Chroniqueuse : Maud Descamps
Maud Descamps reçoit aujourd'hui Frédéric Ploquin, grand reporter spécialiste du grand banditisme et du trafic de drogue, pour parler de la double fusillade dans le Vaucluse et des violences de plus en plus récurrentes à Marseille.
Maud Descamps reçoit aujourd'hui Frédéric Ploquin, grand reporter spécialiste du grand banditisme et du trafic de drogue, pour parler de la double fusillade dans le Vaucluse et des violences de plus en plus récurrentes à Marseille.
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00:00 Bonjour Frédéric Ploquin, bienvenue sur le plateau de Télématin.
00:03 Vous êtes l'auteur de nombreux livres, notamment celui-ci, votre dernier,
00:06 "Jacques et le Mat", "Le Parrain", "Le Showbiz" et "Les Politiques".
00:09 C'est édité chez Plon, vous êtes en effet un spécialiste du grand banditisme.
00:13 On va s'intéresser à la fois à la double fusillade qui a eu lieu avant-hier dans le Vaucluse,
00:17 mais aussi aux violences de plus en plus récurrentes à Marseille.
00:20 On commence avec Cavaillon, donc où une fusillade, deux fusillades simultanées
00:24 ont fait deux morts dans la nuit de lundi à mardi.
00:26 Le maire de Cavaillon parle de règlement de compte sur des points de trafic de deal.
00:31 On s'attend à parler d'une ville comme Marseille, comme Saint-Ouen,
00:34 sur ses guerres de territoire, sur ses points de deal.
00:37 Là, Cavaillon, c'est surprenant ?
00:39 Non, parce que le marché de la drogue, si vous voulez, a complètement explosé ces dernières années.
00:45 Là où autrefois, effectivement, il était concentré sur les grosses villes
00:48 et pour les habitants du Vaucluse qui voulaient se procurer
00:51 un gramme de cocaïne ou une barrette de shit, il fallait se déplacer jusqu'à Marseille.
00:55 Aujourd'hui, ce commerce s'est déplacé et est venu, c'est du commerce de proximité,
01:00 disons que les dealers se sont rapprochés du consommateur.
01:03 Et donc effectivement, la tendance, la nouvelle tendance, c'est que désormais,
01:08 on a des points de deal avec tout ce que ça implique,
01:10 notamment le marqueur du point de deal principal qui est le règlement de compte,
01:14 on a des points de deal dans quasiment la moindre sous-préfecture en France.
01:19 C'est ça la nouveauté.
01:20 Donc toutes les petites villes vont être ou sont déjà gangrénées par ce trafic ?
01:24 – Disons que les producteurs, les trafiquants,
01:27 notamment les producteurs de cocaïne, ces dernières années,
01:31 ont démultiplié leur production et du coup, se sont donné les moyens en termes,
01:35 en tout cas d'approvisionnement en produits,
01:37 d'envahir effectivement l'intégralité,
01:40 d'aller desservir l'intégralité des petites villes en France.
01:43 Et donc au final, on se retrouve avec des endroits où,
01:46 on ne s'y attendait pas mais on a désormais effectivement des balles
01:49 comme ça qui fusent et on n'est pas dans les quartiers Nord,
01:52 on n'est plus dans les quartiers Nord.
01:53 – C'est ce que j'allais dire, le point névralgique c'est Marseille,
01:55 je voudrais qu'on regarde un chiffre,
01:57 ce chiffre c'est le nombre de morts dans des fusillades à Marseille.
02:00 Depuis le début de l'année, on est déjà à 17 morts.
02:02 On nous annonce une année record justement sur ce nombre de victimes.
02:06 Comment on l'explique ? Il y a des tensions particulières en ce moment ?
02:09 – Si vous voulez, le trafic de drogue, c'est un peu comme les tremblements de terre.
02:14 Dès lors que vous avez la terre qui tremble, donc un mort,
02:17 vous pouvez être absolument certain ou certaine que derrière il y aura une réplique.
02:21 C'est comme ça, c'est naturel et à Marseille, ce sont un peu des pionniers dans le genre.
02:24 Ça fait quand même, je le rappelle, une cinquantaine d'années de l'époque de Jacqui Lematte.
