de Mayotte, qui soutiennent avec hargne voire avec dérapages l’opération Wuambushu. Et qui accusent l’Union des Comores de mener une guerre d’invasion, par le truchement des sans-papiers, à Mayotte.
Les choses sont un peu plus complexes comme nous l’explique notre confrère Rémi Carayol d’Afrique XXI dans une série d’articles intitulé “une postcolonie au XXIème siècle”.
Pour aller plus loin :
https://afriquexxi.info/Mayotte-chronique-d-une-colonisation-consentie
https://afriquexxi.info/France-Comores-Wuambushu-operation-coup-de-poing-et-bras-d-honneur
https://afriquexxi.info/Les-mzunguland-des-havres-pas-si-sereins
Les choses sont un peu plus complexes comme nous l’explique notre confrère Rémi Carayol d’Afrique XXI dans une série d’articles intitulé “une postcolonie au XXIème siècle”.
Pour aller plus loin :
https://afriquexxi.info/Mayotte-chronique-d-une-colonisation-consentie
https://afriquexxi.info/France-Comores-Wuambushu-operation-coup-de-poing-et-bras-d-honneur
https://afriquexxi.info/Les-mzunguland-des-havres-pas-si-sereins
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00:00 C'est une opération coup de poing lancée par Gérald Darmanin.
00:04 Une opération au nom exotique, Wambushu.
00:08 En gros, il s'agit de lancer dès aujourd'hui des manœuvres policières
00:12 dont l'objectif est de démolir les bidonvilles
00:14 dans lesquelles vivent en majorité des immigrés sans papiers,
00:18 originaires en grande partie de la partie indépendante
00:21 de l'archipel des Comores.
00:22 Un archipel dont fait partie Mayotte, le 101e département français.
00:26 Détruire les bidonvilles, mais aussi expulser celles et ceux
00:29 qu'on appelle les clandestins.
00:31 Avant même le début de cette opération,
00:33 les organisations de défense des droits de l'homme
00:35 se sont insurgées contre une opération d'expulsion massive
00:39 qui ne respecterait pas les conventions internationales
00:42 signées par la France.
00:43 Et sur le terrain, l'atmosphère est déjà explosive,
00:47 comme on peut le voir sur ce magnéto.
00:49 -Un camion poubelle en flamme,
00:50 symbole d'une situation de plus en plus tendue ce matin à Mayotte,
00:54 entre plusieurs groupes d'individus, ici, sur cette colline,
00:58 et les forces de l'ordre, dont de nombreux renforts
01:01 viennent d'arriver de métropole.
01:03 Depuis hier, escortées par des policiers du RAID,
01:07 cette compagnie de CRS se déploie massivement sur le terrain.
01:11 Le convoi progresse lentement par 38 degrés dans la jungle mahoraise.
01:15 -Je vais rester au milieu avec les mecs.
01:17 -Pour ralentir leur progression,
01:19 des barrages ont été installés au milieu de la route.
01:22 Les policiers, contraints de s'arrêter,
01:24 sont visés par des projectiles.
01:26 -Quand les policiers sont venus, ils ont commencé à nous casser,
01:29 à nous mettre des galets devant nos maisons, à casser les machins,
01:32 et ils nous ont menacés de mort, là.
01:34 -C'est la première fois qu'on voit ça, quand on est à ce niveau-là,
01:38 ça fait flipper, quoi, franchement.
01:40 On savait qu'il allait y avoir ce mouvement de...
01:43 Ça l'est déjà un peu, mais pas comme ça.
01:45 -On les attend, qui viennent, démolir, on les démolira.
01:50 Moi, si je reste à Mayotte, mes parents, ils sont encore morts,
01:54 j'ai pas de famille, j'ai plus personne,
01:57 j'ai pas de dortoir, j'ai rien.
01:58 À la fin, je vais faire quoi ?
02:00 Je vais basculer dans la délégance,
02:01 parce que c'est ce qui va me rester à faire.
