L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 28 Avril 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 28 Avril 2023)
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00:00 * Extrait de la vidéo *
00:04 Les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:06 Construire plus pour loger une population mondiale qui ne cesse de croître.
00:11 Construire moins ou autrement pour relever le défi du climat.
00:15 Construire différemment pour permettre au plus grand nombre d'accéder au beau, au bien-être individuel et collectif.
00:21 Pour que l'architecture ne se limite pas au design, pour qu'elle soit le vecteur d'un projet social et urbain plus large.
00:27 L'équation est-elle impossible ? Comment les architectes, les urbanistes cherchent-ils à la résoudre ?
00:33 Pour en parler, je reçois ce matin deux invités. Paul Chemethoff, bonjour.
00:37 Bonjour.
00:38 Vous êtes architecte, auteur avec Marc Mimram de "Construire".
00:41 Ça vient de paraître aux éditions du Linto et à vos côtés Marion Valère, bonjour.
00:45 Bonjour.
00:46 Vous êtes la nouvelle directrice générale du pavillon de l'Arsenal.
00:49 Vous êtes également urbaniste et philosophe.
00:51 Merci beaucoup à tous les deux d'être ce matin au micro de France Culture.
00:55 Et une citation pour commencer la vôtre, celle de Paul Chemethoff, issue de votre dernier ouvrage "Construire, le travail, quoi que nous fassions, nous transformons le sol comme notre monde".
01:06 Et c'est vrai que c'est peut-être le fil rouge de cet ouvrage, l'architecture comme un art de la transformation.
01:12 Qu'est-ce que ça veut dire pour vous ? Qu'est-ce que c'est que cet art, justement, de la transformation, Paul Chemethoff ?
01:19 Ce n'est pas qu'un art, c'est une action tout d'abord.
01:22 Quoi que vous fassiez, vous dessinez une ligne et ça devient un mur.
01:28 Donc, vous engagez dans votre activité de projet une responsabilité qui s'enchaîne.
01:36 Et avant le mur, vous avez un terrain.
01:40 Après, vous avez une bâtisse.
01:42 Donc, vous commencez par transformer les choses et forcément les gens qui vont habiter dans ces choses.
01:52 Donc, vous ne pouvez pas échapper à cette responsabilité en disant "je ne suis qu'un des N.R.", "je ne suis que l'habilleur de ces tournois".
02:06 Non, vous êtes dans la patte du monde et allons plus loin.
02:15 Vous disiez tout à l'heure que le nombre des humains va croissant.
02:20 Mais ce n'est pas seulement cela, c'est quelle vie donne-t-on à ces humains ?
02:27 Est-ce qu'on accepte que les uns habitent avec nos standards et les autres dans des sous-sols, dans des caves, dans des huttes, dans des bidonvilles ?
02:37 On en parle aujourd'hui dans les Antilles et dans le Saudi indien.
02:44 Voilà.
02:46 C'est une action, vous l'avez dit en premier lieu, c'est d'abord une action.
02:50 L'architecture, c'est aussi un art.
02:52 Vous parlez d'art de la transformation.
02:53 Comment vous liez justement ces deux concepts ?
02:56 Comment vous passez de l'action à l'art, à l'art de la transformation ?
02:59 Parce que c'est un métier.
03:02 L'architecture est un métier.
03:05 Peut-être un art, mais dans le sens que ce mot dans la locution "art" veut métier.
03:12 L'architecture n'est pas la peinture, si vous voulez, qui est un art.
03:18 Vous accrochez un tableau sur un mur, vous n'empêchez pas un autre tableau d'être.
03:23 Quand vous bâtissez quelque chose, une autre chose ne va pas être bâtie à la place.
03:28 Donc il y a un côté irrémédiable, grave, responsable de votre activité.
03:36 De notre activité.
03:38 Marion Valère, qu'est-ce que ça vous évoque, cet art de la transformation ?
03:41 Vous êtes, je le rappelle, la nouvelle directrice générale du pavillon de l'Arsenal.
03:45 Et en quelque sorte, vous êtes en première ligne pour observer ces transformations
03:49 et notamment ces transformations sur la ville et sur Paris.
03:52 Je pense que c'est très important de dire que l'architecture est un art de la transformation
03:57 et pas seulement de la construction.
03:59 C'est vrai qu'on a parfois résumé l'architecture à la construction,
04:02 donc à la création de mètres carrés, alors qu'en fait, c'est avant tout de la transformation.
04:07 Et en fait, c'est le premier choix écologique en architecture, celui de transformer,
04:11 c'est-à-dire de donner une seconde vie au bâtiment.
04:14 On a accueilli au pavillon de l'Arsenal, le Centre d'architecture et d'urbanisme de Paris,
04:18 une exposition qui s'appelait "Conserver, adapter, transmettre"
04:21 et qui montrait comment tous les bâtiments peuvent avoir une seconde vie.
04:25 On montrait comment à Paris, on peut transformer aujourd'hui des parkings ou des garages en logement.
04:30 On montrait aussi comment est-ce qu'une tour de bureau peut devenir un bâtiment de logement
04:35 ou comment une maternité peut devenir une école.
04:38 Et donc en fait, aujourd'hui, c'est ça la priorité dans l'architecture.
04:41 C'est nous ce qu'on essaye de montrer au pavillon de l'Arsenal.
04:43 C'est vraiment comment est-ce qu'on réinvente tous les bâtiments existants pour en faire autre chose ?
04:48 Parce qu'en faisant ça, on a une économie de matière.
04:51 En fait, on économise de la matière première en amont et puis aussi, on préserve le patrimoine.
04:56 - Vous avez fait signe, Paul Schemethoff, quand Marion Valère a évoqué le triptyque "Conserver, adapter, transmettre".