02:28 – C'est ancré vraiment.
02:29 – Déjà des guerres qui faisaient 20 ou 30 morts, il faut se le rappeler,
02:33 il ne faut pas non plus effacer l'histoire.
02:35 À Marseille, on a bon an, mal an, entre 15 et 30 morts par an depuis une cinquantaine d'années.
02:40 Donc ça, ce n'est pas vraiment nouveau, mais là, qu'est-ce qui le fait
02:44 que tout d'un coup ces jeunes aussi se dessoudent à ce point-là,
02:49 se charclent comme ils disent entre eux, c'est peut-être qu'à l'époque justement de Jacqui Lematte,
02:54 il y avait des patrons, il y avait des chefs.
02:56 Aujourd'hui, les chefs qui tenaient Jacqui Lematte, c'est un grand voyou.
02:59 – Il est moins pyramidal aujourd'hui.
03:00 – Non mais il est mort à 89 ans, aujourd'hui on meurt à 25 ans.
03:02 Donc déjà il y a une différence, il y a une adaptation.
03:05 Et effectivement, on a l'impression que ces guerres, en plus elles se livrent
03:08 non plus à l'arme de poing mais à la Kalachnikov.
03:11 Et donc la Kalachnikov, ça arrose, il y a un côté, c'est vrai qu'il y a une ultra-violence.
03:16 – C'est beaucoup plus violent qu'avant justement.
03:19 – Disons que la présence de l'arme de guerre à la place des armes de poing
03:22 donne effectivement un color d'une manière un petit peu différente ces ventes d'État.
03:27 Mais quand je disais c'est comme les tremblements de terre,
03:29 ça veut dire que dès lors que… c'est la vente d'État en fait,
03:31 dès lors que vous avez un mort, là à Cavayon, petite ville du Vaucluse,
03:36 marché local assez important, vous aviez eu déjà deux morts deux ans plus tôt.
03:41 – Oui.
03:42 – En fait, la nouveauté aujourd'hui, dès lors qu'il n'y a plus de patrons,
03:46 c'est qu'on a des jeunes qui ne se contentent pas, comme c'était le cas autrefois,
03:49 de tenir leur petit terrain, leur petit point de deal, de tenir proprement,
03:54 parce que c'est quand même, a priori pour les nécessités du commerce,
03:57 il vaut mieux que ce soit propre et qu'il n'y ait pas de vagues,
03:59 il vaut mieux s'entendre avec les habitants.
04:00 Moi je suis souvent allé sur ces terrains m'entretenir avec ces individus,
04:05 et ils me racontent, effectivement, ils racontent qu'ils ont plutôt tendance
04:08 à aider les vieilles dames de la cité, etc. C'était ça.
04:12 – Oui. Là il y a un ras-le-bol, on voit qu'il y a un vrai ras-le-bol à Marseille,
04:15 il y a les maires de famille qui défilent en disant "on ne veut plus ça",
04:18 il y a aussi les élus locaux qui râlent en disant
04:20 "on n'a pas les effectifs policiers supplémentaires", est-ce que c'est ça le problème ?
04:24 – En tout cas ils ont raison, parce qu'effectivement,
04:25 ils ne se comportent plus tout à fait correctement,
04:27 et maintenant au lieu d'avoir de se contenter du petit point de deal,
04:30 celui qui gère un petit terrain, qui a 20-22 ans, il se dit
04:33 "moi je vais aller conquérir celui d'à côté, puis celui d'à côté,
04:36 et puis je vais être le droit de la ville", il se dit ça très vite.
04:39 Voilà, ils veulent une espèce de…
04:40 Donc effectivement la police derrière, je ne sais pas s'il manque en nombre de policiers,
04:44 c'est vrai que la police derrière elle doit faire des enquêtes,
04:47 la population, les citoyens ont raison, ils demandent une réponse à court terme.
04:52 Or la police ne peut pas apporter réellement de réponse à court terme,
04:55 vous pouvez envoyer comme on l'a fait à Marseille une compagnie de CRS,
04:58 ça va peut-être rassurer un petit peu les gens.
04:59 – Vous vous dites qu'il faut faire du renseignement, c'est ça ?