02:04 -L'Union des Comores a déjà refusé l'accostage de bateaux
02:08 transportant des migrants.
02:09 En gros, elle s'oppose au rapatriement manu militari
02:13 de ses ressortissants.
02:14 De quoi faire capoter l'opération dès son début.
02:18 En tout cas, la France ne compte pas renoncer,
02:20 et surtout pas Gérald Darmanin, qui mise beaucoup dessus,
02:24 pour asseoir sa crédibilité politique
02:26 dans tout le spectre de la droite, de l'extrême droite,
02:29 et se préparer pour Matignon,
02:31 voire pour la course à l'Elysée en 2027.
02:33 Il peut compter sur des alliés, les députés de Mayotte,
02:36 notamment Estelle Youssoupha, que nous avons reçus ici,
02:39 et qui soutiennent avec hargne, voire avec dérapage,
02:42 l'opération Wambushu.
02:44 Ils accusent l'Union des Comores de mener une guerre d'invasion
02:48 par le truchement des sans-papiers à Mayotte.
02:52 Les choses sont un peu plus complexes,
02:53 comme nous l'explique notre confrère Rémi Carayol d'Afrique 21,
02:57 dans une série d'articles intitulées
02:59 "Une post-colonie au XXIe siècle",
03:02 que vous lirez avec intérêt pour comprendre
03:04 la complexité de la situation locale.
03:09 Bonsoir, Rémi.
03:11 - Bonsoir.
03:12 - Comment tu vas ? - Je vais bien, merci.
03:15 - La situation de Mayotte et des Comores,
03:17 c'est celle d'un archipel colonisé par la France,
03:20 dont une partie est devenue indépendante en 1975,
03:23 et l'autre est devenue une collectivité d'outre-mer,
03:26 puis le 101e département français en 2011.
03:30 Par quels mécanismes historiques en est-on arrivé là ?
03:35 - C'est très compliqué.
03:37 Disons que...
03:39 Je conseille à ceux qui auront le temps d'aller lire mon article,
03:42 qui est quand même assez long,
03:44 mais en gros, le processus de séparation
03:48 entre l'île de Mayotte et les trois autres îles de l'archipel
03:51 débute à la fin des années 1950, au début des années 1960,
03:54 lorsque l'indépendance semble être inéluctable pour les Comores.
03:58 Il faut savoir que les Comores ont gagné leur indépendance
04:02 plus tard que la plupart des autres anciennes colonies françaises
04:05 sur le continent africain,
04:06 puisqu'elles sont devenues indépendantes en 1975.
04:09 C'est un processus qui a pris du temps pendant quelques années
04:13 et qui a commencé avec la mobilisation d'une partie de l'élite
04:18 économique à Mayotte, qui était elle-même en partie
04:23 issue d'autres îles, des Créoles notamment,
04:26 qui venaient de l'île Sainte-Marie,
04:27 qui est une petite île au large de Madagascar,
04:30 ou qui venait de l'île de la Réunion,
04:31 et qui ne voyaient pas d'un bon œil l'indépendance tout simplement
04:35 parce qu'ils n'y voyaient pas leur intérêt économique.
04:38 Ils ont entrepris de mobiliser d'abord les notables maorais
04:47 et ensuite la population pour qu'ils réclament la départementalisation.
04:52 Ça a été le mot d'ordre dès le début, mais en fait,
04:54 via cette départementalisation, ils réclamaient surtout la séparation
04:59 d'avec les autres îles.
05:00 Pour ce faire, ils ont joué sur un certain nombre d'événements
05:06 à cette époque-là, dans les années 60-70,
05:09 et dont l'un des plus importants fut le transfert de la capitale
05:15 de cet ensemble, qui était un ensemble de quatre îles,
05:17 qui était un territoire d'outre-mer depuis 1946,
05:21 capitale qui a été transférée de Djaoudi à Mayotte,
05:23 donc à Mouroni, en Grande-Comore.