05:02 Qu'est-ce que ça vous évoque ?
05:03 - Je crois que c'est assez fondamental de parler ainsi parce que ça va même au-delà de ce que vous disiez,
05:13 de la transformation de l'existant.
05:16 Il est bien certain que le bilan écologique de la destruction, reconstruction est catastrophique par rapport à la transformation.
05:27 Il y a une limite à ça.
05:28 Certains bâtiments, malheureusement, sont inhabitables parce que vraiment trop mal construits.
05:35 Mais c'est une infime minorité, si vous voulez.
05:38 La majorité des choses peut se recycler.
05:41 Mais le temps, il faut se rendre compte d'une chose, le temps de la vie, il est lent.
05:47 Il y a encore à Paris des traces du décumanus cardo-décumanus romain.
05:51 C'est tout cela, si vous voulez.
05:53 Si vous effaciez tout ça, vous arriveriez à des villes sans bâtiment, sans mémoire, sans culture, sans plaisir de vivre.
06:03 C'est cette accumulation de couches de strates qui fait le temps long de la ville et embarquer avec elle de l'architecture.
06:12 - Dans "Construire" que vous venez de faire paraître aux éditions du Linto, Paul Shemetov, avec votre co-auteur Marc Mirmam, vous avez...
06:20 - Mimram.
06:21 - Mimram, pardonnez-moi, vous avez des mots très forts sur la responsabilité de l'architecte.
06:26 Quelle est-elle, cette responsabilité ?
06:29 - Je crois déjà avoir abordé un peu ces questions il y a quelques minutes.
06:38 La responsabilité, c'est que vous transformez les choses.
06:42 Vous n'êtes pas une aile de papillon.
06:47 Ce que nous faisons, ce que nous transformons pèse des tonnes, abrite des gens durs, doit permettre aux gens non seulement de vivre comme dans les costumes d'une pièce de théâtre,
06:59 mais de vivre, de meubler, de transformer eux-mêmes à l'intérieur des volumes que l'on leur offre.
07:07 C'est ce passage de témoin très compliqué.
07:11 Parce que les architectes sont aussi des habitants.
07:14 Donc on ne peut pas dire d'un côté il y a ceux qui savent et de l'autre côté ceux qui ne savent pas.
07:19 C'est une chaîne dans laquelle les uns sont... peut-être ont plus de compétences et de métiers que les autres.
07:26 Mais dans la vie quotidienne, l'expertise des habitants, elle est infinie.
07:33 Dans des sujets plus compliqués, un peu moins.
07:36 Mais c'est donc ce...
07:39 L'architecture, ça se disait au début du siècle passé, est un art social.
07:44 Je crois qu'en disant ça, on résume notre position.
07:48 Nous ne sommes pas des papillons, hélas.
07:51 - Marion Valère, nous ne sommes pas des papillons.
07:53 Et quelle est la responsabilité selon vous des architectes, peut-être aussi des urbanistes que vous connaissez bien ?
08:00 - C'est une très grande responsabilité d'abord parce qu'on va chercher des ressources.
08:04 Donc on impacte d'abord un paysage lointain ou proche.
08:07 C'est vrai qu'on ne connaît pas toujours la composition des matériaux de construction.
08:12 Moi, je pense que c'est intéressant toujours de se dire, imaginons un matériau de construction comme de la nourriture.
08:17 Est-ce qu'on sait un petit peu ce qu'il y a autour de nous ?
08:20 Est-ce qu'on sait ce qui compose nos bâtiments ?
08:22 Peu de gens savent que le béton est composé, par exemple, de beaucoup de sable, qui est une ressource finie, qui a besoin de beaucoup d'eau.
08:29 Et donc, il faut déjà, en tant qu'architecte, se poser ces questions de la provenance de la matière.
08:35 Et puis ensuite, comme le disait Paul Schemethoff, la question de l'impact sur un paysage immédiat.
08:41 Et nous, ce qu'on essaye de faire au pavillon de l'Arsenal, c'est de travailler sur des nouveaux matériaux,
08:46 qui sont souvent des anciens matériaux, comme le bois, la paille, la pierre,
08:51 et de se dire comment est-ce qu'on peut construire autrement, parce qu'il faut encore construire à certains endroits,
08:56 et notamment pour créer du logement.
08:58 Et comment est-ce qu'on peut construire sans détruire ?
09:01 C'est-à-dire construire sans détruire un paysage lointain et sans détruire un sol.
09:05 Parce que le sol est une ressource vivante très, très importante pour les animaux, pour la flore aussi.
09:10 Et donc, on doit inventer cette nouvelle architecture qui respecte les paysages proches et lointains.
09:16 - C'est vrai que le béton, l'acier, le verre, on a l'impression, Paul Schemethoff,
09:19 que tous les principaux matériaux qui composent l'architecture ancienne et contemporaine
09:25 sont presque touchés d'infamie, déclarés inutilisables.
09:29 Comment est-ce qu'on continue de construire, à les utiliser ?
09:32 Est-ce qu'il faut renouveler ces matériaux, les utiliser différemment ?
09:36 - C'est d'un peu plus compliqué que cela. - Dites-moi alors.
09:39 - Toute construction est un assemblage.
09:43 Donc, on ne peut pas supposer des maisons tout en bois.
09:47 Les forêts françaises n'y résisteraient pas.
09:50 Et on continuerait à dépiauter l'Amazon en quelque sorte.
09:54 On ne peut pas construire tout en verre.
09:56 Il faut quelques opacités.
09:58 On ne peut pas construire tout en métal.
10:02 Une vitre ne peut pas être en métal.
10:03 Donc, forcément, la construction assemble les composites.
10:08 Je dirais même au même titre que la cuisine.
10:10 Maintenant, ce que disait Marion Valère est exact.