05:01 – Si vous voulez, le problème de la police c'est que c'est de long terme,
05:05 si vous voulez faire une enquête pour démonter un point de deal,
05:08 vous devez accumuler suffisamment de preuves,
05:09 vous ne pouvez pas arriver balayé, comme ça peut se faire au Brésil,
05:12 où la police arrive et éventuellement tire aussi, elle aussi à l'arme à feu,
05:15 élimine les dealers, on voit bien, d'ailleurs ce n'est même pas une solution
05:18 parce que ça repousse derrière, mais là on est en France,
05:21 donc il faut monter des dossiers, il faut faire du renseignement,
05:24 donc il faut renforcer, c'est ça aussi la difficulté aujourd'hui,
05:28 renforcer la police judiciaire à Marseille, ça a été fait,
05:31 mais maintenant le problème c'est qu'il faut des moyens de ce type-là
05:34 dans la moindre petite sous-préfecture,
05:35 et là on n'est pas encore tout à fait dimensionné,
05:38 mais effectivement il faut apporter cette réponse aux citoyens,
05:41 on serait-ce que pour ramener là,
05:43 parce que dans ces quartiers il n'y a pas que des trafiquants et des consommateurs qui vivent.
05:47 – Oui, c'est surtout les habitants qui subissent.
05:48 – 95% ou même plus des personnes qui habitent ces quartiers
05:52 sont des gens qui n'ont strictement rien à se reprocher,
05:55 qui vont travailler le matin et qui entendent les balles siffler, etc.
05:58 Effectivement, l'État se doit effectivement de faire quelque chose,
06:02 mais ça ne peut pas être une réponse malheureusement pour les citoyens
06:05 du jour au lendemain.
06:07 – L'Office anti-stupéfiants dit qu'il y a plus de 1000 points de deal
06:10 qui ont été démantelés en deux ans, ça veut dire quand même que ce combat il avance ?
06:14 – Effectivement, il y a des points qui sont marqués, il ne faut pas dire le contraire.
06:17 Avant la création de l'Office des stups, je le rappelle quand même,
06:20 c'était il y a deux ou trois ans, je le rappelle quand même,
06:22 que les forces de l'État en présence sur le terrain,
06:25 gendarmes, douanes, polices, se chamaillaient comme des chiffonniers,
06:30 se tiraient des balles dans les pieds et s'interdisaient de travailler ensemble,
06:33 parce qu'en fait le but c'était chacun de faire son petit chiffre dans son coin.
06:37 Je rappelle quand même que l'État a tapé du poing sur la table,
06:39 qu'on a demandé aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers d'arrêter,
06:43 en gros c'était contre-productif, de s'entre-neutraliser,
06:47 et que là avec la création de cet office, ils ont décidé de travailler comme un seul homme.
06:52 J'ai envie de dire, il était temps, et effectivement il y a des points qui sont marqués,
06:57 il y a des têtes, parce que les barons, il ne faut pas se le cacher,
06:59 les barons de ce trafic de stupéfiants, ils ne sont pas en France,
07:02 ils ne sont pas atteignables en France.
07:03 – Oui, ils sont à l'étranger, ils sont au Maghreb, en Corse aussi.
07:04 – Ils sont à Dubaï, ils sont à Casablanca, ils sont ailleurs, ils sont loin,
07:09 parce qu'ils mettent des frontières, et ils terrorisent à distance,
07:12 ils terrorisent à distance ce qui était bon.
07:14 Donc effectivement, il y a eu un renforcement, il y a des têtes qui tombent,
07:18 le problème c'est ça, c'est que tant qu'il y aura des consommateurs,
07:20 je pense qu'il y aura des individus pour leur amener le produit,
07:24 vu l'argent que ça ramène, et vu comment la cocaïne a complètement dynamité ce marché.
07:29 – Merci beaucoup d'être venu nous voir Frédéric Ploquin,
07:32 je rappelle donc le titre de votre dernier livre,
07:34 "Jacky le mat, le parrain, le showbiz et les politiciens".
07:37 – C'est plus calme, mais en même temps, oui et non,
07:39 il y avait quand même beaucoup de morts déjà à l'époque.
07:40 – Alors on va découvrir ça, merci à vous.