05:26 Ça a été très mal perçu par la population maoraise
05:29 parce que ça a eu des conséquences économiques assez désastreuses.
05:31 Tous les fonctionnaires sont partis,
05:32 pour savoir qu'on est sur des territoires
05:34 qui sont quand même très pauvres à l'époque.
05:36 Ça a joué un sentiment de frustration et de colère,
05:40 a fait que le mot d'ordre Mayotte-Française-Mayotte-Département
05:44 a été plus ou moins généralisé.
05:46 – Les Comores, mais aussi l'Union africaine,
05:49 refusent de reconnaître le caractère français de Mayotte.
05:53 Sur quelle base légale ?
05:55 – Et l'ONU aussi, il faut quand même le préciser.
05:59 Depuis l'indépendance en 1975, et donc la séparation de Mayotte
06:04 avec les autres îles, la France a été très régulièrement
06:07 condamnée par l'ONU.
06:09 Pour l'ONU, l'explication est assez simple,
06:15 c'est l'intangibilité des frontières issues de la colonisation.
06:20 C'est une règle qui a été mise en œuvre au moment des décolonisations,
06:25 qui peut être contestée et qui est contestée
06:29 dans un certain nombre d'États, notamment africains,
06:31 d'anciennes colonies, mais c'est une règle qui est,
06:33 la règle en tout cas, défendue par les Nations unies.
06:37 Et donc la France a été condamnée à de multiples reprises
06:39 par les Nations unies pour ne pas avoir respecté cette règle.
06:42 Du côté des Comores, outre cette question de l'intangibilité
06:45 des frontières, il y a une autre explication,
06:47 c'est tout simplement que l'île de Mayotte et les autres îles
06:51 des Comores ont une histoire liée, ce sont des sociétés insulaires
06:58 qui ont leurs propres caractéristiques, mais qui, grosso modo,
07:01 fonctionnent de la même manière.
07:03 C'est-à-dire que les Mahorais et les autres Comoriens des autres îles
07:06 partagent, ont en partage une même organisation sociale,
07:10 ont une langue commune avec, là aussi, des dialectes différents
07:15 selon les îles, mais qui ont une langue commune,
07:17 une pratique culturelle tout à fait similaire,
07:21 et une histoire, n'en déplaise aux défenseurs de Mayotte française,
07:25 une histoire qui est liée, c'est-à-dire que la population
07:32 de ces îles vient à les mêmes origines, même si à Mayotte,
07:38 il y a effectivement une population qui est venue de Madagascar
07:40 et d'Allemagne, mais on a une histoire commune,
07:42 et ça, c'est le grand argument pour le coup des autorités comoriennes.
07:45 - Si je comprends bien, la France occuperait, du point de vue
07:53 du droit international, Mayotte, de manière illégale.
07:56 Notre diplomatie se fonde justement sur le respect du droit international,
08:02 donc la France contreviendrait au droit international sans conséquence
08:06 pour ce qui concerne Mayotte ?
08:08 On a même quelques angoisses à le prononcer ainsi.
08:12 - Oui, en matière de droit international, c'est la situation
08:18 qui est celle-là aujourd'hui, et d'ailleurs, c'est quand même
08:22 triste de le faire remarquer, à plusieurs reprises ces dernières années,
08:26 la Russie a rappelé justement cette situation, c'est-à-dire qu'elle a
08:30 invoqué la situation de Mayotte pour dire "vous, les Français,
08:33 vous nous faites la leçon sur les questions de droit international,
08:36 mais regardez ce qui se passe à Mayotte".
08:38 En fait, c'est une question qui n'a jamais été aujourd'hui résolue.
08:44 Alors la France, de son côté, et les Mahorais, expliquent que c'est
08:52 un choix des Mahorais.
08:54 Effectivement, ils l'ont choisi à de multiples reprises au cours
08:58 d'élections, dont on peut remettre en cause parfois la sincérité,
09:04 en tout cas à certaines périodes, mais en tout cas, ils l'ont à
09:06 plusieurs reprises rappelée lors de consultations.