10:16 Le béton, quand il est bêtement démoli et jeté à la décharge,
10:22 il peut être recyclé.
10:23 Ses aciers peuvent être recyclés.
10:26 Ses granulats peuvent être broyés, refaire une sorte de sable.
10:31 On peut avoir des attitudes infiniment plus responsables
10:34 que je jette, comme ça je mors dans la cuisse du poulet,
10:39 et je la jette, comme un ancien film sur les rois d'Angleterre,
10:44 les Henry d'Angleterre.
10:46 Non, nous ne sommes pas dans cette gabegie.
10:48 Nous sommes... Il faut être...
10:51 Ce que vous disiez tout à l'heure, la terre, elle doit être économisée,
10:56 non seulement parce que c'est un bien fini,
11:00 elle n'est pas extensible,
11:02 mais aussi parce qu'il faut laisser de la place pour la nourriture,
11:06 pour les arbres, pour les eaux.
11:10 Donc, il faut être...
11:12 Ce qui est très important, c'est cette étude économique.
11:16 Et pour avoir réhabilité mes propres bâtiments à la porte de Pantin,
11:20 où il y a un cours, je comprends parfaitement,
11:24 et j'ai appliqué d'une certaine façon, ce que vous préconisez.
11:28 - Vous construisez depuis longtemps, Paul Schemethoff,
11:31 vous réfléchissez à ces sujets d'architecture, d'urbanisme,
11:36 à l'avenir de la ville depuis de nombreuses années.
11:39 Comment est née, peu à peu, cette conscience écologique ?
11:43 Au fond, est-ce qu'elle a toujours été là, embryonnaire,
11:46 ou est-ce que, vraiment, elle a surgi au cours des récentes années ?
11:50 - La conscience écologique,
11:57 elle ne date pas de mes débuts dans la construction,
12:02 mais très anciennement, déjà,
12:07 je crois que c'était en 92,
12:10 je devais faire paraître un petit livre qui s'appelait "La fabrique des villes",
12:14 et dans lequel j'abordais cette question de la transformation
12:20 de façon peut-être un peu naïve et innocente,
12:23 mais je pressentais bien que le problème était là,
12:25 et de façon continue,
12:28 dans mes activités constructives comme dans mes activités d'écriture,
12:33 je suis petit à petit venu à la compréhension globale de cette chose,
12:40 non seulement du temps de la ville, du temps long de la ville,
12:45 de la transformation de l'habité, de l'habitat,
12:48 des habitus, par là-même,
12:50 mais à cette économie générale.
12:55 Le monde est fini.
12:57 On ne peut pas demander au monde de fournir plus qu'il ne peut donner.
13:01 Actuellement, dans la situation actuelle,
13:05 nous épuisons les ressources annuelles dès le mois d'août.
13:09 C'est-à-dire qu'on vit, à crédit si j'ose dire,
13:13 sur un monde qui se rétrécit et qui va devenir de plus en plus petit
13:17 si nous continuons notre gap-G actuel.
13:22 Elle n'est pas possible, elle n'est pas tenable.
13:25 - Marion Vallère, comment ces enjeux, ces questions traversent aujourd'hui
13:29 la profession des architectes et des urbanistes ?
13:32 Est-ce que c'est vraiment une question de tout premier plan ?
13:35 Est-ce qu'il n'y a pas d'exception, au fond, dans celles et ceux qui y réfléchissent ?
13:39 - Je pense que les architectes et les urbanistes ont un rôle majeur à jouer,
13:43 puisque, comme le disait Paul Schemethoff, ils transforment vraiment le territoire.
13:48 Et donc, par leur action, ils peuvent aussi montrer
13:50 comment est-ce que l'écologie peut s'incarner,
13:53 comment est-ce que l'écologie peut être belle.
13:55 Et donc, aujourd'hui, il y a de nombreux champs de recherche en architecture.
14:00 J'aimerais en citer un qui est le cœur d'une exposition
14:04 qu'on a actuellement au pavillon de l'Arsenal, qui s'appelle Paris Animal,
14:07 où on essaye de montrer la place qu'ont eue les animaux dans l'histoire de Paris
14:10 et comment est-ce qu'aujourd'hui, on peut inventer une ville
14:13 où on apprend à vivre avec l'animal.
14:15 Et par exemple, il y a un bâtiment qu'on montre dans l'exposition,
14:18 une école à Boulogne-Biancourt,
14:20 qui a été conçue par les architectes Chartier d'Alix,
14:24 où il y a plus de 345 espèces animales et végétales
14:28 qui, aujourd'hui, cohabitent sur ce bâtiment
14:30 parce qu'il a été pensé pour la biodiversité.
14:33 C'est-à-dire que son toit, sa façade, ont été pensées avec des cavités,
14:37 avec beaucoup de systèmes qui permettent à d'autres espèces
14:40 que l'être humain de s'y sentir bien.
14:43 Et c'est aussi ça, aujourd'hui, l'écologie en architecture.
14:45 Ce ne sont pas seulement les matériaux,
14:47 c'est vraiment comment est-ce qu'on rend nos bâtiments accueillants
14:49 pour d'autres espèces.
14:51 Il y a notamment une anecdote que vous m'avez racontée
14:54 lorsque j'ai visité avec vous cette exposition intitulée
14:57 "Paris animal, histoire et récit d'une ville vivante"
15:01 au pavillon de l'Arsenal, c'est jusqu'en septembre 2023,
15:04 et qui concerne les moineaux, si vous voulez bien la raconter.
15:07 La façon dont les bâtiments pouvaient être adaptés aux moineaux.
15:11 Absolument. C'est vrai qu'il y a eu une chute
15:13 de la population de moineaux à Paris,
15:16 une chute importante.