09:11 Les Mahorais sont favorables et ils se sont exprimés là-dessus.
09:14 Ça, c'est l'argument de la France, qui est aussi entendable,
09:18 c'est évident.
09:19 Par contre, ce que l'on note, c'est qu'au-delà de ces questions
09:22 d'ordre juridique, c'est que si on est aujourd'hui dans la situation
09:27 où se trouve Mayotte, et dans des situations qui sont dramatiques,
09:30 il faut le dire, pas seulement pour les étrangers qui sont à Mayotte,
09:32 mais aussi pour beaucoup de Mahorais qui subissent une situation
09:35 de plus en plus infernale, c'est un terme qui revient souvent,
09:38 c'est un enfer, alors que toutes les images qu'on peut avoir
09:42 de ce beau lagon donnent des images d'un paradis.
09:45 En fait, si c'est devenu cette situation-là, c'est parce que,
09:48 quelque part, c'est le résultat de cette histoire absolument unique.
09:53 C'est-à-dire qu'outre le fait que la France a disloqué un territoire
09:59 qu'elle avait colonisé, on est dans une situation où des territoires
10:03 très rapprochés sont régis par un régime différent,
10:07 et où une population a demandé elle-même qu'il, quelque part,
10:11 en 1975, a resté colonisé.
10:13 – Justement, est-ce que les Comores veulent vraiment coloniser Mayotte,
10:19 comme semblent le dire certains des élus mahorais ?
10:22 En gros, les immigrés seraient les instruments de l'État comorien
10:28 dans le but de faire échouer la francisation de Mayotte.
10:31 – Oui, si l'on veut soutenir une thèse conspirationniste,
10:36 effectivement, on peut dire cela.
10:38 En fait, ceux qui connaissent la région savent bien
10:44 que c'est complètement farfelu.
10:47 Il n'y a pas de plan de la part des autorités comoriennes
10:51 pour coloniser Mayotte.
10:57 Mais enfin, regardons la situation telle qu'elle est.
11:01 On est dans un territoire, Mayotte, qui reçoit aujourd'hui
11:05 alors de l'argent, beaucoup d'argent, pas suffisamment de l'avis
11:09 de nombre de mahorais.
11:10 De leur point de vue, c'est plutôt logique.
11:13 Eux, maintenant qu'ils sont en département français,
11:16 ils réclament l'égalité avec les citoyens français.
11:18 De ce point de vue, c'est quelque part logique.
11:20 Ils ne l'ont pas encore, très clairement.
11:21 Il y a des gros déficits en matière de droits sociaux, etc.
11:26 Mais le problème, c'est que plus de l'argent arrive à Mayotte,
11:30 et c'est de l'argent qui vient directement de la métropole,
11:31 ce n'est pas de la richesse qui est créée sur place,
11:33 plus, forcément, ça attire les gens qui sont dans les autres îles.
11:37 Il faut rappeler qu'en juin, c'est à peine 70 km de Mayotte.
11:41 C'est-à-dire que la traversée peut se faire en quelques heures,
11:44 très rapidement.
11:47 Et au-delà de ça, on entend souvent,
11:50 les médias français ont tendance à considérer Mayotte,
11:53 finalement, l'immigration à Mayotte,
11:54 comme la même immigration que celle des subsahariens,
11:57 par exemple, qui rejoignent l'Europe.
11:59 Mais en fait, ce n'est pas du tout comparable.
12:01 Pourquoi ?
12:02 Parce que les Comoriens qui arrivent à Mayotte,
12:04 ils ne sont pas en terre inconnue, ils ne sont pas en terre étrangère.
12:08 D'abord, ils ont de la famille, forcément.
12:10 Tout le monde a des liens entre les îles.
12:12 Les Mahorais ont tous plus ou moins de la famille
12:14 dans une des trois autres îles.
12:16 Et idem pour les ressortissants des trois îles,
12:18 donc ils ont des liens.
12:19 Mais en plus, ils se retrouvent dans une société, finalement,
12:21 où ils connaissent les codes.
12:23 Puisque, comme je le disais tout à l'heure,
12:25 il y a une même organisation sociale.
12:27 Donc, on est vraiment dans une situation très, très complexe.
12:32 Et dire que cette immigration massive,
12:35 effectivement, elle est massive,
12:37 résulte d'un plan du pouvoir politique comorien,
12:42 c'est nier la réalité, tout simplement,
12:47 des liens qui sont historiques et qui sont très étroits
12:51 entre les populations des quatre îles de cet archipel.
12:54 – Est-ce qu'on est là face aux conséquences
12:55 d'une décolonisation compliquée ?
12:58 Entrempleuil, plan de sous-entendu, inachevé, pour parti ?
13:04 – C'est là où je disais, c'est complexe.
13:10 Par exemple, la France a décidé de conserver Mayotte,
13:15 parce qu'il y a eu une pression, en fait,
13:17 non seulement de la part des élus maorais à l'époque,
13:20 dans les années 60-70,
13:22 mais aussi du côté français, ici, en France,
13:26 de la part de l'OBI, l'extrême droite.
13:30 Je rappelle quand même que l'Action française,
13:32 le mouvement royaliste mourassien,
13:35 a été en pointe pour soutenir le combat de Mayotte française.
13:39 Une partie de l'armée qui voulait conserver une base dans cette région,
13:44 et un certain nombre de responsables politiques
13:47 qui étaient très influents à l'époque,
13:48 je pense notamment à Michel Debré et Pierre Mesmer,
13:53 qui étaient des ministres importants, notamment Hugo Nisman.
13:55 – Je te coupe un peu, parce que, pour ceux qui ne le savent pas,
13:59 Michel Debré et Pierre Mesmer sont des monstres sacrés
14:03 de la décolonisation à la française et des guerres coloniales en France.
14:07 Michel Debré, c'est le rédacteur de la Constitution de la Vème République,
14:10 en tout cas un des principaux rédacteurs,
14:12 et Pierre Mesmer, il était haut-commissaire de la France au Cameroun,
14:16 il a mené la guerre du Cameroun,
14:21 et il a été par la suite très impliqué dans le lobby colonial.
14:26 On continue.
14:27 – Eh bien, tous deux, on appuyait très fort pour que Mayotte reste française,
14:30 alors qu'il faut quand même le dire, à la tête de l'État,
14:33 il y avait vraiment un débat, parce que certains ne voulaient pas.
14:35 Jacques Pocard lui-même, dans ses mémoires,
14:38 explique que lui, il n'était pas pour la dislocation de l'archipel.
14:41 – Pocard qui est un peu le grand Mamamouchi de la France-Afrique.
14:44 – Tout à fait, et Valéry Gistard d'Estaing,
14:48 quelques mois après son élection en 1974,
14:50 annonce que l'archipel ne sera pas disloqué,
14:53 et que si une indépendance il y a, elle sera valable pour les quatre îles,
14:57 seulement il y a eu un gros lobbying, au niveau notamment des parlementaires,
15:00 qui a fait, en 1974, que, alors qu'on devait consulter les Comoréens
15:06 dans leur ensemble pour savoir s'ils voulaient l'indépendance,
15:10 finalement, alors que le vote devait être pris sur l'ensemble des quatre îles,
15:14 il a été pris en compte sur chaque île, indépendamment des autres.
15:18 Et donc, comme les Mahorais ont voté à peu près,
15:20 un peu plus de 60% en faveur pour rester français,
15:25 leur vote a été pris en compte, alors qu'à l'origine,
15:28 ce n'était pas le projet, en tout cas, du gouvernement français à ce moment-là.
15:32 – Alors, les Comores et la France, c'est aussi quelques belles pages
15:34 de la France-Afrique, on pense à Bob Denard et aux autres,
15:38 peux-tu nous rappeler ces épisodes-là ?