15:17 Et en fait, quand on conçoit un bâtiment,
15:20 si le bâtiment est tout lisse,
15:22 il y a des risques que les oiseaux meurent sur le bâtiment.
15:28 Alors que si on invente des cavités,
15:30 ce qu'on appelle des enfractuosités,
15:32 les moineaux vont pouvoir s'y nicher.
15:34 Et donc, c'est une manière vraiment différente de voir la ville
15:37 pour que les moineaux ou d'autres espèces puissent s'y loger
15:41 et qu'elles y trouvent aussi un habitat.
15:43 - Je vous cite Paul Shemetov dans "Construire, construire suppose une rencontre
15:48 avec un paysage, avec un site, avec un sol.
15:50 Tout projet devrait se fonder sur une lecture raisonnée du sous-sol,
15:54 de sa nature, de ses caractéristiques géotechniques".
15:58 Comment est-ce qu'on réfléchit en amont d'un projet,
16:02 dans la construction même d'un projet,
16:04 pour l'enraciner dans un paysage, Paul Shemetov ?
16:07 - Mais tout bâtiment est situé.
16:10 Il est au sud, il est au nord, il est sur un terrain peinté.
16:14 Et comme le dit avec force Marc Mimbram,
16:17 on ne construit pas de la même façon sur un sous-sol argileux
16:21 que sur un sous-sol en calcaire.
16:24 Il n'y a qu'à voir les désordres dans les pavillons, les fissurations
16:28 des pavillons qui ont été mal construits sur des sols argileux
16:31 qui se gonflent et se dégonflent pour voir que
16:36 nous travaillons sur des choses situées.
16:39 Nous ne travaillons pas en l'air.
16:41 Et donc, cette première chose, c'est d'apprécier
16:46 où vous êtes, comment vous êtes,
16:49 quels sont vos voisinages, quels sont vos vues,
16:51 quels sont les vents dominants.
16:54 Et même, si vous voulez, le nord et le sud,
16:57 l'apport gratuit de calories par le sud,
17:01 le refroidissement plus grand au nord,
17:03 ça n'existe pas dans des objets industriels.
17:06 Une voiture n'a que faire du nord et du sud.
17:09 C'est un bien.
17:11 L'architecture est située, c'est assez important.
17:15 Et Marc Wimram le dit avec force
17:19 dans une partie de "Construire", sur cette mémoire,
17:24 non seulement des situations, mais aussi des choses construites.
17:30 Et quand une voûte se fait aujourd'hui,
17:34 elle porte en elle la mémoire de toutes les voûtes.
17:37 Quand vous utilisez une brique, que vous le vouliez ou non,
17:40 vous avez en tête, d'abord, toutes les briques que vous avez vues,
17:44 celles de la place des Vosges comme celles des Corons,
17:46 ou celles des briques figurées dans les maîtres du réalisme hollandais
17:53 du début de la Renaissance et du début des temps modernes.
17:57 Vous êtes dans cette foison de références,
18:02 d'attaches et de responsabilités.
18:06 - On va continuer cette discussion avec vous deux, Paul Chemethoff.
18:10 Je rappelle que vous êtes architecte et auteur avec Marc Wimram de "Construire".
18:14 Ça vient de paraître aux éditions du Linto.
18:17 Marion Lavalère, vous êtes la nouvelle directrice générale du parvillon de l'Arsenal.
18:21 Merci beaucoup d'entamer votre journée à l'écoute de France Culture.
18:25 Il est 8h.
18:26 - 7h-9h.
18:30 Les matins de France Culture, Quentin Laffey.
18:33 - Suite de notre conversation sur l'architecture en compagnie de Paul Chemethoff.
18:38 Rebonjour, Paul Chemethoff.
18:39 Vous êtes architecte, auteur avec Marc Wimram de "Construire".
18:44 C'est paru aux éditions du Linto et à vos côtés, Marion Lavalère,
18:48 la nouvelle directrice générale du pavillon de l'Arsenal,
18:51 également urbaniste et philosophe.
18:54 Vous écrivez, Paul Chemethoff, dans "Construire" qu'il est aussi difficile
18:57 de transformer un bâtiment que d'en créer un neuf.
19:01 Qu'est-ce qui est le plus difficile ?
19:02 Qu'est-ce qui est compliqué au fond dans le fait de réhabiliter,
19:06 dans le fait de transformer l'existant ?
19:09 - Mais en fait, la transformation, je pense,
19:15 est dans ses résultats, quand ils sont bons,
19:20 plus positif que la création et le nid d'eau.
19:25 Pour parler d'un projet que j'ai fait avec Marc Wimram,
19:28 le muséum d'histoire naturelle.
19:30 Ce bâtiment était classé monument historique.
19:33 Ce qu'on a fait est également classé monument historique.
19:38 Mais l'intérêt de ça, c'est pas ses classements,
19:41 c'est que quand vous travaillez sur l'existant,
19:43 vous profitez du travail en amont avec vous.
19:46 Vous montez en quelque sorte sur les épaules de vos prédécesseurs.
19:50 Et quand ces épaules sont larges et grandes, vous êtes ici plus haut.
19:54 C'est une évidence que les couches successives
19:58 apportent quelque chose de plus qu'un premier G.
20:02 C'est évident.
20:05 Les bâtiments transformés, quand ils le sont avec respect de l'œuvre existante,
20:12 sont plus riches d'intentions, de significations, d'interprétations
20:17 que les bâtiments tout cru jetés.
20:20 C'est vrai qu'il y a quelques modèles.
20:23 Le Parthénon, la cathédrale de Chartres, si vous voulez, ou Versailles.
20:28 Mais il faut se rendre compte que ces bâtiments,
20:30 pour rester ce qu'ils furent, sont indéfiniment reconstruits.