15:39 Quand on parle des Comores, on ne parle pas de Mayotte,
15:41 mais on parle des Comores qui sont devenues indépendantes,
15:45 enfin, l'île des Comores est devenue indépendante,
15:49 elle n'était pas si indépendante que cela en tout cas,
15:51 peux-tu nous raconter ces épisodes-là,
15:53 en quoi ils ont un impact sur l'actualité ?
15:57 – En tout cas, ils sont liés à l'histoire de Mayotte,
15:59 puisque lorsque les Comores deviennent indépendantes en juillet 1975,
16:04 un mois plus tard, c'est Ahmed Abdallah qui est alors
16:08 la grande figure politique comorienne,
16:10 Ahmed Abdallah, un mois plus tard, est déposé par un coup d'État,
16:14 coup d'État qui est mené, alors c'est un peu les paradoxes de l'histoire,
16:17 qui est mené par Ali Suali, qui est alors un responsable
16:21 d'un mouvement révolutionnaire aux Comores,
16:25 mais Ali Suali qui se fait aider par Bob Denard,
16:28 et oui, Bob Denard qui est plus ou moins dépêché par la France
16:32 pour l'aider à démettre Ahmed Abdallah, pourquoi ?
16:36 Parce qu'à Paris, on fait le calcul que peut-être que Ali Suali
16:41 sera plus souple sur la question de Mayotte
16:43 et qu'il n'essaiera pas de récupérer l'île,
16:45 alors que Ahmed Abdallah semblait vouloir la récupérer.
16:47 Bon, c'est comme ça que Denard arrive aux Comores.
16:50 Trois ans plus tard, 1978, il se trouve qu'en fait Ali Suali,
16:54 comme tous les autres responsables comoriens qui se succéderont
16:57 les années suivantes, revendiquera le retour de Mayotte
17:01 dans l'ensemble comorien, rebelote, Bob Denard est envoyé aux Comores
17:05 avec, comme on dit souvent, l'expression "le feu orange de Paris"
17:10 pour déloger Ali Suali, qui sera exécuté,
17:13 et pour remettre au pouvoir Ahmed Abdallah.
17:16 Bob Denard, à ce moment-là, va devenir quasiment un vice-président
17:19 aux Comores, il va y rester, il va faire venir
17:22 un tout tas de mercenaires dans l'île qui vont jouer un rôle
17:25 à la fois de sécurité, mais aussi dans l'agriculture, par exemple,
17:28 et ils vont y rester jusqu'en 1989,
17:30 1989, année où Ahmed Abdallah est assassiné,
17:33 et Bob Denard est suspecté, il n'a jamais été condamné pour ça,
17:37 mais il est suspecté d'avoir participé à cet assassinat,
17:40 et puis je tiens à préciser quand même que Bob Denard reviendra
17:42 une dernière fois mener un coup d'État en 1995
17:47 contre le président Johar, qu'il a aussi déplaisé à Paris,
17:52 même s'il a, pour le coup, il semble qu'il a mené ce coup d'État
17:57 sans avoir l'aval du gouvernement français.
18:00 – Alors, c'est assez important à signaler,
18:04 parce que globalement, l'argument des pro-Mayol,
18:08 c'est de dire que les Comoriens ont voulu leur indépendance,
18:10 ils l'ont eu, mais enfin, ils ne l'ont pas vraiment eu,
18:13 ils ont eu des inconvénients de l'indépendance,
18:17 mais ils ont eu également, disons, des ingérences permanentes
18:22 qui, au final, peuvent justifier une certaine amertume.
18:26 – Tout à fait, ingérences qui ne sont pas propres aux Comores,
18:30 on sait bien dans l'histoire des décolonisations
18:33 qu'il y a eu énormément d'ingérences de la France,
18:35 c'est ce qu'on appelait la France-Afrique,
18:37 mais ces ingérences, on continue même après,
18:39 puisque en 1997, sur l'île d'Anjouan, il y a une tri-séparatiste
18:44 où des responsables politiques anjouanais
18:46 réclament non seulement la séparation avec les autres îles,
18:48 à l'image des Mahorais 20 ans plus tôt,
18:50 mais ils demandent même la départementalisation à la France à leur tour.
18:54 C'est un mouvement qui est né à Anjouan,
18:56 mais encore une fois, ils reçoivent l'appui
19:00 d'un certain nombre de mouvements de nostalgie de l'Empire français
19:04 qui vont les soutenir dans cette démarche.
19:06 En fait, pendant toutes ces années,
19:08 il y a eu une forme d'ingérence de Paris, officielle ou officieuse,
19:12 qui a fait que les Comores ont bien eu du mal à se développer.
19:15 Alors, il ne faut pas nier non plus le fait
19:17 que la responsabilité des dirigeants comoriens eux-mêmes,
19:20 mais ça a joué et en gros,
19:24 les Comores étaient bien mal partis en 1975
19:27 parce qu'il y avait cette île de Mayotte que eux revendiquaient
19:32 et que la France finalement avait décidé de conserver.
19:35 – Alors, les relations entre la France et l'actuel président comorien,
19:39 Azali Asoumani, ce ne sont pas des relations simples,
19:43 ce ne sont pas des relations de détestation sans nuance,
19:48 elles sont complexes.
19:50 Est-ce que tu peux nous les raconter ?
19:52 – Bon, depuis quelques années, il y a un rapprochement
19:55 qui est assez spectaculaire entre Azali et Paris.
19:59 Donc Azali Asoumani, c'est le président des Comores.
20:02 C'est un ancien officier qui avait organisé un coup d'État en 1999,
20:07 puis qui avait perdu l'élection suivante,
20:11 enfin il ne l'avait pas perdu, mais son camp l'avait perdu,
20:13 et qui a été réélu quelques années plus tard,
20:17 et qui préside le pays depuis bientôt six ans,
20:24 et qui a durci considérablement son régime ces derniers mois,
20:29 et qui s'est rapproché de Paris ces dernières années
20:31 puisque, en l'espace de trois ans, il a été reçu cinq fois à l'Élysée,
20:35 et il s'est passé un événement aussi en début d'année assez surprenant,
20:39 Azali Asoumani a été élu président de l'Union africaine.
20:43 Il faut savoir que l'Union africaine, c'est une présidente tournante tous les ans.
20:46 – Et l'Union africaine, c'est quand même 53 ou 54 pays,
20:49 c'est une grosse organisation internationale.
20:52 – La présidence devait revenir à un État d'Afrique de l'Est,
20:55 et le Kenya était le favori, et contre toute attente, c'est les Comores,
20:59 un tout petit pays d'un million d'habitants,
21:01 qui pèse bien peu sur le plan économique et géopolitique.
21:05 Les Comores ont obtenu la présidence, donc Azali Asoumani,
21:08 et il a obtenu cette présidence notamment avec le soutien diplomatique de la France,
21:13 qui a œuvré pour que ce soit lui qui soit élu président.
21:16 Donc ça dit tout de ce rapprochement ces derniers temps avec Paris,
21:20 mais on peut se poser aussi la question,
21:22 c'est arrivé ça en février de cette année,
21:25 on peut se poser la question si pour Paris il n'y avait pas une arrière-pensée,
21:29 c'est-à-dire on soutient Azali pour cette candidature-là,
21:34 et en échange il nous laisse mener l'opération Mambushu,
21:37 qui, il faut quand même le préciser, fait extrêmement peur du côté des îles d'Anjouan,
21:43 de la Grande Comore et de Moëli, surtout d'Anjouan,
21:46 puisque c'est là où sont refoulées les personnes qui sont expulsées de Mayotte,
21:50 ça fait très peur parce qu'il n'y a pas,
21:52 d'abord il n'y a pas les conditions pour les accueillir,
21:55 mais en plus, il faut dire ce qui est,
21:57 il y a quand même des passerelles économiques très importantes,
21:59 et ces gens qui seront refoulés de Mayotte ne pourront plus,
22:02 notamment envoyer d'argent à leurs familles qui restent sur l'île.