20:34 C'est-à-dire, ce n'est pas vrai, tout bâtiment va vers sa ruine.
20:39 Si vous voulez éviter sa ruine, il faut soit constater qu'il est irrécupérable,
20:45 soit le transformer à nouveau, si possible avec amour et connaissance.
20:52 Marion Vallard, je vous voyais acquiescé.
20:54 Quand est-ce qu'on décide, au fond, soit de réhabiliter, soit de détruire ?
20:59 Comment est-ce que ce fait se réalise, ce choix ?
21:04 Comme je le disais précédemment, je pense que la réhabilitation,
21:07 c'est vraiment le premier choix écologique.
21:09 Donc, il y a un devoir de tous les acteurs de la ville,
21:12 quand on est face à un projet, de d'abord se poser cette question.
21:16 Est-ce qu'on peut réhabiliter pour ne pas jeter à la poubelle ?
21:19 Comme le disait Paul Schemethoff, parce que si on jette à la poubelle,
21:22 on jette l'histoire de personnes qui ont vécu à cet endroit-là,
21:26 on jette de la matière.
21:28 Et alors que quand on s'appuie sur cette histoire-là,
21:31 on peut faire des bâtiments très beaux et on peut inventer une seconde vie.
21:34 Il y a un bâtiment juste à côté du pavillon de l'Arsenal,
21:38 qui est à Suilly-Morland, qui est l'ancienne préfecture de Paris,
21:42 42 000 m², qui était uniquement du bureau.
21:45 Et aujourd'hui, dans ces 42 000 m², il y a 12 usages différents.
21:50 Il y a du logement social, du logement privé.
21:52 Il y a une crèche, il y a des restaurants, une auberge de jeunesse
21:55 qui ont été transformés par l'architecte David Shipperfield,
21:58 qui a eu le prix de Sker, qui est un peu le prix Nobel de l'architecture.
22:01 Et je vous invite vraiment à aller voir ce bâtiment parce qu'il montre
22:04 comment, d'un bâtiment qui pouvait sembler assez austère,
22:07 finalement, on peut créer un lieu de vie.
22:10 Et donc, je pense vraiment que quand on se pose cette question
22:13 dès le début d'un projet, est-ce qu'on peut transformer ?
22:15 En général, la réponse est oui et ça donne de très belles choses.
22:18 Et dans le même temps, Paul Shemetov, énormément de bâtiments sont détruits,
22:23 démolis. Je pense notamment à tous ces bâtiments qui datent des années 70-80.
22:29 Un parmi d'autres, le bâtiment de l'INSEE à Malakoff.
22:33 Il y avait eu toute une réflexion, faut-il ou non le détruire ?
22:36 Et toute une réflexion plus large, d'ailleurs, sur notre patrimoine récent,
22:40 sur le patrimoine du XXe siècle.
22:42 Quand est-ce qu'il faut juger ou pas de la bonne conduite de ces destructions ?
22:48 Est-ce qu'au fond, il n'y a pas un désengagement du politique sur ces questions ?
22:54 - Mais si vous l'effet, comme dans une économie domestique,
23:01 est-ce qu'il faut forcément tout jeter parce que vous avez une petite tâche
23:06 ou qu'un bouton manque, on peut le recoudre ?
23:09 Il ne faut pas se comporter de façon capricieuse avec les bâtiments
23:14 qui représentent en plus un investissement plus qu'important
23:19 de matériaux, de temps, de travail.
23:21 On évoquait tout à l'heure dans votre émission
23:25 le grand nombre de morts au travail en France.
23:27 Mais ces bâtiments portent aussi cette mémoire et cette responsabilité.
23:32 Donc avant de casser comme des sales gosses
23:37 qui cassent leurs jouets au lieu de s'en servir,
23:41 le bâtiment de l'INSEE est assez révélateur.
23:44 On veut démolir un bâtiment pour reconstruire la même surface,
23:49 strictement la même.
23:50 L'avantage du bâtiment existant, c'est qu'il ne s'oppose pas
23:55 à ce qui est la grande question de la métropole parisienne,
24:00 les rapports de Paris et de sa périphérie.
24:02 Le projet tel qu'on le connaît et qui a été proposé
24:07 consiste à être parallèle au périphérique,
24:10 alors que la question, depuis la création de ce périphérique,
24:14 qui est quand même un mur, un mur de voitures,
24:17 dont le destin est en discussion,
24:20 c'est qu'il faut le franchir par tous les moyens possibles.
24:25 Il faut faire des projets transversaux au lieu de ponctuer le périphérique
24:30 par autant de bornes, autant de murs qui restituent un Paris,
24:35 un Tramuros et un extérieur peuplé de barbares.
24:40 Une des premières questions liées à la question de la ville,
24:43 c'est que vous prenez le bouquin de Bourdieu "La misère du monde",
24:48 vous mettez un calque et vous vous apercevrez que plus c'est moche
24:56 et plus il y a de misère.
24:58 Le moche est un événement de type dramatique
25:03 du point de vue de la société.
25:07 La beauté de la ville n'est pas du tout la cerise sur le gâteau,
25:10 c'est à partir de la cerise qu'on fabrique le gâteau.
25:14 C'est plutôt comme ça qu'il faut prendre la chose.
25:16 J'appelle beauté la dignité.
25:17 Pour être honnête, le mot beauté étant compliqué à gérer,
25:24 par exemple, ce que j'ai appelé moche, j'aurais dû dire indigne.
25:28 Les grands ensembles sont indignes.
25:31 Et puis, quand ils sont beaux, ils sont dignes.
25:34 Donc, on a plutôt remplacé le mot beau par digne.
25:37 Mais enfin, on voit après de quoi il s'agit.
25:39 - Roland Castro, architecte et personnage,
25:41 architecte engagé et personnage attachant, disparu en mars dernier.