22:06 – Est-ce que la France a les moyens de pression sur les Comores
22:10 pour les obliger à revenir sur leur refus de faire accoster les navires français ?
22:14 Un refus qui a été manifesté encore récemment.
22:17 – Oui, les moyens de pression sont toujours les mêmes,
22:20 c'est-à-dire c'est des moyens de pression d'ordre économique,
22:23 si la France, si les Comores continuent de refuser d'accepter les refoulées de Mayotte,
22:29 il y aura des mesures de rétorsion, des aides qui ne seront pas envoyées,
22:37 des programmes qui seront annulés, c'est une possibilité.
22:40 Il faut rappeler qu'en 2018, il y avait eu une crise entre la France et les Comores,
22:44 puisque les Comores avaient refusé d'accueillir justement des refoulées de Mayotte
22:50 parce qu'à Mayotte, il y avait des violences qui étaient commises
22:53 contre des personnes en situation irrégulière, essentiellement des Comoriens,
22:57 par des comités de défense, des formes de milices villageoises du côté de Mayotte.
23:04 Donc il y avait eu une crise diplomatique,
23:05 les Comores avaient refusé de recevoir les refoulées de Mayotte
23:10 et en réaction, la France avait menacé de couper un certain nombre d'aides
23:15 et avait indiqué ne plus donner aucun visa à aucun ressortissant Comorien.
23:20 Donc la France a évidemment des moyens de pression,
23:23 c'est l'un des principaux partenaires économiques des Comores,
23:26 donc cette puissance-là, elle pèse énormément.
23:29 – On imagine que Gérald Darmanin fera jouer tout ça,
23:33 parce qu'il, lui aussi, d'un point de vue domestique, il joue gros,
23:37 il veut montrer une main de fermeté, il veut aussi faire comprendre,
23:42 même de manière subliminale, à certains milieux de droite et d'extrême droite,
23:45 que cette politique d'expulsion massive expérimentée à Mayotte
23:51 pourrait être utilisée sur le continent européen, dans l'Hexagone, un de ces jours.
23:55 Donc on imagine qu'il fera tout ce qu'il pourra.
23:58 – Les intentions de Darmanin, je ne les connais pas vraiment,
24:01 mais ce que je sais, c'est que Mayotte,
24:03 et plus globalement les territoires ultramarins français,
24:07 servent toujours de laboratoire, toujours.
24:10 Que ce soit dans les mesures, dans les lois
24:13 qui concernent l'accès à la nationalité,
24:16 dans les mesures de répression contre l'immigration,
24:19 ça sert de laboratoire,
24:20 et Mayotte est un laboratoire de loi contre l'immigration clandestine.
24:25 Donc c'est sûr que ce qui se passe là,
24:28 et de nombreuses organisations dénoncent le fait qu'on est hors du droit,
24:33 dans ce qui se passe là, ou qu'on risque en tout cas d'être hors du droit,
24:37 c'est sûr que c'est un avertissement, mais d'une manière plus globale.
24:41 Les Français de la France dite métropolitaine,
24:43 devraient s'intéresser de beaucoup plus près à ce qui se passe en Outre-mer,
24:46 parce qu'à chaque fois on constate que ce sont des essais
24:49 qui sont menés dans l'Outre-mer, et si ça passe,
24:51 après on les généralise à l'ensemble du territoire français.
24:54 – Merci beaucoup Rémi, Rémi Carayol,
24:58 qui est co-fondateur du site indépendant "Afrique 21",
25:02 et donc tu es l'auteur d'une série d'articles intitulés
25:06 "Une post-colonie au XXIème siècle",
25:08 qui nous permet d'en savoir plus sur les enjeux entre Mayotte et les Comores.
25:13 Merci beaucoup à toi.
25:15 – Merci.
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