25:45 On l'entendait ici dans une conférence de 2010 au Collège de France.
25:49 Marion Valère, une réaction peut-être sur la responsabilité esthétique
25:53 aussi des architectes que Roland Castro imbrique ici dans la question sociale.
25:59 - Alors, la beauté en architecture, c'est une question très complexe
26:01 qu'on a essayé de décoder un peu via une exposition au pavillon de l'Arsenal
26:07 qui s'appelait "La beauté d'une ville".
26:09 Et avec des chercheurs, on se posait cette question, finalement.
26:13 Qu'est-ce que la beauté aujourd'hui?
26:15 Et qu'est-ce que la beauté à l'heure de la transition écologique?
26:19 Parce que ce n'est pas un sujet gratuit.
26:21 C'est à dire qu'aujourd'hui, il y a une responsabilité éthique.
26:24 Et je pense qu'on doit poser la question de la beauté dans ces termes là.
26:27 C'est à dire, pour faire le lien avec le sujet de la réhabilitation
26:30 qu'on évoquait juste avant, un bâtiment qui va être beau,
26:34 c'est aussi un bâtiment qui respecte l'histoire du site.
26:37 C'est un bâtiment qui ne détruit pas un autre paysage.
26:40 Et ce sont des matériaux qui sont les bons matériaux choisis au bon endroit.
26:44 Et c'est ça qui crée de la beauté.
26:46 En fait, il y a une voie pour une beauté écologique, je pense,
26:50 où les bâtiments sont transformés de manière harmonieuse
26:54 et où on laisse toute sa place à la végétalisation et à la faune et à la flore.
27:00 Parce qu'aujourd'hui, on parle de beauté, mais il y a un sujet de survie
27:03 dans les villes qu'on ne peut pas ignorer.
27:05 C'est à dire, comment est-ce qu'on survit
27:07 quand il y aura des températures extrêmement hautes ?
27:10 Et donc, en fait, c'est cette nouvelle beauté qu'on doit inventer
27:13 qui nous permet de survivre en ville et qui crée de la beauté.
27:18 Je crois que ce n'est pas incompatible, en fait.
27:20 - Paul Schemethoff, Marion Valère vient d'évoquer la beauté écologique.
27:25 Qu'est-ce que ça vous évoque pour le coup ?
27:29 - Je suis mal à l'aise avec ce terme de beauté,
27:32 parce que, évidemment, ce que disait Roland Castro, la dignité,
27:39 ce que vous évoquiez aussi d'une certaine façon,
27:43 c'est la fierté que peuvent avoir les gens, les habitants,
27:49 nos semblables, d'habiter dans tel ou tel lieu
27:52 et des signes de reconnaissance, de mémoire, d'histoire qui sont là à glomérer.
28:01 Mais c'est un sujet très compliqué, je le disais.
28:10 Ça recoupe les questions de goût.
28:13 Et les questions de goût, elles sont genrées, elles sont socialisées.
28:17 Le bon goût, le mauvais goût, ça n'existe pas.
28:20 Chaque catégorie a le sien.
28:23 Est-ce l'accumulation ?
28:24 Est-ce le mur nu dont parlait Fernand Léger,
28:28 devant lequel on colle les gens qui sont tous effrayés ?
28:35 Il est certain que cette question est centrale dans notre activité,
28:40 dans nos activités, pas seulement celles des architectes,
28:43 celles des politiques, celles des intellectuels.
28:47 Cette question est centrale.
28:49 Mais on ne peut pas l'aborder suivant les catégories habituelles
28:55 de l'esthétique ancienne, de l'esthétique cancienne, par exemple.
29:00 Voilà, c'est vraiment une question fondamentale qui devrait nous tarauder
29:06 et pour y apporter nos réponses contemporaines,
29:09 responsables et interrogatives quand même.
29:13 Il ne faut pas s'ériger en gardien, en possesseur absolu de la beauté.
29:18 C'est une chose qui est partagée.
29:20 Si elle n'est pas partagée,
29:22 elle est forcément aristocratique d'un côté et servile de l'autre.
29:27 - Un extrait, Paul Shemetov, du livre que vous co-signez avec Marc Mimra,
29:32 mais qui s'intitule "Construire".
29:34 Souvenons-nous de la boutade d'Adolphe Lhaus.
29:37 - Lhaus !
29:38 - Pardonnez-moi. On se promène sur les rives d'un lac des Alpes.
29:42 Tout va bien et à ce moment-là, on aperçoit une maison d'architectes,
29:46 comme un coup de pistolet dans un concert.
29:48 Notre travail est-il ressenti comme une violence ?
29:51 Il faut l'admettre pour dépasser la juxtaposition
29:54 de ce qui est et de ce que nous apportons.
29:57 Le travail d'architecte, la fonction même d'architecte,
30:00 s'est parfois vécue comme une violence, Paul Shemetov ?
30:04 - Mais forcément, je l'évoquais tout à l'heure en disant que
30:07 vous ne pouvez pas comparer la...
30:11 D'abord, comme on dit dans le milieu de la France,
30:15 qu'on dit "tanqué", c'est-à-dire qu'on a les pieds fixés au sol
30:18 dans certains jeux de boules. On ne peut pas bouger ses pieds.
30:21 Les bâtiments, ils sont "tanqués", si vous voulez.
30:24 Ils ne bougent pas. Ce ne sont pas des livres, ce ne sont pas des tableaux,
30:28 ce n'est même pas un morceau musical que vous entendez
30:33 et qui peut se reproduire sur un disque.
30:35 Un bâtiment ne peut pas se reproduire sur un disque.
30:38 C'est quelque chose qui pèse des tonnes et qui est là.
30:41 Et donc, ce que disait Loss,
30:47 Loss parlait même plus loin de crime et ornements,
30:49 mais c'est un auteur complexe.
30:54 Reprenons l'exemple de cette ville-là, il est bien certain
30:58 qu'avant et après la construction,
31:02 et avant la construction, ce n'est pas la même chose.
31:06 - Comment vous comprenez-vous, Marion Valleur, cette interrogation
31:10 formulée par Paul Shemetov et Marc Mimram ?
31:13 Notre travail est-il ressenti comme une violence ?
31:17 - Je pense que toute la beauté et le talent du travail d'architecte,
31:21 c'est parfois de créer une forme d'évidence,
31:24 c'est-à-dire qu'il y a certains endroits,
31:26 vous y allez, vous voyez un bâtiment ou un pont
31:29 et vous avez l'impression qu'il fait partie de ce paysage,
31:32 qu'il a presque toujours été là et que sa place est là,
31:35 qu'il y a une justesse dans le projet.
31:37 Et moi, c'est ça que j'aime beaucoup dans l'architecture,
31:41 c'est de voir que quand il y a un travail immense
31:44 qui est effectué pour comprendre l'histoire d'un lieu,
31:46 on peut y créer quelque chose qui va s'y installer et y trouver sa place.
31:52 - En 2012, Paul Shemetov, une exposition intitulée "Chacun sa maison"
31:56 était consacrée à vos commandes privées.
31:59 Vous aviez dit à l'époque, le laboratoire de la maison est essentiel.
32:05 Est-ce que c'est toujours vrai ?
32:06 Et notamment dans une perspective, dans une démarche écologique,
32:10 on oppose parfois le modèle pavillonnaire,
32:13 le modèle de la maison à une démarche moins écologique.
32:17 Comment vous ralliez justement ces deux ambitions
32:21 et comment vous continuez à faire de la maison un laboratoire essentiel ?
32:24 - Oui, ce livre "Chacun sa maison", ce n'est pas moi,
32:28 c'est Agnès Shemetov qui a rassemblé tout cela.
32:32 Donc j'ai été, c'est certain, représenté par les projets
32:38 et les réalisations d'habitats individuels
32:43 que j'ai construits tout au long de ma vie,
32:45 alors que je ne suis plus reconnu pour tel grand bâtiment ou tel habitat social.
32:51 Mais comment dire ?
32:56 Il n'y a pas de...
32:58 Entre la maison et l'agglomération des maisons,
33:02 vous avez un contenu de choses.
33:05 Si vous ne concevez pas dans un immeuble
33:09 que c'est une agglomération de maisons,
33:12 vous faites quoi ?
33:13 Vous faites sorcelles ?
33:15 Ou vous faites la courneuve avant sa destruction ?
33:17 Les 4000 ?
33:18 C'est-à-dire la répétition du même à l'infini.
33:21 Si vous n'acceptez pas qu'il y a un espace extérieur public
33:25 qui est partagé,
33:27 un espace de distribution intérieur aux maisons,
33:30 qui a déjà un autre statut,
33:32 qui établit le standing commun,
33:35 ou la revendication commune,
33:37 ou l'appropriation commune des gens,
33:39 et chacun des appartements est une maison,
33:42 et doit être une maison.
33:44 Et l'épidémie de Covid, le travail à domicile,
33:49 l'ont rappelé avec force.
33:52 Il faut un lieu.
33:53 Il ne suffit pas de dire qu'il faut un lieu, une cuisine, un séjour.
33:57 Il faut aussi éventuellement un lieu pour s'isoler.
34:01 Il faut un espace extérieur à tout prix,
34:03 qu'il soit un jardinier au bas d'un rez-de-chaussée,
34:06 ou un très grand balcon à l'étage,
34:10 dont on peut prendre possession.
34:11 Pas une chose pour y mettre seulement une cage d'oiseau,
34:15 ou un bout de fleur avec une tomate.
34:17 Non, c'est...
34:20 C'est cette transformation de l'objet...
34:24 de l'objet de l'habité,
34:28 c'est-à-dire l'appartement, la maison,
34:30 qui permettra, je crois,
34:32 d'offrir une issue au tout pavillonnaire.
34:36 Si vous n'offrez pas dans les maisons
34:40 ce que les habitants cherchent dans leur pavillon,
34:43 c'est-à-dire un extérieur,
34:44 et la capacité de bricoler chez eux,
34:47 il est bien certain que si vous construisez
34:50 un mur de refont, c'est-à-dire un mur porteur,
34:53 tous les 3,50 mètres,
34:55 vous n'avez aucune latitude de transformation.
34:59 Il faut qu'on puisse enlever une cloison,
35:01 bouger une porte dans le temps, si vous voulez.
35:04 Les bâtiments tels qu'ils sont construits aujourd'hui
35:07 sont extrêmement solides,
35:09 ils vont durer un siècle avec un minimum d'entretien.
35:12 C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité
35:15 que l'allongement de la vie des gens
35:20 et l'allongement de la vie des bâtiments coïncident.
35:23 Et donc il faut prendre la mesure et la responsabilité
35:27 de cette nouvelle situation.
35:29 - Marion Valère, une réaction.
35:31 Est-ce que c'est un chemin que trace Polchemetov
35:34 pour remettre en cause le modèle du tout pavillonnaire ?
35:38 - Je pense que, déjà, il faut respecter l'existant.
35:41 Il y a énormément de pavillons aujourd'hui en France
35:43 et donc se pose la question de qu'est-ce qu'on en fait ?
35:45 C'est-à-dire, si on dit juste "c'est un mauvais modèle",
35:49 très bien, mais il y a beaucoup de personnes
35:52 qui vivent dans le modèle pavillonnaire
35:53 et donc on peut le transformer.
35:56 C'est-à-dire qu'il y a là beaucoup d'espace
35:58 et nous, on a accompagné un projet au pavillon de l'Arsenal
36:00 qui s'appelait "Iudo",
36:02 qui consistait en fait à travailler sur ce pavillonnaire existant
36:06 et se dire "est-ce qu'on peut ajouter quelque chose ?"
36:09 Parce qu'il y a aussi des personnes
36:11 qui ont des baisses de revenus à la retraite
36:13 qui sont dans le pavillonnaire
36:14 et on peut parfois ajouter, par exemple, un logement étudiant,
36:17 faire un complément de revenus.
36:19 Et on peut, comme ça, de manière assez douce,
36:21 transformer ces espaces qui sont importants
36:24 pour y amener plus de personnes, plus de villes.
36:27 Et comme cela, on peut le faire évoluer.
36:29 - Paul Chabotov, dans "Construire",
36:31 vous commencez votre texte par la remise en cause d'une scission
36:37 entre architectes d'un côté et ingénieurs de l'autre.
36:41 Pourquoi le dépassement de cette frontière
36:45 vous paraît au fond si important, même si nécessaire ?
36:49 - Il y a une exception française en la matière
36:54 qui remonte à l'école des Beaux-Arts, à l'académisme,
36:59 dans lesquels le beau, quand on parlait,
37:03 serait le privilège des architectes
37:05 et les ingénieurs, ce seraient des bestiaux calculateurs
37:09 qui feraient que ça tienne.
37:10 C'est plus compliqué que ça, si vous voulez.
37:12 Dans tous les projets que j'ai fait avec Marc Mimbram,
37:16 dans lesquels il a été soit mon conseil, soit ingénieur,
37:20 que ce soit le ministère des Finances,
37:22 que ce soit la JETE à la Défense,
37:25 que ce soit l'atelier Masséna, que ce soit le muséum,
37:32 l'apport de Marc Mimbram a été différent, complémentaire,
37:37 mais aussi important que le mien.
37:39 C'est de cette partie de tennis, de ping-pong,
37:42 que le projet se nourrit.
37:44 Il n'est pas un simple dessin, il est construit.
37:48 Construire, c'est donner forme.
37:49 Et cette forme, elle n'est pas le privilège des architectes,
37:53 elle est aussi le fait de la nécessité.
37:56 La gravité, ça existe, les secousses sismiques, ça existe,
38:01 le vent, ça existe, la prise au vent, etc.
38:05 Donc, dans tous les pays que j'estime civilisés,
38:10 le rôle des ingénieurs n'est pas d'être des simples calculateurs.
38:15 Tu restes fréciner le grand ingénieur français,
38:17 l'inventeur de la prise de contrainte,
38:20 qui dessinait fort bien.
38:22 Vous voyez, premier croquis de fréciné,
38:25 et ces ingénieurs lui disent "ça tient pas".
38:28 Et frécinez leur lit froidement, refaites vos calculs.
38:32 C'est que l'ingénieur, si l'ingénieur est un calculateur,
38:36 il est absolument aujourd'hui remplacé par des ordinateurs.
38:40 S'il est un concepteur, avec sa...
38:45 qu'il y a plusieurs solutions aussi,
38:47 il n'y a pas qu'une solution à un problème constructif.
38:51 Et c'est dans ce choix des solutions,
38:53 dans cette pluralité de conception, d'approche,
38:57 que les ingénieurs et les architectes se retrouvent du même côté de l'action.
39:02 - Marion Valère, ce mur présent, historique,
39:05 entre architectes d'un côté et ingénieurs de l'autre,
39:08 il est en train de s'effriter peu à peu, ou il reste extrêmement solide ?
39:12 - Je pense qu'aujourd'hui,
39:14 construire ou transformer, c'est vraiment une action très très collective.
39:17 On parlait tout à l'heure des enjeux du vivant,
39:20 de comprendre un sol,
39:22 comprendre comment un bâtiment peut accueillir la faune.
39:24 Pour faire cela, on a besoin d'un nombre de corps de métier qui est immense.
39:28 Donc je pense que c'est ça le plus important.
39:30 C'est-à-dire qu'on a besoin d'écologues, de paysagistes,
39:34 de personnes qui comprennent ce qui va être bien pour tout type d'espèces.
39:39 Et donc aujourd'hui, vraiment, c'est ça le plus important.
39:42 Et l'architecte, il a un rôle majeur à jouer, un peu de chef d'orchestre là-dedans,
39:47 pour orchestrer toutes ces disciplines et créer quelque chose d'utile et de beau.
39:52 - C'est aussi votre conception, Paul Shemetov, du rôle de l'architecte au sein d'une équipe,
39:57 c'est être le chef d'orchestre en quelques mots ?
40:01 - Oui, on peut dire ça, mais si vous voulez, pour revenir à ce que nous disions tout à l'heure,
40:07 en Suisse, par exemple, il y a une société des ingénieurs et architectes
40:12 qui sont, non pas comme deux corporations opposées,
40:16 mais un même ensemble d'approches.
40:18 Et c'est ce même ensemble d'approches, dans la complexité que vient de décrire Marion Valère,
40:25 qu'il faut opérer.
40:27 Pas comme deux mondes opposés, deux équipes de football qui s'affrontent
40:32 et qui doivent l'une triompher et l'autre perdre. Non !
40:35 C'est stupide.
40:37 - C'est stupide. Eh bien merci beaucoup à tous les deux, Paul Shemetov,
40:40 je rappelle que vous êtes architecte et auteur avec Marc Mimram,
40:43 de Construire, ça vient de paraître aux éditions du Linto, Marion Valère,
40:46 vous êtes la nouvelle directrice générale du pavillon de l'Arsenal.
40:49 Merci beaucoup à tous les deux d'être venus ce matin, au matin de France Culture.